
One shot - Coup de folie
- Et enfin, voici ce que nous appelons le salon bleu, dit l'employé de l'agence immobilière en pénétrant dans une grande pièce très lumineuse dont les murs étaient peints en bleu azur. C'est ainsi que se termine la visite de la maison. Qu'en pensez-vous à première vue, Monsieur Loumis ? Et vous Madame Loumis ?
Brice jeta un coup d'œil circulaire à la pièce. Ce qu'il avait vu précédemment lui suffisait amplement pour se faire son idée : il s'agissait assurément d'une superbe maison et, à ce prix-là, cela semblait un peu inespéré...
D'autant qu'il s'agissait exactement de ce qu'ils recherchaient : une construction de conception ancienne, robuste, inspirant confiance.
Et si l'on devinait que celle-ci avait bien évidemment dû être restaurée, cela l'avait été dans le visible souci de lui conserver son cachet exceptionnel.
- Elle est effectivement à la hauteur de ce que vous m'aviez dit : de vastes pièces, décorées avec bon goût, un état général irréprochable, située dans un bel environnement. Des prestations de qualité, c'est indéniable...Qu'en dis-tu Anna ? demanda-t-il.
- Il faudrait être difficile. Effectivement, elle a tout pour plaire. Pour y vivre à deux, c'est bien sûr trop vaste, mais s'il arrive des enfants, dit-elle en regardant Brice avec un sourire, ce sera parfait... J'aimerais bien cependant que nous revenions la visiter une autre fois, il faut se laisser le temps.
- Bien sûr, prenez tout votre temps, dit l'agent immobilier, je ne vous demande pas une réponse dans la minute !
- Surtout qu'elle est en vente depuis un bon moment, sauf erreur de ma part, dit aussitôt Brice en regardant l'homme par en dessous.
Celui-ci parut un peu gêné et finit par dire :
- Oui, c'est exact. Mais vous avez vu le prix actuel... De plus, si vous êtes intéressés, je suis prêt à descendre encore un peu plus bas, dans les limites du raisonnable bien sûr.
Brice réfléchit un instant, jeta un regard à Anna et dit :
- Ecoutez, jouons franc jeu. Quel est le problème avec cette maison ? Il s'agit d'une bonne construction en pierre très ancienne, elle est bien placée, très bien agencée, vous la proposez à un prix nettement en dessous de la valeur constatée pour ce type de bien et malgré tout elle ne se vend pas. Et voilà qu'en plus, vous me proposez de la baisser encore... Je veux dire : où est le piège ? Des nuisances aux alentours ?
Nouveau silence gêné.
- Vous n'êtes pas au courant ? demanda l'agent.
- Mais au courant de quoi ?
- Concernant l'ancien propriétaire...
- Oui, eh bien ?
Il y eut un nouveau blanc. Il n'était décidément pas facile d'obtenir des réponses spontanées de la part de ce type. Il semblait peser chacune de ses pensées plusieurs fois dans son esprit avant de parler.
Tout à coup, il dit d'un seul trait :
- D'après l'enquête de police, l'ancien propriétaire a tué sa femme et ses deux jeunes enfants de 9 et 10 ans ici avant de se donner la mort. Il a même tué le chien de la famille, un caniche. C'était un tel carnage qu'il a fallu faire nettoyer et repeindre toutes les pièces dans lesquelles cela s'est passé. Il y avait du sang partout : il les a tous tués avec un grand couteau de boucher et s'est ensuite tranché la gorge avec ce même couteau. Cette affaire a fait le tour de la ville et de la région. C'est la raison pour laquelle nous n'arrivons pas à vendre la maison, les gens sont superstitieux ou je ne sais quoi. Bref, telles sont les choses...
Brice et Anna se regardèrent.
- Mais, demanda Anna qui avait blêmi, ça s'est passé où ? Dans ces pièces ?
- Oui, dans la cuisine, le living et l'une des chambres. Mais je vous le répète, tout a été nettoyé, repeint, refait à neuf.
- Sait-on pourquoi il a fait cela ? demanda Brice. C'est arrivé quand ?
