Et voilà...
Lorsque j'ouvre les yeux, j'ai trop chaud. Eva dort encore. Elle a son cul collé à moi et a décidé de faire un triangle isocèle avec l'autre côté du lit. Ça me fait doucement rire, mais je n'ai plus trop de place. Je me retourne pour regarder le réveil.
11h12.
Mmmh...
Si j'avais vu midi, je crois que j'aurais bondi en une seconde. C'est étrange d'ailleurs, je n'apprécie pas les grasses matinées. J'ai toujours eu l'impression d'avoir loupé ma journée. Enfin, je ne sais même pas quoi faire encore aujourd'hui, alors je repose ma tête sur l'oreiller. J'observe mon plafond en songeant à flâner un petit peu. Ce serait bien la première fois, et puis, de toute façon, ça ne changera pas la face du monde de me lever maintenant.
Non ?
Ouais... on reste au lit.
La soirée d'hier se rappelle à moi. Qu'est-ce qui m'a pris de danser comme ça ? Je ne suis pas si fatiguée en plus. Et pourtant, cette semaine n'a pas été de tout repos. Entre le déménagement et le nettoyage, je n'ai pas eu le temps de penser à moi. Ça fait un peu plus trois mois que Matt a pris la porte avec juste une valise. Sans me donner la moindre explication du pourquoi du comment. Ou plutôt en m'offrant des explications très vagues sans queue ni tête.
Ah si...
J'ai eu le droit au classique : « ce n'est pas toi, c'est moi. » « Tu es une fille très bien, mais c'est chez moi que ça ne va pas. »
Pff !
Tu parles...
Je lui avais même demandé s'il me quittait pour une autre femme ; il m'avait juré que non. Pour qu'au final, par hasard, je rencontre un de ses amis et qu'il me confie qu'il l'avait vu avec une autre juste une semaine après son claquage de porte.
Pas étonnant que Colère ait pris le contrôle depuis ce jour-là. Le seul point positif, c'est ce coup de fil d'un patron qui cherchait une nouvelle graphiste. J'avais complètement oublié que j'avais répondu à une annonce quelques mois plus tôt. La nouvelle de cet entretien a été du pain béni lorsque j'ai reçu cet appel en plein dans les cartons. Une bouffée d'air pur. J'ai eu un entretien la semaine suivante et je commence ma période d'essai demain. Le petit bonus, c'est que c'est à cinq minutes de chez moi.
Enfin, chez ma mère en voiture...
La boule revient, elle aura disparu trois minutes au total. Tristesse me dévisage avec son air de chien battu, mais je préfère l'ignorer.
On avait dit que tu ne serais plus l'idiote de service !
Ressentir une émotion d'elle, lui accorder crédit en m'apitoyant sur mon sort reviendrait à faire plaisir d'un côté à Matt. Et ça, c'est mort. Hors de question de lui montrer ou d'admettre à moi-même qu'il m'a fait du mal.
Je suis une grande fille quand même !
Il n'est plus concevable de me remettre à pleurer pour un homme. Et plutôt m'étouffer sur le champ que d'éprouver quoi que ce soit pour lui. Je ne veux pas me plonger dans le passé, ni dans l'avenir d'ailleurs.
Au jour le jour, heure après heure...
Et pour l'instant, ce que j'aimerais, c'est un petit déjeuner. Mon ventre gargouille. Je suis restée assez longtemps comme ça sous la couette. Je repousse ma couverture et me redresse. Mes pieds se posent sur mon parquet frais et je me frotte les bras au frisson qui m'assaille. Un grognement dans mon dos me fait me retourner. Eva ronfle, la bouche ouverte. J'ai un peu pitié d'elle, je ne sais pas si un homme arrivera un jour à supporter de dormir avec ma sœur. Mon sourire s'étire tout seul en la voyant sortir sa langue. C'est un vrai porcinet, et j'ai bien envie de m'amuser. Je suis persuadée que si les rôles étaient inversés, elle n'hésiterait pas une seconde.
Allez une connerie vite fait...
