Chapitre 36
36.
Le lendemain matin, nous sommes réveillés par les superviseurs dès la première heure. Autant dire que j'ai peu assumé le manque de sommeil, il leur a bien fallu me faire tourner dans mes couvertures une bonne dizaine de fois avant que je ne décide de me traîner vers les douches. Haru n'a pas été très obéissant non plus, et je crois qu'à un moment l'un des surveillants a été tenté de secouer nos lits superposés pour qu'il en tombe.
Une fois douché et habillé, avec le reste des élèves, nous prenons le petit-déjeuner dans la cantine. Les grandes portes battantes sont ouvertes et les fenêtres, aussi imposantes, laissent défiler dans la pièce la lumière vive du jour.
Haru, qui est le dernier à avoir quitté sa couchette presque à coups de pieds aux fesses, nous rejoint d'une démarche encore traînante. Il enjambe le banc de bois où je me trouve et instinctivement, ma paume réceptionne son menton qui manque de peu de s'écrouler dans son bol de céréales.
— Eh là !
Ioane se met à rire devant sa tête. Haru se redresse puis l'observe comme s'il payait le loyer. Il commence ensuite à se verser du lait, toujours avec cette mine qui dissuaderait quiconque de lui adresser la parole.
— Je vais me faire un café, t'en veux un aussi ? propose Ioane en se levant. T'en aurais bien besoin.
— Je bois pas de café...
Haru marmonne et mâchouille ses céréales, il semblerait que cette simple action entame de l'éveiller et ça me sidère. J'oublie qu'il y a des gens qui affrontent leurs journées sans caféine, même après avoir peu dormi. Je ne me gêne pas de demander à Ioane de m'en apporter un, à moi.
— Haru Yoon, pas un adepte de café.
Bien sûr, je faisais cette note pour moi. Mais comme je ne suis pas le plus brillant des esprits au saut du lit, évidemment, il m'a entendu rédiger mon post-it mental.
Il tourne lentement la tête vers moi, et derrière sa moue légèrement grognonne, ses yeux, eux, me sourient un peu.
— On se demande pourquoi y'a que vous deux qui avaient une tête aussi éclatée, hein ? minaude Blanca. Avouez, vous êtes sortis en douce.
J'ai le souvenir de souvent être celui sur la défensive au moindre sous-entendu sur ma relation avec Haru. C'est un réflexe, je tourne toujours autour de la vérité sans avoir l'audace de complètement mentir – ou alors quand je mens, je suis cramé à des kilomètres.
Et cette fois, je ne dis rien. C'est vrai, ça me gêne que ça vienne sur la table, encore plus maintenant que je ne me défile pas complètement. Je crois même que Blanca papillonne anormalement vite des cils, attendant ma réplique avec une expression qui passe de la taquinerie à une sorte de confusion. Et puisque cette réplique ne vient toujours pas, ses yeux s'écarquillent et sa fourchette reste en l'air.
Ce n'est pas pour autant que je confirme ses dires en sautillant comme un chihuahua. Je me contente juste de prendre une gorgée de mon café en la laissant dans le flou.
Merde, même si j'essaye de faire le fier, je suis presque sûr d'avoir les joues en feu.
Alors que je croyais qu'il n'avait pas du tout fait attention à ce bref échange – il est toujours très peu réactif aux remarques de nos amis sur nous –, je finis par sentir les doigts d'Haru crocheter les miens sous la table, à l'abri des regards.
Il me prend la main, le regard droit devant lui, entamant une discussion avec Jade et Ioane face à nous
Nous passons la matinée dans les potagers de Letty, la propriétaire des lieux. Elle nous montre comment tenir son jardin. A cause de son âge et certains soucis de santé, elle ne peut plus s'en occuper aussi régulièrement et les mauvaises herbes ont eu le temps d'envahir une grande partie des plantations.
La tâche se fait avec plus d'entrain aujourd'hui, même si certains d'entre nous grimaçons déjà en sachant que l'après-midi, nous serons de retour à notre ramassage de déchets sur les plages.
— Ça va avec Hyerin ?
Je sais que je ne pose pas souvent ce genre de questions à Matthew. Moi, je n'aime pas spécialement qu'on me pose des questions, et automatiquement j'ai projeté ma façon de penser à tout le monde. J'ai bien remarqué que Matthew ne fonctionnait pas comme moi, qu'au contraire, il aimerait bien qu'on lui demande comment il va, ce qu'il se passe dans sa vie.
C'est aussi le fait que je n'ai jamais été très à l'aise avec les confessions des autres, qui m'empêche de faire ce genre de chose.
Je n'ai pas envie de dire que la soirée d'hier avec Haru a changé ma vision de la vie, mais je me rends compte que je pourrais, moi aussi, essayer d'être présent. Un peu, en restant en accord avec moi-même.
Et Matthew lève les yeux, accroupi, les gants plongés dans la terre ramollie. Son sourcil se hausse. Il doit penser qu'une entité a pris possession de mon corps.
— Hum, se méfie-t-il. Mais encore ?
Il ne rend pas la chose facile.
— Heu... je sais pas, t'as des gens à qui parler quand y'a des problèmes entre vous ?
— Non... ?
Voilà, j'ai essayé. Ces discussions ne sont pas pour moi !
— T'as... des trucs que tu gardes pour toi ? je m'entête, sachant que je m'enfonce. Tu sais, ça fait du bien de se confier. Enfin, je te force à rien, c'est toi qui vois. Juste au cas où, j'suis peut-être pas doué pour donner des conseils, mais je sais écouter !
Je ne crois plus qu'il pense qu'un esprit a emprunté mon corps. Je crois qu'il se demande carrément si je n'ai pas bouffé l'engrais des radis.
— Tu vas bien, Reino ?
— Je vais très bien !
Je me renfrogne. C'est à ce point flagrant que ce n'est pas dans ma nature ?
— J'ai envie d'être un peu plus là pour toi, Matt.
C'est difficile pour moi d'exprimer à quel point j'apprécie quelqu'un. Matthew fait partie de ces personnes qui animent mon quotidien et pour qui j'ai fait une place, mais puisque je ne le connais pas depuis très longtemps, je n'aimerais pas qu'il croie le contraire à cause de mon côté pas très loquace.
Quelque chose dans son regard me montre que mes mots le touchent. Son expression s'adoucit.
— Je suis content que tu me dises ça.
— Ah oui ? m'étonné-je. Comment ça ?
— Je sais pas trop, j'ai vite eu envie qu'on soit potes. Et t'as ce quelque chose qui donne confiance, je crois que c'est pour ça que j'ai commencé à déballer ma vie alors qu'on se connaissait à peine.
Il fait une pause, avant de reprendre :
— Mais j'ai vu que parler de certaines choses, que ça soit sur ta vie ou celle des autres, ça pouvait rapidement te braquer. Je me suis dit que t'aimais pas les discussions trop sérieuses, et c'est pas grave du tout ! Y'a plein d'autres choses dont on peut parler.
Je retiens un rire. D'un ton exagérément solennel, je lui déclare :
— Je décide que tu peux venir te plaindre de temps en temps à moi. Ou me partager tes joies, ou tes doutes. Comme tu veux.
— Ça tombera pas dans l'oreille d'un sourd, faudra assumer !
Il jette un coup d'œil derrière lui.
— Si j'avais pas le cul dans des choux j'aurais tenté une roulade arrière. Tu sais, pour montrer que je suis content.
— Vous êtes bizarres les californiens.
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