Ce n'est pas cool...
Je ne fais même pas attention quand on m'adresse la parole. Je n'entends qu'un vague bruit de fond.
— Emma ! Tu ne veux pas manger ?
Rosa est dans l'embrasure de la porte avec ses affaires. Je ne pensais pas la voir de retour si vite, mais en regardant l'heure sur mon écran, je grimace. Merde ! 13h12...
— Si, je n'ai pas vue l'heure...
Ma nouvelle collègue me sourit et rejoint son bureau. Je m'amuse de ses cheveux mi- longs carminés et de son rouge à lèvre assorti. Mais pas assez longtemps pour oublier que je risque encore de ne rien manger ce midi.
— Ce n'est pas grave, tu peux aller te chercher un sandwich et revenir. Il y en a des bons au coin de la rue.
Ouf !
— OK.
Je quitte l'écran de mon Mac, me lève de ma chaise et sors en vitesse de mon bureau. Je passe devant l'entrée, la gentille fille de l'accueil n'est pas là. Tant mieux. C'est quand même un peu suspect de sortir en pause déjeuner alors que tous en reviennent. Une fois dehors, je me dirige vers la sandwicherie que Rosa m'a indiquée. Une sorte de Food truck. Bien sûr, je suis pressée et c'est toujours dans ce moment-là que la personne juste devant moi pose tout un tas de questions.
« Est-ce que vous avez du pain complet ? »
« Est-ce que la mayonnaise est allégée ? »
Quoi ! T'es sérieuse, là ?
« Et dans celui-là, il y a quoi dedans ? »
Tu ne sais pas lire ?
« Est-ce que vous faites des salades ? »
J'ai envie d'hurler derrière elle et de choisir à sa place. Heureusement, je suis bien élevée, et ça, même si Colère l'a tué de vingt façons différentes dans ma tête. Je prends mon mal en patience en me mordant l'intérieur de la joue. Une fois miss monde partie, je demande un poulet crudité et file. Une minute plus tard, je pousse la grande porte qui claque dans mon dos par un vacarme assourdissant.
Merde ! Bêtise !
La blonde à l'accueil sursaute avant de me sourire tout en croquant dans son panini.
— Si tu veux, tu peux manger avec moi, c'est mieux que seule.
C'est quoi son nom, déjà ?
Peggy ?
Non, allez, tu le connais...
Et puis, zut !
— Ouais, OK, merci.
Je m'installe sur une chaise à côté d'elle, déballe mon sandwich et attends. Elle ne dit rien alors je décide de lancer la conversation. Je ne suis pas une très grande bavarde non plus, mais je vais tout de même travailler ici. J'aimerais bien en savoir plus sur les personnes qui m'entourent. On va vite voir si elle est une princesse avec le questionnaire de Curieuse. Ma Mme la plus malicieuse appuie sur son stylo avant de saisir son bloc-notes dans ma tête.
— Alors, ça fait longtemps que tu travailles dans cette boite ?
— Un peu moins de deux ans, j'ai fait plusieurs boulots, mais ce n'est pas mal ici. Il y a toujours de quoi s'occuper.
Mmmmh...
— Et tu fais quoi exactement ?
La bouche encore empli, elle s'essuie le coin et me marmonne quelque chose d'inaudible. Elle glousse et mâche en levant les yeux au ciel. Ça a le don de faire sourire la plus insensible des Douze. Si Cynique sourit, c'est déjà un très bon point.
— Désolée ! Un peu tout, je gère l'accueil, le standard téléphonique, les nouvelles commandes, les expéditions des colis et je suis aussi l'assistante du patron.
OK.
Ce n'est pas une princesse, c'est une guerrière. Une princesse aurait pleurniché au bout d'une heure de travail et ça fait deux ans qu'elle, elle est là.
On l'aime bien.
J'acquiesce en même temps que les Douze et en profite pour croquer dans mon sandwich avant de lui répondre
— Eh bien... ça en fait de choses !
Elle opine et reprend une bouchée.
— Ouais, je sais, mais ça me plait et puis je ne suis pas du genre à chômer.
Je crois que j'adore déjà cette fille.
