07; Callie
DURANT LA NUIT la rumeur a circulé dans tous les coins de la ville. Reese McDonough est de retour avec une affreuse amnésie. Le pire dans cette histoire c'est qu'il loge chez les deux femmes qu'il traitait de folles auparavant. Ça me dégoute de savoir ça. J'aimerais pouvoir faire quelque chose pour arranger cela, mais pour le moment je ferais mieux de m'en tenir loin. Je ne veux pas m'attirer d'ennuis. C'est ce que j'en ai conclu après une bonne nuit de sommeil résultant d'un somnifère. Je n'arrive pas à fermer l'oeil, ces derniers jours.
Au moment où je pose les pieds dans ma classe de littérature, je sens le regard de mes camarades se poser sur moi. J'ai été la petite amie du mec super de l'école, puis j'ai été la fille dont le copain a disparu et maintenant je suis la fille dont le petit ami vient de réapparaître. Super ! J'ai toujours détesté les étiquettes, mais rien n'y échappe dans cette ville. J'ai réalisé récemment que chaque habitant de Green Lake a une étiquette de ce genre, qu'il le veuille ou non. C'est le désavantage de vivre dans une petite ville isolée. Tout ce sait rapidement. Enfin, presque tout.
J'ignore tous les regards qu'on me portent et m'installe à un bureau non loin de la fenêtre. Une fille aux traits arabes vient dans ma direction. Je la reconnais aussitôt. Il s'agit de Rhéa Javali. À moitié algérienne et écossaise, la jeune fille a longtemps attirée l'attention. Elle a eu droit au même genre d'attention que moi à mon arrivée. Les habitants de Green Lake ont une certaine fascination envers les étrangers. J'ai vécu quinze ans en Angleterre, tandis que Rhéa a vécu quatre ans en Algérie pour ensuite déménager en Espagne et y rester deux années consécutives. Par la suite, sa mère a insisté pour retourner dans son pays d'origine : l'Écosse.
Je n'irais pas jusqu'à dire que je l'apprécie, mais elle est de loin l'une des personnes les plus agréables que j'ai rencontré dans le trou perdu merdique qu'est Green Lake.
« - Salut, Callie ! m'interpelle Rhéa.
- Salut.
- Au fait, j'ai vu ton petit copain hier. Enfin, quelqu'un nous a empêché de discuter plus longtemps. »
Je lève les yeux en direction de la fille aux yeux noirs soudainement très intéressée. Rhéa affiche un petit sourire triste comme si sa brève rencontre avec mon ex-petit copain l'a complètement bouleversée.
« - Où ça ? Il était avec quelqu'un ?
- Tu n'imagines même pas, Callie... C'est terrible ! Comment peut-il vivre avec cette folle de Moira ? Je suis certaine qu'elle profite de sa perte de mémoire. Elle peut lui faire gober tout ce qui lui chante, m'avoue Rhéa sans vraiment répondre à mes questions.
- Rhéa ? Quand as-tu vu Reese ? Il était avec Moira ?
- Je l'ai vu cette nuit. Il se promenait dans les rues du centre-ville avec Moira, vers trois heures du matin. Je n'aurais jamais cru que Moira se risquerait à enfreindre son couvre-feu ! Tu y crois, toi ? me demande-t-elle en gloussant.
- C'est étrange, en effet, j'admets d'un air songeur.
- Je ne veux pas t'effrayer, Callie, mais je crois que Moira a un sérieux béguin sur Reese. Tu vois, le genre ? Ce n'est pas de l'inceste ça ? »
Je souris en réalisant que Rhéa me parle comme on parle à une amie. Cette fille a vraiment le donc de mettre les gens à l'aise. Je me souviens vaguement des amies que j'ai eu à Newcastle. Elles n'étaient pas nombreuses et aucune d'entre elles n'avaient demandé à garder contact avec moi suite à mon départ précipité.
Mon sourire s'évanouit au moment où je repense au sujet de conversation que Rhéa et moi avons. Je me souviens du Reese d'avant qui ne cessait de me raconter à quel point sa famille était folle et que sa petite cousine l'énervait au plus haut point. Je souriais à chaque fois et cela le vexait. J'adorais quand il se plaignait de ne pas être pris au sérieux. Il fronçait les sourcils et faisait mine de bouder. Ça ne durait que quelques minutes puisqu'il s'empressait de m'embrasser ou de me tirer la langue. Reese était mignon quand il se comportait comme un gamin.
« Callie ? Tu es toujours parmi nous ? » me questionne Rhéa en claquant des doigts.
J'hoche la tête, chassant les souvenirs de Reese de mon esprit. Je ne dois pas y penser, car je pourrais me mettre à songer à des choses bien plus horrifiantes.
« - Tu sais ce que tu vas faire pour ce qui est de Reese ?
- Pour le moment, rien. Je vais simplement me tenir à l'écart.
- Quoi ? Mais, pourquoi ? Je croyais que tu voulais récupérer Reese, proteste la fille aux boucles noires, légèrement surprise.