Je saisis un de ses doigts et lui fourre dans le nez. Je fais même en sorte qu'il soit bien calé contre le coussin pour qu'il reste dans cette position. Mon sourire stupide reste figé et j'ai envie de graver ce moment. Je récupère mon IPhone sur ma table de chevet et prend une photo. Un jour ou l'autre, ça pourrait me servir. Je quitte mon lit et sors de ma chambre, fière de moi, puis me dirige vers la cuisine.
Il nous faut un café...
Ma mère est réveillée et découpe des carottes. Elle me met du baume au cœur d'un simple sourire.
— Coucou mon poussin. Bien dormi ?
Je hoche la tête, consciente qu'elle s'inquiète pour moi depuis que je suis revenue. C'est d'ailleurs un peu embarrassant, je ne suis plus une petite fille mais bon, pour ma mère, je reste toujours son poussin. Surnom idiot qui me colle au corps. J'aimerais bien qu'elle arrête avec ça. Mais comme ça lui fait plaisir, je lève les yeux au ciel et m'avance vers la cafetière.
— Vous étiez de sortie hier soir ? C'était bien ?
Je cherche la boite à café et commence à en faire couler un nouveau tout en lui répondant :
— Oui, on s'est amusées.
— Ça me rassure et puis je préfère qu'Eva sorte avec toi.
Pas étonnant !
Ma sœur est douée pour se mettre dans des situations improbables. Comme la fois où j'ai dû aller la chercher parce qu'elle avait soi-disant loupé le bus à deux heures du matin.
Non mais sérieusement... ?
Ou la fois où elle a perdu mes clefs de voiture dans un magasin de meubles sur trois étages. J'ai cru qu'on était prêtes à la tuer ce jour-là avec mes Douze en furie. Rien qu'en y repensant, je revois sa mine boudeuse m'implorant d'être clémente. Je crois qu'Eva sait de quoi est capable Colère.
La cafetière commence à gronder. Je me perds une fois encore dans mes pensées. Les Douze se réveillent les unes après les autres. La première sur le pont est comme d'habitude Justice. Celle-là, c'est bien la seule qui soit un exemple pour ma tête.
— Tu comptes faire quoi aujourd'hui ?
Ma mère me ramène à la réalité.
— Rien. Demain je commence ma première journée, je préfère rester à la maison.
Elle retourne à ses carottes.
— Ok, on ne va pas tarder à manger, j'ai bientôt fini alors ne prend pas un petit déjeuner trop lourd.
J'acquiesce. De toute façon, ces derniers temps avec mon choc post-traumatique de rupture, mon estomac fait la taille d'un petit pois. Je quitte la machine à café pour me chercher une tasse et ouvre tous les placards pour trouver ce qui m'intéresse. Ça fait quelques jours que je suis revenue, mais je cherche encore mes marques. Ça devient agaçant.
Une grande tasse, du pain... et de la confiture.
Je m'installe à la petite table une fois tout en main et me sers. J'attrape mon bout de pain et le plonge dans mon café au lait. Je ne comprends pas Eva qui n'aime pas plonger ses tartines. Selon les Douze, ce devrait même être une règle de vie.
Avoir une maison, des enfants et tremper ses tartines.
Tout à fait normal. Je pouffe de rire et saisis mon portable. Il y a une autre règle avec le trempage : traîner sur internet. Surtout farfouiller sur des sites de lingeries. Après tout, quand je ne suis pas au top de la forme, il n'y a que le shopping qui puisse me faire du bien.
Pathétique...
Roh !
Cynique est réveillée et elle me gonfle déjà. Mais bon, elle est là pour me rappeler de ne pas dépenser trop d'argent. Même si cet ensemble noir et violet est plutôt sympa.
Ouais... très, très beau...
Sexy ne cille plus et observe la dentelle à l'en faire baver. Mon doigt commence même à trembler nerveusement et veut appuyer sur « commander ». Je ne dois pas céder à ce petit caprice. Je dois être forte, une grande fille responsable, mature, capable de gérer son argent.
Oui, je suis une fille mature, qui n'a absolument pas besoin de cet ensemble. On en a déjà assez comme ça. Nos tiroirs débordent. Ce n'est pas nécessaire, qu'est-ce que ça va m'apporter de plus ?
Hein ?
Inutile, non ?
Mmmh...
Ok ! J'achète !
Je craque. Et puis zut, c'est trop beau et pas cher. Mais une fois commandé, je culpabilise net.
