Chapitre 23
Le spectacle auquel ils étaient en train d'assister était exceptionnel. Ils avaient l'opportunité d'être spectateurs d'une performance exclusive de deux champions olympiques qui étaient venus spécialement pour eux. C'était une chance sur un million et Louis n'en perdait pas une miette.
Accompagné de toute l'équipe, il était assis sur les gradins et observait Anya Perova et Ivan Maslak dérouler l'un de leurs programmes, ce qu'ils avaient gentiment proposé après une journée d'entrainement intensive.
Celle-ci avait été incroyable. Ils avaient tellement appris en termes de technique, mais également en termes de gestion personnelle lors de grands évènements. Ils avaient pu poser toutes les questions qu'ils souhaitaient, allant du choc culturel à voyager dans un autre pays jusqu'au niveau de leurs concurrents internationaux, ils avaient répondu avec bonne volonté.
Anya et Ivan avaient passé beaucoup de temps avec Juliette et Louis, les aidant à corriger leur position et leur donnant des conseils pour améliorer leur interprétation. Ils leur avaient même appris de nouveaux pas dont la difficulté était plus importante et qu'ils n'hésiteraient pas à intégrer dans leurs chorégraphies s'ils arrivaient à les perfectionner.
Ce qu'ils avaient appris ce jour-là avait une valeur incommensurable.
Juliette était aux anges. Louis avait bien vu qu'elle n'avait pas réussi à combattre la timidité qui s'était emparée d'elle lorsqu'ils étaient arrivés, mais son côté professionnel l'avait vite rattrapée. Elle s'était concentrée sur ce qu'elle devait apprendre et avait entrepris cet entrainement avec un sérieux à toute épreuve. Mais maintenant que leur journée était terminée et qu'ils pouvaient enfin en profiter, son naturel revint au galop.
Louis lui jeta un coup d'œil. Les yeux rivés sur la glace, elle suivait le mouvement des deux patineurs avec une fixité qui pouvait en effrayer plus d'un. Ses iris étincelaient à la lumière des néons qui couvraient la patinoire et étaient d'un bleu clair et léger, signe qu'elle savourait la danse sans se poser trop de questions.
Un sourire planait sur ses lèvres alors que le bout de son nez et ses joues étaient teintés d'une couleur rougeâtre qui faisait ressortir ses longs cils noirs. Elle traçait distraitement du doigt sur son genoux le chemin de leur reprise, ayant mémorisé chacune des courbes et des arrêts.
« Elle est si belle. » Murmura-t-elle comme si elle avait peur que le son de sa voix les déconcentre. Sentant son regard sur elle, elle se tourna rapidement dans sa direction. « C'est vrai, tu as déjà vu quelqu'un patiner avec une telle élégance ? »
Louis était bien tenté de répondre que oui, elle était tout aussi élégante et gracieuse lorsqu'elle était sur la glace, mais il savait qu'elle ne le croirait pas. Il ne dit donc rien et la laissa retourner à sa contemplation, l'imitant.
« C'est mon programme préféré, » continua-t-elle, toujours hypnotisée par la performance qui se déroulait sous ses yeux, « c'est celui qui leur a permis de gagner leur seconde médaille olympique. »
Un sourire se glissa sur les lèvres du garçon. « Je sais, j'étais avec toi ce jour-là. »
C'était un moment dont il se souvenait parfaitement. Les derniers jeux olympiques se déroulant dans un pays avec lequel le décalage horaire était effrayant, la dernière épreuve de danse sur glace avait été programmée tard dans la nuit. Ils avaient longtemps hésité à la regarder chez elle ou chez lui, mais s'étaient décidés sur son appartement pour ne pas réveiller les parents de Louis qui se réveillaient tôt le lendemain matin pour aller travailler.
Ils avaient donc veillé tard, mettant tout en œuvre pour ne pas s'endormir et ne pas rater le lancement de l'épreuve. À la suite de leur classement provisoire, Anya et Ivan passaient dans les derniers, ils avaient donc dû attendre encore plus longtemps pour voir leur performance, mais ils ne le regrettaient en rien.
Lorsque leur victoire avait été annoncée, Juliette et Louis avait eu du mal à se retenir de ne pas sauter dans tout l'appartement pour ne pas réveiller les voisins du dessous. L'euphorie était telle qu'ils n'avaient pas réussi à se rendormir par la suite et qu'ils avaient failli arriver en retard à leur entrainement du lendemain.
Depuis lors, ils n'avaient plus eu l'occasion de se poser devant une compétition internationale avec la même anticipation. Voilà pourquoi Louis était particulièrement attaché à ce souvenir.
