Chapitre 9 - Nouvelles
Un seul homme pouvait pénétrer le territoire à présent occupé par les Jìivlés. Qualifiés de barbares, ces derniers ne bronchaient pas face au raisonnement de la délégation d'Ouldì. Ils les toisaient, impassibles, le torse bombé, l'armure scintillante et les armes vers l'avant, préparés pour parer toute attaque surprise.
Les diplomates discutèrent rapidement entre eux de la marche à suivre. Ils décidèrent alors d'envoyer le plus expérimenté d'entre eux. La tâche avait ainsi été dévolue au baron de Grìya, dont les cheveux grisonnants disparaissaient sous un couvre-chef rectangulaire aux couleurs vertes et dorés du royaume d'Ouldì. L'envoyé portait, à l'instar de ses compères, une longue robe blanche dont les extrémités des manches étaient parcourues de sillons dorés. Un drap fin verdoyant traversait son torse diagonalement, noué au niveau de la taille où était attachée l'emblème de sa maison.
Il s'avança vers les Jìivlés qui palpèrent, sans délicatesse, son corps à la recherche d'une quelconque arme. Puis, ils renversèrent au sol le contenu du sac brun acajou qu'il portait en bandoulière. Maugréant un juron dans sa barbe, le diplomate ramassa rapidement ses affaires, une fois que ces soldats lui rendirent sa besace. A peine s'était-il redressé qu'ils s'écartèrent brusquement pour créer un étroit passage. Plusieurs hommes l'attendaient déjà derrière la barrière ennemie humaine. Encadré de ces troncs d'arbres mouvants tel un animal en cage, il ne distinguait que partiellement le chemin qui le menait au manoir. Le paysage, qui lui était autrefois familier, semblait avoir changé de veste avec l'arrivée des Jìivlés. Et pourtant, mis à part la présence des ennemis, rien n'avait été réellement transformé.
À sa surprise, les sentinelles ne l'accompagnèrent pas à l'intérieure de la bâtisse. Au contraire, un autre Jìivlés patientait de l'autre côté de l'entrée. Il avait l'apparence d'un valet, mais était taillé comme un guerrier. De par sa posture et son habillement, il put aisément deviner qu'il ne s'agissait pas d'un soldat anodin. À travers les fins tissus, il pouvait distinguer ses muscles, sculptés par des années d'entraînement, sans compter l'épée qui pendait à ses hanches. Ce dernier le traita avec beaucoup plus de manières, l'invitant à le suivre en se courbant légèrement, la main droite écartée vers l'avant. Quelque peu satisfait de cette courtoisie, le baron le suivit, plus confiant qu'au départ. En s'avançant, il fut frappé de stupeur et manqua de lâcher sa besace. Le grand tableau placé au centre du hall d'entrée, au sommet de l'escalier avait disparu. Le cadre seul se dressait, presque honteusement, devant le diplomate. Comme si un seau d'eau gelée venait de lui être versé dessus, il comprit que le royaume d'Ouldì venait de perdre une partie de son corps, et ce, pour une durée indéterminée.
— Sir, avancez.
La voix rauque de son accompagnateur le sortit de sa torpeur. Se retenant de s'excuser, il rattrapa rapidement la distance qui s'était créée, le sac serré contre son torse. Son coeur s'était accéléré et ne voulait pas se calmer. Il n'avait jamais envisagé, de toute son existence, une rencontre avec un membre de la famille royale du royaume ennemi, le prince Ajìl qui plus était. Le valet lui fit signer d'entrer en s'inclinant faiblement vers l'avant, la main gauche dirigée vers la porte.
Une profonde inspiration lui permit de calmer un tant soit peu l'anxiété qui avait envahi tout son être. Il attrapa la poignée de porte et pénétra dans la grande salle, la tête basse.
— Votre Altesse, Prince Ajìl, salua-t-il d'une voix aiguë, déformée par la nervosité.