Tu n'as aucune force mentale.
Tu es faible.
Honte à toi.
Je l'avoue, je ne vais plus avoir assez de place dans mes tiroirs et M. Argent, mon banquier, va me couper les vivres si je ne me calme pas. J'ai oublié son nom au premier rendez-vous. Je l'ai tout de suite appelé comme ça pour des raisons évidentes. Quand on est Douze dans sa tête, on cherche à savoir qui il y a dans la tête des autres et mon banquier doit être tout seul. Je l'imagine bien comme Picsou. Dès que je suis en rendez-vous avec lui, j'ai du mal à me concentrer sur ce qu'il me raconte. Il m'est arrivé de glousser toute seule une fois en l'imaginant avec un bec. C'est à ce moment-là d'ailleurs qu'il a compris que je n'étais pas stable et a décidé de prendre la main quand je dépasse les bornes.
Ouais, folle !
Non, non, non, tout va bien !
Je me frotte le visage, excédée par mes pensées qui ne s'arrêtent jamais. Je sais bien au fond de moi qu'il me manque des cases ou plutôt que j'en ai en trop.
Douze cases pour être exacte. Douze dingues qui me persécutent tous les jours et avec lesquelles j'ai appris à vivre. Je ne me souviens même plus de quand est-ce que j'ai commencé à les compter. Tout ce dont je me rappelle, c'est d'avoir toujours connu ma Mme Cynique. Je plisse les yeux en m'observant à travers la fenêtre de la cuisine. Le reflet de ma vilaine Madame me nargue. C'est vrai qu'elle est bien implantée dans mon esprit et si j'ai bonne mémoire, elle m'embêtait déjà lorsque je tenais une Barbie. Le jouet typique de la princesse paillette que je rêvais de devenir. C'est peut-être à cette époque que Cynique est apparue, en fait.
Je soupire, peu désireuse de me replonger dans ces souvenirs d'enfance. Une époque où Amour et Rêveuse régnaient en maitres. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, ce qui me donne un gout amer de nostalgie à ma dernière gorgée de café.
Je quitte le site de lingerie, me lève, range ma tasse dans l'évier puis file au salon devant la télé.
Il faut que je reste éloignée de toute tentation et de mes souvenirs douloureux...
Je suis encore dans un état de coma végétatif sur le canapé et la caféine va prendre un peu moins de quinze minutes à agir alors c'est le petit moment inutile de ma journée. Ce fameux instant où j'ai le regard vide et où c'est un bordel qui rebondit dans ma tête à cause de la zapette.
Zappe sur un film romantique !
Elle délire ou quoi ! On va encore chialer !
Quoi alors ? Tu veux voir un reportage sur la reproduction des crevettes peut-être ?
Moi, je vote pour les infos.
Non, pas quelque chose qui prend la tête...
Attends ! C'était quoi, ça ! Remets !
Beurk...
Enlève ! Enlève !
Pauvre dinde...
Les Douze s'arrachent la télécommande des mains quand Eva fait son apparition. Elle se tient à l'entrée de la pièce, les yeux rivés dans le néant. Ses cheveux sont en bataille et son maquillage a coulé.
Roh, la tête ! Et si on rigolait...
— Bien dormi ? La pièce ne tourne pas trop ? Pas envie de vomir ? Tu veux manger ou boire quelque chose ? Attend... je crois qu'il y a une bière au frais ! Mais si tu ne veux pas de bière, je peux te trouver du vin ? Rouge ou blanc ?
— Arrête, Emma, tu me prends la tête...
C'est trop simple de la rendre dingue, de rendre dingue n'importe qui d'ailleurs.
— Ah bon ? Pourtant ma tête à moi elle va bien... Mieux que la tienne j'imagine. Je n'ai pas mal aux tempes... ni aux cheveux ! J'ai l'impression d'avoir bien roupillé ce qui est surprenant vu que tu as pris toute la place ! Je me suis endormie comme une pierre. Je n'ai pas ronflé, mais toi, si ! Comme un porc, d'ailleurs. Du coup, quand je vois ta tête, je suis sûre que...
— Stop ! Tu gagnes ! Emma 1 - Eva 0. Juste, s'il te plait, tais-toi...
Pff... c'est trop simple.
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