Partie unique
1
Emma Anderson réajusta l'écharpe autour de son cou et pressa le pas. Dehors la nuit était tombée et les lumières éclairaient la rue encore un peu bondée de la ville, mais elle ne s'attarda pas à la contempler.
Trois mois.
Elle secoua la tête, effaçant cette pensée qui lui revenait sans cesse et poursuivit sa route d'une marche soutenue jusqu'au métro. Lorsqu'elle ressortit de celui-ci et regagna la surface, elle sut qu'elle n'était plus très loin de chez elle. Il lui faudrait dix minutes environ pour traverser la grande rue et prendre la direction de son petit quartier tranquille. Mais elle s'arrêta un instant, le regard rivé vers les boutiques de restauration et cette pensée lui revint comme une claque : Trois mois.
Et elle se remit à marcher. Emma n'avait pas toujours été aussi pressée de rentrer chez elle, avant, même en temps de pluie ou de vent fort, elle traînait un peu en ville, et plus particulièrement dans ce bar. Elle avait voulu oublier cet incident, l'enterrer bien profondément en elle comme un mauvais souvenir qui se serait estompé avec le temps. Mais elle n'y pouvait rien, elle pensait à ça, à elle et à cette putain de chute.
Il y a trois mois elle vivait avec une femme, Stella Vermand, charmante et adorable. Elles s'aimaient, oh que oui elles s'aimaient plus que tout. Elles s'amourachaient le matin dès l'aube jusqu'à la nuit sombre éclairée par les étoiles. Cependant, elles n'avaient pas été à l'abri de cette dispute. Tout avait commencé un matin après qu'elles se soient allées balader le long du port. Elles s'étaient beaucoup amusées, avaient discrètement flirté aussi, avant que l'affreuse vérité ne frappe Anderson. Son amante venait d'une bonne famille, aussi aimante que respectable et elle n'avait pas toujours été attirée par les femmes. Par ailleurs, Emma avait été sa première. Alors quand elle l'avait vue si heureuse face à cette enfant (la fille d'une amie qu'elles venaient de croiser), la jeune femme n'avait pas pu s'enlever l'idée qu'elle n'était qu'un obstacle à son futur. Elle lui apportait beaucoup de bonheur, certes, mais ce n'était pas comparable à celui que pourrait lui donner un enfant, son enfant, avec un homme qu'elle aimerait.
Tout était parti de là. Les cris, l'évitement, la peur, l'angoisse, la tristesse, la frustration, la colère, et toutes ces émotions qui les avaient menées jusque-là.
Alors qu'Emma avait ordonné à Stella de la laisser, celle-ci, perdue entre sa colère et l'amour qu'elle lui portait, était tombée dans les escaliers. Malheureusement, même si Emma lui avait tendu sa main pour la rattraper, leurs doigts ne firent que se frôler et elle s'effondra au sol.
Lorsque Vermand avait ouvert les yeux, elle se trouvait dans une chambre d'hôpital, avec pour diagnostic une amnésie sur les trois années précédentes de sa vie (pas dans leur globalité, mais la présence de son amante s'était évaporée comme un doux cauchemar).
Bien évidemment Emma avait été détruite par ces quelques mots « Qui-est-ce ? », et dans son égoïsme elle s'était bien gardée de lui révéler la vérité. Elle avait ainsi demandé à ses amis, aussi collègues de travail, ainsi qu'à ses parents de ne rien faire, de lui cacher son existence et de ne jamais lui dire qu'elles avaient été amies, amantes, amoureuses et même fiancées. Les proches avaient voulu savoir la raison de cette supercherie car ils n'avaient pas été d'accord avec la blonde sur sa décision, mais ils comprirent que – au-delà de cette raison cachée – la souffrance de la voir sans souvenir lui serait insurmontable.
Elle devait aller de l'avant, et laisser Stella prendre un nouveau départ.
Trois mois. Trois mois qu'elle tentait vainement de tourner la page sur un bonheur irremplaçable en se disant que c'était pour le mieux.
Et quand elle rentra chez elle, avec ses habituelles larmes, elle s'effondra dans le lit froid.
2
Ce matin, Stella Vermand sortait son chien. Heureuse de cette belle journée malgré le froid de fin d'année, elle avait gagné le parc dans une humeur plutôt joyeuse. Son chien, un samoyède de Russie, appréciait grandement la fraîcheur matinale et n'hésita pas une seule seconde à tirer sur la laisse pour demander à sa maîtresse d'aller plus vite.
« Doucement Seth on y est presque. », rit la châtaine.
Elles arrivèrent enfin au parc et Stella, sachant que son ami à quatre pattes ne partait jamais loin, le lâcha. Le blanc partit comme une furie avant de revenir vers elle une seconde plus tard et repartir dans une sorte de jeu qu'il devait trouver amusant. La femme, amusée, se contenta de marcher, l'attention rêveuse portée sur son chien.
Elle appréciait énormément ces matins, car elle n'avait malheureusement pas le temps de venir jusqu'ici tous les jours. C'était certes, proche de son lieu de travail, mais bien loin de chez ses parents où elle vivait encore.
Depuis son accident il y a un peu plus de trois mois, dans lequel elle avait perdu une bonne partie de ses souvenirs, tout le monde était aux petits soins avec elle. C'était normal de s'inquiéter après cela, les médecins l'avaient même mise en garde sur sa santé et que des complications pouvaient être envisagées. Pourtant, tout semblait aller pour le mieux. Sa santé était bonne et parfois elle avait l'impression de se souvenir d'événements passés, sans pour autant savoir faire la différence avec un rêve, inventé de toute pièces.