- Crois-moi, Rhéa, j'ai mes raisons. Si je m'approche de Reese, il voudra que je lui parle de son passé. Et il y a des choses qu'il vaut mieux qu'il oublie pour toujours. Une deuxième chance ce n'est jamais de trop. » j'explique, les yeux rivés sur ceux de ma camarade.
Rhéa hoche la tête, les sourcils froncés. Son expression confirme ce que je pense : elle ne comprend guère ce que je lui dis. C'est mieux comme ça, de toute manière. Elle ne peut pas comprendre. Elle ne pourra jamais comprendre. Si la vérité se fait savoir, Reese et moi ne serons plus en sécurité dans cette ville.
La professeure de littérature fait irruption dans la pièce. Il s'agit d'une femme dans la trentaine à l'allure svelte qui porte le nom d'Agatha Fraser. Cette dame porte son habituel pull en cachemire de couleur rose et sa jupe plissée tombe au niveau de ses genoux. Ses lunettes carrées lui descendent sur le nez, une habitude que certains pourraient juger prétentieuse, mais qui, selon moi, ne l'est pas. Mme Fraser n'est certainement pas ma professeure préférée, mais son cours reste plus ou moins agréable. Enfin, jusqu'à ce que mon enseignante de littérature ouvre la bouche pour dire :
« Je crois que tout le monde est au courant des évènements récents. »
Mme Fraser marque une pause, avant de reprendre.
« C'est un miracle que Reese McDonough soit de retour parmi nous. Mais, nous avons prier, les enfants, et vous voyez le résultat ! »
Les élèves présents se mettent alors à échanger quelques murmures. Certains s'amusent à me dévisager. Évidement, dès que l'on prononce le nom de mon ex-petit copain, j'y suis associée. Ce n'est guère victorieux puisqu'il pourrait s'agir d'un point faible si on en venait à connaître la vérité.
Je déplace une mèche de mes cheveux bruns en jetant un coup d'œil à la fenêtre qui me donne une belle vue de Green Lake et de son église. La journée est froide et le sol est recouvert d'une mince givre annonçant l'arrivée prochaine de la saison hivernale.
« Callie ? Tu veux nous en dire un mot ? Reese est ton petit copain, après tout. » me demande Mme Fraser.
Ma mâchoire se contracte. Je n'ai pas envie de m'exprimer sur le sujet. Elle devrait le savoir, non ? Comme si j'allais raconter à toute cette bande qui aime partir de nouvelles rumeurs, comment je me sens face au retour de Reese.
Néanmoins, le regard insistant de certains élèves me dissuadent d'envoyer promener Mme Fraser. Si je ne lui réponds pas, ça pourrait également me désavantager.
« - Je suis contente qu'il soit de retour, je mens. C'est un vrai soulagement de le retrouver en vie.
- Je comprends parfaitement. Tu as eu l'occasion de lui parler ?
- Pas vraiment. Il est... Vous savez, amnésique ?
- Oh oui ! J'en ai entendu parler. C'est terrible. » s'exclame ma professeure de littérature.
Je jette un coup d'œil au pull de Mme Fraser. Il me rappelle à quel point Reese détestait cette habitude qu'avait ma professeure de ne porter que des pulls en cachemire de couleur rose. Alors que nous étions supposés réviser, je m'allongeais sur mon lit et Reese posait sa tête sur mon ventre. Je passais ma main dans ses cheveux bruns foncés, tandis que mon petit ami se plaignait de toutes les choses qui l'agaçaient. Sa famille, l'école et même Green Lake y passait. Tout le monde aimait Reese McDonough. C'était le garçon avec le sourire charmeur qui se montrait toujours aimable. Reese aimait beaucoup de gens, lui aussi. Mais, il était humain. Comme tout le monde, il avait besoin de se défouler et de se moquer de certaines choses. Alors, je l'écoutais. Il n'y avait jamais rien d'ennuyant. Que ce soit lorsqu'il se moquait de la garde-robe de Mme Fraser, des lunettes rondes du professeur d'anglais, des tics de Mme McKenna ou de l'étrange accent du professeur d'éducation physique. Il aimait également parler de son père qu'il trouvait détestable, de Moira qui lui foutait la chienne et des garçons que sa sœur, Charlotte, ramenait à la maison une fois la nuit tombée. Et puis, Reese s'arrêtait. Il me jetait toujours un regard désolé et me demandait si ce qu'il disait me dérangeait. Je faisais toujours signe que non. C'était bien de voir que Reese n'était pas toujours le "gentil petit Reese". N'étant pas très reconnue pour ma gentillesse, j'avais souvent l'impression de passer pour la méchante. Reese me rassurait à sa façon en se défoulant, après les cours. Et puis, le lendemain, il souriait à tous les professeurs, n'hésitant pas à s'intéresser à la nouvelle garde-robe d'automne de Mme Fraser composée de pull en cachemire rose.
