Chapitre 25
Juliette regardait les affaires de Louis dans son casier avec les sourcils froncés. Tout y était, son sac, son blouson, ses baskets, mais pas ses patins. Ce ne serait pas étrange s'il n'était même pas encore huit heures et quart. Elle jeta un coup d'œil à l'heure qui s'affichait sur son téléphone, mais c'était bien juste.
Contrariée, elle retourna à sa contemplation, mille questions lui venant en tête. Comment ? Encore ? Pourquoi ? Plus elle regardait, plus un sentiment de confusion et d'incompréhension se répandait en elle.
Une voix enjouée la salua alors que sa propriétaire s'installait à ses côtés, face à son propre casier. Juliette n'avait pas besoin de se retourner pour savoir qui c'était, son casier se trouvant entre celui de Louis et celui d'Anastasiya.
« Qu'est-ce que tu fais ? » Lui demanda cette dernière, certainement intriguée par la fixité de son amie.
« Louis est déjà là. » Répondit-elle d'une voix monotone. « Il est arrivé avant moi. »
« C'est une bonne chose. » Juliette se tourna enfin vers elle alors qu'elle haussait les épaules avec un sourire. « Ça évite qu'il soit en retard, comme à son habitude. »
Sauf que c'était exactement pour cette raison que Juliette était perturbée. « Justement, ça ne lui ressemble pas et ça fait déjà plus d'une semaine qu'il est là super tôt tous les jours. »
Anastasiya fronça les sourcils. Tout dans son expression disait qu'elle n'était pas sûre de cerner le problème. « Et ? »
Elle soupira et se tourna à nouveau vers les affaires de son meilleur ami, espérant à demi-mot qu'elles aient disparue entre temps. « Et il ne veut pas me dire pourquoi. A chaque fois que je lui pose la question, il trouve le moyen de détourner la discussion ou m'ignore complètement. Bien sûr, c'est s'il ne fait pas semblant de ne pas avoir entendu. »
« Il vient certainement juste pour patiner seul avant le début des entrainements. » Tenta son amie, essayant de la convaincre. « Histoire de se détendre un peu. »
« Et c'est une super idée, il aurait totalement raison. » Juliette grimaça, baissant ses yeux sur ses mains. « Mais dans ce cas-là, pourquoi est-ce qu'il ne me le dit tout simplement pas ? »
C'était ce qu'elle ne comprenait pas. S'il ne faisait que patiner, ce qui était le plus logique puisque ses patins disparaissaient tous les matins, pourquoi est-ce qu'il tenait tant à le garder secret ? Elle était ravie qu'il se décide enfin à en profiter et à sortir du cadre professionnel, c'était la meilleure décision qu'il puisse prendre.
Anastasiya pencha la tête sur le côté. « Peut-être qu'il se sent coupable. »
Cette réflexion ne fit qu'accentuer la confusion de la jeune fille. « Coupable de quoi ? De patiner sans moi ? Je le fais tout le temps sans lui, plusieurs fois par semaine, ce n'est pas pour autant qu'il m'en veut. »
« Je ne sais pas Juliette, ce n'est qu'une suggestion. » Son amie lui prit la main et la lui serra. « Je suis sûre que ce n'est rien et que tu te montes la tête inutilement. »
Seulement, Juliette n'en était pas si sûre. Un mauvais pressentiment lui venait avec cette histoire et, après tout ce qui s'était passé entre eux ces derniers mois, elle n'avait pas envie que quelque chose d'autre vienne entacher leur relation. Tout allait tellement bien en ce moment, pourquoi fallait-il que ça déraille maintenant ?
Avant qu'elle ne puisse évoquer ses inquiétudes à voix haute, une nouvelle compagnie s'approcha d'elles. Valeriy s'accroupit à côté de leur banc et leur adressa à chacune un sourire en signe de salutation.
Il ne perdit pas de temps avec des mondanités et alla droit au but. « Il y a une nouvelle salle de rollers qui vient d'ouvrir et ils organisent en parallèle une soirée karaoké ce soir, ça vous dit d'y aller ? »
Le visage d'Anastasiya s'éclaira. « J'adore les karaoké ! » Elle se tourna ensuite vers Juliette. « Dis oui, ça va être drôle ! S'il te plait, s'il te plait, s'il te plait. »
Un sourire amusé se dessina sur ses lèvres. « Tu sais que j'allais dire oui sans que tu aies à me supplier, n'est-ce pas ? »
« Génial. » Répondit Valeriy alors que la jeune fille levait les yeux au ciel. « J'ai déjà demandé à Anton, Eléonore et Thibaut, c'est bon pour eux, et je vais aller voir Baptiste. Le but c'est que toute l'équipe s'y retrouve. » Il se leva et commença à s'éloigner à reculons. « On se rejoint là-bas à dix-neuf heures, j'envoie l'adresse sur le groupe. »
« Attends Val'. » S'exclama Juliette avant qu'il ne soit hors de portée. « Est-ce que t'en as parlé à Louis ? »
C'est alors que l'expression du garçon fit quelque chose qu'elle n'avait jamais vu sur lui. Une lueur sombre passa dans son regard et son sourire retomba. Seulement, cet instant fut tellement bref que Juliette crut l'avoir imaginé. Devant elle se tenait un Valeriy joyeux et tel qu'elle l'avait toujours connu.