Pour vous mettre dans la confidence, Stella ne savait pas si elle voulait retrouver ses souvenirs. C'était égoïste, mais elle avait bien remarqué le regard que lui portaient ses proches dès lors qu'elle en abordait le sujet, ou bien lorsqu'ils essayaient de cacher quelque chose, un objet même. La femme ne savait pas ce qui clochait, elle ne savait pas ce qu'elle lui manquait, pire, elle avait peut-être oublié quelque chose d'important. Et elle avait réellement peur de ce que cela pouvait être.
La châtaine sortit de ses pensées lorsqu'elle vit son chien se ruer sur une inconnue (assise tranquillement sur un banc en train de boire un café à emporter). Elle se précipita vers eux, grondant son chien qui ne comprenait pas pourquoi il ne pouvait saluer amicalement cette dame.
« Seth ! Aux pieds. », ordonna Stella.
Sous la demande, le chien s'écarta, la langue pendante. Il tournait la tête dans la direction de l'étrangère, puis vers celle de sa maîtresse tout en battant frénétiquement de la queue. Il aboya et retourna sur l'inconnue pour lui quémander des caresses. Honteuse du comportement de son chien, Vermand le tira par le collier – sans grande violence mais avec fermeté – et lui intima de s'asseoir.
« Je suis désolée, il n'est pas comme ça d'habitude, s'excusa-t-elle.
─ Ce n'est rien, il est adorable. », admit la femme.
Stella leva les yeux vers la passante. Ses yeux bleus ornés de longs cils se posèrent sur elle et elle n'eut aucun mal à la reconnaître malgré l'écharpe qui lui recouvrait la moitié du visage.
« Je me souviens de vous ! », s'écria-t-elle chaleureusement.
Le cœur de la femme se gonfla de sentiments, il s'emballa avec force et vitesse. Il tapait dans sa poitrine à tel point qu'elle aurait cru qu'il allait en sortir. Mais Stella ne remarqua pas cette surprise, ou du moins elle ne comprit pas l'entièreté de son regard vibrant.
« Vous m'avez emmenée à l'hôpital il y a un peu plus de trois mois, encore merci. »
La maîtresse du chien se confondit en remerciements malgré la grimace douloureuse qui peignait le beau visage de la passante. À nouveau, elle ne l'avait pas reconnue, elle, Emma Anderson, son ex-fiancée. Son cerveau l'avait balayée sans scrupules de ses souvenirs et, évidemment, pour elle leur première rencontre était à présent celle de l'hôpital. Par ailleurs, le comportement de son chien aurait pu facilement s'expliquer si elle avait eu vent de toute cette histoire dramatique.
Emma ravala sa salive et lutta contre les larmes pour lui répondre le plus platement possible.
« C'était normal. » sa voix se brisa à la fin, mais la femme ne sembla pas s'en formaliser.
Stella devait penser qu'elle n'était que fatiguée, un peu tendue par ce froid matinal, jamais elle ne se douterait qu'elle était le centre de son traumatisme. La douleur était vive, autant qu'elle l'avait été cette fois-là, et la seule pensée qui anima la jeune femme fut celle de fuir.
« Vous m'excuserez, je dois y aller, souffla-t-elle.
─ Heu oui, bien sûr. »
Elle l'observa se lever, réajuster l'écharpe autour de son cou et esquisser un mouvement d'au revoir lorsque l'envie de la retenir lui prit les tripes. Elle attrapa la manche de son manteau et lui dit :
« Attendez, je voudrais quand même vous remercier. »
Emma se tourna vers elle, les sourcils froncés. Elle n'avait pas besoin de ses remerciements, elle voulait à son tour oublier et ne plus jamais ressentir ce vide. C'était au-delà de ses forces de se tenir face à la femme qu'elle aimait et qui ne se souvenait plus d'elle. Si dans les livres et les films l'amnésie ne durait jamais, cela faisait plus de trois mois que la sienne se poursuivait, et visiblement elle ne se souviendrait pas.
« Je m'appelle Stella et je travaille dans un bar pas très loin d'ici, le "Midnight Memories" venez y faire un tour. », demanda la femme.
Elle la lâcha avant de lui tendre la main, voulant probablement sceller leur rencontre en bonne et due forme, mais Anderson ne bougea pas. Elle considéra un instant sa main rougie par le froid, et dépourvue de cet anneau d'or. Elle ne s'en saisit pas.
« Emma, je passerai. », mentit-elle.
Puis elle tourna les talons une bonne fois pour toute et quitta le parc.
Stella attendit sa venue, quelques jours, une semaine, deux semaines passèrent, Emma ne vint pas.
3
La barmaid soupira bruyamment en nettoyant son énième verre.
« Quelque chose ne va pas ? », demanda sa collègue.
Salomé, une très bonne amie à elle et serveuse dans son bar, la regardait avec inquiétude. Elle se tenait appuyée contre le bois, plateau de service qui attendait de se faire débarrasser avant d'aller chercher une autre commande. Elle leva son regard vers elle.
« Hum, je suis un peu ennuyée. », avoua-t-elle.
La brune resserra sa queue de cheval et l'écouta attentivement.
« J'avais demandé à la femme qui m'a emmenée à l'hôpital de venir au bar mais elle n'est jamais venue.
─ Elle doit avoir ses raisons. », supposa-t-elle avec nonchalance.
La femme la dévisagea un moment. Elle avait oublié la plupart de ses souvenirs sur les trois dernières années de sa vie, la présence de la brune également. Elle s'était tout de suite sentie à l'aise avec elle et après quelques jours avait récupéré quelques scènes à ses côtés. Cependant, l'expression qui se lisait sur son visage était bien celle : fermée, froide, et qui laissait deviner qu'elle pensait à quelque chose dont elle ne se rappelait plus. Sa famille et ses proches la regardaient tous de cette manière lorsqu'elle abordait le sujet. Stella n'ajouta rien et s'occupa de son plateau. Elles reprirent leur service.
