Dylani

J'ai passé une semaine à Paris. David a pris beaucoup de photos qui seront publiées dans différents magazines et pour une exposition aussi.

Les premières photos vont paraitre dans le magazine de mars, qui sort dans deux semaines, ce sont des publicités pour des slips, assez coquines, pourvu que mes copains ne les voient pas !

David est assez cool dans la vie, mais sur les plateaux, c'est un véritable tyran qui n'arrête pas de gueuler. Je suppose que c'est dû à son génie, il sait exactement ce qu'il veut obtenir comme cliché. Les mannequins obéissent à ses ordres et nous avons intérêt à enchainer vite pour les fringues, les poses. Il est exigeant et prétend que je l'inspire.

Honnêtement pour les trois quarts des photos, je ne suis pas habillé, au mieux en slip, entouré de mecs. J'ai fait beaucoup de nu.

Si on devait décrire les photos : à chaque fois, je vais me faire baiser. Il me dit que je ne comprends rien ! Que je n'ai aucun talent. Normalement tout le monde affirme le contraire, bon je veux bien le croire et admettre que je n'y connais rien.

Mon book a été fait par lui et c'est vrai qu'il m'a rendu sublime. C'est l'année où il m'a baisé et ça se voit dans les photos, je trouve qu'il m'a transformé en pute. Lui rectifie en disant que je suis l'essence de l'amour.

Mwouais.

Les autres mannequins me proposent de parler de moi à des photographes, si l'occasion se présente. Pourquoi pas, je sais que dans ce milieu, la concurrence est rude, il faut déjà qu'il trouve des contrats pour eux.

─ Si vous voulez, mais je ne passe pas les castings, pas le temps !

─ Une vraie star ! font-ils, soufflés.

─ Et oui une vraie star !

Plus on est minable, plus il faut lever la tête, c'est ma devise.

Il y en a un qui est étudiant en astrophysique et pendant qu'on pose tous les deux, en jean torse nu avec des vestes, lui en cuir et moi un gilet de laine, il m'invite à assister à une conférence à la Sorbonne, le mercredi soir.

─ Anton, enlace Dylani, embrasse le dans le cou. Plus sensuel.

Nous continuons de parler. Il faut oublier le côté séduction. Je suis dans les bras d'un apollon, qui en plus m'embrasse, mais tout est factice. C'est une assez bonne représentation du monde dans lequel nous vivons. Je m'efforce d'ignorer la sensualité de tout cela et continue notre conversation qui m'aide à garder les pieds sur terre. Je fais de la pub pour la chaine internet d'Ingrid.

─ C'est super bien fait. C'est une scientifique à qui on a reproché son originalité. Einstein était original.

─ Promis j'irai voir, cela à l'air cool, rigole Anton contre moi.

─ Dylani torse nu, pantalon ouvert et Anton tu mets les mains sur son slip aux élastiques comme si tu allais le baisser, rouspète David et arrêtez de jacasser, vous me déconcentrer !

Je le regarde avec des yeux noirs, il est jaloux, oui !

─ Bien Dylani parfait ! Garde cet air fâché, c'est exactement ça ! On te boufferait mon chou grognon.

Il nous mitraille en ricanant.

Le mercredi soir, je suis allé à la Sorbonne assister à la conférence, c'était super intéressant. Il m'arrive parfois de me sentir très privilégié de pouvoir assister à ce genre d'évènement.

David ne m'a pas dragué et je n'ai pas baisé. Dans le train du retour, mon orgueil est sauf, mon corps en manque, je suis trop con à vouloir être sage.

J'arrive à minuit à Bordeaux, le dimanche soir, le billet le moins cher, c'est un peu comme si j'étais parti en vacances et Mehdi m'attend devant la gare. Je suis content de le voir.

Je l'enlace tout en m'interrogeant sur son attitude s'il savait pour les photos et mon homosexualité. J'ai prétendu être allé passer un concours sur Paris, parfois j'ai l'impression qu'il n'est pas dupe.

Le lendemain au lycée, il y a des chamboulements, dont le retour de Vanessa en cours et c'est la bérézina sur le panneau : il est couvert de messages haineux.

J'ai du boulot pour faire le ménage dans toutes ces horreurs.