Il s'était courbé, le bras gauche en arc et la jambe droite pliée vers l'arrière. S'il venait à offenser le sang royal de Jìivlés d'une quelconque façon, cela ternirait sa réputation de collaborateur aux affaires étrangères qu'il dorait depuis des décennies, sans oublier l'objectif de cette rencontre. Se redressant, ses yeux croisèrent le regard froid du prince. Ce dernier le dévisageait sans aucune gêne. Malgré la distance, il pouvait distinguer ses pupilles glisser du bas vers le haut, enregistrant chacun des plis qui constituaient sa tenue.
Contrastant avec sa tenue épurée, son interlocuteur rayonnait, mais presque de manière indécente. Ses oreilles étaient percées, arborant de nombreuses parures d'or, reliées les unes aux autres sur tout le lobe. Seule celle de gauche se terminait en deux fines cordelettes en métal auxquelles étaient accrochées des plumes blanches. Il portait une tunique blanche dont le col laissait entrevoir le cœur de ses pectoraux et un pantalon beige retroussé dans des bottines en cuir. Son torse était parcouru de trois colliers d'or dont la longueur était graduelle. Le premier lui allait jusqu'au creux de ses clavicules, le deuxième juste au-dessus du col et le dernier tombait au niveau de son nombril. Les deux premiers ornements étaient parsemés d'anneaux et de bijoux rectangulaires qui tintaient au moindre mouvement. Au bout de la dernière chaîne, pendait l'emblème des Ja Jovélàs sculptés dans une pierre de même couleur.
— J'vous écoute, déclara Ajìl d'une voix autoritaire.
Pris au dépourvu par l'absence de formalité, le baron de Grìya balbutia quelques mots avant de ravaler bruyamment ses glaires.
— Nos deux royaumes sont actuellement dans un conflit qui dure depuis bien trop longtemps. Les prémices de cette guerre n'ont fait que la renforcer et aujourd'hui nous pouvons constater les principales conséquences : la perturbation de la frontière et le trouble causé à nos citoyens respectifs...
Les bras croisés, Ajìl écoutait d'une oreille distraite le flux de paroles qui s'échappait des lèvres sèches du diplomate. Il n'était pas là pour un cours d'histoire, ô combien biaisé par la vision de l'Ouldì. L'impatience se lisait dans le plissement de son front, mais son interlocuteur ne s'en était pas rendu compte. Il continuait sa longue tirade sur les premières batailles qui avaient eu lieu au cours du siècle passé, jusqu'à dénombrer les pertes de chaque côté. Ajìl haussa le sourcil gauche dans un parfait arc, s'il s'agissait d'une compétition sur l'Histoire, l'adversaire l'aurait remportée haut la main.
Un raclement de gorge raisonna contre les murs de la salle vide, provoquant le silence. Le baron s'était tu en se mordant la langue involontairement. Ses doigts se crispèrent autour de sa besace qu'il n'avait pas lâchée depuis son entrée.
— Abrégez.
Une goutte de sueur se faufila le long de sa colonne vertébrale. Il savait que s'il continuait ainsi, il allait certainement provoquer son courroux et ne mènerait pas à bien les négociations.
— Tout d'abord, sa Majesté royale souhaite s'enquérir de la santé de Mademoiselle Raya de Kawruhe, fille-
— Elle s'porte comm'un charme, le coupa sèchement Ajìl.
— ...bien, tant mieux. Mademoiselle Raya est connue pour avoir une santé fragile, elle n'est jamais réellement sortie de chez elle, vous comprenez. Dès que la situation est hors de sa portée, elle tombe malade, est prise d'une grosse fièvre et-
— Elle s'porte comm'un charme, j'ai dit, le coupa de nouveau le jeune prince, perdant patience.
— Oui, oui, s'exclama immédiatement le vieillard d'une petite voix.
Déglutissant bruyamment, ses phalanges blanchirent autour du sac qu'il maintenait avec force. Ses jambes s'étaient mises à trembler au cours de cette courte interaction avec le prince ennemi. Tout se passait bien, comme ils avaient prévu. Il lui fallait alors continuer. Mais il ne pouvait s'empêcher de laisser paraître l'effet que ce dernier lui faisait. Son métier de diplomate l'avait déjà exposé à bien des dangers. Pourtant, le prince Ajìl semblait être d'un tout autre rang. Il y avait comme une pression invisible qui l'obligeait à s'incliner et à lui répondre comme s'il était un membre de la famille royale, un De Mìlgrade.