Ce soir-là c'était Vermand qui s'occupait de la fermeture, comme souvent. Elle ferma les volets, rangea les affaires de dehors qui craignaient et s'accorda une pause de quelques minutes à regarder la rue presque vide à une heure du matin. Elle respira un grand coup et s'étira dans une mince délivrance bien fatiguée par cette journée. Elle n'avait jusqu'alors qu'une hâte, celle de rentrer chez elle et dormir. Mais quand elle se tourna, prête à fermer, elle découvrit avec surprise la présence d'Emma.
La plus petite avait les joues rosées par le froid et ses cheveux blonds en vrac, une expression toute aussi surprise qu'elle pendait sur son visage – en la voyant ainsi elle aurait presque pu penser qu'elle avait essayé de l'éviter, et c'était malheureusement le cas. Si Anderson s'était enfoncée sous son écharpe pour cacher une grimace de douleur, ce fût un sourire joyeux qui étira les lèvres de Stella.
« Bonsoir Emma ! », s'exclama de vive voix la châtaine.
La blonde se tortilla sur place, mal à l'aise avant de répondre doucement.
« Bonsoir.
─ Je peux vous inviter à boire un verre ? se hâta-t-elle de demander.
─ Je ne pense pas que cela soit une bonne idée, il est tard. », refusa doucement la femme.
La barmaid sentit une déception grimper en elle. Elle n'en savait pas la raison, car finalement cette femme n'était pour elle qu'une inconnue (et sa sauveuse). Alors penser que la jeune femme ne semblait pas vouloir faire « amie-amie » avec elle la gêna. Elle parvint tout de même à cacher son désarroi et lança un petit sourire à Emma.
« Oh, vous travaillez demain, je suppose ? tenta la Stella.
- Non, ce n'est pas... »
La voix d'Anderson se tut. Stella comprit alors que sa sauveuse n'avait pas du tout envie d'avoir affaire à elle. Elle comprenait parfaitement que la survenue d'une personne étrangère du jour au lendemain pouvait être dérangeante. Elle se confondit en excuses avant de souffler dans ses mains froides pour les chauffer un peu.
« Je ne voulais pas vous mettre mal à l'aise. », confia-t-elle.
Emma la regarda se détourner pour contempler la rue. Stella n'avait pas changé. Physiquement, mentalement, et même à ses yeux, elle restait la même, elle restait celle dont elle était tombée amoureuse il y a trois ans. Elle se souvenait qu'elles avaient commencé par flirter un peu autour d'un verre, puis après quelques sorties entre amis, Emma lui avait confié ses sentiments. Ce jour-là, elle avait cru que Stella avait fait une crise cardiaque et qu'elle ne viendrait plus jamais lui parler. Elle n'avait rien dit, n'avait pas décoché un mot pendant de longues secondes, ce qui eut le don d'embarrasser la blonde. Puis, elle était soudainement devenue rouge avant de lui prendre les mains pour lui répondre avec un adorable : « Alors, si tu m'aimes, tu dois sortir avec moi ! ».
Sur le coup, Emma avait pensé à une blague de mauvais goût de la part d'une hétéro curieuse. Non pas qu'elle ne croyait pas en cette femme qu'elle appréciait beaucoup, mais bien parce qu'elle avait changé si rapidement de comportement. Par la suite, Vermand avait mis son cœur dans cette relation, et c'était probablement pour cette raison qu'elle avait aussi bien marché jusqu'alors. Elles s'étaient même fiancées après tout.
« Seulement un verre dans ce cas, accepta-t-elle malgré elle.
- Super ! »
Sans perdre une seconde, Stella passa une de ses mains autour de sa taille et la guida avec jusqu'au bar. Une fois à l'intérieur, Stella ralluma les lumières et prit soin de mettre les affaires de son invitée sur le porte-manteau. Elle passa ensuite derrière le bar, proposant à Emma de savoir et de choisir une boisson. C'est autour d'un verre que tout avait commencé, pensa la blonde en serrant ses mains moites. La barman, bien occupée à préparer sa meilleure boisson, remarqua quand même la détresse de son invitée et entama directement une conversation pour essayer de la détendre :
« Vous faites quoi dans la vie pour rentrer aussi tard ? Si ce n'est pas indiscret évidemment.
─ Je suis autrice scénariste. », répondit-elle.
Le regard de la châtaine s'illumina. Sans s'en rendre compte, elle avait eu exactement la même réaction que lorsqu'elle lui avait annoncé cela par le passé.
« Dans quel domaine ? s'enquit-elle.
- Je fais un peu de tout. »
Un silence prit place, et en contournant le bar pour venir s'asseoir à côté d'elle, Stella se sentit gênée. Si Anderson avait accepté son invitation à boire un verre, son cœur ne semblait pas y être. Elle avait l'impression qu'une immense barrière s'était érigée entre elles avant même qu'elle ne puisse faire sa connaissance.
« Est-ce que je vous importune ? » demanda-t-elle avec un brin de peine dans la voix.
Emma tressaillit, manquant de s'étouffer avec le verre d'alcool. Elle s'essuya maladroitement la bouche avant de baisser les yeux vers ses mains tremblantes.
« Non, c'est juste... j'ai quelques problèmes.
─ J'espère que ça va s'arranger. », souffla amicalement la barmaid.
Emma n'osa pas la regarder dans les yeux, mais elle lui sourit doucement.
4
Après ça, elles parlèrent plus légèrement, et les minutes défilèrent avec rapidité. Ce fut Emma, sentant sa tête chauffer, qui regarda enfin sa montre.
« Il est si tard ! », s'exclama-t-elle.
Stella se pencha vers elle, prenant son poignet pour regarder à son tour l'heure : deux heures quarante-six. Cela faisait presque deux heures qu'elles papotaient comme deux vieilles connaissances après un moment sans nouvelles. C'était un peu le cas.
