Si je suis triste ?

On est censé le savoir, au fond. Si on est triste ou pas. C'est censé changer de l'habitude, de ce qu'on m'a dit, et moi je vous ai dit que je me sens comme d'habitude, alors pourquoi vous me demandez si je le suis ?

Je ne pense pas l'être. Quoique. C'est quand même bien étrange tout ça.

Pardon ? Mes cernes ?

Mes cernes je les ai parce que je travaille tard le soir, pour payer mon repas de la journée. Oui, mon repas. Pourquoi en prendre trois si je vis bien avec un seul ?

Mes yeux ternes je les ai parce que je suis un peu ennuyée en ce moment, je devrais me trouver une activité peut-être. Bah, au pire ça va sans. Si si, arrêtez de protester. Je vais bien.

Mon bonnet je le porte toujours pour cacher mes cheveux, j'oublie de me coiffer le matin. C'est pratique pour y cacher mes écouteurs aussi, j'aime bien la musique. Vous aimez bien la musique, vous ? Quoi ? Quel genre de musique ? Des chansons en mineur, c'est joli à l'oreille. Beaucoup de musique classique, oui. C'est joli.

Ma posture courbée ? Laissez-moi être fatiguée, non ? Ça fait six jours que j'enchaîne les insomnies, mais ça va bien finir par passer. Et au fond, les gens viennent moins me voir quand je me tiens comme ça alors c'est bien pratique.

Comment ça, pourquoi ? Vous n'avez jamais eu envie de rester seul, vous ? Vous êtes bizarre. Pour quoi faire ? Mais penser, bien sûr. Vous me prenez pour une imbécile ? Je ne reste pas toute seule pour la gloire que ça m'apporte, et pas non plus pour fixer les murs sans rien faire.

Vous êtes vraiment impoli. Non, je n'ai pas besoin d'ouvrir les yeux s'il n'y a rien à voir.

Pourquoi vous mettez ma solitude sur la table ? Qu'est-ce que ça peut vous faire si je ressens le besoin d'être seule de temps en temps ? Oh, chacun son 'temps en temps' vous savez. Le mien est d'environ six heures par jour.

Vous commencez à m'énerver avec vos questions indiscrètes. Non, je ne suis pas triste, je vais très bien, et je veux sortir d'ici.

MAIS BIEN SÛR QUE NON IL N'Y A PAS D'ÉVÉNEMENT CHOQUANT- MAIS PARCE QUE JE VAIS BIEN, JE ME TUE À VOUS LE DIRE MAIS VOUS NE M'ÉCOUTEZ PAS ! VOUS VOULEZ ENTENDRE DES CHOSES SPÉCIFIQUES POUR M'ENREGISTRER DANS VOS PETITS PAPIERS QUE VOUS N'ARRÊTEZ PAS DE REMUER ET ME CLASSER DANS DES LISTES BIZARRES SUR DES ÉTUDES À PROPOS DE JE-NE-SAIS-QUOI-

Hein ?

Si je crois en ce que je dis ?

Vous me prenez pour une conne je crois. Ou bien vous êtes vraiment culotté, avec votre blouse trop blanche et vos lunettes moches.

Du déni ?

Non, un avis comme un autre.

Arrêtez. Je suis heureuse.

Vous ne pouvez pas me dire ça.

Je vais appeler la police. C'est méchant ce que vous dites.

Stop, s'il vous plaît.

Monsieur. Je ne me sens pas bien.

"Tu as trouvé quelque chose ?"

Il releva la tête d'un coup, surpris. Ses yeux s'étaient perdus dans les lignes de son cahier un court instant.

"Je crois, oui, répondit-il en saisissant son stylo pour commencer à rédiger. Tu aurais quand même pu prendre un thème plus joyeux que 'seul', lui reprocha-t-il ensuite en relevant les yeux vers lui.

— C'est complètement neutre, protesta l'autre en levant les mains. Pas de ma faute si tu penses à des choses tristes. T'as pas l'esprit mal tourné toi, t'as l'esprit malheureux.

— C'est un avis intéressant, marmonna le jeune homme en commençant à écrire."

Réaction de la première lecture :

Ce que tu penses avoir compris :

QUESTION BONUS :
Comment s'appelle ce jeune homme ?