Épisode 16: L'ÎLE-DU-PRINCE-ÉDOUARD / L'ARRIVÉE partie 1
· Une traduction est disponible en bas de page pour les passages en anglais.
— Lee! Nous approchons du fameux pont, informa Docteur Larabie avec désenchantement. Nous arriverons à destination dans quarante minutes.
Ses trois passagers acquiescèrent banalement. Aucun ne remarqua la sueur soudaine qui dégoulinait le long des tempes du chauffeur.
Lillian, Justin et Myrtle avaient voyagé en silence la plupart du 1330 km. Myrtle avait feuilleté avidement ses revues de mode Vogue, Vanity Fair, Glamour et Elle QC. À l'annonce de leur arrivée imminente, Myrtle sortit son rouge à lèvre repulpant ainsi que son miroir compact de son sac à main et se rafraîchit le sourire. Elle replaça son bandeau boucle sur la tête et se vaporisa un peu de parfum au cou. Son excitation ne s'en pouvait plus. Ce serait sa première fois sur les plages de la côte atlantique canadienne.
Justin, la tête accotée contre la vitre fumée du véhicule, traversait un moment existentiel. Ce très long pont sinueux correspondait fichûment bien à sa situation. Depuis sa tendre enfance, il avait suivi une route nûment étroite surplombant un océan de remous, de vagues et de merveilles cachées. Ce trimard l'avait adroitement mené à aujourd'hui. Il en était à la fois reconnaissant et tourmenté. Le sentiment qui l'envahissait était au-delà de celui du délire angoissant qu'il ressentait avant de monter sur scène les soirs de première. Sa vie et celles de milliers d'humains veillaient à basculer pour le mieux. Le sort final de tous dépendait en grande partie de lui. Il se morfondait : comment être à la hauteur ?
Lillian était également perdue dans ses pensées. De son côté, il s'agissait de colère refoulée plutôt que d'émerveillement. Son rat émotionnel courait à toute allure dans son labyrinthe. Elle s'imaginait le pire. Diantrissime! Où était Alyosha, son seul et unique amour ? Quelles tortures lui faisait-on endurer ? En quel état pitoyable le retrouverait-elle ? Ce grand jour de retrouvailles approchait-il ? Pourquoi n'arrivait-il pas à s'échapper ? Combien de temps encore allait-elle pouvoir tenir bon ?
Lillian cumulait neuf ans d'inquiétudes qu'elle avait agilement camouflées sous des mines de rien devant son fils Serioja ! Avoir pu, elle aurait hurler à tue-tête « DIANTRE! » mais elle se contraint à fredonner en boucle sa version opérette du refrain de Calvaire du groupe La Chicane chantée par elle pour la première fois sur son spécial télévisuel.
Elle avait fait directement appel à Boum Desjardins, l'interprète original de la chanson. Lui seul pouvait la coacher pour cette prestation singulière sur la chaine d'état. Ensemble, ils avaient créé une autre version déchirante de Calvaire qui collait plus à la diva. Son interprétation, attelée de sa voix inégalable de soprano colature, avait été rien de moins que spectaculaire. On avait enregistré la séquence en une seule prise. Lillian s'était nourrie de moments de sa vie qu'elle ne partageait qu'avec Olympia, sa meilleure amie.
Dès les premières mesures, elle s'était rappelée le lendemain de l'enlèvement de Alyosha où elle s'était vite extirpée de sa torpeur pour jurer, envers et contre tous, de le retrouver. Puis, elle s'était laissée emporter par les nuits de solitude accablante qui se succédaient depuis sa disparition. À mi-chemin dans la chanson, la caméra 3 avait fait un gros plan impromptu sur Lillian. À ce même instant, la diva s'était sentie enveloppée d'une chaleur réconfortante. Cette manifestation ésotérique lui avait confirmé que son Alyosha avait bel et bien entendu son cri du coeur. Elle en était certissime. Tout comme Édith Piaf, elle avait son hymne à l'amour.
Dès lors, dans ses moments de doute et de fragilité, elle avait pris l'habitude de chantonner les huit lignes que Marin et Desjardins semblaient presque avoir écrit pour elle.
