Dylani 

Mon post a retourné l'école, plus que je ne l'avais imaginé, sans que je comprenne pourquoi, après tout, nous avons déjà des couples gays. Ce qui m'ennuie, c'est que mes copains veulent chopper l'auteur du message.

─ Ce n'est pas correct de mettre ce genre de chose ! affirme Mehdi.

─ ...

Il me coupe le sifflet, assez souvent.

─ Et les messages sur la bite du proviseur ! Là ça passe ? j'insiste narquois.

─ Ben oui !

─ Super logique les mecs ! Vous inquiétez pas ! Le message va être enlevé. Ça va peut-être faire réfléchir le directeur sur sa connerie.

Je me marre, me demandant comment ils réagiraient s'ils savaient que c'est moi.

─ Non un surveillant a dit qu'on n'a pas le droit de l'enlever et le gars a eu des réponses ! ajoute Bouba remonté.

─ Quoi !

Mon cœur s'emballe un peu. De mon côté, la surprise ce sont les réponses, je ne m'y attendais pas.

Je ne compte pas rencontrer quelqu'un dans ce lycée, je ne crois pas à l'amour. Mon problème c'est que je ne crois à rien.

J'avoue cependant que de savoir que j'ai une réponse me titille sacrément, j'irai voir plus tard.

J'ai conscience de mon impatience, d'être limite fébrile, avec le cœur battant. Un stupide espoir me saisit, l'espoir que le monde soit moins moche qu'il n'en a l'air. N'importe quoi ! ...ça se trouve, c'est une blague !

Notre prof d'anglais a transformé son cours en remise à niveau en français. Pourquoi les embêter avec une nouvelle langue étrangère. Pendant ce temps, je travaille de mon côté.

Pour faire valider mon niveau in English, le prof m'a inscrit aux épreuves du TOEIC et du TOEFL, que je vais passer d'ici quelques semaines, les inscriptions sont payées par la coopérative de l'école.

Je parle déjà le russe, l'arabe et le tchétchène, les langues d'origine de ma grand-mère et j'ai appris l'anglais et le français ici. J'ai un véritable talent et une oreille pour les langues, je peux reproduire n'importe quelle sonorité et je n'oublie rien. Yeaaaaaah !

Les deux heures de physique après l'heure d'anglais s'écoulent interminables. Ce n'est pas dur bon sang ! Pourquoi ils ne comprennent pas ! Je les écoute ânonner des évidences, ils me prennent la tête. Enfin la sonnerie de l'heure du déjeuner retentit, il est tôt puisqu'on termine à midi, c'est une torture de devoir attendre encore presque deux heures avant de pouvoir manger à la cantine.

Bunicuta m'a raconté que lorsqu'elle était jeune, elle crevait de faim, au moins ce passé de misère est derrière nous.

Avant d'aller au club de science, je passe au tableau d'affichage, pour aller lire les réponses pour moi, grillant de curiosité.

Cependant, les messages haineux contre Vanessa sont arrivés comme une invasion de sauterelles. Cela me détourne instantanément de mon plaisir et je commence par m'occuper de la vingtaine de post avec son nom de famille, je les retire tous. J'en laisse un ou deux sur lesquels il n'y a pas son nom, avec l'injure grosse saucisse qui leur plait tant. Je mets ensuite un mot avec un message d'amitié :

Vanessa est cool.

Je ne pense pas que cela mange de pain quelques compliments.

Je rage parce que c'est incompréhensible autant de haine. Cela doit venir de la bande de mec avec qui elle trainait au début de l'année, les gars de la classe élite. Si je peux leur faire payer un jour, ils ne l'emporteront pas au paradis.

Enfin, je peux me concentrer sur mon message pailleté, yes ! il est enfoui sous une réponse. Il y a d'autres papiers, posés à côté, des élèves qui parlent de leurs homosexualités, collés à côté du mien. Il y a aussi des messages homophobes : morts aux PD en pagaille. J'en retire une dizaine, qui promettent les pires tortures. Dire que nous sommes dans un lycée et en théorie l'avenir du pays !

J'en reviens au post-it de réponse qui est collé sur le mien.

Si je te trouve je te mange et tu vas me sentir passer. Tu seras mon esclave sexuel !