- Il y a un peu plus de 6 mois. Et pour votre première question, non, l'enquête n'a mis en évidence aucune raison rationnelle. On a collé cela sur le compte d'un coup de folie inexpliqué. Que voulez-vous penser d'autre ? Ces gens-là ne semblaient avoir aucun problème d'argent ni rien, une famille sans histoires. Je suis surpris que vous n'ayez pas su. Excusez-moi, j'ai cru que vous visitiez la maison en toute connaissance de cause.
- Non, nous n'étions pas ici auparavant, nous sommes arrivés de la région parisienne il y a peu, dit Anna.
- Raisons professionnelles, je suppose, dit le vendeur.
- Exactement, lui dit Brice. Je suis magistrat, j'ai eu une opportunité professionnelle qui ne se refuse pas, ce qui a entraîné notre déménagement un peu précipité. Du coup, pour faire la jonction, nous avons pris un appartement en location ici en attendant d'acheter une maison.
Ils allaient repartir. Il fallait réfléchir, en parler. Ce n'était tout de même pas banal, cette histoire sanglante.
Avant qu'ils ne sortent, l'agent immobilier ouvrit sa mallette puis, sans un mot, en sortit un papier où il inscrivit un chiffre : une nouvelle proposition financière qu'il glissa à Brice.
- Prenez votre temps, Monsieur Loumis, parlez-en tranquillement avec Madame. Mais, si je puis me permettre, considérez bien ma proposition : à ce prix, il s'agit d'une véritable affaire, vous ne trouverez rien d'équivalent ni même d'approchant. Vous avez sans doute remarqué que dans cette rue, il y a finalement peu de constructions et que parmi celles-ci, seules cette maison et celle du voisin de gauche, outre leur grande dimension, sont de cette qualité de conception ancienne : du beau et costaud.
Il fut convenu que Brice rappellerait l'agent immobilier en fin de semaine suivante, quoi qu'ils décident.
Ils prirent congé.
A peine dans la voiture, la conversation s'engagea sur cette maison.
Ils en avaient visité déjà plusieurs, mais force était de reconnaître qu'aucune ne pouvait se comparer à celle-ci. Elle était située dans une rue calme, à environ 10 minutes du centre ville ; il y avait une très grande cuisine, un living immense, quatre chambres, deux salles de bain et sanitaires, un sous-sol, une belle grande cave, du terrain arboré...
Quant au dernier prix, celui qu'avant de partir l'homme lui avait griffonné sur le papier, Brice avait l'impression qu'il représentait la moitié de la vraie valeur !
Tout cela était bien tentant.
A condition bien sûr de ne pas penser à l'horreur dont ces lieux avaient été le théâtre.
- Maintenant qu'il nous a raconté ce qu'il s'est passé, je ne pourrai jamais m'empêcher de m'imaginer ce type poignardant sa femme et ses deux gosses avec son gros couteau, dit Anna. Et lui s'ouvrant la gorge ensuite, au milieu de ce massacre ! Où a-t-il fait ça ? Le sang a dû gicler partout ! Tu crois qu'il les a tués dans leur sommeil ou qu'il les a poursuivis dans toute la maison ?
- Anna ! Il nous faut rester rationnels dans cette histoire : il y a sans aucun doute des milliers d'endroits dans ta vie où des meurtres ont été commis, et cela ne t'empêche pas d'y passer, d'y manger, d'y vivre peut-être. Tiens, si ça se trouve, il y a quelques années, il s'est produit quelque chose d'affreux dans l'appartement que nous louons actuellement, et pourtant tu y habites. S'il fallait éradiquer tous les endroits où se sont perpétrés des crimes, on raserait tout, à commencer par Paris : à la Saint Barthélemy, on y a tué des dizaines de milliers de gens dans toutes les rues. Et pendant les massacres de septembre de la révolution, pareil ! Sans compter la guillotine dressée place de la Révolution, devenue aujourd'hui place de la Concorde, qui tranchait des têtes toute la journée : est-ce qu'à cause de cela tu fais un détour avec ta voiture pour ne pas passer à cet endroit ?
- Ce n'est pas pareil. Et puis ce n'était pas l'an dernier, 6 mois en arrière.
- Bah, excuse-moi, mais je ne vois guère de différence. Il faut oublier cet affreux fait divers, c'est tout. Tout a été refait à neuf. Tu as vu le prix ? C'est juste inespéré une chose pareille. Il nous vend la maison même pas la moitié de ce qu'elle vaut !
