Liberté
Le soleil me réchauffait la fourrure. Je fermai les yeux, satisfait. Comme c'était bon d'être la, sur le toit de sa maison, à se prélasser dans la chaude lumière de l'après-midi.
Mais, comme toutes les bonnes choses ont une fin, une voix humaine me sortit de mon état de somnolence.
« Sacha ! »
C'était mon prénom, enfin c'était comme ça que les humains m'appelaient.
Contre mon gré, je me levai alors et étira longuement mes petites pattes blanches. Puis dans une dernière secousse, je sautai du toit pour atterrir sur le rebord de la fenêtre de ma maîtresse. Elle, elle était toute mignonne. Elle avait de longs poils blonds et soyeux sur la tête appelés « cheveux » et des yeux d'un bleu cristallin. Elle avait des petites tâches sur ses joues qui contrastaient avec le blanc de sa peau. En me voyant, celle-ci poussa un petit soupir de soulagement et me caressa la tête.
Je remarquai alors qu'elle tenait quelque chose dans son autre main. J'allai la renifler. Je vis sourire ma maîtresse et cette dernière ouvrit la main. Je découvrît alors une petite friandise et poussai un miaulement de plaisir. Je pris ma friandise puis, ma maîtresse étant repartie à ses occupations, je sautai au dehors, dans la ruelle. C'était beau, la rue : c'était rouge, c'était jaune, c'était bleu. Il y avait des humains, des oiseaux à attraper, des souris à chasser ! C'était lumineux et accueillant. Mais même si on était l'après-midi, quelle boucan il y avait ! Agacé, je finis ma friandise et continuai tout de même mon chemin dans la rue remplie de pattes géantes et chaussées qui pourraient m'écraser la queue d'un moment à l'autre si je n'y prenais pas garde.
M'installant dans le coin d'un mur, je remuai les moustaches de satisfaction : Je n'avais pas l'occasion de sortir souvent, et ce n'est que depuis peu que j'ai juste le droit de poser une patte sur le toit, étant donné que j'avais à peine huit mois.
Et voilà : il n'avait suffit que d'un seul moment d'inattention. Le forgeron était dans la rue et tenait un maillet dans la main. Un homme l'ayant abordé par hasard, il a sursauté et son outil lui a échappé des mains, et étant juste en dessous, je risquais de me le prendre en plein sur le crâne.
Affolé, je voulu sauter, mais je savais qu'il était trop tard. Soudain, avant que le choc ne se produise, je me senti violemment poussé en avant. Je poussai un petit cri plaintif, mais c'était mieux que de se faire briser le crâne par un marteau ! Déboussolé, j'ouvris les yeux puis tentai de voir qui était celui qui m'avait sauvé la vie, mais je me rendis compte que je m'étais fait projeté dans une petite ruelle sombre. Je tentai de me relever, mais le coup que j'avais reçu me fit rester sur place un petit moment.
« Quels fragiles, ces chats domestiques ! »
Je cherchais celui qui venait de dire ça et tombai enfin sur des grands et magnifiques yeux verts qui me regardaient, moqueurs.
Un peu plus stable sur mes pattes, je me relevai et m’ébrouai.
« Qui t'es toi, d'abord ? Et puis ne dis pas ‘chat domestique’ comme si c'était une insulte.
-Je suis ton sauveur, pour commencer. »
J'ouvris de grands yeux.
« Ce...c'est vrai ? demandai-je, honteux. M-merci beaucoup alors !
-Pas de quoi, chaton, répliqua-t-il.
-Je suis pas un chaton ! Montre-toi au moins, que je ne vois pas que tes yeux ! »
J'entendis un petit rire, puis je vis un pelage d'un noir de jais se dévoiler devant moi. C'était un grand chat haut sur pattes, très mince et assez impressionnant qui se plaçait devant moi, minuscule petit chat blanc comme neige exceptée la petite tache couleur ambre au niveau de mon poitrail. Son regard était neutre, comme si rien ne l'impressionnait ni ne l'effrayait. Je regardais avec admiration ses muscles puissants rouler sous son pelage, envieux. Mais malgré tout, je pouvais voir son museau grisonnant et son air fatigué.