« Je vais rentrer, annonça la blonde.
- Je vous raccompagne. »
Le sourire – alcoolisé – d'Emma se fana en une légère grimace polie.
« Non, ça ne sera pas la peine. », refusa l'autrice.
Si elle avait voulu éviter à tout prix que son ex-fiancée ne la raccompagne chez elles, enfin chez elle, ce fut peine perdue lorsque son pied se déroba. La femme ne perdit pas une seconde et vint la rattraper.
« Tenez-vous à moi. » lui demanda-t-elle.
Son souffle s'échoua sur la peau fine de son cou, et elle ne put contenir un frisson. Stella était trop proche, beaucoup trop, et au-delà de cette douleur lancinante qui lui griffait le cœur, le désir ne la quittait pas. Elle se souvenait parfaitement de ce toucher qui venait parcourir sa peau, défaire ses vêtements un à un avant que leur corps et cœur ne fassent qu'un. Et elle retint une larme en s'appuyant sur elle.
« Merci, murmura la blonde.
- Vous auriez dû me dire que vous ne teniez pas l'alcool. » lui reprocha gentiment la barmaid.
Emma esquissa un rire gêné. C'était pourtant quelque chose qu'elle avait toujours su.
5
« C'est ici. »
Une maison tout à fait charmante leur fit face et même dans un état d'esprit brumeux, Emma observa la réaction de Vermand. Ses sourcils s'étaient froncés un instant avant que sa tête ne bouge de droite à gauche comme pour se débarrasser d'un mauvais songe.
« C'est une très belle maison », finit-elle par dire.
L'auteure resta silencieuse, incapable d'exprimer un quelconque son à cause de l'alcool et de cette douleur lancinante qui griffait, maltraitait son cœur. Elles passèrent le portail, puis entrèrent une fois qu'Emma parvint à atteindre ses clés, plongées au fond de sa mallette de travail. Elles passèrent donc l'entrée et Stella ne sut retenir un juron de surprise :
« Oh putain. »
Emma arriva à se dégager, et prit appui sur le mur pour progresser jusqu'à son salon : il était en bordel, pire que ce que vous pourriez imaginer. Vous voyez le bas de votre armoire ? Dans laquelle vous y laissez quelques hauts en vrac, des boîtes auxquelles vous ne touchez plus ou tout simplement des affaires que vous ne savez pas où mettre pour que votre chambre soit un minimum présentable ? Eh bien c'était le sol du salon de l'auteure qui était dans cet état.
« Désolée pour le bazar, je n'ai pas eu le temps de ranger. », dit-elle simplement.
Pas eu le « temps » de ranger était un faible mot. Cela faisait des semaines qu'elle n'avait pas pris le temps de faire un bon ménage. Quoi que à ce niveau un lance-flammes serait plus approprié.
« C'est mignon. » avoua la barmaid.
La blonde ne répondit pas, encore bien trop perchée par l'alcool et la concentration qu'elle se donnait pour ne pas piquer du nez par terre.
« Tu as un chien ? » demanda Stella.
Surprise par sa question, la propriétaire se tourna, découvrant la barmaid avec un os en caoutchouc dans la main. Elle finit par penser à Seth : c'était devenu son chien lorsque Stella avait emménagé avec elle ici. Et même si la vérité lui brûlait les lèvres, elle ne put que prononcer ces deux mots :
« Plus vraiment. »
Stella ne dit rien, s'apercevant avec évidence que le sujet était sensible. Avec agilité, elle enjamba les affaires au sol et aida la blonde à ne pas tomber. Si on oubliait le bordel, c'était plutôt un joli nid douillet. Le salon était assez grand, donnant sur la cuisine ouverte par un bar et les couleurs claires rendaient l'endroit très lumineux. Elle pensa aux grandes fenêtres vitrées qui donnaient sur un petit jardin et une terrasse, elle aurait adoré y prendre son petit-déjeuner le matin.
Elles finirent par se séparer. Emma reprit soudainement une grande bouffée d'air alors que la bouclée semblait assez déçue de ne plus sentir la chaleur de la jeune femme contre elle. Elle n'en fit pas la remarque et se contenta de continuer à détailler la pièce. La décoration était vraiment coquette, pourtant il y avait quelque chose qui la dérangeait : pas mal de cadres photos étaient posés face cachée et certains qui auraient dû se trouver sur les murs avaient été enlevés. Un sentiment de curiosité l'envahit, mais en voyant l'état actuel d'Emma, elle ne dit rien.
« Cette collection... » souffla-t-elle.
Ses yeux s'étaient posés dans la pièce ouverte sur le côté. Avec la lumière du salon, elle avait très bien aperçu une étagère parfaitement bien organisée et n'avait pas pu s'empêcher de s'approcher. Elle découvrit avec une agréable surprise de nombreux ouvrages de son écrivain préféré ainsi que quelques films et jeux vidéo.
« Tu aimes tout ça ? C'est géant ! » s'écria-t-elle avec littéralement les étoiles dans les yeux.
Emma retint son souffle, sentant la lame froide pénétrer douloureusement son cœur. Oui, elle appréciait ces livres, mais ce n'était pas les siens. Elle tremblait sous cette tension. Les larmes lui montaient pratiquement aux yeux, mais elle ne voulait pas que la grande s'en rende compte. Elle se détourna maladroitement. Anderson ne pouvait pas s'empêcher de penser à tout ce qu'elles avaient vécu entre ces murs. Elle ne pensait pas qu'aux moments intimes, mais aussi à leurs moments de douceur, de dispute, de tristesse, de bêtise, à tout, vraiment tout. Chassant ses souvenirs d'un geste de tête, elle entreprit de lui proposer un verre d'eau (elle l'accepta poliment) et de commencer à ranger.
