Chapitre 41
La dernière chose à laquelle Juliette s'attendait était revoir le visage souriant de sa psychologue. Honnêtement, elle aurait pensé y trouver de la déception, du dégoût, ou même de la colère, mais certainement pas de la douceur et de l'enthousiasme.
« Ça fait longtemps que je ne t'ai pas vue. » Déclara le Docteur Dumeil en la guidant jusqu'à son bureau et en la faisant assoir sur le canapé, fermant la porte derrière elle. « Comment vas-tu ? »
Juliette fit ce qui lui était dit et prit place sur le canapé, les mains posées sur ses genoux. Elle n'osait pas s'appuyer sur le dossier, ne se sentant pas légitime de reprendre cette place qu'elle avait si lâchement abandonnée.
« Ça peut aller, merci. » Marmonna-t-elle sans regarder dans les yeux la femme qui avait tant cherché à l'aider.
« Est-ce que tu veux boire quelque chose ? » La jeune fille secoua la tête, mais elle installa tout de même deux verres sur la table basse accompagnés d'une carafe d'eau avant de prendre place dans son fauteuil habituel. « Alors dis-moi, qu'est-ce qui t'amène aujourd'hui ? »
Pendant quelques secondes, Juliette resta figée sur place. Non seulement elle avait oublié ce que ça faisait de se retrouver seule face à elle, mais elle avait aussi l'impression de ne pas en avoir le droit. Pas après la façon dont elle s'était comportée.
« Je suis désolée. » Lâcha-t-elle brusquement, prenant le Docteur Dumeil de court. « Je n'aurais pas dû- j'aurais au moins dû répondre à vos appels. Ce n'était pas correct et très malpoli de ma part, je suis désolée. »
La psychologue ne répondit pas tout de suite, faisant penser à Juliette qu'elle avait dit quelque chose de mal. Pourtant, elle voulait juste bien faire. Ce n'était pas grand-chose, mais s'excuser pour son comportement était mieux que de se taire et faire comme s'il ne s'était rien passé. Si elle pouvait avoir la conscience tranquille, alors elle n'était pas prête à laisser passer sa chance.
« Eh bien, ce n'est pas habituel, mais merci pour tes excuses. » Dit-elle enfin, provoquant une vague de soulagement chez la jeune fille qui s'autorisa à nouveau à respirer normalement. « Si ça peut te rassurer, » continua-t-elle avec un regard bienveillant, « tu n'es pas la première et tu ne seras certainement pas la dernière à disparaitre du jour au lendemain. Puis, l'avantage d'avoir une sportive comme patiente, c'est que je peux suivre tes résultats sur internet. Si tu as continué à faire ce que tu aimes, alors c'est que tu allais relativement bien. »
Juliette n'aurait pas dit qu'elle allait relativement bien. Ces derniers mois avaient été une véritable torture pour elle et elle ne cessait de regretter ce qu'il s'était passé. Ça avait été un enfer sur terre, mais ça, elle ne pouvait pas le savoir.
« Qu'est-ce qui t'a poussé à revenir Juliette ? » Lui demanda le Docteur Dumeil d'une voix douce qui ne manquait jamais de la mettre en confiance.
Cette dernière déglutit et haussa les épaules. « Louis, ma coach, mes parents, tout le monde. » Elle baissa les yeux, une boule se formant au fond de sa gorge. « Ce que j'ai fait. »
« Donc c'est toi qui as décidé de venir ? »
« Que je l'ai décidé ou qu'on m'ait forcée, on en vient au même. » Répliqua-t-elle d'un ton légèrement sarcastique en la regardant dans les yeux. « L'important c'est que je suis là. »
Cette fois-ci, une ombre passa sur le visage de la psychologue qui pinça les lèvres. « Je ne peux pas t'aider si tu ne veux pas d'aide. »
Juliette ressentit un pincement au cœur, ces paroles faisant directement écho à celles de Louis. Elle avait beau faire bonne figure, elle savait qu'elle ne s'en sortirait pas seule et qu'elle avait désespérément besoin d'une aide extérieure. C'était d'ailleurs pour ceci qu'elle était venue, elle n'avait pas attendu qu'on prenne rendez-vous pour elle.
Ses défenses s'effondrèrent peu à peu, laissant leur place à l'angoisse de devoir mettre des mots sur ce qu'elle ressentait et sur ce qui était en train de lui arriver. Le dire à voix haute n'allait que rendre la situation plus réelle.
« Je crois que j'ai fait une bêtise. » Murmura-t-elle d'une voix si basse qu'elle n'était pas sûre d'être audible.