L'interruption de la musique le sortit de ses pensées et il s'en voulu presque d'avoir loupé la fin de leur chorégraphie. Le reste des évènements se passa très rapidement, Anya et Ivan ne devaient pas tarder s'ils voulaient avoir leur train. Ils saluèrent donc tout le monde, les remercièrent pour leur accueil et leur souhaitèrent bonne chance pour le reste de la saison avant de partir.
« Tu te rends compte qu'ils sont venus spécialement pour nous ? » S'exclama Juliette, n'arrivant toujours pas à laisser son excitation retomber. « Legov leur a demandé de venir nous voir, nous. » Louis s'apprêtait à lui répondre, mais elle écarquilla les yeux, la panique s'installant sur son visage. « Ça veut dire qu'il n'est toujours pas convaincu, il n'est toujours pas sûr de vouloir nous sélectionner. »
« D'accord, je t'arrête tout de suite. » La coupa-t-il en fronçant les sourcils. « Legov ne sait pas ce qu'il tourne, mais il n'est pas bête. Je suis sûr qu'il veut juste voir comment on travaille sous la pression, il doit avoir peur qu'on ne puisse pas gérer lors d'un évènement aussi majeur. »
Seulement, Juliette ne l'écoutait que d'une oreille. « C'est ma faute, je suis celle qui stresse pour un rien. Il a dû entendre parler de mes crises de panique et il n'a pas confiance en moi. C'est moi qui nous retiens depuis le début. »
Louis la força à le regarder. « Ce n'est pas ce que j'ai dit. On est le meilleur couple sur le circuit actuellement, on le sait et il le sait. S'il y a bien quelqu'un qui nous empêche d'avancer, c'est lui. On sait travailler sous pression, on le fait depuis des années, rien de tout ça n'est de ta faute. »
Pendant quelques secondes, Juliette semblait prête à le contredire, mais elle soupira et hocha la tête. « T'as raison, de toute manière on ne saura jamais pourquoi il ne nous a pas sélectionné tout de suite. »
Louis haussa les épaules. « On n'a pas besoin de le savoir, on va être sélectionné et c'est tout ce qui compte. »
« J'aimerai avoir ton optimisme. » Marmonna-t-elle avant de se tourner vers Anastasiya qui lui faisait signe d'approcher. « Tu manges avec moi ce soir ? » Lui demanda-t-elle juste avant de partir.
« Je te rejoins là-bas » Acquiesça-t-il sans bouger de son siège.
Avec un dernier sourire en sa direction, Juliette alla rejoindre ses amies. Le garçon la suivit du regard jusqu'à le perdre de vue complètement, ses paroles lui trottant dans la tête. Il refusait de croire que leur sélection ne dépendait que d'une histoire de pression. Il ne savait pas à quoi jouait Legov, mais il commençait sérieusement à lui sortir par les yeux.
« Elle a raison tu sais. »
Louis sursauta en entendant une nouvelle voix s'adresser à lui et observa la propriétaire s'arrêter devant lui. Elena arborait un sourire poli et ses yeux foncés étaient attentifs à son interlocuteur. Ses cheveux noirs étaient rassemblés en un chignon tressé qui trônait à la base de sa nuque, contrastant nettement avec son pull blanc, mais rappelant la couleur de son legging.
S'il était honnête avec lui-même, il devait admettre qu'il la connaissait très peu. Malgré sa gentillesse, Elena n'était pas du genre à s'épancher dans des relations amicales. Elle était très concentrée sur sa carrière et ne prenait pas le temps pour apprendre à les connaitre. Jusqu'à présent, leurs interactions s'élevaient au nombre de zéro.
Elle dut interpréter son silence comme un reproche puisqu'elle grimaça. « Désolée, je ne voulais pas écouter votre conversation, mais tu sais comme moi que les voix portent sur les gradins. »
Son excuse lui fit l'effet d'un électrochoc et il secoua la tête. « Ne t'en fais pas, ce n'est pas grave. C'est juste que- » Il pencha la tête sur le côté. « Qu'est-ce que tu entends par elle a raison ? »
Elle croisa les bras sur sa poitrine. « Quand elle dit que si vous ne pouvez pas aller plus loin c'est parce que quelque chose vous retient. »
« D'accord, mais je ne vois pas ce que c'est, je ne comprends pas pourquoi Legov n'est pas convaincu depuis toutes ces années. » Répondit-il avec frustration. « Et ne viens pas me dire que c'est à cause de Juliette parce que c'est totalement faux. »
« Ah, mais je suis entièrement d'accord avec toi. Pour moi, Juliette n'a rien à voir avec cette décision. » Elena s'appuya contre la rambarde, ne le lâchant pas de son regard orageux. « Elle stresse peut-être beaucoup, mais ça ne l'a jamais empêchée de donner ce qu'elle avait de mieux sur la glace. Elle est excellente et tout le monde aimerait l'avoir dans son équipe. »
« Exactement ! Elle est tout ce que tout le monde veut donc- » Louis s'interrompit brusquement, son cerveau prenant enfin en compte toute l'ampleur de ses paroles. « Elle est tout ce qu'ils veulent. Tu crois que- » Il n'arriva pas à terminer sa phrase, ses pensées s'agitant dans tous les sens.