- Oui, mais il n'empêche que si, à chaque fois que je suis seule dans ma cuisine j'imagine l'ancien propriétaire devant l'évier, là, en train de se couper la gorge avec un couteau de boucherie...
- Ecoute, prenons le temps d'y réfléchir calmement. Je ne dois rappeler ce type qu'en fin de semaine prochaine. Mais il a raison : sa proposition est à considérer sérieusement, sans ce côté subjectif. Laissons-nous ces quelques jours, réfléchissons chacun de notre côté et on en reparle, d'accord ?
- Si tu veux, dit Anna.
Trois jours passèrent sans qu'ils ne reparlent de cela.
Brice avait tout de même vu le banquier afin de faire le point. Ce qu'il pensait se confirmait : à ce prix et compte tenu de leur apport, ils jouaient sur du velours. Le crédit à contracter, bien inférieur à ce qu'il avait envisagé avant de se trouver devant l'opportunité d'un tel achat, serait relativement indolore à rembourser.
Anna semblait être un peu revenue à de meilleurs sentiments. Il faut dire que Brice usait de toute sa persuasion.
Il voulait vraiment cette maison.
Crimes ou pas crimes, cela lui était bien égal, il fallait savoir tourner la page.
Ils décidèrent en commun, avant de rappeler l'agent immobilier, d'aller revoir un peu la maison de l'extérieur et, si possible, de se renseigner sur le voisinage.
C'était sans doute là une bonne idée : dans une rue, alors même qu'elle est calme et que vous possédez une maison magnifique, il suffit parfois d'un ou deux mauvais voisins pour vous gâcher littéralement la vie...
Ils s'y rendirent un soir, du moins en fin d'après-midi.
L'endroit paraissait aussi calme que la première fois. Pas de gosses braillant dans la rue, pas de bruit. Toujours cette même impression de quiétude.
A la gauche de la maison quand on lui faisait face se trouvait la majeure partie du terrain, ce qui la séparait d'une bonne vingtaine de mètres du mur d'enceinte de la propriété sur laquelle se trouvait la maison voisine la plus proche, celle qu'avait évoquée l'agent immobilier en parlant de sa qualité de construction.
Dans le jardinet devant celle-ci se trouvait un monsieur entre deux âges, occupé à arroser des fleurs.
Brice s'approcha, l'air affable :
- Bonsoir Monsieur, excusez-moi de vous déranger.
L'homme leva la tête. Il pouvait avoir la soixantaine, peut-être un peu plus, encore solidement bâti.
- Oui ? Bonjour, que puis-je pour vous ?
- Voilà, ma démarche est un peu singulière mais je suis sûr que vous me comprendrez : j'envisage d'acheter la maison à côté de la vôtre, celle-ci, dit-il en montrant du doigt. Or elle est en vente depuis longtemps et elle n'est, étrangement, pas bien chère. Je me demandais si cela ne cachait pas quelques nuisances dont l'agent immobilier se serait gardé de me parler. Je veux dire... le quartier est-il aussi calme qu'il le paraît, est-ce un bon endroit pour vivre ?
L'homme posa son arrosoir et le regarda.
- C'est un bon quartier, très calme. Ma femme et moi habitons ici depuis 40 ans et n'avons jamais eu à nous plaindre. Même quand il y avait le propriétaire précédent, qui avait deux jeunes enfants et un chien, nous n'entendions rien qui puisse nous déranger outre mesure.
Il regarda Brice, se demandant probablement s'il savait ce qu'il était arrivé à ce propriétaire précédent.
Anna ne disait rien.
Brice préféra prendre les devants :
- Je suis au courant, pour ce qui est arrivé. Cela a dû vous faire un choc !
- Eh bien, cela fait toujours un choc d'apprendre que votre voisin a tué toute sa famille dans ces conditions atroces avant de se suicider mais je dois vous avouer que nous n'avions presque pas de rapports avec eux. A dire vrai, ma femme et moi les connaissions à peine. Vous savez, nous sommes un peu pour le principe « chacun chez soi », aussi nous ne fréquentons pas le voisinage. Pour dire les choses clairement, je me fiche pas mal de qui habite à côté de chez moi, du moment qu'il ne fait pas la nouba tous les quatre matins et qu'il ne pénètre pas sur ma propriété.