Une larme s'échappe alors. Je m'empresse de la faire disparaître du revers de la main. Heureusement pour moi, Mme Fraser est occupée à interroger certains élèves sur leurs sentiments face au retour de Reese. La plupart s'amusent à raconter n'importe quoi à son sujet. C'est un peu comme lorsqu'il a disparu. Les journalistes et les enquêteurs souhaitaient recueillir le plus de témoignage possible. La plupart des gens interrogés ne connaissaient pas vraiment Reese et n'avait rien à dire à son sujet mis à part qu'il était "très gentil" et "toujours souriant". Oui, Reese était comme ça, mais pas seulement.
J'avais également été interrogée par des policiers et lorsqu'on me demandait si je savais quoique ce soit en lien avec sa disparition, je me mettais à pleurer. On me fichait donc la paix. Personne n'avait envie de gérer une gamine dont le premier amour vient de disparaître. Certes, j'étais réellement triste, mais cette petite crise m'aidait à éviter de répondre aux enquêteurs. Pratique lorsqu'on cache quelque chose.
« Callie ? »
Je lève les yeux vers Mme Fraser. Tous les regards sont posés dans ma direction. Depuis combien de temps me fixent-ils ainsi ? Je n'ai rien vu arriver, trop perdue dans mes pensées.
« - Oui, Mme Fraser ?
- On m'a dit que Reese allait retourner à l'école dans les prochains jours. Tu en sais plus ? m'interroge ma professeure de littérature, les sourcils froncés.
- Euh... Non, je suis désolée. Demandez à Moira McDonough. Je crois qu'elle en sait beaucoup plus que moi sur le sujet. » je réponds à la fois amer et déboussolée.
Comment ça, dans les prochains jours ? C'est bien trop tôt. Reese vient tout juste de rentrer de l'hôpital. Il n'est certainement pas prêt à refaire son apparition à l'école. Perdre la mémoire doit être quelque chose de suffisamment horrible. J'imagine que Reese n'a pas prit cette décision qui lui revient de plein droit. Annie et Moira McDonough s'en sont sûrement mêlées.
Moi, je ne suis pas prête à sillonner ces corridors à nouveau tout en sachant qu'il fait pareil. Il s'est passé trop de chose entre nous... Cette idée me serait insupportable. Et dire qu'il a tout oublié !
Je ferme les yeux et compte jusqu'à trois mentalement. C'est le moyen que j'ai trouvé pour chasser ce genre de pensée qui me ramène un peu trop brusquement dans le présent.
« Rhéa, tu as quelque chose à dire ? » lui demande ma professeure.
J'ouvre les yeux et tourne la tête dans la direction de Rhéa Javali comme le font la majorité des autres étudiants présents dans la classe de littérature. Elle est assise à l'avant, son bureau très proche de celui de la professeure. La jeune fille aux traits arabes se retourne sur sa chaise pour faire face à la classe.
« Oui, j'ai quelque chose à dire, Mme Fraser. »
Elle prend une profonde inspiration, avant de poursuivre :
« - Reese est vraiment quelqu'un de génial et ça, mêmes les hypocrites le savent. J'ai tant prier pour qu'il soit toujours en vie. Certains dans cette classe ne cessent de dire à quel point ce gars est super, mais la plupart ont baissés les bras au bout de deux mois.
- Que veux-tu dire par là, Rhéa ? demande Mme Fraser, intéressée par l'honnêteté de Rhéa.
- Il ne faut jamais baisser les bras. Oh, et je crois que Reese est de retour pour une bonne raison. Après sa disparition et la mort de la quasi-totalité de sa famille, Green Lake a été plongé dans une sorte de torpeur. Je crois que c'est l'occasion de... renaître.
- C'est très beau ce que tu dis.
- Je crois donc que l'on pourrait dédier le bal d'hiver à Reese McDonough, suggère Rhéa.
- C'est une très bonne idée, je trouve ! » s'exclame Mme Fraser.
Je déglutis. D'accord, il n'y a rien de dangereux à ce que le bal soit en l'honneur de Reese. Je n'aime simplement pas le fait que les habitants de Green Lake voit son retour comme une manière de "renaître". Ils pourraient se montrer déçus. J'ai comme une mauvais pressentiment à propos de cela.
Je revois les flammes qui engloutissent la demeure de Reese, le soir de sa disparition. Elles détruisent tout ce qu'elles touchent. J'étais si près de la maison. La fumée que dégageait l'incendie m'entourait, l'odeur s'incrustant dans mes vêtements. Tout était orange, rouge, jaune. Les flammes dansaient devant mes yeux de manière invitante.
J'entends presque cette voix intérieure me répéter : ne joue pas avec le feu, ma chérie.
✖️
Salut !
La moitié de ce chapitre a été effacée en raison d'un bug (merci Wattpad), mais avec toute la motivation que j'ai, je l'ai réécrit hier soir et j'espère sincèrement qu'il vous plaît. :)
➰ Avez-vous de nouvelles impressions sur Rhéa ?
➰ Selon vous, que faisait Callie si près de la maison de Reese, le soir de l'incendie ?
➰ Est-ce une bonne idée que le bal d'hiver soit en l'honneur de Reese ?
➰ Vos prédictions ?
Je vous souhaite une joyeuse Pâques et une très belle fin de journée ;
Marianne.
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