« Je te laisse le faire. » S'écria-t-il avant de sortir précipitamment du vestiaire sans regarder derrière lui.
Plus confuse que jamais, elle se tourna vers Anastasiya qui semblait elle aussi dans l'incompréhension. « Tu as vu la même chose que moi ou j'ai rêvé ? »
« Je ne sais pas trop. » Elle fronça les sourcils. « Il s'est passé quelque chose entre eux ? »
Juliette secoua la tête. « Je ne crois pas. Enfin, ça fait un moment que je ne les ai pas vus ensemble, mais s'il y avait eu un truc, Louis m'en aurait parlé. »
Ou pas.
Cette réflexion la contraria. Est-ce que ce serait aussi quelque chose qu'il ne lui aurait pas dite ? Combien de trucs lui cachait-il ? Elle essaya tant bien que mal de chasser ces pensées. Jamais Louis ne lui cacherait des informations importantes, elle se faisait simplement des idées et se torturait l'esprit inutilement.
« Quoi que ce soit, » dit-elle avec détermination, « je suis sûre que ça va s'arranger tout seul. Comme d'habitude, ils vont oublier et passer à autre chose sans même s'en rendre compte. »
« L'avantage d'être un mec et d'avoir une mémoire aussi mauvaise que la leur. » Rigola Anastasiya et Juliette ne put s'empêcher de la rejoindre. D'ailleurs, tu sais pourquoi Natalia a interverti nos entrainements aujourd'hui ? » Lui demanda-t-elle une fois calmée.
Juliette hocha la tête. En effet, leur entrainement de chorégraphie avait été interverti avec celui sur la glace, ce qui faisait qu'ils avaient échangé leur place avec Anastasiya et Baptiste. « Elle n'est pas vraiment satisfaite par la façon dont on entreprend nos mouvements donc elle veut qu'on passe plus de temps à les travailler à pied. »
« Vous êtes bons pour de bonnes grosses séances de renforcement musculaire. » Commenta-t-elle avec une légère once de compassion et Juliette pouvait déjà s'imaginer en train de souffrir pendant des heures. « Bon, il faut que j'y aille. En tout cas, ne t'en fait pas pour Louis, il te parlera quand il en aura envie. »
Elle lui serra une dernière fois le bras en signe d'encouragement avant de partir en direction du studio A. Juliette essaya de s'accrocher aux paroles de son amie, se répétant en boucle que tout était dans sa tête. De toute manière, rien ne l'empêchait de reposer la question à Louis et d'insister pour avoir une réponse.
Décidée à suivre ce plan, elle termina de lasser ses patins et enfila sa doudoune sans manche avant de prendre sa gourde et son téléphone pour se rendre sur le patinoire.
Lorsqu'elle entra dans l'enceinte, elle alla directement poser ses affaires à côté de celles de Louis, prêtant tout juste attention à celles qui s'y trouvaient déjà et qu'elle ne connaissait pas, enfilant ses gants le temps de son échauffement et se débarrassant de ses protèges-lames.
Alors qu'elle s'apprêtait à poser le pied sur la glace, elle releva la tête et s'immobilisa instantanément dans son mouvement. Ses yeux scannaient la scène qui se déroulait devant elle, mais son cerveau avait du mal à enregistrer l'information qui lui était donnée.
Comme elle s'en doutait déjà, Louis était bel et bien sur la piste, mais il n'était pas tout seul. A côté de lui se tenait Elena, le visage illuminé par un sourire qu'elle ne lui avait jamais vu. Juliette n'avait pas la moindre idée de ce qu'ils étaient en train de se dire, mais tous deux semblaient joyeux d'être en la présence de l'autre.
Une boule se forma dans la gorge de la jeune fille et elle n'était pas sûre de vouloir savoir d'où elle venait. De nombreuses questions lui venaient à l'esprit, mais elles étaient rapidement noyées par le malaise qui s'emparait de son estomac.
Elle ne savait pas qu'ils se connaissaient, du moins pas plus qu'avec les autres membres de l'équipe. Elena était plutôt solitaire, elle ne leur adressait que très rarement la parole et c'était généralement que lorsqu'ils parlaient de leur carrière. Elle trainait avec elle un air professionnel qu'elle ne délaissait jamais et ne se mélangeait jamais trop avec eux. Elle n'avait pas l'air méchante, mais elle était sérieuse.
