• Empty ocean •
Tu ne me connais pas, moi non plus. Enchanté.
Je ne sais même pas pourquoi j'écris ça. Peut-être que j'ai envie de dire ce que j'ai sur le cœur, ou que je m'ennuie juste. Je ne sais pas. Je n'ai jamais su. Mon papier est jauni, mon crayon est mal taillé, cette idée d'écrire était merdique. J'en ai déjà marre putain.
Il releva les yeux de la feuille qu'il avait trouvée par terre quand un claquement de porte lointain le fit sursauter. Il vérifia rapidement que personne ne l'observait dans ce hall sombre qu'avait son immeuble, puis reprit sa lecture.
Et je viens de me rendre compte qu'en plus d'en avoir marre, je parle pour ne rien dire depuis une demi-heure. Et qu'une demi-heure c'est super long quand on a écrit deux pauvres lignes. Mais qu'est-ce que j'en ai marre. À la base on m'a dit d'écrire une histoire sur un petit personnage mignon, que j'ai décidé d'appeler Flipper le dauphin (chacun ses choix dans la vie) sauf qu'il a fini par se suicider, vous voyez. Je ne suis pas assez bon pour écrire des histoires j'imagine. Et je ne parle pas de mon couple lol. C'est elle qui m'a trompé, c'est pas moi. J'ai essayé de l'écrire notre histoire, disons juste qu'il n'y avait plus d'encre de son côté de la feuille. Non mais regardez-moi ça : nul en histoires et en métaphores. Saurai-je un jour faire quelque chose de ma vie ?
Nouveau claquement de portes, nouveau sursaut, nouveau regard circulaire pour s'assurer qu'il était seul.
Alors j'ai décidé d'écrire une lettre, je crois que c'en est une, et de la laisser dans un immeuble au hasard en me disant qu'au moins une personne aurait conscience de mon existence. Quand j'y repense c'était pas une si bonne idée que ça. Bah, de toute façon je doute d'arriver à ressusciter Flipper, alors je continue à écrire ça. Plus j'y pense plus je me dis que j'aimerais rencontrer la personne qui lira ça, sauf que si je prends le risque de donner mon numéro, on me redirigera chez un psy et j'en ai déjà un, ou alors on me fera interner (mon psy m'a dit qu'il n'y a pas besoin mais je conserve des doutes), ou alors j'attendrai tous les jours de recevoir un message qui n'arrivera jamais parce que j'aurai déposé cette feuille un jour de ménage et qu'elle ira à la poubelle. Mais en même temps, j'ai bien envie de rencontrer la personne qui lira ça. Quel dilemme. Balek je mets mon adresse au dos, en espérant que le crayon de papier soit lisible. J'ai plus de stylo chez moi. En espérant aussi que je ne vous aurai pas fait fuir.
Il arriva à la fin de sa lecture et retourna la feuille, son dos comportant en effet l'adresse d'un immeuble pas loin.
Lui aussi se retrouvait confronté à un dilemme, à présent. Il avait envie de répondre. Un flot d'arguments pesant le pour et le contre parcourut sa pensée, mais il fut coupé par le bruit nasillard de la porte d'entrée de l'immeuble qui s'ouvrait, laissant passer une voisine — qu'il ne salua pas — et également la silhouette d'un jeune homme qu'il ne connaissait pas, essoufflé, qui baladait ses yeux activement sur le sol dès le moment où il fut dans le hall, comme s'il cherchait quelque chose.
Par un stupide réflexe, le lecteur de la lettre avait plaqué celle-ci sur son torse en le voyant entrer, et se sentit bien bête quand le regard de l'inconnu s'arrêta dessus, paniqué. Il planta son regard dans le sien avec une inquiétude palpable, sa question se lisant presque dans ses yeux tant ils étaient clairs. Le lecteur n'eut d'autre choix que de hocher la tête, et l'inconnu baissa la sienne.
Trouve quelque chose, vite, s'écria le lecteur en pensée en voyant que l'auteur, vraisemblablement, de la lettre, reculait d'un pas.
« Pourquoi Flipper s'est suicidé ? Demanda-t-il précipitamment, l'inconnu s'arrêtant net dans l'esquisse d'un second pas vers l'arrière. »
Il se serait mis des gifles. Quelle preuve plus flagrante que celle-ci pour indiquer qu'il avait tout lu ?
L'auteur releva lentement la tête, ses yeux passant du visage paniqué du lecteur à la feuille froisée, écrasée entre ses doigts crispés, plaquée sur sa poitrine.
« Il s'est noyé dans l'océan, murmura l'inconnu en se tassant sur lui-même.
— Moi je pense que tu peux le faire revivre, lança le lecteur pour continuer cette conversation, qui avait l'air de vouloir se suicider tout seule. Il faut juste... vouloir faire vivre l'histoire. Pour qu'elle ait une belle fin.
— L'histoire n'a pas envie de vivre, prononça l'auteur d'une voix sourde en faisant un nouveau pas vers l'arrière. »
Trouve autre chose, se lamenta le lecteur en remarquant que l'auteur était très proche de la porte.
« Qu'est-ce qui a poussé Flipper à se laisser noyer ? Le relança doucement le lecteur. Puisqu'il pouvait remonter pour respirer.
— Ça ne servait à rien de le faire vivre s'il n'avait personne à qui parler, murmura l'auteur en tordant ses mains, le regard fuyant. L'océan était complètement vide.
— Et si tu créais les autres poissons alors ? Lui proposa le lecteur en faisant un pas en avant, avenant. S'il se trouvait un ami ? Il aurait envie de vivre encore.
— Sauf que Flipper est déjà mort, chuchota l'auteur en tendant une main vers l'arrière dans une vaine tentative d'attraper la barre verticale de la porte.
— Je pense honnêtement qu'un poisson peut arriver d'un coup et lui faire un massage cardiaque, développa le lecteur en imaginant une scène comique incluant une étoile de mer en plein massage cardiaque sur un dauphin. Et ils deviendraient amis. Et ce serait une happy end.
— Je n'ai pas assez d'imagination pour écrire ce personnage et cette fin, se lamenta l'auteur, les larmes aux yeux. Je suis mauvais à ça.
— Mais moi je peux l'écrire à ta place, murmura le lecteur en arrivant face à l'auteur immobile. Et ils seraient amis. Et Flipper ne mourrait pas, et il y aurait une si belle fin pour remplir l'océan. »
Et l'auteur pleura.
Réaction de la première lecture :
Ce que tu penses avoir compris :
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