« Elle a l'air bonne, lança une voix de jeune garçon dans le vent, par-dessus la balustrade qui lui arrivait au niveau des épaules, le forçant à monter sur le parapet en métal glissant pour apercevoir l'eau en contrebas.

— Non, rétorqua une autre voix, plus mature et ennuyée, appartenant à un ado penché sur son téléphone, jetant un bref regard aux remous légers sous eux à leur mention. Elle doit être froide en cette saison.

— Tu crois que je touche le fond si je saute ? Réessaya le plus jeune en se démenant pour se grandir et voir au-delà de la barrière.

— Nan, t'es trop petit, répondit l'autre en jetant un nouveau coup d'œil aux vaguelettes. En plus elle est en crue là, c'est la noyade si t'y tiens vraiment. »

Un silence passa.

« C'est cool de se noyader ?

— ...On dit que c'est pas ouf.

— ...Ah. Tu n'as jamais essayé toi ? »

L'ado releva un regard indéchiffrable sur le jeune garçon, qui avait l'air enthousiasmé par ce sujet de conversation.

« Flemme, lâcha-t-il enfin. Et puis, ça craint un peu vu que dessous il n'y a ni canapé ni lit ni goûter.

— Mais c'est trop nul ! S'exclama le plus petit en passant ses coudes sur le rebord de la barrière dans une énième vaine tentative de voir plus de surface de la rivière, gonflée d'un marron clair sale. Ils vont où les noyadés alors ?

— Ils partent dans les abysses, soupira L'ado, laconique, ne pouvant se concentrer sur le message qu'il écrivait. C'est loin et froid et super méga trop pourri, les poissons font super peur et on voit rien du tout. Le soleil il a même pas envie de s'y noyader tellement c'est nul.

— Trop trop nul, soupira le jeune garçon à son tour, mais pas pour la même raison. Tu m'y emmèneras un jour ? Avec la lumière de ton téléphone.

— ...Flemme. Et puis c'est pas propre là-bas.

— Pourquoi ? Les noyadés ils nettoyent pas ? Interrogea le jeune garçon en fronçant les sourcils, faisant se lever ceux de L'ado qui se demandait dans quoi il avait mis les pieds.

— Non, ils sont de plus en plus nombreux là-dessous, et il n'y a pas de douches alors ils puent tous, et comme il n'y a pas de toilettes non plus ils font par terre, bricola-t-il en feignant d'être toujours sur son écran mais réfléchissant à toute vitesse pour trouver une issue à ce bourbier dans lequel il s'avançait.

— Mais ils peuvent pas être sales, ils sont dans l'eau ! Rigola franchement le jeune garçon en manquant de se casser la figure, glissant un peu sur la barre en métal de la barrière.

— Parce que là l'eau elle a l'air propre ? Se moqua L'ado en montrant la rivière pleine de boue à cause des crues.

— Je vois pas je suis trop piti, marmonna le jeune garçon en fixant ses pieds, ses joues rougissant de honte. »

L'ado soupira et tendit ses bras.

« Monte, souffla-t-il, clairement ennuyé, mais jubilant au fond de pouvoir porter une petite tête sur pattes. »

Le jeune garçon ne se fit pas prier et s'approcha du grand, plaçant ses jambes autour de sa taille une fois plus en hauteur.

« C'est vrai qu'elle est sale, acquiesça-t-il en constatant ce fait incontestable. Alors on ira jamais dans les zabisses ?

— Non. »

Un autre silence passa.

« Mais si c'est tout sale pourquoi les gens ils sautent quand même ? Reprit le petit en ne voulant pas taire le sujet, ne se rendant pas compte de l'ambiguïté de la conversation.

— C'est qui les gens ? Rétorqua L'ado, vaguement intrigué de l'insistance de son cadet.

— Mais tu sais, ceux qui sautent !

— Qui ?

—Mais ceux comme le grand-frère de mon copain ! Je te l'avais dit en plus ! »

On y est, se dit L'ado en regardant davantage le plus jeune.

« Tu sais pourquoi il veut sauter, le grand-frère de ton copain ?

— Non, il m'a dit qu'il est triste mais c'est tout.

— C'est parce qu'il est triste qu'il veut sauter, lui révéla le plus grand, ce qui fit se froncer les sourcils du jeune garçon.

— Mais ça vaut pas le coup ! Dit-il avec un aplomb qui aurait pu dire à un arbre de se déplanter et de se jeter dans la mer. C'est trop nul d'être triste mais c'est encore plus trop nul de sauter dans l'eau pas propre et froide et trop nulle !

— Ça c'est ce que les gens ils ne voient pas parce qu'il veulent trop sauter, mais tu pourras leur dire, qu'il ne faut pas le faire, si tu veux.

— Et toi non ?

— Quoi moi non ?

— Tu ne vas pas leur dire avec moi ? »

L'ado réfléchit. Les yeux déterminés du plus jeune auraient fait se résorber tous les doutes présents dans l'âme du grand-frère de son copain, mais lui-même ne pouvait pas se risquer à faire la même chose ; il ne voulait pas se prendre une déferlante de colère et de hargne par des inconnus malheureux.

« Les gens n'aiment pas quand on leur dit qu'ils vont mal, mais ça passe mieux si c'est quelqu'un de tout petit qui le fait, lâcha-t-il finalement au plus jeune, qui sourit un peu.

— Je suis pas si tout petit que ça, ronchonna-t-il en mettant son petit menton dans le cou de son aîné.

— Si, sinon je ne devrais pas te porter pour que tu puisses voir une rivière trop nulle et trop sale, contredit L'ado en le reposant par terre. Allez viens, on rentre. »

Réaction de la première lecture :

Ce que tu penses avoir compris :

QUESTION BONUS :
Que choisirais-tu de dire à un suicidaire qui ferait une tentative en face de toi ?