Waouh, il ne fait pas dans la dentelle quand même. Nous sommes dans un établissement scolaire ! Je devine beaucoup de choses, derrière ces quelques mots, de l'assurance, de la détermination, il n'a pas froid aux yeux. Je souris tout seul, troublé par cet inconnu si sûr de lui.

Je repasserai demain pour lui mettre une réponse.

Pour cela il me faut récupérer le stylo à paillette.

Quelle est la probabilité que je trouve un mec ici ? Et si on se rencontrait qu'on se plaise et que cela colle vraiment ? Je dirai zéro, par contre 100% de chance d'avoir des emmerdes.

Cependant, pour la première fois depuis longtemps, quelque chose me fait vibrer. Je me sens heureux, ému par le message de cet inconnu, que je caresse du doigt, suivant la courbe de ces lettres. Est-ce que peut-être quelqu'un pourrait me plaire ? Même si je ne cherche personne.

Le club de science du lycée est dans les bâtiments principaux, alors qu'il n'est utilisé que quelques heures par semaine et ma classe passe ses journées dans un préfabriqué, avec un chauffage défectueux en hiver et en été, c'est un sauna dans lequel on cuit, cherchez l'erreur !

À Saint Saëns, la recherche est encouragée et le club dispose de tout ce dont ils ont besoin, dans une immense salle multi équipée avec une dizaine d'ordinateurs puissants, des tableaux numériques et l'abonnement à toutes les revues scientifiques.

Je commence à bosser sur les équations à travailler, pour un prochain défi mathématique auxquels notre club est inscrit. Le prix que nous nous partagerions serait de trois mille euros à diviser entre les candidats vainqueurs, pour moi c'est une aubaine.

Les gars me disent que je pense trop à l'argent, si j'en avais, moi aussi je n'y penserai pas et je serai cool. Ils me rejoignent après avoir mangé au premier service. Ils sont une dizaine, le gratin du panier dans ce lycée, des mecs surdoués, géniaux et riches, ce qui ne gâche rien. Quand ils arrivent, j'ai bien bossé.

─ Tiens, voilà un sandwich et deux pommes.

Pierre-Alexandre me lance la nourriture.

─ J'avais faim merci les gars !

Je me jette sur la bouffe, affamé. J'avais du mal à réfléchir.

Ils s'assoient autour de notre table, visiblement ne sont pas du tout concentré sur notre programme de révision, ils ont tous la tête dans leurs portables.

─ Qu'est-ce qu'il se passe ?

─ Vous ne devez pas vous ennuyer avec les filles de votre classe !

J'ai manqué m'étrangler avec mon sandwich. Emile rigole narquois.

─ Pourquoi tu dis ça ?

─ Il y a une vidéo qui circule sur une chaudasse de ta classe. Tu veux voir ?

─ NON ! Et les équations ? Je réponds, agacé.

C'est vrai que dans ma classe, il y a des filles qui ont déjà des passifs, bien trop lourd pour leur âge. Ça m'énerve qu'on soit toujours les victimes.

─ OK, on s'y met ! marmonnent-ils, peu empressés.

─ Il était temps. Je les ai déjà bossés en vous attendant, les réponses sont sur le tableau blanc. Je grommèle en le leur désignant.

***

L'après-midi, la rumeur enfle sur une vidéo. Vu la réaction des gars du club de science ce midi, je me doute qu'il s'agit de la même, elle se propage à la vitesse de l'éclair. Nous sommes en cours de français et les ricanements, les messes basses augmentent, gênant la prof qui essaye de faire son cours. Ce n'est pas facile, quand les élèves ne veulent pas lire et préfèrent la téléréalité ou les jeux vidéo.

Soudain Rania, qui était la meilleure amie de Vanessa, avant qu'elles ne se disputent, car Vanessa nous a tous snobés, pousse un rugissement, puis se lève pour aller la gifler.

─ Sale trainée ! C'était bien la peine de te prendre pour une nana supérieure aux autres ! rage-t-elle.

Vanessa, sans dire un mot, sort de la classe.

─ Il s'est passé quoi ? Non, mais vous vous croyez où ? gueule la prof.

─ Madame on peut pas vous expliquer ...on va vous choquer ! réponds Bouba.