— Mais vous savez, pour éviter cette situation... nous vous recommandons de la maintenir dans une chambre. Certes, l'été se réveille doucement, mais la bise est encore fraîche dans le royaume d'Ouldì, et il fait d'autant plus froid si elle est enfermée dans une cellule, poursuivit le messager, les yeux rivés sur la table en bois massif.
— Nom d'Evimérìa, souffla Ajìl en fermant les yeux.
Ce simple juron eut l'effet escompté. Le baron avait à nouveau cessé de parler, bien que cette fois, il ne se mordît pas la langue. Son cœur tambourinait contre sa cage thoracique comme s'il souhaitait déguerpir, s'extirper de cette situation étouffante.
— Vous n'semblez pas saisir la situation.
— Je la comprends tout à fait, votre Altesse, le contredit-il en levant les yeux, qu'il baissa aussitôt sous le regard menaçant d'Ajìl.
— Non, répondit ce dernier froidement.
Il toisait le vieillard, les sourcils froncés. Patience, patience fredonnait la petite voix de Jovia dans un coin de la tête. Qu'avait-il fait pour mériter un imbécile pareil ? Tandis qu'il préparait mentalement ce qu'il allait déclarer, le baron de Grìya s'humecta les lèvres, asséchées par la nervosité.
— Vous n'comprenez pas. On a deux des vôtres. Eh. J'n'sais mêm'pas si l'homme va survivre. Vous savez, il est plutôt mal-en-point. C'n'est pas qu'on n'veut pas le soigner. Loin d'là. On a les meilleurs prêtres. Seul'ment... vous avez quelque chose qu'on veut. Que "je" veux. Vot'royaume.
Ajìl décroisa les bras et attrapa avec force les deux coins de la longue table qui le menait au messager du royaume d'Ouldì. Les différents ornements qu'il portait fièrement autour du cou tintèrent lorsqu'il se pencha vers l'avant, le regard froid.
— Faites bien comprendre à vot'roi, le septième Lex, que c'est simple comm' bonjour.
Sur ces derniers mots, le jeune prince se redressa et, d'un geste de la main, mit fin à l'audience.
L'envoyé d'Ouldì avait beau tenté d'objecter, il ne faisait pas le poids face au valet à la carrure d'un chevalier qui avait une bonne tête de plus que lui. Le barrage humain le força à sortir de la salle et, rapidement, il fut raccompagné vers la frontière, nouvellement établie. En l'espace d'un instant, il rejoignit, sain et sauf, ses acolytes. Sans s'en rendre compte, il retenait sa respiration et ce n'était qu'une fois de retour sur le territoire des Ouldìs qu'il sentit la pression quitter son corps. Incapable de rester debout plus longtemps, ses jambes flanchèrent. Rapidement rattrapé par les autres diplomates, il se laissa traîner sur plusieurs mètres.
Une fois à l'abri des oreilles des Jìivlés, chacun se pencha sur leur collaborateur, attendant que ce dernier prît la parole. Adossé à un arbre, il pointa du doigt la gourde d'eau attachée à la besace de l'un de ses partenaires qui défit précipitamment le lacet pour la lui tendre. Le silence qui s'ensuivit fut coupé par les déglutitions du revenant, vidant presque le petit bidon. Il lâcha un long soupir gras, la tête baissée. L'impatience commençait à se sentir.
— Alors ? Que s'est-il passé ? fit une première voix.
— Dites-nous ! Cela a-t-il marché ? enchaîna une deuxième.
— Par Sofìa, répondez-nous !
Rejetant la tête vers l'arrière pour la poser contre le tronc d'arbre, le baron de Grìya se permit un petit sourire ce qui détendit instantanément l'ambiance.