Toutefois encore un peu dans les vapes, elle trébucha. Inquiète, et se sentant surtout en tort sur sa condition, la barmaid s'approcha de la jeune femme.
« Laisse-moi faire. »
Elle ne dit rien, mais accepta d'un hochement de tête son aide. La blonde s'assit au sol et tria les habits que la châtaine lui tendait. Pour les livres et autres objets, la bouclée se contenta de les empiler sur la table, et les sachets vides de nourriture finirent à la poubelle.
« Emma, je peux te tutoyer ? » demanda soudainement la châtaine.
─ O-Oui, pas de problème. » souffla l'auteure qui se sentit rougir.
C'était peut-être idiot, mais le vouvoiement était pour elle une barrière qui la protégeait. Elle avait reçu une éducation tout à fait normale, mais en raison du travail très pris de ses parents, avait dû très vite être autonome. Donc, cette formule de politesse, un poil coincée, lui permettait de mettre une distance qui lui était vitale. Sinon, elle se sentait envahie.
Toutefois, elle ne put rien faire contre Stella.
Après de longues minutes, Emma avait fini par poser sa tête lourde contre son canapé. L'alcool et la fatigue de cette situation avaient eu raison d'elle.
« Tu veux que je mette où les... »
La châtaine se tut en admirant son visage détendu, et posa ce qu'elle portait à bout de bras sur le côté. Elle s'approcha doucement, passa une main délicate sur sa joue pour voir si elle dormait : c'était le cas et elle ne se réveilla même pas lorsqu'elle se fit déplacer jusqu'à son lit.
Avec délicatesse, elle la défit de ses affaires gênantes et la coucha. Mais après qu'elle lui eut enlevé son jean, quand elle remonta son regard jusqu'à son visage, son souffle se coupa. Si une surprenante envie de s'emparer de ces magnifiques lèvres entre-ouvertes monta en elle, ce fut la bague de fiançailles qui pendait le long d'une chaîne en or qui attira son attention. Vermand se retira brusquement, brûlée par cette possible vérité. Bien sûr que cette femme devait avoir une petite amie, une aussi belle jeune femme, bien élevée, était forcément entourée d'une demoiselle aimante.
Elle ne put contrôler la certaine jalousie qui lui prit les tripes et elle sortit de la pièce après avoir tiré la couverture. Derrière son passage, il n'y eut qu'un petit mot accompagné de son numéro et le double des clés dans la boîte aux lettres.
Le lendemain, en se réveillant, Emma crut d'abord à un rêve étrange, mais lorsqu'elle vit son appartement rangé et ce papier, elle fondit en larmes.
6
« Vous connaissez une certaine Emma ? » demanda Stella.
La mère de la barmaid s'interrompit un instant dans sa lecture. Elle regarda un moment sa fille, puis jeta un bref coup d'œil à son mari avant de tourner la page.
« Je ne pense pas, sois plus précise. » répondit-elle.
Exactement quatre jours s'étaient écoulés depuis qu'Emma avait mis les pieds chez Stella. Elle n'arrivait pas à se sortir de la tête la jeune femme ; entre son adorable personnalité, son visage très agréable à admirer, et cette bague, ses pensées étaient rivées sur elle. Elle s'affala dans le canapé aux côtés de sa mère et Seth vint réclamer quelques caresses.
« Celle qui m'a amenée à l'hôpital, précisa Stella.
- Pas vraiment. » répondit-elle, les yeux rivés sur le papier sans pour autant réellement lire.
Elle ne voulait pas lui révéler qu'elle aurait été une merveilleuse belle-fille. Et même s'ils n'avaient échangé ni mot ni regard, le père en pensait tout autant. Ils avaient été contre la décision de l'autrice après l'accident, ils l'avaient trouvée égoïste, irréfléchie, mais malheureusement compréhensible. La jeune femme avait voulu se protéger, et offrir à Stella une vie comme elle l'entendait.
« Elle aurait un petit ami ? souffla Stella en secouant la tête de son chien.
- Comment ça ? » se risqua Anne.
La jeune femme se détacha du chien pour regarder sa mère. Elle la connaissait depuis toujours, et elle voyait bien qu'elle se forçait à la discussion. Stella n'en fit pas la remarque et se contenta de poursuivre.
« Hier on a bu ensemble et je l'ai raccompagnée chez elle, elle avait une alliance. » admit la jeune femme.
Un haut-le-cœur s'empara de la femme. Elle avait respecté la décision de la blonde, et prenait régulièrement de ses nouvelles. Elle disait aller bien, reprendre des couleurs et se faire à l'idée que son amour devait cesser. Mais cela ne semblait pas le cas : elle se rattachait à ce qu'elle voulait fuir.
« Eh bien que le bonheur lui sourit. » intervint son père en posant une main réconfortante sur l'épaule de sa femme.
La conversation prit fin à ces derniers mots et Stella sortit promener son chien.
« C'est stupide. » se disait-elle à elle-même.
Pourquoi Emma ne quittait-elle pas ses pensées ? Pourquoi l'obnubilait-elle à ce point ? À chaque fois qu'elle fermait les yeux, elle apercevait son visage proche du sien sans pourtant arriver à la toucher. C'était la première fois qu'elle se savait attirée par une femme.
Après de longues minutes à marcher dans les rues, elle se rendit compte qu'elle avait pris la direction de chez la blonde. Elle avait traversé le parc, était passée devant son bar et venait d'entrer dans le quartier. Son chien tira, et ce fut le premier flash qu'elle eut. Comme un vieux souvenir, un songe passa devant ses yeux : celui de Stella et elle en train de promener le chien.
7
« Seth doucement. » ordonna-t-elle à son chien.