En me voyant si extasié devant lui, mon sauveur ronronna, amusé, ce qui me gêna un peu.
« Alors, qu'est ce qu'un chat domestique vient faire dans nos quartiers ?
-Je viens ici parce que j'aime bien les rues, et arrête de m'appeler ‘chat domestique’ ! J'ai un nom, je m'appelle Sacha ! »
L'étranger grimaça.
« C'est bien un nom de Monstre, ça.
-De monstre ? fis-je, ne comprenant pas vraiment ce qu'il voulait dire.
-Un nom donné par ce que vous appelez les ‘humains’, expliqua-t-il en crachant presque le dernier mot. »
Je n'osai pas répondre. Il devait sûrement avoir ses raisons.
Je me secouai alors.
« Bon et bien...merci de m'avoir sauvé ! Je vais y aller maintenant ! »
Mais alors que j'allais retourner dans la rue bondée, l'étranger m'interpella.
« Et alors, chaton, tu ne veux pas que je te montre les secrets de la ville ? »
Je me retournai avec enthousiasme.
« Tu ferais ça ?!
-Oui.
-Merci ! »
Il ne répondit pas et se contenta de longer la ruelle sombre, son pelage noir se fondant dans l'obscurité. Je le suivis en courant pour ne pas me laisser distancer par ses énormes pattes. Plus loin, la ruelle rapetissait, et un mur nous fit face. Alors que je m'apprêtais à lui demander pourquoi nous étions ici, il poussa une vieille planche avec sa tête et dévoila un trou dans le mur, juste assez grand pour qu'un chat passe dedans. Il entra dedans sans attendre, mais lorsque ce fut mon tour, le matou me demanda de remettre la planche avant de le suivre. Non sans appréhension, je remis le vieille planche à sa place et je me retrouvai alors dans le noir complet, ce qui me fit paniquer. C'était une honte de l'avouer, mais j'avais horriblement peur du noir. Je tremblais de tout mes membres lorsque je sentis une fourrure chaude se coller à la mienne, puis la voie du chat noir retentit.
« Mord dans ma queue et ne le lâche pas, tout va bien, chaton. »
J'avais trop peur pour répliquer, aussi avançais-je rapidement derrière lui, tenant fermement sa queue entre mes mâchoires.
J'eus l'impression que le tunnel ne finirait jamais, mais, quelques instants plus tard, un filet de lumière me parvint, et je lâchai la queue du matou, rassuré, pour courir vers la sortie.
J'arrivai alors dans une immense pièce entièrement remplie de chats de toutes sortes : des blancs, des bruns, des gris tigrés, des grands des petits, des propres des sales,... Il y avait de tout.
Je lâchai un petit miaulement de surprise, ce qui me valut l'attention de tout les chats réunis. Je sentis mes oreilles chauffer. Zut ! Je venais d'arriver et je me faisais déjà remarqué ! Mais si leur attention était sur moi, ils regardaient surtout quelque chose qui se situait au niveau de mon cou. Je baissai les yeux et me rappelai alors : mon collier ! C'était ça qu'ils regardaient !
Alors que je reculai, le chat noir qui m'avait emmené ici arriva. Une petite chatte grise tigrée approcha et vint nous saluer.
« Salut Liberté ! On ne t'a pas vu de la journée tu étais où ? Et qui c'est le petit ? demanda-t-elle en me désignant de la tête.
-Bonjour Rêve, j'étais en promenade. Et le chaton là c'est un p’tit que j'ai sauvé d'un maillet tombé de la main d'un Monstre.
-Olah ! Tu as dû avoir peur non ? « Elle regarda mon collier. » Surtout que ça doit pas t'arriver souvent ! »
Je ne répondis pas, un peu offensé.
« C'est qui celui-là ? »
Je me retournai et vis un chat brun aux yeux jaunes arriver vers moi.
« Pourquoi t'as ramené un chat domestique ici, Liberté ? »
Le matou noir soupira.
« Brave, tu n'es pas obligé de feuler sur tout ce que tu ne connais pas. Ce petit vient d'échapper à une mort certaine alors s'il te plaît ne le brusque pas. »
Je voyais bien que mon sauveur disait juste ça pour que le dénommé Brave me laisse tranquille. Et cela eut l'effet attendu, le matou brun repartit. Liberté se retourna vers moi.