J'ai vaguement songé à les laisser, pour dénoncer toute cette mascarade et que le proviseur comprenne sa bêtise, mais je suis piégé, je n'ai pas le cœur de laisser les textes qui critiquent Vanessa.

Il y a un message ou il est écrit Nathan est naze

Je n'ai même pas réfléchi, j'écris sur un papillon coloré.

Nathan je t'aime

Trei et unu ont répondu, chacun sans voir leurs réponses voisines. Trei :

Tous les autres ont des amis. Tu te moques de moi c'est pour que je prenne conscience de ma solitude que tu m'as dit d'observer ?

Séparés par quelques papiers, il y a celui de unu :

Je n'ai pas d'ami et je suis seul. Je suis gothique et cool, je ne rentre pas dans le moule de cette société de merde.

Pourquoi ils ne regardent pas les Post-its des voisins, ils verraient bien qu'ils ne sont pas seuls.

Je leur écris à tous les deux d'aller dans un club et à trei je rajoute un message lui conseillant d'aller bosser à la bibliothèque.

J'ai fait exprès de ne pas lister les clubs d'écologie et de skate, de toute façon des clubs il n'y en a pas cinquante il n'y en a qu'une quinzaine. Peut-être qu'ils pourraient choisir d'eux même une activité qui leur conviendra. Sinon, je leur suggèrerais ces clubs-là dans mon prochain message.

Au milieu de tout ce déversement de haine, j'ai la bonne surprise d'avoir plusieurs messages de mon crush, il a remarqué mon absence :

où es-tu passé, tu ne réponds plus ? tu es malade ?

Puis différents messages avec des cœurs et des petits dessins. Cela me fait plaisir.

***

Nous allons en salle d'informatique pour remplir nos vœux d'avenir sur le logiciel d'affectation de nos vœux après le bac. Normalement, les élèves le font chez eux, dans notre classe, ils seraient capables de ne pas le remplir, alors notre prof préfère que nous le fassions ensemble. Pour ma part, j'ai déjà rempli mon inscription.

─ Monsieur ? Pour Vanessa, pute... il n'y a pas la case, comment elle fait ? demande Mic.

Cela se passe comme ça dans notre classe, on s'enfonce au lieu d'être solidaire. À ma stupéfaction, Mehdi se lève et va le claquer tandis que le prof nous engueule, nous rappelant que nous jouons notre avenir avec ces inscriptions.

─ À quoi bon ? C'est déjà mort, rouspète Rania.

Vanessa n'a pas bougé et n'a pas saisi son code, elle n'a peut-être même pas entendu les horreurs de Mic, visiblement complètement shooté aux médocs. Je ne sais pas si c'est une bonne idée de la renvoyer si vite dans la cage aux lions.

Je me lève et m'installe à côté d'elle, le prof hoche la tête, me remerciant silencieusement.

J'ouvre le logiciel.

─ Tu saisis ou je t'aide ?

Elle ne me répond pas.

─ Vanessa, tu veux faire quoi l'an prochain ?

─ Je ... Il n'y aura pas d'an prochain !

La vache, elle n'est pas guérie. Je me sens super démuni, parce que moi je n'ai aucune expérience pour parler à quelqu'un qui va aussi mal. Mehdi me regarde et me fait un signe d'encouragement, il a dû entendre sa réponse et ne s'en mêle pas.

─ Si ..si il y avait un avenir ? Tu mettrais quoi ?

─ Je ne voulais pas faire d'études ! Je ne voulais pas aller au lycée ! Ma mère m'a obligé, c'est de sa faute !

─ Elle voulait que tu fasses quoi, comme étude ta mère ?

─ Médecin. Elle veut que je sois intelligente et douée.

Vanessa n'a jamais eu de bonnes notes, je le sais puisque je suis délégué de classe ces trois dernières années.

─ Et toi tu veux faire quoi ? je continue, déterminé à compléter son inscription.

─ Je ne veux pas soigner des gens, ça me dégoute ! marmonne Vanessa. Je voulais faire coiffeuse ou esthéticienne, sauf que ma mère trouve que c'est nul !

Elle m'a surpris avec sa réponse. Je regarde le logiciel qui ne prévoie pas ces formations, puisque normalement inutile d'aller au lycée si on souhaite suivre un apprentissage.