— Tout s'est passé comme prévu, déclara-t-il enfin en fermant les yeux. J'ai toutes les informations nécessaires. Retournons à la capitale.
Les envoyés accueillirent la bonne nouvelle avec un grand sourire. Néanmoins, ils n'avaient pas le temps de se réjouir davantage. Ils devaient rapidement rapporter l'entretien à sa majesté. Une fois de retour, leur tâche accomplie, ils auraient alors tout le loisir de célébrer leur enthousiasme. Finalement, une bouteille ou deux allait se vider.
Quant à Ajìl, la contrariété causée par le stupide Ouldì avait durci les traits de son visage. Les gardes postés dans les couloirs n'osaient pas lui adresser la parole, ni même pour une simple salutation. Dès qu'ils posaient les yeux sur leur prince, ils comprenaient aussitôt qu'il ne fallait pas le perturber.
Le jeune homme traversa à grandes enjambées la galerie qui menait jusqu'à la chambre où était confinée Raya. Il n'était pas de très bonne humeur avant même l'arrivée du messager. Quelques heures plus tôt, il avait reçu la visite du coursier royal. D'ordinaire, sa seule personne suffisait pour le recevoir, mais il avait expressément requis la présence de Jovia. Un mauvais pressentiment s'était glissé le long de sa trachée, glaçant ses poumons pour retourner son estomac. C'était bien ce qu'il redoutait : leur mariage.
Le roi, Jové IV, avait eu la merveilleuse idée d'avancer l'union. Les préparatifs étaient déjà en cours et la missive leur ordonnait gentiment de rentrer immédiatement. La requête était insensée. Ils venaient enfin de repousser la frontière, le voilà à devoir rebrousser chemin ? Certes, une bonne partie de la compagnie allait être laissée sur place pour occuper les lieux en son absence. Pourtant, il ne comprenait pas la décision prise par son père.
Jovia n'avait prononcé aucune parole. Elle était restée stoïque, le visage impassible, mais il pouvait distinguer la stupéfaction dans ses prunelles. Tout cela était beaucoup trop précipité à son goût. Elle était bouleversée. Il le sentit d'autant plus qu'à l'arrivée des diplomates, elle refusa d'assister à l'audience demandée par l'un d'eux, aux côtés d'Ajìl. Prétextant une migraine, elle s'était éclipsée dans ses appartements, claquant lourdement ses talons contre la tapisserie du sol.
Devant la cellule de Raya, les soldats s'empressèrent d'ouvrir la porte. Une fois grande ouverte, le jeune Jìivlés ne bougea pas. L'entrée donnait vu sur cette dernière qui s'était éloignée de la fenêtre barricadée. Il finit par pénétrer dans la chambre, la faisant reculer par la même occasion. Son visage laissa alors place à un faux sourire. Elle le suivait du coin des yeux, mais refusait de croiser ses pupilles.
— J'n'vais pas t'manger, informa-t-il, tentant de briser cette glace qui les séparait.
Elle ne le croyait pas et serra d'autant plus fort les pans de sa robe déchirée entre ses doigts. Gardant ses distances, elle ne fit rien lorsqu'il s'allongea de tout son long sur sa couche. Sur les draps qu'elle avait utilisés. Raya ne se priva pas de montrer son mécontentement en lui jetant un regard noir. Alors même qu'elle n'avait pas encore partagé quoi que ce soit d'aussi intime avec son fiancé, ce rustre venait de s'étendre comme un félin dans son linge, essuyant grassement ses chaussures sales contre la couverture.
— Que faites-vous là ? finit-elle par demander en s'adossant au mur, près de la fenêtre.
Ajìl la guigna sous ses longs cils, les bras croisés derrière la nuque. Il avait l'impression de faire face à un chaton qui s'était mis à siffler face à un potentiel danger. Elle était plutôt mignonne. Certes, il lui manquait de la masse. Même beaucoup de masse.
Clignant plusieurs fois des yeux, il chassa ses pensées. Il n'était pas venu pour agrandir ses appartements privés, mais plutôt son royaume.
— Rien d'spécial, répondit-il finalement. Enfin, y a un messager d'Ouldì qu'est passé.