« Veux-tu que je te montre comment nous vivons, ici ? »
Je regardai le soleil. Il n'allait pas tarder à se coucher. Mais bon, cette occasion ne se représentera pas de sitôt.
« Oh oui, merci ! »
Le vieux matou lâcha un ronron satisfait, puis se dirigea vers le trou par lequel nous étions arrivés. Je le suivis en sautillant et en disant au revoir à Rêve, tout excité.
Malgré l'heure tardive, Liberté me montra tellement de choses ! Nous sommes allés dans ce qu'il appelle « les champs de blé », un grand carré doré où poussent des plantes hautes que les humains mangent, puis il m'avait appris comment chasser une souris sans faire de bruit. Ensuite, nous sommes allés chiper du poisson et nous avons un peu dormi au soleil. C'était une après-midi extraordinaire ! Liberté savait plein de choses ! Mais, chaque fois qu'un humain passait ou qu'on abordait le sujet, le matou fuyait. Je ne comprenais pas pourquoi.
« Pour que ta visite soit complète, il faut que je t'emmène quelque part. »
Je regardai Liberté dans les yeux puis hochai la tête. Je me demandais bien où est ce que nous allions.
À mon plus grand étonnement, le chemin que nous prenions ressemblais à celui pour aller dans la salle remplie de chats. Je ne m’étais pas trompé, c'est bien là que nous allions. Mais au lieu de rentrer dans le trou, le vieux chat noir monta sur le toit de la maison grâce à ses sacs remplis d'une poudre blanche qui faisait éternuer, puis je fais de même. À chaque saut, j'admirais sa vivacité étonnante. Mais, à la fin, même s'il ne le montrait pas, la fatigue se lisait sur son visage. Je fais mine de ne rien voir et m'avançai sur le rebord du toit. Je restai gueule bée. D'ici, on voyait tout. Vraiment tout, des champs à une grande porte qui gardait la ville en passant par des petites ruelles semblables à la notre. Je restai là, à admirer le soleil se couchant derrière une forêt. Liberté me rejoint bientôt.
« C'est la plus belle vue de tout la ville, ici. Je voulais finir ici pour que tu vois le coucher de soleil avec ce panorama.
-Panora... ?
-Cette vue, ronronna-t-il.
-Ne te moque pas de moi ! »
Le matou ronronna plus fort, puis me lécha entre les deux oreilles.
« Je ne me moque pas, chaton. »
J'allais répliquer, mais je vis son air triste, alors je me tus. Nous regardâmes le coucher de soleil en silence. Silence que je brisai.
« Merci pour m'avoir montré tout ça et...de m'avoir sauvé du maillet. Cette journée est la plus belle de toute ma vie, fis-je, des étoiles dans les yeux .
-Content que ça t’ai plu.
-Je pourrais revenir demain ? Tu pourras m'apprendre plus de chose ? Tu veux bien, dis ? »
Liberté me regarda.
« Oui, je veux bien. »
Je sautai de joie, puis attendis que le soleil disparaisse totalement. Je me dirigeai alors vers les rebord du toit au dessus des sacs de toile.
« J'ai hâte d'être demain !
-J'en suis heureux.
-Et où est-ce qu’on se retrouve ?
-Ici, si tu veux.
-Génial ! À demain, Liberté !
-À demain, Sacha. »
Je le saluai de la queue, puis rentrai chez moi le plus rapidement possible, pour ne pas que ma maîtresse ne soit folle d'inquiétude.
Le soir, de nombreux rêves merveilleux me firent voyager toute la nuit.
Le lendemain matin, je me réveillai avec énergie. Qu'allais-je voir aujourd'hui ?
Je fis rapidement ma toilette et m'installai devant la fenêtre en miaulant de plus belle.
Ma maîtresse arriva en se frottant les yeux, sûrement agacée par mes miaulements. Je ronronnai et, dans un geste las, elle m'ouvrit la fenêtre.
Dans un dernier ronron, je sautai et arrivait dans la rue, déjà un peu animé si tôt le matin. Je ne marchai pas longtemps avant d'arriver devant la ruelle sombre de la veille, et m'introduis alors dans celle-ci.
