Chapitre 28
28.
Comment je me suis retrouvé là ?
Une vague de protestations écume depuis les gradins, ces derniers fourmillant des deux côtés du gymnase, comme prêts à déverser une marée humaine sur nous. Les néons m'aveuglent presque, je mets une main en visière et plisse les yeux. Un courant d'air chaud passe dans mon dos et pourtant, j'ai des sueurs froides.
Le panier est validé pour l'équipe adverse et de notre côté de la foule, la huée est encore plus forte : l'élève qui a tenté son lancer avait clairement son pied sur la ligne et Haru regarde l'arbitre comme s'il avait passé sa formation dans un prêt à porter en faillite.
J'aurais fortement aimé me tenir aux côtés de Blanca, Ioane, Faisal et Jade et encourager les garçons représentant Allison. Ils prennent leur rôle à cœur, j'ai rarement vu Faisal aussi déchainé. J'aurais vraiment aimé me trouver une place dans ce groupe un peu plus en retrait des yeux de l'audimat.
Mais je suis sur le terrain, arborant les couleurs vertes et blanches de notre académie et cherchant anxieusement l'attention de la mascotte castor à trois mètres de moi.
Puis le match reprend.
Aussitôt, je sursaute et me cherche un coin pour prétendre être là sans déranger les gars. Sur le banc de touche, Matthew suit le déroulé avec le même maillot que nous, une brique de jus de pomme à la main et paille entre les lèvres. Et lui ? Pourquoi ce n'est pas lui qu'on a foutu sur le terrain !
J'ai l'impression que je vais entrer en combustion spontanée, ma tête carbure à trois-mille à l'heure et mes jambes me font mal à force de me porter d'un bout à l'autre du gymnase. Je suis sans cesse à l'affût du ballon pour éviter de me le prendre dans la face. À côté, Haru gère les lacunes dans la formation et contrairement à moi, il voltige de mètre en mètre comme s'il avait fait ça toute sa vie.
Parfois, quand il passe à côté de moi, il m'encourage d'un sourire, mais me fuit en riant quand je le fusille du regard.
Il me fait faire n'importe quoi.
Alors que je me contente de vivre ma vie et répondre présent pour faire respecter le nombre de joueurs réglementaire en action, un affreux frisson me parcourt et je tourne la tête vers Stillinson, qui fonce vers moi en dribblant.
— Reynold, à toi !
— JAMAIS DE LA VIE !
Heureusement, à la fin de cette journée éprouvante, nous avons gagné.
— Bon boulot les gars ! s'exclame le coach en pressant l'épaule d'Eisenhawer, celui-ci posant une glace sur sa cheville avec une moue embêtée.
— Désolé Reino, me dit ce dernier, ça t'a forcé à aller jouer.
— T'inquiète, je t'en veux pas.
Je veux le tuer.
Mais j'ai surtout envie d'étrangler Haru pour nous avoir persuadés, Matthew et moi, de remplacer les joueurs manquants sur le banc de touche à à peine trois jours du match avec les Platypus du lycée Linden Hall. Quand Eisenhawer s'est foulé la cheville avant la première mi-temps, j'ai su que j'allais mourir.
— T'as été incroyable sur le terrain Rei.
— La ferme.
Matthew camoufle son rire face à ma grimace. Sorti des vestiaires après une douche pour me purifier de ma rencontre avec l'enfer, je prends conscience que le basket ne sera jamais pour moi.
Il sort des sachets de biscuits de son sac et m'en propose, ce qui lui fait regagner des places dans mon estime.
Il ne fait pas encore nuit, mais il est plus de dix-neuf heures et les environs s'assombrissent. Certains prendront le bus pour rentrer chez eux. Nous entamons la dernière semaine d'octobre.
— Merci à vous deux pour le soutien émotionnel, nous glisse le coach avec un clin d'œil.
On fait genre il a trop la classe, sinon on ne partira jamais d'ici.
Haru est le dernier à nous rejoindre et est accueilli par une véritable standing ovation qui me surprend à peine. Tout le monde l'applaudit, je reste plus timidement dans mon coin à taper dans mes mains.
Après de dernières directives pendant lesquels je suis plutôt en train de papoter avec Matthew, nous nous retrouvons tous sur le parking extérieur du stade de rencontre. Blanca et Ioane nous y attendent. Saluant le reste de l'équipe, avec Matthew, nous nous extirpons de notre quart d'heure de gloire en tant qu'athlètes pour regagner le commun des mortels.
— Bravo les babies, roucoule Blanca en tentant de ne pas rire.
Je ne fais plus la gueule, mais mon embarras sur le terrain n'a échappé à personne.
Les premiers lampadaires s'allument, le ciel s'effile en dégradés bleus et violets.
— Faisal et Jade sont rentrés ? demande Matthew.
— Ouais, cours de soutien en algèbre pour l'un et Les Marseillais vs le reste du monde, pour l'autre, nous informe Ioane.
— Les quoi ? j'ai été perturbé par la bascule de langue.
Le français polynésien et celui de Paris ont une sonorité très différente l'une de l'autre. L'accent de Ioane rappelle la chaleur des tropiques, j'oublie parfois qu'il en a un tant son anglais est impeccable dans la vie de tous les jours. Il a déjà fait craquer bon nombre de filles sans s'en rendre compte, juste en disant : « Je peux ranger mes caleçons moi-même, m'man ! » au téléphone. C'est un enchaînement de « r » qui roulent et de tonalités chantantes. Son français est aussi plus lent que celui de Jade, pouvant lui donner un air paresseux.
— Une émission qu'elle qualifie de très éducative, rigole-t-il.
Ils commencent à reprendre le même débrief que le coach par rapport au match, en moins technique et pourtant tout aussi explosif. Nous n'avons jamais eu de tensions avec les équipes des autres lycées, mais j'ai quand même l'impression que les quelques triches qui ont été relevées pour cette rencontre compromettront les prochains entraînements communs – s'il y en a.
— Bon, ça vous dit un burger à Five Guys pour se remettre de nos émotions ?
— J'ai entendu Five Guys, résonne une voix dans mon dos.
Un bras passe autour de mes épaules et l'odeur du gel douche boisé d'Haru fait disjoncter ma matrice un quart de seconde.
On se met d'accord pour s'arrêter manger un bout sur le retour. Haru salue le reste de l'équipe d'un signe de la main. Je peux jurer que des regards se posent sur nous.
Arrivés à sa voiture, il s'éloigne pour ranger ses affaires dans son coffre. Matthew en profite pour se rapprocher de moi, et chuchoter :
—Tu sais Rei, ça commence à faire un petit moment.
— De quoi ?
— Que vous vous tournez autour et qu'il se passe rien.
Je manque de m'étouffer avec ma propre salive.
— Qu'est-ce que tu...
Mon premier réflexe serait de contredire Matthew, mais ma volonté se fane en milieu de phrase. Car me cacher est voué à l'échec, ça fait un moment qu'il se doute que Haru ne me rend plus indifférent. Je baisse les yeux et ouvre la portière.
— On peut ne pas parler de ça ?
— On peut, me rassure Matthew.
J'ai la trouille, voilà.
Comme pour le basket, je crois parfois que les relations ne sont justes pas faites pour moi.
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