« Tu sais qu'on dit que c'est une libération pour eux ? Être enfin considéré comme ils veulent l'être, pouvoir se comporter normalement dans les rues, sans être jugés, sans avoir à se soucier de quoi que ce soit comme conséquences, parce que c'est juste normal et que ceux qui leur interdisaient d'être eux-mêmes étaient juste des gros connards arriérés et incapables d'ouverture d'esprit. Je ne comprends même pas pourquoi on veut les empêcher d'être comme ils veulent être en plus, c'est complètement con. »

Elle cligna des yeux dans le vide, subissant ce discours qui lui faisait mal au cœur. Elle n'avait rien contre... contre... comment tous les réunir en une seule appellation ? Elle ne pouvait même pas tenter de le faire dans sa tête, car elle se flagellerait elle-même de l'avoir fait, faute à tous ces reproches que ses indélicatesses maladroites à leur égard lui apportaient.

En tout cas, elle n'avait rien contre eux. Qui les autres ont dans leur lit, qui ils choisissent d'embrasser, elle s'en fout.

Mais. Tous ces débats sans intérêt autre que prouver haut et fort qu'on est le seul à avoir un avis, toutes ces paroles, tous ces discours sur ce sujet, elle les vomissait, elle n'en pouvait plus. La fatigue qui la prenait à chaque fois que ça recommençait, c'était spectaculaire.

Le seul problème, en fait, ce n'était pas elle, elle ne voulait aucun conflit, vraiment, elle voulait que les gens tombent amoureux et qu'ils arrêtent de se taper dessus. Non, le problème, c'était l'incohérence globale. Celle qu'elle voyait en tout cas.

Ils disent qu'ils ne faut rien genrer, qu'au fond nous sommes tous homme et femme, qu'on choisit d'être ce qu'on est.

Rien que là, cette simple phrase, elle y voyait trois incohérences. Et c'était le discours le plus basique qu'on pouvait entendre dans ce milieu.

S'ils disent qu'il ne faut rien genrer, alors pourquoi tiennent-ils tellement à se loger dans des petites cases selon leur orientation sexuelle, leur manière d'agir ou de penser ? Eux qui se genrifient à l'extrême, qu'ils réfléchissent.

Pourquoi disent-ils qu'on est homme et femme ? Un homme a une bite, une femme a une chatte, l'un n'enfante pas et l'autre si, et les seuls rarissimes qui peuvent faire les deux le sont naturellement — surtout que dans la plupart des cas, l'un des deux systèmes reproductifs ne fonctionne pas et on favorise l'autre. Les pensées ne sont pas attribuées à l'homme ou à la femme, on pense comme on pense, point.

Pourquoi choisir d'être quelque chose ? C'est se donner tellement de peine ! On est quelque chose à la base, et non personne ne nous dit de l'être, puisque c'est en nous ! Ceux qui choisissent comme dans un catalogue, sont-ils vraiment honnêtes ?

« Et toi, qu'est-ce que tu en penses ? »

Elle leva la tête. Le gourou du groupe lui avait parlé, et elle paniqua de ne pas savoir quoi lui repondre. Les mots, les idéologies, les religions, les critiques lui revinrent en tête et se bousculèrent sur ses lèvres, elle ne livra qu'un bégayement flou et stupide.

De honte, elle baissa la tête à nouveau.

« Arrête, tu vois bien qu'elle veut pas être embêtée, râla un des adeptes en tapant gentiment l'épaule du gourou. Elle écoute, c'est tout. »

Le gourou grommela mais ne s'occupa pas plus d'elle, qui était repartie dans sa tête.

Le fait qu'elle doute à ce point sur ces discours provenait en partie de sa religion, et son éducation, qui étaient étroitement liées. De toute façon, on lui demandait d'aimer son prochain comme elle-même, alors ça rejoignait très bien son envie de paix dans le monde et entre les gens, qui qu'ils aient envie d'embrasser. Par contre, elle se demandait pourquoi son entourage ne comportait pas de gens comme ça. Un peu différents même si les concernés faisaient tout pour dire l'inverse.

Que Jeremy ait envie d'avoir les cheveux longs avec des couettes, des boucles d'oreilles girly, de mettre des vêtements colorés et de faire du baby-sitting ? Pas de problème. Jeremy sera juste un peu atypique. Mais que Jeremy veuille se faire greffer un vagin, s'habille comme une fille de joie parce que c'est son style et critique quiconque lui passe devant parce que c'est un rebellé contre la société de merde dans laquelle il vit ? Je suis désolée Jeremy, mais moi j'accepte pas ça.

Mais elle s'égare. Excusez-la, elle a tendance à divaguer quand ce sujet tombe sur la table.

Sa grande question, c'était pourquoi seuls les jeunes faisaient ça. Elle avait grandi dans un milieu où ça n'existait pas, et n'en avait pratiquement pas entendu parler avant le lycée. Et elle avait réfléchi, de fait. Au pourquoi les jeunes se posent autant de question là où les adultes ne le font pas, pourquoi on invente des nouveaux mots, pourquoi on rebaptise des états, pourquoi on s'insurge quand un livre d'époque est maintenant vu comme réducteur envers certains.

C'est parce que les jeunes ont peur. Mais je ne saurais pas dire contre quoi.

Quand quelqu'un est obèse, on lui dit de s'aimer comme il est, qu'il est beau et parfait et qu'il n'a pas besoin de changer.

Faux, tellement faux. S'il ne change pas, c'est par peur personnelle, par manque de temps, par flemme, mais certainement pas par choix de vie. Il finira perclu de maladies en tous genres chiantes et difficiles à enlever, il lui est déjà difficile de vous côtoyer tous sans se juger lui-même de grosse vache. Ne l'encouragez pas dans sa connerie, vous tous aussi aveuglés par vos bêtises les uns que les autres, faites-lui ouvrir les yeux et dites les bons mots, soutenez autant que possible. Et je ne pense pas qu'aux personnes obèses.

Réaction de la première lecture :

Ce que tu penses avoir compris :

QUESTION BONUS :
Ces combats sont l'une des choses qui me fatiguent le plus sur la terre.