Chapitre 61
61.
À la sortie de l'aéroport international de Los Angeles, la chaleur est différente de celle de Miami. Tout comme l'air. Et l'odeur. Le ciel clair recouvre l'immensité du paysage et se découpe de palmiers hauts comme des mains tendues vers le ciel. Des palmiers, il y en a aussi à perte de vue à Miami, mais bizarrement, de mon œil d'habitant de la côte-est des États-Unis, même le bitume d'ici me paraît sorti d'un autre pays.
— Tout est californien ici.
Ils se tournent tous vers moi avec un regard confus.
— Californien ? rebondit Hyerin.
— Je vois ce que tu veux dire, rigole mon père. Sans l'expliquer, c'est... californien.
— Super californien, renchérit ma mère.
La famille d'Haru nous observe tour à tour et je suis juste soulagé de ne pas être seul dans mon délire. Il pourrait y avoir une étiquette sur chaque élément qui croise mon œil, avec écrit dessus « Made in California » que je ne serai pas étonné. J'ai juste l'impression d'être dans un écosystème fermé. C'est à la fois exaltant et extrêmement troublant.
Dès que nous avons posé pied au sol, nos mères ont tout à coup étalé tout le programme de la semaine à venir. J'ai vu Haru froncer les sourcils, légèrement, très attentif au moindre changement. Maman m'avait déjà fait un topo sur ce qu'il se passerait, du moins concernant les sorties en famille. Non, nous n'allons pas passer tout notre séjour dans les jupes de la famille d'Haru, nous venons également pour faire notre propre expérience. La vérité est que je pense que mes parents ont souhaité mêler l'utile à l'agréable en s'organisant des vacances tout en me sachant à moins de cinq heures de vol d'eux.
Au final, je peux passer la majorité du séjour avec Haru sans les avoir dans les pattes. La seule limite, c'est qu'ils m'ont imposé un couvre-feu à minuit.
— Tu me montreras ton ancienne maison ?
Quand je lui parle, Haru ne me répond pas tout de suite. Je crois d'ailleurs qu'il ne m'a pas entendu. Il regarde les paysages défiler à travers la vitre de la voiture qui nous mène à la propriété de Mégane Ferris. Je me demande s'il est nostalgique en voyant toutes les couleurs de son ancienne vie.
— Haru ?
Le ton de ma voix est différent et je ne le voulais pas. C'est juste que maintenant, je crains de le voir se terrer dans son silence. Je sais pourtant que je ne devrais pas faire de fixette dessus, car moi-même j'ai parfois besoin d'être seul dans ma propre tête. Enfin, par moment. Parfois, entendre les échos qui résonnent en nous, ce n'est pas toujours ce qu'il y a de plus reposant.
Il n'empêche qu'une légère inquiétude a percé dans ma voix et Haru s'est directement retourné vers moi. Sa main à cherché la mienne pour y entrelacer ses doigts.
— Je te montrerai ma maison, répond-il avec un petit décalage.
— Ça te fait quoi de revenir ?
Il réfléchit un instant, comme en train de reconstituer un puzzle mental sans jamais réussir à comprendre l'image qui en résulte.
— C'est bizarre, je m'attendais pas à cette sensation.
— Pourquoi ?
— J'ai pas ressenti grand-chose quand on est partis d'ici, j'ai pas le souvenir d'avoir pleuré ou regretté quoi que ce soit. J'ai l'impression que c'était juste une pause.
Il reprend, doucement :
— La Californie ne m'a pas manqué comme je croyais qu'elle le ferait. Ça me fait un peu bizarre, j'ai pas l'impression d'être parti d'ici.
Est-ce que Miami devient plus flou ?
— Tu t'attendais à quelle sensation ? me risqué-je.
J'ai la sensation qu'il se sent coupable.
— Plus d'enthousiasme je dirais, me partage-t-il.
Pour la première fois, il semble me laisser entendre une pointe de déception. Il semble me confier une partie de ce qui me brille pas aussi fort en lui.
— Tu vois le genre ? fait-il en se penchant dans ma direction. Quand quelqu'un ou quelque chose auquel tu tiens te manque, tu es censé être ultra content de le revoir, non ? J'ai toujours aimé L.A.
— Et il y a une certaine euphorie à l'idée de revenir là où on a grandi.
— Euphorie ! Oui, c'est le mot ! Bah là, rien. Je veux dire, ça me fait plaisir, mais y'a pas d'étincelle.