Lorsque j'arrivai devant le mur, je sautai sur les sacs de toile et grimpai sur le toit.
Liberté n'était pas encore là. J'enroulai alors ma queue autour de les pattes et attendis.
Il n'est jamais arrivé.
Le soir allait tomber, alors la tête et la queue basse, je rentrai chez moi.
Arrivé, je m'endormis sans aller manger, trop triste pour pour avaler une seule bouchée de quoi que ce soit.
Je refis le même trajet pendant trois jours, avec toujours le même espoir que le matou noir vienne sur le toit en me saluant nonchalamment. Mais non.
Le cinquième jour, je décidai d'aller voir les chats dans la pièce abandonnée. Eux sauraient sûrement où était Liberté.
Alors, cette fois, au lieu de sauter sur le toit, je me dirigeai vers la vieille planche de bois contre le mur, que je poussai. Je passai dans l'ouverture, puis je refermais dans le noir complet. Je tremblai de la queue à la tête, mais il fallait que j'avance, alors j’avancerais. Toujours tremblant, je mettais une patte devant l'autre, impatient que cette torture se finisse et regrettant amèrement la fourrure chaude et rassurante de Liberté.
La lumière revint alors et je courus le plus vite possible vers celle-ci. J'arrivais enfin dans la grande pièce, une foule de chats toujours à l'intérieur. Je me mis à la recherche du matou noir, mais je ne le vis pas. Déçu, j'allais rebrousser chemin quand je vis le pelage gris tigré de Rêve. Je courus la rejoindre et elle sursauta lorsque j'arrivai en trombe devant elle.
« Rêve !
-Oh ! Salut...euh...
-Sacha.
-Salut Sacha ! répéta-elle. Qu'est ce que tu viens faire ici ?
-Eh bien, hésitai-je. Je me demandais...où est Liberté ? Je ne le trouve pas ça fait des jours que je le cherche... »
Ce n'était pas vrai, je ne l'ai pas cherché. Mais au moins je m'y suis mis aujourd'hui ! Malheureusement, le visage de Rêve se décomposa.
« Tu ne sais pas... ? Liberté...Liberté est mort...depuis quatre jours... »
Mes pattes se dérobèrent sous moi et je tombai sur le plancher poussiéreux. Mon regard se vida de toute expression et Rêve se pencha vers moi, affolée, pour me relever .
« Sacha ! Ça va ?!
-Pourquoi...pourquoi il est mort... ?
-Il s'est fait abattre pas un Monstre...
-Par un humain ?! Mais...non ! Pourquoi auraient-ils fait ça ?!
-Tu ne sais donc pas ?! Mais parce qu'il est noir voyons ! Les chats noirs ici ne vivent pas très longtemps, ils sont accusés d'être en commun avec des Monstres femelles malfaisantes...et ils disent qu'ils apportent le malheur...
-Ce...ce n'est pas juste...
-Nous...nous tous...nous savions que cela allait finir par arriver. Liberté commençait à se faire vieux, il n'était plus aussi vigoureux qu'avant...Lui aussi savait très bien qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps. C'est pour ça qu'il a cédé le commandement à Brave.
-Je...je... »
Je ne pus terminer ma phrase. Lentement, le regard vide, je me dirigeai vers la sortie. Je traversai le noir sans la moindre réaction, comme si même la peur, comprenant la situation, avait décidé de se retirer pour le moment.
Quelques minutes plus tard, j'arrivai devant la fenêtre de ma maîtresse et je la vis me sourire, puis s'approcher pour me caresser. Au moment où sa main allait toucher mon pelage immaculé, je feulai et lui griffai la main. Dans un battement de queue rageur, je montai sur le toit de ma maison mais, en voulant grimper, je déchirai le ruban qui nouait mon collier. En cet instant, cela m'importait peu.
Je m'installai sur le toit, redevenu silencieux, ne comprenant toujours pas ce qui c'était passé.
Ce fut le soir, lorsque le village fit un grand feu de bois sur la grand-place et que je pouvais à peine voir les étoiles, que mon hurlement de douleur déchira la nuit. Je réalisai alors.
Liberté était parti.
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