Elle avait le souffle court, l'esprit embrumé, mais elle parvint à reprendre contenance lorsque ses yeux se posèrent sur la silhouette qui parlait à Anderson.
Chiara. Que faisait sa sœur ici ? De loin elle les vit se perdre dans une douce étreinte avant qu'elle ne la salue d'un au revoir. Assez curieuse et un brin jalouse, elle alla à la rencontre de l'auteure.
« Tu connais ma sœur ?
─ Stella ! » sursauta-t-elle.
C'était à la fois la voix de la brune, et l'adorable chien qui venait de lui sauter dessus qui lui avait foutu la frousse. Elle ne répondit pas à sa question et s'effaça pour la laisser entrer chez elle.
« Entre, je t'en prie. »
Si la barmaid avait hésité un instant, elle se fit tirer par son Samoyède qui entra à sa guise. A peine fut-il détaché de sa laisse qu'il partit s'emparer de jouets, à croire qu'il les appropriait déjà. Même si c'était le cas.
« Seth ! » la sermonna-t-elle en le rappelant au pied.
Une ombre passa sur le visage d'Emma, mais la bouclée ne la remarqua pas.
« Laisse, ce n'est pas grave. Ce sont des affaires pour chien de toute manière. »
Elle proposa à la plus grande de s'asseoir, lui servant au passage un verre d'eau avant de s'expliquer.
« Chiara est journaliste, elle m'a interviewée il y a quelques temps, répondit-elle.
─ Tu savais que c'était ma sœur ? Vous aviez l'air proches, suspecta la barmaid.
─ On est devenues de bonnes amies. », admit l'auteure.
Emma évitait son regard, car elle savait qu'elle ne pourrait plus lui cacher la vérité. Chiara l'avait peut-être interviewée, mais c'était parce que Stella et elle s'étaient mises ensemble que leur relation amicale avait fonctionné.
« Je suppose que j'ai dû oublier. »
La femme se pinça les lèvres en même temps que la sensation d'un coup de couteau venait la frapper au ventre.
« Tu vas quelque part ? » demanda soudainement l'invité.
Avec curiosité les yeux de la brune s'étaient posés sur les trois valises et les cartons que contenait la pièce. Si maintenant la maison semblait rangée, Stella n'appréciait pas vraiment l'idée d'un départ de cette femme.
« Oui, je vais aller voir ma famille pendant un moment, dit-elle avec un sourire adorable.
─ Un moment ? Répéta la brune essayant de masquer son irritation.
─ Je ne sais pas pour combien de temps. »
La plus grande ne savait pas réellement pourquoi elle se sentait démuni que quelque chose de précieux, comme elle ne savait pas pourquoi elle refusait que cette femme s'en aille.
Emma n'était pas du même avis. Deux envies contradictoires s'offraient à elle : celle de fuir, et celle de l'embrasser. Elle se rendait bien compte qu'inconsciemment Stella cherchait des réponses, mais elle ne pouvait les lui donner. Elles devaient toutes deux repartir à zéro, et c'était pour cette raison qu'elle s'apprêtait à quitter la ville pour quelques années. Elle finit par se lever lorsque son portable sonna, et Stella en profita pour vérifier que son chien ne fasse pas de bêtise. Seth était dans le panier, mordillant avec bonheur un doudou en tissus. C'était un bon chien.
Soudain son regard s'attarda sur un énième cadre retourné. Sa curiosité était à son apogée, et elle tendit la main vers lui. Mais alors qu'elle s'apprêtait à découvrir une chose à laquelle elle n'aurait jamais pensé, Emma l'arrêta brusquement.
« Ne touche pas ça.»
Sa voix était lourde, terriblement en colère.
« Désolée, je ne pensais pas que...
─ Sors de chez moi s'il te plaît. » demanda-t-elle.
La barmaid leva la tête vers l'auteure et le désespoir qu'elle put lire dans ses yeux fit trembler son cœur. Ses doigts s'accrochaient à la bague avec panique, tout son être frissonnait. Les larmes innombrables roulèrent sur ses joues et tombèrent sur le sol froid dans un son terrifiant.
« Laisse-moi ! » s'emporta-t-elle.
8
Stella devait s'excuser. Elle faisait les cent pas dans la rue juxtaposée à celle d'Emma avec Seth qui la suivait la langue pendante. Elle n'avait pas pu se résoudre à y retourner sur le champ, mais elle ne pouvait pas non plus partir sans lui avoir présenté son pardon. Elle se sentait mal de l'avoir mis dans cet état là et de l'avoir laissée ensuite. Que pouvait-il y avoir sur cette photo ?
Elle réfléchit un moment avant de faire le numéro de sa sœur. À en juger par la proximité à laquelle elle se trouvait avec la jeune femme, elle devait forcément avoir des réponses et elle était sûre qu'elle ne lui mentirait pas.
« Stelly ! Comment tu vas ? »
Le barman ravala sa salive. Pourquoi était-elle si tendue à propos de cette affaire ?
« Bien, Chiara, il faut que je te parle.
─ Dis-moi tout.
─ C'est à propos d'Emma. » avoua-t-elle.
Un silence s'installa. Son mutisme répondait de lui-même : elle était certaine que quelque chose s'était passé avec l'auteure, et cela datait forcément d'avant l'incident. Elle connaissait sa sœur mieux que personne, et lorsqu'elle était prise de court elle ne savait pas mentir.
« Tu la connais bien ? » questionna-t-elle.
─ Ça va, oui pourquoi ? »
Le timbre de sa voix ne mentait pas non plus, elle avait vu juste.
« Pourquoi elle a une alliance autour du cou ?
- Si tu me demandes quelque chose d'aussi personnel c'est qu'il a dû se passer un truc non ? affirma-t-elle malgré l'intonation interrogative.