« Une erreur est commise que lorsqu'elle ne peut pas être réparée. » Une lueur brilla dans le regard bleu de la femme. « Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »
Juliette prit une inspiration tremblante. Elle redoutait tant ce moment, comment allait-elle trouver le courage de s'exprimer alors qu'elle le fuyait depuis des semaines ? Mais elle savait aussi ce qui était en jeu et elle n'avait plus le choix.
« Je pense, » elle secoua la tête avant de se corriger, « je suis sûre d'avoir développé des troubles alimentaires et je ne sais pas comment m'en sortir. »
Un silence suivit sa déclaration, durant lequel ses mots volaient dans l'atmosphère et venaient perturber le calme qui régnait dans la pièce. Le bruit de la rue qui passait en bas de l'immeuble était étouffé par le vitrage, le transformant en bourdonnement qui résonnait aux oreilles de la jeune fille.
« Je ne vais pas te mentir Juliette, je ne peux pas dire que je suis étonnée. » Déclara enfin le Docteur Dumeil d'un air consterné. « Ce n'est pas la première fois que j'entends ce genre d'histoires en relation avec quelqu'un qui gravite dans ton milieu. »
« Pas sûre que ce soit pour les mêmes raisons. » Répliqua-t-elle, se sentant de plus en plus honteuse.
« Tu penses ? » Son ton laissait entendre qu'elle n'en était pas si convaincue, insinuant des doutes dans l'esprit de Juliette. « Non seulement c'est un sport qui se base beaucoup sur l'apparence, mais pendant des années on a laissé entendre aux patineuses qu'elles devaient être les plus menues, les plus maigres possibles pour réussir en haut niveau. Ça laisse forcément des marques. »
Juliette fronça les sourcils. « Pourtant, ma coach nous a toujours dit le contraire. Ça fait des années qu'elle nous répète que notre corps est notre instrument de travail et qu'on doit lui prodiguer tout ce dont il a besoin. Je le sais. »
« Mais tu fais toujours partie de la société et, que tu le veuilles ou non, elle a une influence sur toi. » Elle se redressa, posant son dossier et son stylo sur la table. « Je ne dis pas ça pour te décourager ou quoi que ce soit, mais c'est important de comprendre le fond du problème. »
La peur commençait à s'emparer de la jeune fille qui se sentait de plus en plus enfermée dans son problème. « Qu'est-ce que je dois faire ? »
La psychologue se leva et se dirigea vers son bureau, ouvrant un tiroir et fouillant à l'intérieur pour en sortir un petit cahier. « On va travailler toutes les deux sur le côté psychologique de ces troubles, comprendre d'où ils viennent et ce que ça signifie, mais également comment ne pas retomber dans ces travers. Mais tu vas aussi avoir besoin d'une rééducation et ça, je ne peux pas m'en charger. »
Elle revint s'installer près d'elle et nota quelque chose sur un bout de papier qu'elle lui tendit. Juliette baissa les yeux dessus et constata qu'il s'agissait d'un numéro de téléphone accompagné du nom d'une femme dont elle n'avait jamais entendu parler.
« C'est le contact d'une diététicienne, la meilleure de la ville si tu veux mon avis. Je pense qu'elle te correspondra plutôt bien. Elle a l'habitude de ce genre de cas, notamment dans le monde du sport. C'est la mieux placée pour t'aider. »
Sa respiration se coinça dans sa gorge alors qu'elle regardait le papier avec incertitude. Elle allait encore devoir mêler quelqu'un à ses problèmes, une inconnue en plus de ça. Elle allait à nouveau devoir expliquer ce qui lui était arrivée, expliquer qu'elle s'était laissée surprendre par une maladie dont elle connaissait tous les effets. Expliquer qu'elle n'avait pas été assez forte mentalement.
« Juliette. » Cette dernière se tourna vers le Docteur Dumeil qui l'observait, une lueur intense brillant dans ses yeux. « Tu as fait le plus dur en venant ici aujourd'hui. Je ne dis pas que le reste du chemin sera facile, il y aura des jours où tu voudras abandonner, mais tu es consciente du problème et tu sais qu'il faut y remédier. C'est déjà la moitié du travail. »
Juliette hocha la tête, les larmes lui montant aux yeux et complètement submergée par ses émotions. Elle essayait de se raccrocher à ses paroles, se répétant qu'elle avait bien fait et que c'était nécessaire. Mais ce qui se préparait devant elle l'angoissait. Si elle avait déjà l'impression de ne pas être au contrôle de sa propre vie, maintenant elle se sentait complètement démunie.