Aussitôt ses paroles franchirent la barrière de ses lèvres, la jeune femme se redressa, serrant d'autant plus fort sa jupe dans ses mains. Mais elle ne prononça aucune parle, attendant que ce dernier continuât.
— Franch'ment, j'veux pas vous humilier, vous êtes si nobles, j'n'oserais pas, railla-t-il avec une fausse mine désolée. Mais quand même, il vous manqu'à tous quelque chose dans la cervelle ou.. ?
L'indignation défigura les fins traits du visage de Raya. Cet homme avait le don de la brosser dans le mauvais sens du poil. Et il en était fier.
— Non parce que vot'diplomate-là, c'tait mêm'pas pour des négociations qu'il était venu. Déjà, est-ce qu'il sait ce qu'sont des négociations ?
La jeune femme ne lui adressait toujours pas la parole, mais elle l'écoutait avec attention. Sa majesté ne les avait pas oubliés. Il avait ainsi effectivement envoyé un représentant Ouldì. Pourtant, cela ne concordait pas avec les propos d'Ajìl. Elle connaissait les collaborateurs du Conseiller des affaires étrangères. C'étaient tous des érudits qui savaient manier les mots à la perfection.
— Qui était-ce ? demanda-t-elle dans un souffle.
Ajìl arqua un sourcil. Il pensait qu'elle n'aurait pas le courage de lui adresser la parole, mais il fallait croire qu'elle était bien plus vaillante que ce qu'affichait sa frêle personne.
— J'n'sais pas, déclara-t-il en fermant les yeux.
— Décrivez-le moi au moins, s'empressa-t-elle d'ajouter, prenant son courage à deux mains.
Soulevant légèrement les paupières, Ajìl laissa ses yeux glisser de nouveau vers la jeune Ouldì. Il admirait presque son audace à prendre parole dans ces circonstances alors que les femmes de son royaume le craignaient parfois pour un rien.
— Qu'est-ce que ça va t'apporter de savoir qui c'était ? Tu veux t'excuser d'la connerie qu'il est ? lui demanda-t-il en arquant un sourcil.
Raya voulut répondre, mais elle ne sut pas quoi dire. Le prince ennemi savait décidément bien lui couper le sifflet. Le silence s'installa, brisé de temps à autre par la voix des hommes montant la garde autour du manoir. Ajìl en profita pour méditer sur son interaction avec la délégation d'Ouldì, à présent que sa colère initiale s'était dissipée.
Il était étrange que le Lex eût envoyé un imbécile pareil. Cela relevait même de la stupidité à son sens, d'autant plus qu'ils étaient plusieurs sur place. Et de tous ces envoyés, c'était ce dernier qui avait eu la charge de diriger les « négociations ». Ce n'était pas le choix le plus judicieux.
À moins que...
Se redressant soudainement, arrachant un hoquet de surprise à Raya, Ajìl porta une main à son menton. Cela n'avait pas de logique, s'il y réfléchissait bien. Ils venaient de perdre des hommes, des nobles, un territoire, et ils avaient décidé d'envoyer, parmi tous ses érudits, un âne bavard ? Ajìl aurait aimé tout simplement dire que les Ouldì étaient des êtres humains inférieurs aux Jìivlés, mais il savait qu'il aurait eu tort de penser ainsi. Qu'avaient-ils à gagner à engager ce genre de négociations ? Ou plutôt, ils avaient simplement échangé quelques mots sur la santé de la jeune prisonnière et...
Tournant subitement la tête vers cette dernière, il ne masqua pas la surprise qui se peignit sur son visage. Un éclair de lumière venait de connecter les pièces de la situation. Le messager Ouldì n'était pas venu pour des négociations ordinaires. Au contraire, ce n'était qu'une ruse pour s'enquérir de la situation des prisonniers. Toutes ces paroles, ces longs discours assommants, ce faux manque de sagacité n'avaient que pour objectif de lui faire baisser sa garde. Ce représentant d'Ouldì avait été choisi avec attention pour lui faire face et il y était parvenu.