Ca avait le mérite d'être clair : il ne fallait pas compter sur ces gens là pour se faire des relations mais d'un autre côté, ils ne viendraient pas frapper à la porte non plus pour se faire dépanner d'un peu d'huile ou de sucre un dimanche soir.
Brice remercia l'homme et, repassant devant la maison, ils allèrent sonner chez le voisin de droite.
Il habitait une maison un peu austère dont la construction paraissait plus récente, nettement plus modeste que celle qui intéressait Brice et Anna et que celle de l'autre voisin.
L'homme qui vint ouvrir devait être âgé, lui, de la cinquantaine environ. Il semblait un peu plus causant que le voisin de l'autre côté.
Même couplet :
- Excusez-nous de vous déranger, nous envisageons d'acheter la maison à côté de la vôtre, etc...
Même réponse :
- C'est un bon quartier, calme, etc...
Ils apprirent qu'il était veuf, qu'il vivait seul dès lors que son seul fils résidait à l'étranger depuis longtemps et qu'il exerçait la profession de boucher mais en tant qu'employé au rayon boucherie d'un hypermarché voisin.
Il ne s'était jamais installé à son compte.
- Pardonnez-moi d'aborder ce sujet de façon aussi abrupte, dit-il, mais je suppose qu'on vous a dit ce qu'il est arrivé dans la maison d'à côté ?
- Oui, nous sommes au courant, dit Brice. Vous les connaissiez ?
- Un peu, oui, fatalement, entre voisins on s'entrapercevait mais vous savez, quand on travaille toute la journée... J'ai eu quelques fois l'occasion de leur renvoyer par-dessus le mur des ballons que les gosses avaient balancés malencontreusement. A propos, avez-vous des enfants ?
- Non, répondit Anna, ça viendra sans doute mais pour l'instant, nous n'en avons pas. Vous ne serez pas dérangé.
- Oh, ce n'est pas qu'ils me dérangeaient, dit-il...
- Bien, nous devons y aller, dit Brice. Merci encore pour votre patience et pour ces précieux renseignements. Sans doute allons-nous nous revoir. Cet achat semble bien engagé.
Malgré les quelques réticences passées d'Anna, l'achat eut effectivement lieu.
Ils emménagèrent un peu plus d'un mois après.
Cette maison était vraiment très agréable à vivre, ils le virent dès les premiers jours.
Et ils n'étaient pas embêtés par le voisinage : on ne voyait personne.
Ni Brice ni Anna n'avaient même encore aperçu l'épouse du voisin de gauche.
Quant au boucher, il semblait avoir des horaires de travail impossibles et c'était pareil : on ne le croisait que très rarement.
L'installation, comme lors de tous les déménagements, ne fut pas une mince affaire.
Elle se termina par la cave.
Brice était amateur de bons vins et avait fait déposer dans cette très belle cave en terre battue tous les cartons renfermant le contenu de son ancienne cave d'immeuble de la région parisienne. Il n'avait même pas pris la peine de les défaire dans la cave de l'appartement de location intermédiaire qu'ils venaient de quitter.
Restait donc à tout déballer, à installer en casiers à bouteilles et à répertorier par la même occasion. A vue de nez, environ 500 bouteilles.
Il s'attela à cette tâche une quinzaine de jours après leur arrivée, un samedi après-midi.
La cave comportait heureusement de nombreux casiers à bouteilles métalliques, adossés contre deux pans de murs, qui devaient dater du propriétaire précédent.
De quoi tout bien ranger ce qu'il possédait, et encore resterait-il de la place.
Il pourrait songer l'esprit tranquille à de futurs achats de bons crus.
C'est alors qu'il plaçait des bouteilles dans l'un de ces hauts casiers qu'il remarqua soudain que celui-ci était adossé à ce qui semblait être une plaque métallique.
A y regarder de plus près, il s'agissait d'une porte.
Il paraissait singulier d'avoir installé un casier à cet endroit car cela avait pour effet de condamner cette porte, à moins qu'on n'entrepose rien sur le casier.
Sur quoi donnait-elle ?