Juliette sursauta en entendant un rire se répercuter sur les murs de la patinoire et observa le sourire déjà existant de Louis s'élargir alors qu'il regardait Elena rigoler de bon cœur, comme si c'était dans ses habitudes.
Son cœur se serra. Les yeux du garçon retranscrivaient toute la douceur qu'il ressentait à l'égard de la jeune fille, il la regardait comme s'il n'y avait qu'elle autour de lui.
Et Juliette s'en sentait malade.
Elle ne l'avait jamais vu regarder quelqu'un de la sorte, personne mis à part elle-même. Une pointe de jalousie lui laissa un goût amer dans la bouche alors qu'elle ne se sentait pas du tout légitime à la ressentir.
Louis était son meilleur ami. Il était beau, gentil et charmeur. Il était jeune et commençait tout juste à pouvoir vivre sa vie. Elle n'était pas du tout étonnée qu'il attire l'attention des filles et savait que ça allait arriver un jour ou l'autre. Si on lui demandait son avis, elle dirait sans aucun doute qu'il était parfait et que quiconque aurait la chance de terminer avec aurait une chance inouïe.
Seulement, et elle se trouvait très égoïste pour penser comme ceci, elle n'avait pas envie que ça arrive. Pas tout de suite.
Elle n'était pas vraiment sûre de savoir pourquoi, peut-être était-ce qu'elle avait peur que cela entraine un changement dans leur dynamique, mais elle était convaincue que, pour l'instant, ce n'était pas une bonne idée.
Juliette grimaça. Comment pouvait-elle avoir ce genre de pensées, ne pas vouloir qu'il trouve quelqu'un et qu'il en soit heureux ? C'était bien plus que de l'égoïsme, c'était de l'irrespect. Non, il fallait qu'elle mette tous ces mauvais sentiments de côté et qu'elle le soutienne, peu importe la décision qu'il voulait prendre.
Secouant la tête et continuant à se réprimander mentalement, Juliette entra enfin sur la glace et se dirigea vers eux avec un sourire qu'elle espérait convaincant et qui ne ressemblait pas simplement à la tête qu'elle ferait si elle avait avalé de travers. « Hey. »
Tous deux se tournèrent vers elle avec surprise, ce qui lui confirma qu'ils ne l'avaient pas vue arriver. Juliette essaya de ne pas trop se faire d'idée face à cette constatation. Certes, elle n'était pas vraiment imposante et était plutôt discrète de nature, mais elle n'avait pas non plus cherché à se cacher.
Louis fronça les sourcils et jeta un coup d'œil à sa montre. « C'est déjà l'heure ? Mince, je n'ai pas vu le temps passer et je n'ai même pu faire la moitié de ce que je voulais faire. »
Elena haussa les épaules, toujours le même sourire plaqué sur le visage. « Ce n'est pas grave, tu pourras le faire plus tard. Ce n'est pas comme si tu étais pressé. »
Il lui lança un nouveau regard et Juliette se sentit incroyablement exclue de leur interaction silencieuse. Elle n'était pas à sa place et n'avait aucun droit d'assister à cet échange. Il fallait qu'elle dise quelque chose, n'importe quoi.
« Valeriy propose qu'on aille au roller qui vient d'ouvrir ce soir, ils organisent également un soirée karaoké. » Dit-elle en plaçant ses mains sur ses hanches, dans l'espoir de se donner un air désintéressé. Elle inspira en se tournant vers Elena. « Bien sûr, tu es invitée aussi. C'est une soirée pour toute l'équipe. »
Le sourire de la jeune fille retomba alors qu'elle replaçait une mèche de ses cheveux derrière son oreille. « Je ne sais pas trop, avec l'entrainement demain... »
« Oh allez, » l'interrompit Louis en levant les yeux au ciel, « l'entrainement sera là quoiqu'il arrive. Souviens-toi de ce que je t'ai dit. »
Il continua à insister du regard et Juliette put constater ses défenses tomber une à une. Elle finit par soupirer. « Très bien, je ne promets rien, mais je vais y réfléchir. Il faut que j'y aille, on se voit plus tard. Bon entraînement ! »
Sur ces paroles, elle posa une main sur l'avant-bras de Louis avant de s'éloigner pour aller vaquer à ses occupations. Ce geste n'avait durer qu'une demi-seconde, mais Juliette restait fixée dessus. Elle sentait sa paupière tressauter légèrement et sa respiration se faire saccadée.
Elle lui avait simplement touché le bras. Tout le monde pouvait lui toucher le bras. Juliette elle-même touchait des bras à longueur de journée. C'était exactement ce qu'avait fait Anastasiya juste avant qu'elle ne se rende sur la patinoire.