« Reprenons depuis le début. » Reprit la femme, s'emparant à nouveau de son dossier qui n'avait pas bougé de dessus la table. « Raconte-moi ce qu'il s'est passé depuis notre dernière séance, que ce soit avec tes parents, avec tes amis, dans ta carrière. Je veux tout savoir, tout ce que tu as ressenti pour qu'on puisse identifier les causes ensemble. »
Elles passèrent donc l'heure qui suivit à discuter des évènements de ces derniers mois. Juliette lui parla de sa solitude grandissante que le manque de ses parents ne faisait qu'accentuer, la frayeur qu'elle avait connu avec l'intervention de Nyx et, bien évidemment, l'abandon qu'elle avait ressenti lorsque Louis s'était mis à sortir avec Elena.
Plus elle parlait et moins il lui semblait compliqué de s'exprimer. A vrai dire, et même si certains passages étaient difficiles à raconter, elle se sentait plus légère, comme libérée du poids qui lui pesait sur les épaules depuis des mois.
Ce n'était pas étonnant, il ne fallait pas être la personne la plus intelligente au monde pour savoir que parler soulageait, le métier de psychologue était justement basé sur ce fait, mais le savoir n'effaçait pas l'effet.
« Tes crises de paniques sont donc moins fréquentes ? » Lui demanda le Docteur Dumeil alors qu'elle en était venue au point qui l'avait faire venir en premier lieu.
Juliette secoua la tête. « Je ne pense pas qu'elles sont moins fréquentes, juste qu'elles se traduisent différemment. »
Elle fronça les sourcils, penchant légèrement la tête sur le côté. « Qu'est-ce que tu veux dire ? »
« J'en ai fait quelques-unes où j'hyperventilais, comme d'habitude, et que j'ai réussi à arrêter, mais je ne pense pas que c'était les seules. » La jeune fille grimaça en se remémorant des souvenirs déplaisants. « Tous les soirs où je m'isolais et où je passais des heures à pleurer, je pense que c'en était. Je ressentais exactement la même chose, je m'exprimais juste différemment. »
La psychologue lui lança un regard surpris. « C'est une... Eh bien, c'est une très bonne analyse. Mais c'est bien, c'est très bien même. Ça veut dire que tu comprends ce que tu ressens et que tu arrives à identifier quand ton anxiété prend le dessus. » Un sourire se dessina sur ses lèvres. « C'est bien, comme quoi nos séances n'ont pas été inutiles après tout. »
Juliette baissa les yeux sur ses mains, sa culpabilité revenant à grands pas. « Je n'ai jamais pensé qu'elles étaient inutiles, je n'arrivais juste plus à venir. J'essayais de gérer la situation toute seule, mais j'imagine que je n'ai fait que l'empirer. »
« Je ne te blâme pas Juliette et tu ne devrais pas non plus. » La contre dit-elle en insistant du regard. « Tu as vécu des moments compliqués et tout à fait normal que ça ait été trop pour toi toute seule. Mais maintenant tu es entourée, alors mets tes décisions passées de côté et va de l'avant. »
La jeune fille chercha du regard le moment où elle allait lui rire au nez, lui disant en fait qu'elle se moquait d'elle et qu'elle pouvait rentrer chez elle dès à présent pour s'y enfermer et ne plus jamais sortir, dépérissant seule. Mais ce moment ne vint pas et les yeux de sa psychologue ne traduisaient que la confiance et l'encouragement qu'elle avait à son égard. Elle acquiesça donc, essayant de faire abstraction de tous ces sentiments contradictoires qui se battaient entre eux.
Le Docteur Dumeil regarda sa montre et ferma son dossier. « Très bien, on va s'arrêter ici pour aujourd'hui, mais je veux te voir au moins une fois par semaine à partir de maintenant, deux si tu en ressens le besoin. Même jour, même heure chaque semaine. »
Juliette hocha une nouvelle fois la tête et se leva, la laissant la raccompagner jusqu'à la porte. Elle sentait déjà que tu ses forces l'avaient quittée et ne pouvait pas attendre de rentrer chez elle et de s'effondrer sur son lit.
« N'oublie pas d'appeler la diététicienne et d'y aller le plus vite possible. Plus tu commences tôt et plus ce sera facile. »
Elle le lui promit et la remercia une dernière fois avant de quitter le cabinet et de descendre dans la rue.
Dès que Juliette mit un pied dehors, elle fut accablée par la foule qui la happa dans son mouvement. Elle ne savait pas pourquoi, mais les rues étaient bondées depuis quelques jours. C'était comme si toute la ville s'était donnée rendez-vous à l'extérieur, rendant difficile de se déplacer à pied et carrément impossible d'utiliser les transports en commun.
Elle mettait ceci sur le dos du beau temps qui commençait à revenir. Les températures s'étaient considérablement adoucies et le soleil faisait de plus en plus son apparition, remontant le moral des gens et leur donnant envie de ressortir.