Le casier n'était justement pas boulonné mais simplement posé sur le sol, avec un peu de pied pour ne pas qu'il tombe en avant une fois chargé de bouteilles le cas échéant.
Brice décida d'en savoir plus sur cette porte. Il ôta précautionneusement les quelques bouteilles qu'il venait d' installer et, une fois que le casier fut vide, il le tira très facilement sur le côté.
Il s'agissait bien d'une porte en acier, munie d'une serrure et d'une sorte de manette servant de poignée.
Il tira dessus. Ce n'était pas fermé mais il faisait noir comme dans un four là derrière.
On aurait dit un couloir bas de plafond.
Intrigué, il alla chercher une lampe de poche et pénétra dans le couloir. Il fallait effectivement se baisser pour avancer car le plafond devait être à environ 1,30 mètre de haut.
Ou ce truc pouvait-il bien mener ?
Il parcourut comme ça une bonne vingtaine de mètres, courbé en deux, avant de parvenir à une autre porte.
Celle-ci aussi avait une serrure, certes rudimentaire, mais fermée à clé.
Il n'arrivait pas à se repérer. Où était-il ? Qu'y avait-il derrière cette porte verrouillée ?
Il fit demi-tour et fila dans sa cave chercher un morceau de fil de fer qu'il introduisit dans la mauvaise serrure, fourrageant pour essayer de la crocheter. Cela faisait un bruyant cliquetis métallique mais il n'arrivait à rien. Il aurait fait un piètre cambrioleur.
Soudain, la clé tourna dans la serrure et la porte s'ouvrit d'un seul coup vers l'intérieur de la pièce dans laquelle il tentait de pénétrer.
Dans l'embrasure se tenait le voisin de la maison à gauche de la sienne, l'homme trapu qui arrosait ses fleurs lorsqu'il l'avait vu la première fois.
Il le regardait d'un air de fou et tenait un fusil de chasse à double canon pointé sur Brice.
Ce dernier apercevait derrière lui, dans une semi-pénombre lugubre, une sorte de butte de terre surmontée d'une croix en bois.
Une tombe !
- A peine quinze jours que vous êtes ici et il a fallu que vous veniez déjà mettre votre nez là où cela ne vous regarde pas, dit l'homme d'un air furieux, presque sans desserrer les dents.
- Mais...
- Taisez-vous, coupa-t-il sur un ton hystérique. L'an dernier, ces sales petits merdeux avec leur clébard qui a déterré les restes de ma chère Clara ! Ils ont profané sa tombe, ils ont tout vu, il a fallu que je m'occupe de toute la famille, et maintenant c'est vous ! Ah, ne dites pas que ce n'était pas fermé à clé hein ? hurla-t-il encore plus fort.
S'occuper de toute la famille... Brice crut avoir mal entendu. Il commença à se sentir très mal. Ce type avait l'air complètement cinglé.
- Mais où sommes-nous ? parvint-il à demander, la bouche sèche.
- Dans mon arrière-cave, sous ma maison.
- Et... qui est inhumé ici ?
- Mon épouse, ma chère Clara. Mais elle n'est pas morte.
Ainsi, voilà l'explication, ne put s'empêcher de penser Brice malgré les idées folles qui envahissaient son esprit : Anna et lui ne risquaient pas de voir la voisine si elle était enterrée là-dessous...
- Mais, quand est-elle décédée ? bredouilla-t-il, essayant d'amadouer l'autre. Pourquoi est-elle inhumée ici ?
- Ta gueule ! hurla le voisin. On ne me la prendra pas, tu as compris, ni toi ni personne ! Avance là-bas ! cria-t-il en montrant de la pointe de son fusil le couloir par où était venu Brice. Avance ou je te descends tout de suite ici avec ce fusil !
- Je ...
Brice ne put finir sa phrase : l'homme, avec un sale sourire, lui donna un grand coup de crosse dans l'estomac.
Il fut forcé de parcourir en sens inverse le couloir bas, suivi par le voisin qui, courbé, le pointait avec son arme.
Brice émergea du couloir et se releva. Il eut à peine le temps de réaliser ce qu'il se passait : alors que le voisin émergeait à son tour du couloir, le boucher, qui était plaqué le dos le long du mur à la sortie du trou, saisit le canon du fusil de sa main gauche et le souleva brusquement en l'air.