Juste un touché du bras totalement innocent. Ou pas.
« Ça va ? » Elle se tourna vers son meilleur ami qui l'observait avec incertitude. « T'as l'air un peu... crispée. »
« Ça va très bien. » Dit-elle précipitamment avec un sourire, espérant que son expression n'était pas aussi figée qu'elle le sentait. Elle se racla la gorge pour essayer de se redonner un peu de contenance. « Je ne savais pas que vous vous connaissiez. Enfin, pas connaitre à proprement parler, je sais bien que c'est le cas. Vous vous entrainez dans la même équipe donc forcément. Ce n'est pas comme si- »
Louis l'interrompit, sa confusion ayant laissé place à de l'amusement. « Ju', tu commences à radoter. » Elle baissa les yeux en s'excusant. « Je l'ai croisée un matin et on a sympathisé. »
Juliette se mordit la langue pour s'empêcher de dire ce qui lui passait par la tête. « Elle a l'air gentille. »
« Elle l'est ! Super intelligente, surtout émotionnellement parlant. C'est juste dommage qu'elle ne veuille pas plus se mélanger à nous. »
La jeune fille le regarder parler avec une attention toute particulière. Il employait le même ton pour parler d'Elena que celui qu'il utilisait pour parler de ses parents et même de sa sœur lorsqu'ils ne s'entretuaient pas. Ses yeux noisette brillaient tellement qu'ils avaient pris une teinte dorée. L'affection qui s'en dégageait en était presque étouffante.
Juliette espérait qu'il lui arrivait de parler d'elle avec la même estime.
L'ironie de la situation était à mourir de rire. C'était elle qui le connaissait depuis toutes ces années, mais voilà qu'elle souhaitait être sur le même piédestal qu'une fille qu'il ne connaissait que depuis une semaine et demie. C'était ridicule.
« C'est pour ça que je lui ai dit qu'il fallait qu'elle vienne ce soir. » Continua-t-il, complètement aveugle à ses états d'âme. « Je veux dire, elle m'a aidé, c'est le moins que je puisse faire de mon côté. »
Juliette fronça les sourcils. « Elle t'a aidé ? »
Il hocha la tête. « Elle m'a encouragé à patiner tout seul pour que je puisse décompresser avant les entrainements. Comme ça je peux donner le meilleur de moi la journée. »
Juliette eut l'impression qu'on la poignardait en plein cœur. Elle ne savait pas s'il s'était rendu compte de ce qu'il venait de dire, mais elle en ressentit les effets immédiatement. C'était un conseil qu'elle lui donnait depuis maintenant tellement longtemps, mais il ne l'avait jamais prise au mot. Il avait toujours balayé sa remarque de la main en affirmant que les entrainements lui suffisaient amplement. Mais maintenant qu'Elena lui avait suggérer cette option, il en avait soudainement besoin ?
Son estomac se contracta et une sensation de nausée la prit à la gorge. « C'est pour ça que tu viens tous les matins. »
« C'est tranquille, il n'y a personne. » Se contenta-t-il de dire avec un sourire. « Tu veux t'échauffer toute seule ou tu veux qu'on le fasse en parallèle ? »
Juliette força un sourire. « Tu t'es déjà échauffée, on fera juste nos exercices à deux ensemble. »
Il acquiesça une nouvelle fois avant de s'éloigner. La jeune fille le regarda faire, sortir de la glace pour s'asseoir juste à côté de leurs affaires et prendre une gorgée d'eau. Il aligna ensuite leurs deux gourdes et en fit de même avec leurs protèges-lames avant de mettre leurs téléphones l'un sur l'autre.
C'étaient des tocs qu'il avait depuis des années, des habitudes qu'il avait à chaque début d'entrainement. Juliette ne manquait jamais de le remarquer, elle le connaissait bien trop pour ça. Seulement, à cet instant précis, elle avait l'impression d'être face à un inconnu.
Sauf que le problème ne venait pas de lui. Non, il ne pouvait pas venir de lui. S'il avait préféré écouter les conseils d'Elena, c'est parce qu'elle était extérieure à leur couple et qu'il devait la penser plus objective. Il ne l'avait pas fait consciemment pour la faire souffrir.
D'ailleurs, si Juliette se sentait aussi blessée, c'était uniquement parce qu'elle était jalouse alors qu'elle n'avait pas à l'être. Ce qu'elle ressentait était totalement irrationnel et n'avait pas lieu d'exister.
Non, il fallait qu'elle travaille sur elle et qu'elle se détache de toute cette histoire qui ne la regardait pas. Elle était la meilleure amie de Louis et c'était tout. Rien de plus, rien de moins.
Ignorant le mal-être persistant qui lui dévorait les entrailles, elle s'élança sur la glace pour entamer son échauffement.
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