Ouais, mais pas autant que ce sandwich...
Il est délicieux !
Ouais, comment il s'appelait ce Food Truck ?
Je ne sais plus.
Il y a quoi comme crudités dedans ?
Oh on s'en fout, là !
Non ! C'est important, il est super bon !
Je suis un peu gênée, j'ai encore déliré toute seule. Je m'énerve à perdre le fil comme ça. A croire qu'un petit lutin missionné par Bêtise débranche une prise dans ma tête et, en la tenant dans les mains, se demande à quoi elle sert. Je l'imagine bien petit, dodu, très sournois et bleu. Je ne sais pas pourquoi je l'imagine bleu, mais j'aime bien cette couleur.
Rah ! Voilà que tu remets ça !
Arrête ! Fanny nous regarde bizarre !
Hé ! T'as retrouvé son prénom !
— Pardon Fanny, je pensais à une bêtise... moi non plus, je ne suis pas du genre à pantouflarder.
Merde !
Un mot placé, un !
C'est quoi le suivant !
Et si on essayait « Salagadou » ?
C'est drôle d'essayer de le caser celui-là, non ?
Il faut à tout prix que je mette Bêtise beaucoup plus souvent au coin et surtout son jeu débile.
— Et ta première matinée, ça s'est bien passée ?
Ah ! Voilà de quoi se rattraper...
— Ouais ! C'est intéressant, ça me plait beaucoup. Pour tout te dire, j'ai complètement zappé la pause.
— Ce n'est pas grave. Moi, je mange dès que j'ai un peu de temps.
Elle pouffe et j'avoue que j'adore son sourire. Il est franc et sincère. C'est rare de nous voir apprécier quelqu'un aussi vite. J'admets qu'elle a l'air adorable.
— Et tu faisais quoi avant ?
— Je recherchais du boulot. J'ai travaillé dans une pizzeria en tant que pizzaiolo durant mes études.
Elle se redresse et me lance un regard un peu surpris.
Bah quoi ! Tu pensais que je m'appelais Bambi ?
Je ne dis rien et prend un autre bout de mon repas afin d'éviter de dire une connerie, mais passé son étonnement, elle semble curieuse.
— Tu sais faire tourner la pâte alors ?
— Ouais ! Et le comble dans tout ça, c'est que je suis allergique à la farine volatile.
Elle éclate de rire. C'est vrai que c'est débile mais bon, c'est le meilleur poste. On est un peu la star dans la pizzéria, tout le monde nous admire balancer la pâte dans tous les sens. On m'avait déjà proposé une meilleure place que j'avais refusé deux fois. Je n'avais pas envie de lâcher mes études pour bosser dans la pizza toute ma vie. Je préfère ne pas crier sous les toits que j'y travaille encore. Je ne veux pas quitter cette source de revenus avant d'être certaine de finir ma période d'essai et de signer mon contrat ici.
— C'est clair que ce n'est pas commun. Et ça fait longtemps que tu fais dans le SM ?
C'est à mon tour d'éclater de rire. Nous avons échangé à peine quelques mots et elle me traite de sado-maso...
Je crois que je l'adore déjà.
— Pas mal, pas mal... Elle était bien celle-là.
Elle me sourit avec son panini en bouche.
— Merci, merci.
— J'y ai bossé cinq ans.
— Ah oui quand même ! Pas trop fatigant ?
— Si un peu, tu rentres tard le soir, tu ne sens plus tes bras, ni tes épaules et tu es tellement surexcitée qu'il te faut une heure pour te calmer et t'endormir.
— Et tu as travaillé comme ça durant toutes tes études ?
— Ouais...
Elle semble impressionnée et s'apprête à me dire quelque chose, mais la sonnerie du téléphone nous coupe. Elle s'excuse, elle doit répondre. De toute façon, nous avions terminé. Je lui fais un petit signe de la main et quitte ma chaise en me disant que c'est peut-être ma première amie. Je me dirige le pas pressé à mon bureau pour attaquer la deuxième partie de ma journée. Lorsque j'entre dans mon nouvel espace, un homme que je n'ai pas encore croisé me toise.
