" Eh Decim, on peut savoir c'que tu fiches ? Y'a tes nouveaux clients qui vont arriver " me lance Ginti. 

Je regarde le cadran de l'horloge, il ne fonctionne pas, comme le temps passé ici. Le cerveau dysfonctionne à force de rester ici, regardant les morts arriver en attente d'un jugement. 

Et ce jugement, c'est moi qui le fait. Patron du Queen Decim, je suis une machine à juger, ce que l'on appelle arbitre ici. 
Je ne connais que mon nom, et rien d'autre. 

"DECIM ! " 

Je me retourne et voit Ginti me lancer un verre. 

"En guise de notre rivalité naissante, je te propose de boire un verre. " 

Ginti est une machine, comme moi. Nous ne sommes pas humains, mais... Il y a ce pincement au cœur quand je me sépare de lui pour veiller dans ce bar. Lui n'a pas ce problème, vu qu'il n'absorbe aucune des émotions de la part des humains. Il les hait, et je ne sais pourquoi, moi je les aimes bien, malgré leurs erreurs, ce que nous ne faisons pas, nous autres, machines envoyées par le dieu suprême. 

Nona m'a appris que nous aussi, nous sommes humains. Elle m'a appris que je devais aussi m'occuper de ma vie personnelle, que je devais ressentir des sentiments. Je ne lui ai pas dit que je n'en avais pas. Et puis, quand j'ai été embauché en tant qu'arbitre, je n'avais aucune émotions, ce qui a changé au fil du temps, grâce à Nona. j'ai pu ressentir la peur, le dégoût, l'amour, le courage dans chaque yeux qui passaient par là. Je devais ne pas me laisser déborder par ces émotions lors de mon travail, mais quand j'avais un temps de repos, je pouvais pleurer. Mais qu'est-ce que pleurer ? 

" Bon tu le bois ce verre, mon vieux ? " 

Je me suis perdu dans mes pensées. Buvons avant que Ginti ne m'en mette une. 
Je bois le délicieux breuvage préparé par cette machine qui me fixe de plus en plus depuis quelques temps. 

" Alors, Decim, comme ça, d'après Nona, on peut... On peut ressentir des choses nous aussi ? " me pose-t-il. 

Je ne réponds pas. 

Il soupire. 

" Ah bien sûr, je comprends c'est tenu au secret... 

- Ce n'est pas cela, Ginti. 

- Alors c'est quoi ? dit-il en marmonnant, c'est quoi ce sentiment qui me traverse dès que je te vois ? "

Je le regarde à mon tour, il détourne la tête d'un air triste. 

"Je me renseigne car j'éprouve quelque chose envers quelqu'un qui... 

- Est-ce moi ? 

- Bien sûr que non ! " 

Il ment. Il est un peu comme un humain, ou alors il n'arrive pas à dégager ses émotions. Il a dit cela d'un ton un peu trop explosif, ce qui me laisse deviner qu'il ment. 

Soudain, des gouttes de pluies coulent sur ses joues. C'est ça qu'on appelle pleurer ? Ces gouttes et  ce mouvement de la pomme d'Adam qui va de haut en bas ? 

" Pour... 

- Parce que, Decim, je.... J'éprouves quelque chose que je ne saurais décrire envers toi. 

- Est-ce de l'amour ? 

- Nous ne pouvons pas... 

- Si nous le pouvons. Nous avons été bercés par des illusions, l'illusion de ne pas être humains, mais nous le sommes Ginti. Nous aussi nous pouvons aimer, être heureux et autres. "

Il ne dit rien, il sanglote toujours. Alors je fais un pas vers lui, et le serre dans mes bras. Il s'apaise, je regarde ses yeux s'ouvrir et sa tête remonter. Nos lèvres sont à un pas d'être scellées. Mais il ne le veut pas, enfin pas pour le moment, et moi non plus. 

" C'est... C'est donc ça l'amour, Decim ? "

Je lui fais un bisou sur la joue. 

"Oui, c'est cela, Ginti. 

-Et toi, qu'éprouve-tu ? 

- De l'amour je pense, sinon je ne me serais pas proposé pour le câlin. 

- C'est ça un câlin ? Mais c'est trop génial ! sourit-il. 

- Oui c'est cela. " dis-je avec un petit sourire. 

Nous restons encore un peu dans les bras respectifs de chacun et enfin, les deux mots interdits autrefois éclatent : 

"Je t'aime Decim. 

- Moi aussi, Ginti. "