J'ai d'la misère, oh calvaire
J'ai du ressentiment dans l'sang
C'est comme d'la rage dans une cage
Retiens-moi, j'me dévore le corps
J'ai besoin d'toi pour me l'dire
Dans mes erreurs les plus pires
J'veux pas connaître tes rengaines
J'veux juste que tu m'dises que tu m'aimes
Après quelques répétitions de ce refrain, elle essuya ses larmes. Fût-ce la dernière chose qu'elle accomplisse, Alyosha, son seul et unique amour et le père de son fils, serait à nouveau à ses côtés.
Cette promesse la ramena dard-dard au présent. Cavendish était tout près. Il lui fallait se rabattre sur le motif de ce séjour dans les Maritimes. Maintenant qu'ils étaient sept, sa vie et celles de milliers d'humains s'aligneraient autrement. Le succès de Opération CARAL 2052 devenait sa priorité: la grande cause avant soi. Tout comme l'avait fait Alwilda, les membres du Conseil des 7, motivés d'un sens du devoir surdéveloppé, rédigeraient anonymement un nouveau chapitre de l'histoire de l'humanité.
Docteur Larabie comptait vaillamment les minutes passées sur le pont. Cet homme doté d'un sang froid impressionnant ne craignait qu'une chose dans la vie : le vide sous ses pieds. Ce pont de la Confédération de 12,9 kilomètres qualifié du plus long pont au monde surplombant des eaux frigorifiées lui glaçait le sang. Il ne pouvait croire que soixante-quinze mille individus avait participé jadis à la Marche du Pont quelques heures avant son inauguration. Aujourd'hui, malgré la limousine blindée, cette traversée motorisée représentait les dix plus longues minutes de sa vie. Il le faisait strictement pour Lillian Baker à qui il ne refusait rien.
Une fois devant la maison victorienne de Cavendish, Mrs. Armstrong les accueillit à la porte. Elle se débarrassa de son chiffon jaune et s'essuya les mains sur son tablier à motif floral. Justin sortit par la portière côté passager. Il s'accouda sur le toit de la limousine et absorba le paysage. Il inspira profondément. Il n'était plus possible de retourner en arrière. Sa grande aventure s'amorçait ici. Docteur Larabie ouvrit l'autre portière et Lillian débarqua en grande pompe comme si elle se pointait à un événement tapis rouge. On aurait dit qu'elle souriait à une foule de fans finis.
Myrtle suivit. Elle chercha elle aussi à faire de son arrivée un moment paparazzi. Elle déposa délicatement ses pieds au sol. Ses talons hauts bleus s'agençaient particulièrement bien avec son immense chapeau et sa foultitude de bracelets. Elle se dirigea vers la maison empruntant une démarche digne des passerelles de la Paris Fashion Week. Lillian Baker sourit. Elle gardait la petite guenon depuis quelques semaines et constatait déjà l'influence positive qu'elle avait sur elle. Vidge, sa bonne amie doctorante, aurait peine à la reconnaître. Lillian ouvrit grand les bras pour s'adresser chaleureusement à son invité lorsque Mrs. Armstrong la supplanta et prit la parole.
— Ooh Honey child, finally. I was about to call the authorities and hospitals. Getting so worried, I was scrubbing away. Oooh child ! I don't believe this door will ever need to be oiled again. The lemony scent is a tad quaint though. Oooh child! Here I am rambling on. I certainly shouldn't weigh you down with such housekeeping factoids. My mother always used to say : Dazzline, it is best not to overshare. A little mystery goes a long way. Please, come in... come in. The house is ready and I have prepared a nutritious snack. I will be serving on the terrasse overlooking the ocean. Dr. Larabie and I will take care of the luggage. (1)
Lillian prit le bras de Justin et le convia à se diriger vers la maison.
— Justin Pierson, bienvenue dans un autre de mes chez-moi. Comme disaient jadis les Américains « Make yourself right at home. » (2) . J'ai acheté cette charmante petite maison au bord de l'Atlantique il y a trois ans. J'y viens une fois par année m'y ressourcer.
— Merci, Lillian, répondit Justin.