L'ennemi s'était montré bien plus fin qu'il ne l'avait pensé. Et comme si ce n'était pas suffisant, l'idiot qu'il était avait divulgué l'état du général et de la prisonnière. Certes, il ne savait pas quelle importance les circonstances de ce dernier auraient pour les Ouldì, mais il aurait mieux fait de se taire. Les yeux plissés, le jeune prince ne put s'empêcher de lâcher un rire jaune. Qu'il était odieux ce sentiment que ces misérables avaient osé semer dans son être. Ils allaient le regretter, parole de Ja Jovélàs.
Raya tenait le regard d'Ajìl avec appréhension. Elle avait espéré soutirer quelques informations de son geôlier, mais il semblait être désintéressé par tout et elle peinait à prédire ses actions. Si une parole était prononcée de travers, qui savait ce qui pourrait lui arriver.
— Pourquoi riez-vous ? tenta-t-elle d'une voix prudente.
— J'étais v'nu t'annoncer mon départ, mais final'ment tu vas partir avec moi.
— Pardon ? lâcha-t-elle avec surprise. Pour aller où ?
— À Stàtie.
C'était la capitale du royaume de Jìivlés, où se dressait fièrement le palais des Ja Jovélàs. Cela signifiait qu'elle allait pénétrer les « vraies » terres ennemies. Quand bien même elle était enfermée dans le manoir, assailli par l'adversaire, à ses yeux, le village appartenait encore aux Ouldì. Un changement temporaire de propriétaire n'allait pas effacer toutes ces années d'Histoire, d'identité. Avançant de quelques pas en direction d'Ajìl, Raya croisa les bras en serrant ses avant-bras entre ses mains, comme pour se donner du courage.
— Et pourquoi devrais-je vous suivre ?
Ajìl était tenté de lui dire la vérité. Après tout, ce ne serait pas de si tôt qu'elle allait retrouver les siens. Toutefois, il n'avait pas aimé le tour que lui avait joué l'un des siens. Elle n'y était pour rien, mais en s'en prenant à elle, la cible de l'impact allait éventuellement être les Ouldì, le Lex. Alors, pourquoi pas ?
— D'puis quand une prisonnière a son mot à dire ?
Jamais. Mais plus elle s'éloignait, moins elle aurait de chance d'être sauvée.
— Je vous ralentirai dans votre voyage. Je vous serai inutile à la capitale. C'est ici que vous aurez plus de chance d'avoir ce que vous voulez, continua-t-elle.
Un autre rire se fraya un chemin depuis la gorge d'Ajìl. Si elle savait que son stupide roi n'avait aucune intention de la récupérer, elle ne souhaiterait peut-être pas rester ici.
— C'est c'que t'essaies d'me faire croire, mais entr'nous, t'sais bien qu'ils n'me donn'ront rien. Si ça peut t'rassurer, tu s'ras transportée dans une d'nos cages humaines. Tu n's'ras pas un boulet, n't'en fais pas.
Le jeune prince se redressa et descendit du lit avant de ramener les quelques mèches de cheveux rebelles vers l'arrière. Lançant un dernier coup d'oeil vers la jeune femme, il ajouta, au bout de quelques minutes de silence :
— D'ailleurs, t's'ras pas la seule à v'nir avec nous. Le général aussi.
Sur ces mots, il sortit de la chambre dont la porte se ferma aussitôt derrière lui. Raya n'eut pas le temps de l'interpeler qu'il était déjà parti. Une vague de soulagement glissa le long de son corps malgré la situation. Grey était vivant.
Dès l'instant où la pensée traversa son esprit, elle plaqua une main contre sa bouche, ravagée par la culpabilité. Elle était rassurée à l'idée de savoir qu'elle ne serait pas seule à la capitale. Or contrairement à elle, Grey allait être soumis à des traitements inhumains, des tortures inimaginables. Elle était même certaine qu'ils se serviraient d'elle pour le contraindre à dévoiler des informations militaires.
Pourquoi avait-il fallu que cela tombât sur elle ?
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