« Ton histoire n'est pas originale. »

Il releva les yeux vers celle qui avait parlé, tranché le silence épais qui les ensuquait depuis deux minutes.

Un groupe de parole, sa vie, aucun dramatisme surjoué parce que lui-même déteste ça, et puis des gens plus sensibles que lui. Quoique, ça lui fait quand même quelque chose de se dévoiler à autant de gens qu'il ne connaît pas, même si lui il la connaît déjà sa vie, mieux, il la vit.

« On est tous là parce que notre vie c'est de la merde, pour info, reprit-elle en trouvant sans doute qu'elle ne s'était pas assez exprimée sur la question — qui n'existait pas, mais elle devait s'être mis en tête de gagner un débat dans les prochaines minutes. On a entendu de tout. Ta vie ne diffère pas de toutes celles qu'on connaît déjà. Tu n'apportes rien du tout à ce groupe sinon tes sapes de merde. »

On lui avait toujours dit de ne pas rebondir sur les imbéciles — autant ne pas les abimer plus qu'ils ne l'étaient déjà — alors il n'ouvrit pas la bouche, laissant cette fille habillée d'une manière vulgaire et machouillant un chewing-gum d'autant plus malvenu s'exprimer.

« Je te crois pas du tout en plus, tu t'es cru dans un roman ? L'invectiva-t-elle en exposant son morceau de plastique gluant luisant à la lumière des néons d'un mouvement de langue particulièrement peu ragoûtant. Personne n'a plus de famille parce qu'ils ont tous disparu mystérieusement au même moment, ce ''coup du hasard'' — ses doigts crochus prolongés de faux ongles pailletés formaient les guillemets à la perfection — se ponctuant par des tentatives d'assassinat, de viol ou tout ce que tu veux. C'est pas ça ta vie. Tu essaies juste de paraître plus malheureux que nous mais en gardant une part de mystère parce que, fais pas genre, mais ton visage est resté impassible du début à la fin, hein. Qui raconte une histoire comme ça ? Si tu l'inventes, fais au moins l'effort de la raconter proprement ! »

Il ne détacha pas son regard du sien, attendant la suite. Cette fille devait décidément avoir des punchlines à lâcher, pour sa santé.

« Et, cette tactique de raconter les moments difficiles et dégueulasses bieeeeennn lentement, c'est quoi ? Parce que perso la taille du poireau du gars ou ce qui te passait dans la tête à ce moment je m'en fous. On doit parler ici pour se libérer, pas pour se dire qu'on a la plus grosse histoire plombante du monde et que c'est bon, on a gagné un prix. Ça marche pas comme ça.

— Donc tu n'aimes pas mon histoire, répondit enfin le jeune homme, sa prise en charge du problème se ressentant comme un soulagement chez les autres anonymes du groupe.

— Elle est à chier, acquiesça le fille en croisant les bras, ravie d'avoir réussi à le dégeler — techniquement il était sorti de sa torpeur, mais au fond il l'avait fait parce que cette fille allait bientôt se répéter dans ses propos et qu'il ne voulait pas qu'elle se prenne un vent abyssal en plus de la honte de l'avoir ouverte mais de devoir la refermer parce qu'elle n'aurait plus d'arguments. Pas réelle du tout, nulle, n'a rien à faire là. Pas originale. »

Elle eut un air fier tout bonnement rebutant, tandis que lui la dévisageait d'un air sévère.

« Une histoire reste une histoire. Je la vis tous les jours, j'espère pour toi que la tienne est meilleure si la mienne ne te plaît pas, mais tu n'as pas le droit de la dénigrer.

— Que veux-tu ? Tu n'as pas à être ici avec ton histoire de merde. Les nôtres sont pires, alors ça ne nous soulagera pas que tu nous dises la tienne, qui est inventée en plus. Trouve-t-en une plus intéressante et plus originale que ça, et puis reviens. »

Il la prit au mot et se leva, sous les gestes désespérés du chef du groupe, qui s'excusait pour elle parce qu'elle était difficile et qu'elle n'aimait pas les nouveaux, qu'il ne fallait pas y faire attention.

« Une histoire n'a pas besoin d'être originale, pour être triste, dit-il seulement en s'éloignant les mains dans les poches. »

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