- Ouais. » admit-elle.
Elle l'entendit souffler avec une légère pointe de tristesse.
« Je ne peux rien te dire, ce n'est pas à moi de le faire.
─ Chiara.
─ Stella, sa vie lui appartient, arrête de l'ennuyer. »
Sur ces mots, elle raccrocha.
Pourquoi ne pouvait-elle pas faire ce qu'on lui demandait ? Pourquoi ne parvenait-elle pas à laisser cette femme tranquille ? Quelles étaient ces pensées qui se brouillaient dans son esprit ?
Sans vraiment y avoir pensé, ses pieds l'avaient à nouveau guidée chez elle. Elle n'osa pas frapper à la porte, et attendit.
Elle ne sut combien de temps elle avait passé devant celle-ci, ses jambes étaient tendues et elle commençait à avoir des fourmis aux pieds. Son chien s'était couché sur le sol, attendant la prochaine action de sa maîtresse. Dans une ultime hésitation, la brune repartit, marcha jusqu'au métro, le prit, ramena Seth chez elle (cela commençait à lui faire une belle marche) et refit demi-tour.
Lorsqu'elle fut encore dans la rue, elle aperçut la blonde en train de poser un carton dans sa voiture. Et quand ses beaux yeux verts se relevèrent et qu'elle croisa le regard troublé de la brune, sa pensée fut la même qu'à chaque fois.
Fuir.
Pourtant aujourd'hui serait différent. La barmaid s'élança dans de grandes enjambées, prête à la retenir.
« Emma, attends s'il te plaît. »
Sa voix se mourut sous l'émotion. Pourquoi détestait-elle autant ces larmes ?
« Je veux juste m'excuser. » poursuivit-elle.
Emma était au bord du gouffre. Les larmes roulaient à nouveau sur ses joues et elle tomba à genoux. Pourquoi fallait-il qu'elle soit toujours si douce ? Ne pouvait-elle pas la laisser là, à pleurer une bonne fois pour toutes et tourner la page ? Que voulait-elle ? Ses souvenirs s'étaient effacés, sa présence ne pouvait-elle pas en faire autant ? Elle se détestait d'être aussi stupide, faible et encore tant amoureuse.
Surpris et inquiète, Stella s'empara de la brune. Celle-ci, tremblante, se laissa faire quand elle la souleva avec assurance. Elle se serra contre elle, la peur qu'elle se débatte et s'enfuie loin d'elle pendant qu'elles les ramenaient à l'intérieur.
Elle la déposa avec délicatesse sur le canapé et prit soin d'aller fermer la porte. Lorsqu'elle revint, Emma avait le visage dans ses mains, abattue.
« Je suis désolée, je ne voulais pas te faire te sentir mal. C'était déplacé de ma part, surtout si tu n'es plus avec cette personne ou si elle est morte, je suis vraiment désolée. »
Ces mots n'arrangèrent pas les soubresauts de la blonde, elle sembla même s'effondrer un peu plus.
« Excuse-moi.
─ Est-ce que tu peux me laisser maintenant ? » supplia-t-elle.
Elle avait levé ses yeux verts vers elle : ils la suppliaient de partir, de foutre le camp et de la laisser en paix une bonne fois pour toutes. Alors Stella se leva, fit un pas en arrière et allait enfin s'en aller quand elle ne put contenir la vérité.
« Emma, je... je veux être celle qui te fasse sourire, je veux être celle que tu regardes. C'est sûrement fou, mais te savoir amoureuse d'une autre personne me rend malade. »
L'auteure la regardait les yeux exorbités et le boucle vint se saisir de son visage. Elle essuya ses larmes, balaya sa tristesse et réchauffa son cœur d'un baiser sur le front.
« Je suis en train de tomber pour toi. », avoua-t-elle.
La blonde ne disait rien. Elle était dans l'incapacité totale de maîtriser la situation qui se présentait à elle.
« Désolée, ça doit être gênant d'avoir une sorte de confession de la part d'une autre femme, mais c'est vraiment ce que je ressens. » ajouta la barmaid en s'écartant.
C'était vrai, depuis qu'elle avait posé ses yeux sur elle elle ne voulait plus la quitter. Depuis qu'elle avait entendu sa voix et son rire, elle voulait constamment l'entendre. Depuis qu'elle avait frôlé sa peau elle la convoitait de plus belle.
« Non... » sanglota Emma.
Les sourcils de la brune se froncèrent avec perplexité. Que voulait-elle dire par "non" ? Acceptait-elle ou refusait-elle l'amour naissant qu'elle lui portait ? Était-ce autre chose ? Et sa réponse la surprit de plus belle.
« Tu as la chance de recommencer ta vie alors ne la gâche pas avec moi ! »
Les larmes ruisselaient sur les joues d'Emma. Elles ne s'arrêtaient pas, elles roulaient, glissaient, toutes plus grosses et chaudes les unes que les autres. Elle semblait à la fois perdue, terrifiée, en colère, et Stella tremblait, incapable de savoir comment la réconforter.
« Je ne suis qu'un obstacle à ton futur ! » disait Anderson en frappant vainement le torse de la blonde.
Les yeux de Stella s'agrandirent de surprise. Elle bloqua d'une main les poings de l'auteure sur son torse et prit de l'autre son visage. Son pouce essuya une énième larme et elle lui sourit avec chaleur.
« Ce que je ressens pour toi n'est pas une erreur. » assura-t-elle.
Elle comprenait à présent réellement ce qu'elle éprouvait pour cette femme. Ce n'était peut-être pas encore de l'amour, celui qui la consumerait de l'intérieur lorsqu'elle penserait chaque instant à elle. Elle savait avec assurance que cela le deviendrait vite. La blonde était tombée sous le charme de ces prunelles, de sa voix, de son être et elle comptait bien lui faire comprendre.