Il est jeune, il doit avoir peut-être deux ou trois ans de plus que moi. Il a les cheveux et les yeux noirs, pas trop grand, de gabarit correct. Il porte un bleu de travail avec le logo de la société. Je souris timidement tandis qu'il me regarde m'avancer jusqu'à mon bureau, puis, une fois que je suis assise, il m'offre le genre de sourire béat d'un type qui n'aurait encore jamais vu une femme de sa vie.
Et merde...
— Salut, j'ai appris ton arrivée. Je m'appelle Julio.
Il me tend sa main et je la saisis. Sa poignée est plutôt virile sans pour autant m'écraser les doigts. Je ne supporte pas d'ailleurs ceux qui aiment jouer avec leur force. Ils ne devinent pas le mal que ça fait lorsque l'on porte des bagues. Enfin bon, ce Julio n'est pas en train de me broyer les os.
— Enchantée. Emma.
— Je suis à l'atelier, si tu as des questions, tu n'hésites pas.
Ah voilà, en fait il y en a un là-bas qui a dû moucharder : « Tiens, Julio ! Il y a une nouvelle et Bla Bla Bla... »
— OK, merci.
Il beugue ou quoi ?
Il ne bouge pas et il ressemble à un personnage de dessin animé avec son sourire qui lui mange tout le visage.
— Alors ça te plait ? Tu penses rester ?
C'est quoi, ça ? Interro surprise ?
Bordel... pourquoi on a toujours des cas comme ça, hein ?
J'n'en sais rien...
Ouais bah. Bref ! Répond-lui...
— Oui ça me plait, et je resterai aussi longtemps qu'on veuille de moi.
— Cool !
Cool ! Non, ce n'est pas cool...
Je sens que je ne vais pas me débarrasser de lui facilement. Je déteste me sentir comme un bout de viande. Et vu sa façon de me lorgner et de faire le piquet, il est passé dans la catégorie « Con ». J'avance ma chaise un peu plus près de mon bureau pour lui faire comprendre, mais il reste figé, à me reluquer avec insistance. Je n'ai pas envie qu'il squatte ici, je veux simplement reprendre mon travail.
— Alors, tu étais où en cours ? Je suis aussi graphiste.
— Ah oui ?
Bon...
Si c'est moi qui suis là et non lui, c'est que ce doit être un piètre graphiste. Sinon pourquoi embaucher quelqu'un alors qu'on en a un sous la main ? C'est difficile de trouver une personne douée dans le domaine de nos jours, tout le monde pense qu'il suffit d'installer Photoshop alors que c'est un peu plus complexe que ça.
— Ouais j'étais à la MDM.
OK...
Je comprends maintenant. Nous sommes deux écoles de design dans la ville. Et celle dans laquelle j'ai étudiée, le DUT, a bien meilleure réputation que la sienne. Autant dire que je déteste les gens de la MDM, ils se la pètent tous.
— Ok, pour moi, DUT.
Je le fixe pour qu'il comprenne bien que je fais partie de la famille Griffondor et que lui, bah... c'est un Serpentard, mais ça ne lui suffit pas.
— Cool !
Non, stop... Il faut arrêter de dire « cool ».
Je me retourne vers mon écran. Il semble avoir enfin compris. Il me répète que je ne dois pas hésiter à l'appeler au besoin et quitte la pièce.
Au fil de l'après-midi, Julio revient me voir plus de trois fois. Toujours avec une raison stupide. On décide plus tard de le surnommer Pluto. Déjà à cause de son sourire idiot et ensuite pour le fait qu'il me suive un peu partout. Quand je suis allée à l'atelier vers seize heures, on aurait dit qu'il m'avait flairé et a déboulé du bout de l'atelier pour me demander s'il pouvait m'aider. Les petits chienchiens à maman, très peu pour moi. Pour en avoir rencontré plus d'un, je déteste ceux qui me disent oui à tout. Je préfère un homme de caractère bien que ce soit souvent comme ça que l'on se retrouve avec de vrais cons.
Fanny n'avait pas tort.
Je suis un peu sado maso sur les bords...
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