La jeune fille soupira et le regarda d'un air sympathique. « Si le problème ne vient ni de votre niveau, ni de Juliette, c'est qu'il vient d'ailleurs. » Elle sembla hésiter, comme si elle n'était pas sûre des mots à utiliser. « Pourquoi est-ce tu patines Louis ? »
Le garçon leva les yeux au ciel, comprenant très bien où elle voulait en venir avec cette question. « Parce que j'aime ça, pourquoi est-ce que tout le monde s'imagine que je le fais par obligation ? »
Louis était très sincèrement agacé. Voilà des années maintenant qu'il patinait tous les jours, qu'il y dévouait tout son temps libre. Pourquoi se mettrait-il dans cette situation si ce n'était pas ce qu'il aimait ? Ça n'avait aucun sens.
Elena grimaça, sentant très certainement sa contrariété. Seulement, elle était directe et elle n'était pas venue lui parler pour épargner ses sentiments. « Si tout le monde le dit, c'est qu'il y a une raison. C'est vraiment pour toi que tu t'es lancé dans cette carrière ? »
« Evidemment ! » S'exclama-t-il, un mal de tête commençant peu à peu à s'installer. « Juliette compte sur moi. »
« Tu vois, le problème est exactement là. Tu ne patines pas avec elle, tu patines pour elle. » Rétorqua-t-elle en ouvrant les bras.
Louis se prit la tête dans les mains. « Ce n'est pas vrai. Et puis, même si c'était le cas, je ne vois pas le rapport avec ma décision de poursuivre professionnellement. »
« Vraiment ? » Elena pencha la tête sur le côté. Il avait l'impression que ses yeux pénétraient son âme et en scannait tous les recoins. « Dans ce cas-là, si tu avais fait du patinage artistique, est-ce que tu en aurais fait ta carrière ? »
« Je n'aime pas le patinage artistique. » Répondit-il avec mauvaise fois.
Cette fois-ci, ce fut au tour de la jeune fille de lever les yeux au ciel. « Fais un effort. Si c'était ce que tu aimais faire ou s'ils avaient ouvert une catégorie solo pour la danse sur glace, est-ce que tu aurais pris la même décision ? »
Louis resta silencieux, réfléchissant à ce qu'elle venait de lui dire. Il avait du mal à s'imaginer seul sur la glace, il n'y voyait absolument aucun intérêt. Alors oui, il pourrait partager ses victoires avec sa famille et son équipe, mais d'où viendrait son plaisir s'il ne pouvait pas les partager directement avec quelqu'un qui les méritait tout autant, avec celle qu'il voulait emmener le plus loin possible ?
Elena soupira et se redressa. « Je ne dis pas ça pour t'embêter Louis, mais tu l'as dit toi-même, Legov n'est pas bête. S'il vous met de côté depuis toutes ces années alors que vous avez clairement le niveau pour vous faire une place sur la scène internationale, c'est parce qu'il doit penser que tu ne le veux pas réellement. » Elle lui lança un regard insistant. « Si tu veux changer ça et emmener Juliette plus loin comme tu le lui l'as promis, alors il faut que tu trouves ta propre motivation, une motivation qui n'a rien à voir avec elle. »
Le garçon avait du mal à concevoir que c'était possible. Il ne comprenait pas non plus en quoi c'était mal de sa part de vouloir patiner pour Juliette. Le résultat était le même, il donnait son possible alors qu'il le fasse pour lui-même ou pour elle.
Il soupira. Tous les problèmes qu'ils avaient rencontré ces dernières semaines étaient rentrés dans l'ordre, il était enfin en paix avec son esprit. Pourquoi fallait-il que de nouveaux doutes lui tombent dessus ? Qu'est-ce qu'il avait fait pour que son karma s'acharne à ce point sur lui ?
« Je viens patiner tôt les matins, avant que tout le monde n'arrive. » Reprit Elena, attirant à nouveau son regard sur elle. « Viens avec moi et remets-toi à patiner tout seul pendant des petites périodes, juste avant de reprendre tes entrainements. Retrouve ce pourquoi tu as commencé ce sport il y a toutes ces années, reconnecte avec ta passion et mets de côté le dévouement que tu portes à Juliette. »
Une drôle de sensation s'installa dans l'estomac de Louis alors qu'elle l'observait, attendant sa réponse. Elle était tellement différente de Juliette, mais à la fois tellement similaire. Elles étaient toutes les deux déterminées et mettaient tout en œuvre pour réaliser leurs rêves. Mais alors qu'Elena était franche, limite froide, Juliette était douce et délicate. Il ne savait pas quoi faire de ce contraste qui jouait avec lui et avec sa tête.