Emma la regardait, les yeux brillants. Stella, tremblante, effleurait la peau de ses joues pour qu'elle ne voie que elle dans le brouillard de ses doutes. Après ce regard brûlant échangé, elle se saisit de ses lèvres. Cette caresse sonna comme une délivrance et l'auteure, bien que prise de court et troublée par ses émotions, ne résista pas. En un instant, tous leurs songes parurent s'envoler et elles furent emplies d'une sensation cotonneuse, presque amoureuse et un brin, luxurieuse. Le sang affluait dans leurs veines et le moindre effleurement que provoquait leur peau les rendait pantelantes. Stella se pressa contre elle, passant sa main sous le bouton de la taille du jeans de son amante pour lui faire part de ses intentions.
Emma se laissa faire, cependant quand Stella se débarrassa du t-shirt de son amante, le bruit cinglant de l'anneau résonna au sol. La bague roula, et la blonde se précipita dessus, l'esprit agité.
La respiration de Stella se coupa, et elle s'écarta maladroitement de la femme en réalisant ce qu'elle avait fait. Elle avait cédé à la tentation, avait goûté à ces douces lèvres sans prendre en considération les sentiments d'Emma. Même si Anderson ne l'avait pas repoussée, elle avait déjà la boule au ventre en pensant qu'elle pourrait lui en vouloir à cause de cela.
« Je suis désolée, je n'aurais pas dû. Tu aimes encore cette personne et...
- T-Tu n'y es pas du tout », la coupa Emma.
La voix de la blonde tremblait, mais elle avait résonné fermement dans la pièce. Emma rendait les armes. Elle avait voulu recommencer une vie et en offrir une à Stella qui serait meilleure, et pourtant, elle la choisissait encore. Elle attrapa un des cadres photos à sa portée puis le lui tendit.
Les yeux de Stella s'arrondirent de surprise : la photo avait été prise l'année passée, à la plage, et elle embrassait la joue de la blonde avec bonheur.
« Qu'est-ce que ça veut dire ? » souffla-t-elle.
Son cœur battait à tout rompre, un mal de tête commençait à se manifester et des semblants de flash lui revenaient.
« Tu as eu un accident il y a un peu moins de quatre mois. Et c'était après une dispute entre toi et moi. »
Emma n'écoutait plus vraiment Stella parler. Elle revivait de son chef ce souvenir douloureux. Elle se revoyait à débattre d'un sujet qui avait terminé par n'avoir ni queue ni tête.
« Je ne veux pas te laisser seule ! » s'écria-t-elle malgré elle. C'étaient exactement ces mots qu'elle avait prononcés juste avant l'accident. Elle se fit silencieuse un moment avant de bredouiller : « Je ... j'ai besoin d'un moment. » bredouilla.
Le cœur d'Emma se brisa encore plus lorsqu'elle la vit se lever. Stella se massa les tempes, essayant de faire le tri entre ces souvenirs flous et presque perdus. Elle ne les retrouverait probablement jamais, mais parfois elle savait qu'ils apparaîtraient dans un songe, un rêve, une hallucination.
Les larmes coulèrent à nouveau des yeux d'Emma ; comment après tous ces pleurs pouvaient-elles encore couler ? Elle se recroquevilla sur elle-même. Elle avait menti, fui et maintenant subissait les conséquences. Celle qui l'aimait la quitterait de son plein gré cette fois.
« J'ai dit que je ne la laisserai pas seule. »
Anderson releva brusquement la tête.
« J'ai... j'ai comme des flashs. Ce n'est pas clair, mais je me souviens de toi. »
Vermand s'était avancée vers elle, la passion battant pour la femme de ses anciens rêves et celle qui se tenait en face d'elle.
« Je ne retrouverais peut-être jamais totalement mes souvenirs, mais du peu que j'ai, je suis sûr de mes sentiments. Je veux rester avec toi. » se confia-t-elle.
Emma le regardait, les yeux rouges et brillants.
« Tu voudras de moi malgré ce que j'ai fait ? demanda Stella.
─ Evidemment. » répondit-elle sans hésiter.
Stella la convoitait alors elle s'approcha d'elle et vint la pousser contre le dossier moelleux du canapé. Elle voulait se rappeler de ce contact, sentir à nouveau cette chaleur qu'elle avait oubliée. Emma quant à elle n'était pas sans reste. Elle la revoulait aussi, plus que tout.
Elles se regardèrent un bref instant, grisé par le désir qui les consumait, et rendirent mutuellement les armes. Pour un moment, elles voulaient oublier leurs maux, problèmes, disputes, souvenirs et profiter de l'instant présent. Le regard que lui adressa la blonde la laissa sans voix. C'était au-delà du désir et de la luxure, c'était un sentiment chaud, amoureux qui émanait d'elle, et ces larmes, bien qu'elles soient tristes le rendait bien plus désireux. Puis elle vint immédiatement s'emparer de ses lèvres. Les larmes aux yeux, elles s'embrassèrent encore, et encore, sans jamais penser à s'arrêter une fois, et par cet acte, se promirent d'affronter n'importe quel obstacle qui viendrait à se dresser en face de leur amour.
Le lendemain, Emma se réveilla l'esprit brumeux. Elle toucha instinctivement sa poitrine pour y trouver la bague, mais elle avait disparu. Paniquée, elle voulut se redresser. Elle fut contrainte de rester couchée par un bras qui encerclait sa taille.
Stella les admirait depuis déjà de longues minutes, son amante, et l'anneau qui se trouvait à son doigt. Ses souvenirs ne lui étaient que partiellement revenus, toutefois, les sentiments qu'elle lui portait étaient une évidence. Elle lui avoua :
« Je suis contente qu'on se soit retrouvées. »
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