Nos regards atterrés se croisent avec la prof, je me lève, devançant ce qu'elle va me demander.

─ Dylani essaye de rattraper Vanessa ! Rania approche et explique-toi ! Les autres, calmez-vous ! hurle la prof qui a été colonelle dans une vie antérieure.

Je cours sortant de notre préfabriqué, même si je n'ai pas été long, elle est déjà à la grille du lycée.

Je secoue la tête quand je reviens, tandis que la prof se passe la main dans les cheveux en soufflant.

─ Tant pis, assieds-toi. J'ai envoyé Cindy prévenir l'adjoint du proviseur.

Elle continue de s'expliquer avec Rania pendant que je retourne à ma place.

─ Donc tu me dis que cette vidéo sexuelle circule entre vous.

Son ton est atterré.

Je fais signe à Mehdi de m'envoyer le média et comme si nous étions au théâtre, la sonnerie de la pause retentit. Dehors, maussade, je regarde le fameux fichier, appuyé contre le mur, redoutant un peu ce que je vais voir. C'est bien ce que je craignais : Plusieurs mecs et Vanessa en pleins ébats sexuels.

On reconnait à peine les mecs, mais elle, ils l'ont filmé, son visage et son anatomie. Quelle cruauté surtout de diffuser la vidéo au lycée.

Mehdi est resté près de moi.

─ C'est chaud, elle a l'air bonne ! C'est un vrai film porno, elle a une carrière toute trouvée.

Je lui mets un coup dans le bide, il m'énerve, mais il n'est pas le seul, tous les élèves regardent la vidéo et se marrent en se moquant de Vanessa.

─ C'est cool ! fait Bouba elle est trop forte cette fille. En plus, elle est super bien foutue !

Je m'éloigne sans répondre, excédé. Demain, j'irai au club informatique pour analyser la vidéo image par image, pour tenter de récupérer les têtes des mecs et surtout l'émetteur du fichier. Le fait que les gars du club de science l'aient eu... avant mes potes... ne veut dire qu'une chose, elle vient d'un mec de la classe élite.

***

Je travaille à la bibliothèque jusqu'à la fermeture, ici, j'ai des ordinateurs à disposition, c'est chauffé et surtout calme, contrairement à chez moi où ma grand-mère a toujours un truc à me dire, les enfants veulent me raconter leurs histoires et me faire faire leurs devoirs.

Ingrid, la bibliothécaire, est devenue une amie. Avant elle faisait de la recherche à l'INRA. On lui a piqué ses idées et elle a fait un burn-out. Maintenant ça va, elle est tranquille ici et en profite pour travailler sur ses sujets de recherche en intelligence artificielle. C'est une femme géniale, une surdouée qui n'a pas su voir la bêtise humaine et la méchanceté. Moi je la vois trop bien !

Ingrid a déjà des cheveux gris, alors qu'elle n'a que trente ans, un énorme chignon un peu étrange et ses tenues viennent de friperies, qui lui donnent une allure ringarde de grand-mère hippie.

Souvent, elle ferme plus tard, pour que nous puissions travailler tous les deux tranquilles, avant de me déposer ensuite à mes entrainements de piscine ou à Auchan si je bosse.

Je pars seul ce soir et j'en profite pour aller au panneau d'affichage désert, puisqu'il n'y a plus que moi au lycée à cette heure-là. Je regarde sa réponse, heureux d'avoir suscité l'attention de mon inconnu, j'essaye d'imaginer qui il est, sans succès. Je caresse à nouveau le petit papier du doigt.

Je ne peux pas rêver longtemps, car mon regard descend sur un message odieux :

Vanessa est une truie

Il y a encore des messages contre Vanessa que je retire, c'est un vrai virus, j'avais retiré des messages ce midi et il y en a presque autant.

Cette bonne chose faite, je cours en direction la piscine, elle est à deux kilomètres, c'est tout bénef je fais du sport et je m'échauffe.

Je suis heureux dans l'eau et dès que je peux je vais nager dans l'océan.En mars, notre coach nous a inscrit à une course Swin and Run : auprogramme, huit kilomètres en mer et trente kilomètres de course à pied deHendaye jusqu'à la frontière, j'ai hâte d'y être !