Un coup de feu assourdissant partit dans une grande flamme, heureusement dans le plafond de la cave d'où tomba une pluie de gravats. Aussitôt le boucher expédia une droite dans la figure de l'autre qui, sous le choc, recula d'un pas, se tapa la tête dans le mur et s'écroula, lâchant le fusil.
Le boucher se jeta sur lui et cria à destination d'Anna qui se trouvait en haut des marches d'escalier d'accès à la cave :
- Appelez tout de suite la police Madame Loumis, je me charge de lui !
Le boucher regarda Brice qui était hébété, complètement sonné par le bruit du coup de feu :
- Hé, bougez-vous un peu, Loumis ! Aidez-moi ! Passez-moi ce rouleau de chatterton qui est sur l'établi !
A l'aide de l'adhésif, ils entravèrent prestement les mains et les pieds du voisin qui, à moitié KO de toute façon, ne réagissait plus.
Passé dans sa ceinture, dans son dos, se trouvait un gros couteau de boucher dont la lame était enfilée dans un étui en cuir prévu normalement pour porter une dague de chasse.
La police ne tarda pas à arriver.
*******
On rouvrit l'enquête sur les affreux crimes dont avait été victime la pauvre famille occupant précédemment la maison.
Elle révéla que le voisin avait, en fait, tué sa femme de 17 coups de couteau 8 mois plus tôt à la suite d'un différend à propos de sa belle-famille, et qu'en plein déni de son acte, il l'avait inhumée dans son arrière-cave.
Les enfants du précédent propriétaire ayant découvert le passage menant à l'arrière-cave qui n'était à l'époque pas suffisamment fermé, ils allèrent fouiner là-bas avec leur chien, lequel avait gratté la terre encore meuble et déterré une partie du corps.
S'en étant aussitôt aperçu, le voisin, pour les faire taire, avait massacré toute la famille avec un couteau de boucherie, maquillant ces horreurs en un « coup de folie » du père de famille et dissimulant la porte avec le casier à bouteilles rempli de telle sorte que la police n'avait même pas vu qu'il existait un passage à cet endroit...
Il avoua tout. Sauf le meurtre de son épouse qui, dans son esprit, vivait encore à ses côtés ...
*******
Brice et Anna avaient invité le boucher à dîner ce soir-là.
C'était finalement un type sympathique.
Il avait tenu à apporter un beau gigot.
- Une chance que tu aies eu cette présence d'esprit d'appeler monsieur à la rescousse, dit Brice à Anna alors qu'ils buvaient l'apéritif.
- Je te l'ai dit : j'ai voulu descendre à la cave voir si tu t'en sortais avec le vin et à peine dans l'escalier j'ai entendu l'autre qui hurlait sur toi. Comme je comprenais distinctement ce qu'il te disait, je suis sortie dans la rue et notre voisin boucher arrivait juste. Il venait de descendre de sa voiture...
- Je crois que nous vous devons une fière chandelle, dit Brice en trinquant avec le boucher qui souriait. Vous avez une bonne droite, dites-donc.
- Bah oui, j'ai fait de la boxe française, j'ai quelques restes, dit-il en riant. C'est surtout une chance que ce soir là je sois rentré un peu plus tôt que prévu. Il n'aurait pas utilisé son fusil mais vous aurait égorgés tous les deux, vous savez. Vous avez vu le couteau qu'il avait, probablement le même genre que celui avec lequel il a tué la famille Maret. Dès que votre femme m'a eu expliqué en deux mots ce qu'il se passait, je n'ai pas hésité car je vais vous dire : je me doutais que quelque chose ne tournait pas rond avec ce type depuis que sa femme avait subitement disparu. Et puis je n'ai jamais cru à ce soi-disant coup de folie du précédent occupant de votre maison, ce n'était pas le genre...
- Vous êtes vous-même veuf, m'avez-vous dit ?
- Oui, depuis longtemps. Mais je le jure, monsieur le juge, dit-il en souriant d'un air faussement contrit, ma femme n'est pas enterrée dans ma cave mais au cimetière. Paix à son âme.
Ils levèrent leur verre.
__________
FIN
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