Les premiers jours étaient toujours les plus compliqués en termes d'affluence, voilà pourquoi Juliette était ravie de ne pas avoir à sortir en dehors de ses rendez-vous. Elle préférait rester dans son appartement avec son chat, plutôt que de devoir sentir les aisselles malodorantes d'inconnus pour aller d'un point A à un point B.
Elle mit donc moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire pour rentrer chez elle, passant avec reconnaissance la porte de son immeuble. Elle monta les escaliers le plus rapidement possible, ne s'arrêtant qu'une fois qu'elle avait atteint son pallier. Elle entra dans l'appartement à bout de souffle et fut accueillit par un miaulement qui venait directement de derrière la porte.
Après une caresse à Nyx qui continua de la suivre, elle alla poser ses affaires sur la table de la cuisine, dont le numéro de la diététicienne qu'elle laissa en évidence pour ne pas l'oublier, avant de se tourner vers le reste de la pièce qui était vide.
Elle ne savait plus quoi faire et était prête à aller s'enfouir sous sa couette pour y rester le reste de l'après-midi.
Après autant de temps, elle avait oublié à quel point ces séances étaient épuisantes mentalement et émotionnellement. Elle était vidée de son énergie et ne se sentait même plus capable de réfléchir, ni même de penser. Elle était aussi vide qu'une coquille.
Alors qu'elle craquait enfin et s'apprêtait à prendre son chat avec elle pour aller se coucher, un bruit sourd retentit derrière la porte d'entrée suivit d'une série de bruissements et d'insultes étouffées. Curieuse, Juliette alla ouvrir la porte et se retrouva face à Louis qui se redressa vivement, d'un air aussi innocent que possible.
« Je suis tombé, d'accord ? Je n'ai pas vu la dernière marche. » Répondit-il à son regard interrogateur.
Son sac sur l'épaule et une main dans le dos, une mèche de cheveux lui tombait sur le front alors que le reste partait dans tous les sens, la capuche de son sweat de travers. Son apparence témoignait en effet de sa chute. Les yeux de la jeune fille s'arrêtèrent sur ce que sa main libre tenait.
« Tu as amené un de tes jeux vidéo ? » Lui demanda-t-elle en haussant un sourcil.
« Non. Oui. » Il tenta de l'amadouer avec un sourire. « Mais c'est pour moi, j'ai une quête à finir. Par contre, ça c'est pour toi. »
Il enleva sa main de derrière son dos, révélant un joli bouquet de fleurs roses, blanches et violettes. L'assortiment était fait de sorte que chacune des espèces était mise en valeur et faisait ressortir la beauté de la fleur à sa propre manière. Juliette l'observait avec un mélange d'admiration et de délicatesse.
C'était le plus beau bouquet qui lui avait été donné de voir.
Louis se passa une main dans les cheveux d'un geste maladroit. « Je vais pas mentir, je n'y connais pas grand chose et je le trouvais juste joli, mais la fleuriste m'a dit que c'était des- »
« Tulipes, primevères et violettes. » L'interrompit-elle, son regard passant du bouquet à son meilleur ami. « Que des fleurs de saison. » Elle s'empara du bouquet qu'il lui tendait et lui adressa un grand sourire. « Merci, elles sont magnifiques. »
Juliette fit demi-tour pour se rendre dans la cuisine, toujours incapable de se défaire de son sourire, et le laissa enfin entrer. Elle prit un vase que lui avait un jour amenée sa mère et le remplit d'eau pour venir y déposer doucement les fleurs. Elle le laissa sur la table de la cuisine, la première chose de visible en entrant dans l'appartement.
Un sentiment d'affection se répandait en elle à chaque fois qu'elle venait poser les yeux dessus et elle ne doutait pas une seule seconde que le rouge lui montait aux joues. C'était la première fois qu'on lui offrait un bouquet de fleurs. Ce n'était pas grand chose, mais le sentiment qui était à l'origine de ce geste disait beaucoup et ça valait tout l'or du monde à ses yeux.
Au bout d'un temps qui devait être beaucoup trop long pour qu'il paraisse anodin, Juliette s'en détourna et se concentra sur Louis. Le garçon l'observait, une lueur malicieuse dans le regard. D'un geste rapide, il leva son jeu et fit un signe de tête en direction du canapé. Ils s'installèrent donc l'un à côté de l'autre, Nyx sur les genoux de la jeune fille.
Louis passa l'après-midi à commenter sa façon de jouer, exagérant à chaque fois qu'il perdait ou gagnait, cherchant pas tous moyens à la faire rire et atteignant à chaque fois son but. Au bout d'un certain temps, bercée par le son de sa voix et la chaleur qui se dégageait de son corps, Juliette s'assoupît.
9 chapitres.
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