On me dit souvent que j'ai peur des gens.

Ce n'est pas vrai. Je n'ai pas 'peur des gens'. C'est un peu plus profond que ça.

J'ai peur, oui, comme tout un chacun je pense. Mais pas de la foule, de la mer, des incendies, des profondeurs, des insectes et petits animaux, ni grands animaux tout court, j'ai pas le vertige ni peur des déserts ou des araignées, je vis bien dans le noir et je souris en pensant à ceux qui crient devant les films d'horreur ou les clowns.

Vraiment, je suis normal. Et pourtant, j'ai peur de quelque chose — et ça prend tellement de place.

Je ressens une angoisse incroyable quand quelqu'un se met en colère. Perd tout contrôle de lui-même, s'emporte. Se met à faire des gestes brusques, non contrôlés. Quand des gens se disputent, qu'il y a un désaccord et que le ton monte. Quand un handicapé perd la raison, fait une crise de panique ou que sais-je.

Et là vient la nuance.

Je n'ai pas peur des gros bruits. Vraiment, je n'ai pas peur des feux d'artifices, des coups de feu, des screameurs dans les films, des assiettes qui s'écrasent par terre.

Moi, j'ai peur des hurlements, des haussements de ton, de la main qui s'abat sur la table, mais pas du bruit que ça engendre nécessairement. Plutôt de l'intention qu'il y a derrière, de l'énervement qui perce et de la colère qui s'approche. J'ai peur de la signification du geste, de la défense que ça instaure dans tout mon corps, de ma respiration qui passe en mode survie, calme et très silencieuse.

C'est ça qui me fait peur. Pas la mort, mais ce que la colère et le manque de contrôle peuvent me faire.

Et je trouve ça pire que d'avoir peur des gros poissons ou des trous. Non pas qu'une peur vale mieux qu'une autre.

Mais, ta peur des fruits de mer, tu peux la soigner ou l'apaiser, en allant aux côtés de ce qui te fait peur et en constatant qu'en fait, ta peur est irrationnelle et ne mérite pas une si grande ampleur que celle que tu lui as donnée. La peur de la colère, des gestes brusques et des gens qui s'engueulent ? Je pense que c'est plus profond. Et en même temps, je me sens toujours si con.

Quand mon frère frappe un mur et hurle qu'il en a marre — parce qu'il est susceptible, tout simplement, et que sa vie n'est pas facile —, j'ai peur qu'il vienne me frapper, alors que je n'ai rien fait.

Quand mes parents se disputent et que je les entends malgré les étages, les murs, les portes et la musique, mon corps m'est inconfortable.

Quand mon ami autiste veut tout casser autour de lui, souffle fort et me regarde, mon être se raidit.

Quand une personne chère à mon cœur qui ne s'énerve jamais — sans doute pour ça qu'elle est chère à mon cœur tiens — montre de l'agacement, parle d'une manière plus tendue dans sa gorge et fronce les sourcils, je veux m'excuser pour qu'elle retrouve son calme et ne me fasse rien, alors qu'en soi je suis la seule personne qui n'a rien à se reprocher.

Je ne suis pas un enfant battu. Je n'ai pas connu de violences physiques. Et pourtant je les ressens à chaque fois.

Je suis peut-être poltron ; peut-être que quelque part j'ai de la chance de ne pas connaître ces transports d'énervement qui amènent à la colère...

Je n'aime pas ça. C'est tout.

Réaction de la première lecture :

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