En soupirant, je sors du logiciel et vais faire directement une recherche sur l'apprentissage coiffure. Cela ne me prend que quelques minutes pour trouver : Il lui faut passer un diplôme de CAP et elle peut le préparer en alternance, en travaillant. Elle me regarde naviguer, pas vraiment concernée, quand j'arrive à une formation qui démarre dans deux mois.

─ Et si tu t'inscrivais ici ? je lis les conditions d'accès à voix haute ...ce serait une semaine d'école et une semaine en entreprise. Il faut trouver l'entreprise et l'école est gratuite. Les cours sont au centre des apprentis de Bordeaux ...ça a l'air pas mal ? Tu en penses quoi ?

Vanessa se redresse un peu.

─ Ma mère m'a dit que tu es venu prendre des nouvelles. Tout le bahut sait que j'ai craqué, en plus d'être une pute ?

─ Tu n'es pas une pute ! Je n'ai parlé à personne de ma visite et je crois que ta mère n'a pas appelé.

Elle rigole, d'un rire sans joie.

─ Tu peux ne rien dire à personne ?

─ Bien sûr. Je veux t'aider si...

─ La dernière fois que quelqu'un m'a dit ça, il m'a drogué et fait coucher avec plusieurs mecs.

─ C'est du viol ! On peut t'aider à le prouver et les faire payer.

─ Non ça se retournerait contre moi ! Ils sont riches ! Tu n'imagines même pas !

─ Je ne vais pas insister pour l'instant ! Mais tu n'es pas seule, tu as des gens derrière toi, prêt à t'aider. Je lui montre l'écran : on t'inscrit ici ?

─ Ma mère ...

─ Ta mère n'a pas l'air de faire attention à l'endroit où tu iras. Tu pourrais même lui dire que tu vas en fac de médecine et préparer ton CAP coiffure, elle n'y verrait que du feu.

─ C'est vrai, mais elle si elle l'apprend, elle va me tuer.

─ Je peux t'aider d'une façon ou d'une autre ?

─ Tu m'énerves à être le petit père parfait !

Je rigole, gêné.

─ Je suis loin de l'être !

─ OK, inscrit moi, je vais parler à ma mère ce soir, je voudrais lui montrer les vidéos, fait chier, je ne peux même pas, mon téléphone est bloqué ! C'est l'enfer.

Elle se tape la tête contre la table.

Je grimace comprenant qu'elle s'est retrouvée piégée dans mon virus, elle aussi.

─ Passe-le-moi, je vais t'enlever le virus.

─ Tu sais faire ça ? s'exclame-t-elle surprise.

Je ne peux m'empêcher de frimer : C'est moi qui l'ai mis !

Elle part dans un rire étrange qui se transforme en sanglots bruyants en se jetant dans mes bras. Des sanglots si forts que tous les autres se taisent, même le prof ne sait pas quoi faire.

─ Qu'est-ce qu'il se ...

Je coupe la parole à Mic, qui allait encore faire sa commère et je vais au tableau. Je pense qu'il est temps de les mettre en face de la réalité.

─ Vanessa a été abusée par les élèves de la classe élite de notre lycée. Elle a été droguée et filmée... et vous voulez savoir pourquoi ils ont fait ça ? Essayez de deviner ? Mic toi qui est si malin, une idée ?

Il fait un geste obscène. Tous m'écoutent, même le professeur.

─ Non ?... Ils ont fait ça... Parce qu'elle est une fauchée, parce qu'elle est dans notre classe et les filles de notre classe... on peut leur faire du mal ! Les mecs aussi au passage ! Vous n'auriez pas fait mieux, drogué, vous comprenez ?

Ils m'écoutent semblant enfin comprendre ce que je leur dis.

─ On va la venger ! râle Rania.

Ce qu'ils peuvent être cons des fois !

─ Non pas la venger, je tonne. La vengeance ne sert à rien, vous pouvez la soutenir, ne pas vous moquer d'elle, ne pas la laisser seule, c'est tout ce qu'on vous demande !

─ Dylani c'est grave ce que tu dis, tente le prof. Est-ce que ...

─ Non, ne faites rien. C'est tout le système qui est comme ça !

Il y a eu un miracle dans la classe espoir ce jour-là, car j'ai l'impression qu'ils ont enfin compris ce que je leur dis, Mehdi me fait un clin d'œil.

Les filles se serrent les unes les autres ! Les mecs ne la ramènentplus !