De plus, il n'était pas vraiment sûr de vouloir appliquer la dernière partie de sa phrase. Il aimait la dévotion et la loyauté qu'il portait à sa meilleure amie, ce n'était pas quelque chose qu'il avait envie de mettre de côté, même pour son plaisir personnel.
Seulement, s'il était vraiment responsable de leur absence de sélection jusqu'à présent, alors il fallait qu'il trouve un moyen d'y remédier.
« D'accord, » répondit-il en haussant les épaules, « d'accord je vais essayer. »
Elle lui adressa un dernier sourire avant de partir et Louis se retrouva à nouveau seul avec ses pensées.
Il souhaitait tellement qu'elle ait tord et que Legov ne savait juste pas ce qu'il voulait. C'était tellement plus simple pour lui de rejeter la faute sur quelqu'un d'autre plutôt que de se remettre en question. Il ne voulait pas être responsable de leur échec, encore moins si cela voulait dire empêcher Juliette de réaliser ses rêves.
Sa lamentation fut interrompue par l'arrivée de Valeriy qui s'installa à côté de lui. « Qu'est-ce qui t'arrive ? On dirait que tu as vu la mort en face. » Un rire lui échappa. « Quoique je t'ai vu parler avec Elena donc c'est vraiment du pareil au même. »
Louis se tourna vers lui avec un regard mauvais. « T'exagères, elle est très gentille. »
« Elle est aussi avenante qu'une porte de prison oui. » Rétorqua-t-il en levant les yeux au ciel. « Je ne vois pas où tu trouves de la gentillesse là-dedans. »
« De quoi est-ce que tu parles ? Tu as dû lui adresser la parole deux fois à tout casser. C'est pas ce que j'appelle être suffisant pour connaître quelqu'un. »
Louis avait beau adorer son ami, il n'aimait pas lorsque celui-ci se permettait de juger une personne sans la connaître. Il n'était pas fermé d'esprit, mais il n'était non plus amène à élargir ses horizons. Louis le tenait toujours responsable de ses paroles ou de ses actions, espérant un jour pouvoir lui faire comprendre que son comportement était déplacé, mais ses efforts n'étaient pas toujours récompensés.
« Tu parles, je dois la côtoyer tous les jours, je te rappelle que nos entraînements se superposent. » Valeriy secoua la tête. « Elle ne parle jamais. Tout ce qu'elle fait c'est s'entraîner, boire, s'entraîner, manger, s'entraîner, partir. C'en est lassant. »
« Tu devrais peut-être prendre exemple sur elle parfois, » répondit Louis avec agacement, « les sélectionneurs te prendraient certainement plus au sérieux comme ça. »
Il regretta immédiatement ses paroles en voyant l'expression de son ami. Valeriy était un patineur exceptionnel qui aurait pu intégrer l'équipe nationale depuis plusieurs années déjà si son comportement ne lui avait pas fait défaut.
Il voulait sincèrement en faire sa carrière, mais il voulait également profiter de sa jeunesse. Peut-être que Natalia arrivait à le gérer et savait comment le faire travailler, mais les sélectionneurs ne voulaient pas prendre de risques et préféraient passer à côté de son talent.
Dans un premier temps, il n'y portait pas trop attention et continuait de faire ce qui lui plaisait, mais plus le temps passait, plus Louis avait l'impression que cette situation l'affectait. Il l'avait vu faire des efforts dernièrement, mais il avait peur qu'il ne soit trop tard.
« Merci du conseil, mais je préfère continuer de vivre plutôt que de m'enfermer dans une routine. » Rétorqua-t-il d'un ton froid qui ne lui ressemblait pas. « Maintenant, si toi aussi tu veux un conseil, je ne sais pas ce qu'il s'est passé entre toi et Juliette, mais ce que tu t'apprêtes à faire est une très mauvaise idée. »
Louis fronça les sourcils avec incompréhension. « Je ne vois pas de quoi tu parles. »
« Crois-moi, tu le comprendras bien assez tôt. » Sur ces bonnes paroles, il se leva et s'éloigna.
Pour la troisième fois consécutive de la journée, Louis se retrouva tout seul assis sur les gradins à ressasser des pensées déplaisantes. Se prendre la tête avec Valeriy n'était sur sa liste des corvées à effectuer et il regrettait déjà amèrement la tournure qu'avait prise la situation.
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