— Je te rappelle par contre que nous ne serons sur l'île que quelques jours. Profites-en! Les semaines subséquentes au Bunker seront ardues. Lillian retira son bras et s'adressa directement à Mrs. Armstrong. Please show Mr. Pierson to his room. (3)
— Why honey child! Of course I will. (4)
— Justin Pierson, je vais aller me changer avant de passer à la terrasse. Ce serait très gauche de ma part comme hôtesse de te recevoir dans cet accoutrement de voyage. Dommage que mon protégé Jacques-Émile Cartier, ma meilleure amie Olympia et mon petit Serioja, n'ont pu suivre. Nous aurions eut droit à un récital de poésie et quelques tours de magie d'enfant. Ah, cet enfant ne cesse de m'impressionner. D'ailleurs, entre nous, j'ai l'impression que Serioja soit porté vers l'illusionnisme tout comme son père l'était. Mais bon, ce n'est que partie remise. Il aura d'autres occasions pour se produire devant vous.
— Oui, j'imagine.
— Ah, Justin Pierson, je te parle de mes amis comme si tu les connaissais. Je vais remédier la chose au goûter. Je te raconterai quelques anecdotes. À tantôt donc, conclut Lilian et disparut dans un corridor.
— Please follow me Mr. Pierson. You will be quite happy to know that I just put in new drapes in your room. Made them myself you know. The floral pattern just wasn't you. My mother always used to say : Dazzline, if you want your guests to have a good night's rest make sure the curtains mesh well with who they are intrinsically. (5)
— C'est très gentil de vous être donné tout ce mal Mrs. Armstrong, dit-il quelque peu intrigué du motif qu'il trouverait sur les rideaux de la chambre d'ami.
— Oohh Don't you start now ! Just doing my job. And in any case, like my mother always used to way : Dazzline, one can never own too many aprons. Off we go now. (6)
Justin s'arrêta. Il se plia en deux, les mains sur les genoux et reprit son souffle.
— Excellente course à pied, Matthew. Tu maintiens bien la cadence maintenant. Tu as clairement améliorer ta technique.
— Merci! Je m'entraine systématiquement tous les après-midis. Je cherche à ce que nous n'ayez pas à ralentir le pas, répondit-il fièrement.
— Bien fait, Matthew, le complimenta-t-il en lui tapant l'épaule. Je monte prendre ma douche. Puis j'en ai pour un petit deux heures de travail.
— Parfait. Le souper sera prêt à ce moment.
© Richard Angeloro, 2019
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(1) Ooh petit cœur chéri d'amour, finalement ! Je m'apprêtais à alerter les autorités et appeler dans tous les hôpitaux. Je m'inquiétais sans bon sens. Je frottais comme une forcenée. Petit cœur chéri d'amour, je crois que cette porte n'aura jamais besoin d'être traitée à l'huile à nouveau. Vous avez remarqué la charmante petite odeur citronnée ? Mais voilà que je divague. Je n'ai vraiment pas à vous embêter avec ces platitudes de domestiques. Ma mère disait toujours : Dazzline, c'est mieux de ne pas surpartager. Un peu de jeu mystère en vaut la chandelle. Allez, entrez, entrez . La maison est prête. J'ai préparé un bon goûter sur la terrasse, La vue sur l'océan est magnifique. Dr. Larabie et moi allons nous charger de vos bagages.
(2) Faites comme chez vous.
(3) Veuillez accompagner Mr. Pierson à sa chambre.
(4) Oh, petit cœur chéri d'amour, avec plaisir !
(5) Veuillez bien me suivre Mr. Pierson. Vous serez gré d'apprendre que j'ai posé de nouveaux rideaux dans votre chambre. Je les ai confectionnés moi-même vous savez. Le motif floral n'était tout simplement pas vous. Ma mère disait toujours : Dazzline, si tu veux offrir une bonne nuit de sommeil à tes invités, assure-toi que les rideaux reflètent ce qu'ils sont intrinsèquement.
(6) Oohh... Ne commencez pas ! Je ne fais que mon travail. Et de toute manière, comme disait toujours ma mère : Dazzline, il est impossible de posséder trop de tabliers. Bon, allons-y.
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