Je sens du mouvement à la gauche d'Haru et voit sa sœur se redresser pour croiser mon regard.
Je ne pensais pas que Hyerin nous écoutait, mais je la remercie de s'intégrer au dialogue car pour le coup, je n'ai pas les mots pour expliquer ce que ressent Haru.
Car moi, je suis loin de ce genre de schéma de pensée.
— Ah, moi je suis sur mon petit nuage, s'exclame-t-elle.
Je crois que ce n'est pas le meilleur choix pour remonter le moral d'Haru.
Il lève les yeux au ciel, mais un léger sourire déforme ses lèvres. Ce n'est pas comme s'il souhaitait que sa sœur éprouve la même apathie que lui. Elle le regarde du coin de l'œil et je me fais tout petit, attentif, spectateur. Je veux voir comment se dénoue les différents rouages de son cerveau et comment Hyerin, qui l'a connu toute sa vie, s'approche de sa complexité.
— Ce sentiment d'euphorie, en vrai, c'est juste pour contrebalancer une période de vide.
— De vide ?
Elle hoche la tête.
— Dis-toi que pendant tout ce temps, tu ne t'es pas senti déconnecté d'ici. Tu n'as jamais eu peur d'avoir perdu ton lien avec cet endroit.
— Quel est le rapport ?
Elle souffle, presque agacé.
— Le rapport c'est que t'as une attache saine à ici. Et qui dit attache saine, dit réaction calme. On peut être heureux de revenir chez nous, mais on ne peut atteindre un sentiment d'euphorie que lorsqu'on vit mal la distance au préalable. C'est comme lorsque tu t'éloignes de quelqu'un que tu aimes, les retrouvailles sont plus fortes si la séparation a créé un manque. Donc c'est pas grave si t'as pas l'impression d'être sous ecstasy là tout de suite, ça veut juste dire que ton cerveau savait que tu n'avais pas perdu cet endroit.
Une attache saine. J'ai l'impression que ses mots font mouche pour moi aussi. J'ai une attache saine à mes racines en Corée du Sud et je sais que j'aurai toujours l'occasion de revoir ma famille là-bas un jour ou l'autre. Du coup, je n'ai pas de papillons dans le ventre quand je remets les pieds dans la maison familiale. Je ne suis pas surexcité comme un dingue quand je rentre chez moi après les cours car je sais que je vois mes parents tous les soirs et qu'ils font partie de ma routine.
Mais. Il y a autre chose. Plus loin que ma maison, ma famille.
La peur de perdre quelque chose est là, enfouie quelque part. Je la sens parfois affleurer, sans demander la permission, et je la force à retourner s'oublier au fond de moi. Je ne veux pas la voir tenter de détruire mon équilibre.
Haru s'adosse à son siège en croisant les bras, l'air de réfléchir quelques secondes. Il finit par sourire.
— Ça me fait me sentir un peu mieux.
Ça me fait penser que ce sentiment que Haru cherche, cette euphorie, n'est sûrement pas tant que ça à idéaliser. Je sens que même si les éclaircissements de sa sœur lui font du bien, il reste une part d'amertume sur son visage. Peut-être qu'il le voulait, ce sentiment à double-tranchant, même si ça sous-entend qu'il doit d'abord expérimenter le chaos pour rejoindre la délivrance.
— Dis-moi, Rei.
— Hum ? fais-je en posant ma tête sur son épaule.
— C'est quoi ta plus grande peur ?
Encore une fois, il me parle et pourtant semble s'adresser à lui. Cette question me déroute, et il l'a posée si doucement que cette fois, Hyerin n'a pas pu l'entendre. Je me mets à réfléchir, fermant les yeux. Le noir me recouvre et je saisis que dans les ténèbres, je n'ai plus aucun nom.
— Plonger dans l'inconnu.
Et pourtant, je navigue, semble-t-il. L'un ne va pas avec l'autre. Je m'entends lui retourner la question, mais j'ai l'impression qu'en le faisant, je nous fais nous retrouver à une impasse. Il analyse ma réponse et je sens ses muscles se contracter. Nous ne bougeons pas vraiment, une aigreur danse sur ma langue. Son souffle se porte à moi avec hésitation.
Et toi, Haru, quelle est ta plus grande peur ?
— Passer à côté du monde.
J'ai toujours eu peur que le monde m'engloutisse.
Parfois, j'ai l'impression que de son côté, Haru espère qu'il le fasse.
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