IV - Chapitre 18 : Franchir le Rubicon
BONJOUR TOUT LE MONDE
Après une longue hésitation, j'ai fini par conclure que demain, entre le concours, la descente du stress (ce qui va se traduire par une platrée de pates au pesto et une sieste) et le fait que je remonte chez moi dans le Nord donc clairement je n'aurais pas le temps de poster. Au moins vous allez me donner des forces et me distraire un peu <3
Bon on ne va pas se mentir, ça sent tellement la fin sur cette histoire que Anna' et moi on a réussi à se faire pleurer mutuellement sur le commentaire de mon dernier chapitre. C'est ... whao, indescriptible. Toute la fin est quasiment fichée - sauf la toute dernière scène, vraiment je n'arrive pas à me faire une idée dans ma tête, jamais. On verra peut-être ça au tout dernier moment ...
Bon maintenant ce chapitre ! Anna' l'a décrit comme une montagne russe ... j'espère qu'il vous plaira !
Bonne lecture !
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Quand on a montré à son ami le bord de l'abîme, il n'y a plus de conseils à donner ; il faut attendre ce qu'il va faire, quelle décision il va prendre.
- Auguste-Louis Petiet
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Chapitre 18 : Franchir le Rubicon.
La période des fêtes s'acheva à la Nouvelle Année avec un semblant de fête : les dernières décorations de Noël brillaient de tous leurs éclats, Susan s'était vêtue d'une belle robe et d'un rouge à lèvre discret et Simon avait même consenti à passer la chemise bordeaux qu'il mettait pour chaque célébration depuis que je l'avais préféré à une autre des années auparavant. Au milieu de la musique, des bières et des éclats de rire, j'en avais presque oublié que c'était la guerre, que normalement j'aurais dû être entourée de mes parents, ou à grelotter autour d'un feu de camp en bordure de Terre-en-Landes avec mes amis d'enfance. La situation me semblait si délicieusement normale qu'elle faisait oublier qu'elle était tout, sauf naturelle.
L'effervescence retomba quand Susan vint me faire ses adieux avant de reprendre le train pour le Poudlard Express. Ses parents avaient tant tentés de la retenir qu'elle dormit le dernier soir à Oxford, sur le canapé pour être certaine qu'elle ne retrouverait pas sa porte cadenassée. Je l'avais enlacée une dernière fois, les larmes aux yeux, avant que Simon n'aille la conduire sur le quai de la voie 9¾. L'ambiance devait y être particulièrement sinistre, songeai-je en me glissant à mon bureau, démoralisée. Plus de rire et de joie innocente : seulement des pleurs et de l'angoisse à l'idée d'envoyer toute une bande d'enfant dans la gueule du serpent. Ils avaient même réussi à gâcher ça ...
Un peu minée par la perspective, mais déterminée à ce que la prochaine rentrée se passe autrement, je tirai ma machine à écrire à moi. Pendant de longues semaines, elle était restée là comme une jolie plante aux tiges d'acier, me narguant ouvertement comme la glorieuse manifestation de mon impuissance. A quoi bon écrire ? Mes derniers mots avaient fini au feu quand Simon avait dû précipitamment brûler mes brouillons lors de la descente des Mangemorts. Mais maintenant, j'avais un but. Mes mots étaient utiles : les yeux de Noah avaient étincelé lorsque j'étais venue avec une synthèse de notre premier chapitre sur la construction sociale de la différence entre moldus et sorcier, prêt à remplir les pages singulièrement vides de La Voix du Chaudron.
Me mettre immédiatement à la rédaction d'une nouvelle synthèse chassa totalement les larmes qui avaient pu embuer ma vision après le départ de Susan : mes doigts avaient retrouvé l'aisance des longues semaines à taper frénétiquement lorsqu'Octavia et moi campions dans la bibliothèque des Bones. J'étais si heureuse de retrouver cet état d'esprit qu'un cri s'échappa de mes lèvres lorsque des notes stridentes brisèrent totalement ma bulle de concentration.
-Julian ! râlai-je en bondissant de ma chaise. Je sais que c'est ton anniversaire demain, mais ce n'est pas pour ça que tu dois nous casser les oreilles !
Le simple fait d'ouvrir ma porte décupla le son et je reconnus avec un mélange de stupeur et d'amusement le début de Dancing Queen. Je fus d'autant plus surprise que je découvris en descendant l'escalier que Julian était simplement assis à la table de la salle à manger, penché sur une liste de course.
-Ce n'est pas toi qui écoutes ABBA ? m'étonnai-je.
Ma voix avait du mal à couvrir les premières paroles, mais le regard éberlué – et un brin vexé – de Julian m'indiqua qu'il avait parfaitement entendu.
-J'ai une tête à écouter ABBA ?
-Il faut bien quelque chose pour compenser les Beatles, prétendis-je avec un sourire. Donc ça veut dire ... ?
Je battis des mains, extatique et me précitai d'un pas bondissant vers l'entrée de l'atelier sous les yeux déconcertés de Julian. Du coin de l'œil, je le vis secouer la tête avant de se replonger sur la liste de course et sur la pointe des pieds, j'ouvris la porte de l'atelier pour y passer ma tête. Pieds nus, Noah marchait dans la pièce en cadence, devant une immense toile qu'il avait collé au mur et qui était déjà couverte de différente tâche de couleurs. Il fredonnait ouvertement, persuadé que la forte musique couvrait sa voix, ponctuant chaque fin de phrase d'un nouveau coup de peinture. J'étais déjà proche du fou rire et que je considérai que c'était un miracle qu'il reste coincé dans ma gorge. Mais lorsque le refrain débuta et que Noah chante de concert « You are the dancing queen » en élevant ses bras par-dessus sa tête à la manière d'une ballerine et que dans le mouvement un immense trait de peinture bleu percuta la toile, je m'écroulai contre la porte, les deux mains pressées contre ma bouche. Mon poids l'entraina vers l'intérieur, la fit grincer sur ses gongs, mais la musique masquait totalement la chose et Noah continua quelques secondes de peindre tout en dansant au rythme du refrain entraînant de ABBA. Il fallut qu'il se retourne d'un bond, doigt levé vers un point imaginaire au « You can dance » pour qu'il m'aperçoive, occupée à réprimer désespérément un rire qui faisait trembler chaque partie de mon être. Il s'aggrava, si toutefois c'était possible, lorsqu'une plaque rouge s'étala sur les pommettes de Noah.
-Mais qu'est-ce que tu fiches ici ?!
J'étais bien trop occupée à tenter de reprendre mon souffle pour répondre, mais chaque bouffée d'air remettait une mornille dans la machine et j'en étais quitte pour un nouvel éclat de rire. Seigneur, j'avais mal aux côtes. La musique se baissa de quelques décibels et du coin de l'œil je découvris que Julian s'était glissé à son tour dans l'atelier, bien trop souriant pour ne pas être amusé par la situation.
-Elle est chez elle le temps qu'il faudra, tu te souviens ? Il fallait t'attendre à la voir débarquer ...
-Je la pensais revenue à l'état de larve dans sa chambre, je m'attendais pas à la voir descendre avant au moins demain, quand il y aurait un gâteau au chocolat à la clef ! Non mais c'est pas vrai, soupira-t-il lorsque je fus de nouveau absurdement secouée par l'hilarité.
-Pardon, haletai-je, à bout de souffle. Pardon, pardon ... C'est juste ... c'est vrai, je pensais déprimer toute la journée ... mais là ... là tu viens de faire ma semaine ...
Et mon fou rire reprit de plus belle, si bien que Julian finit par glousser en échos. Noah lui décocha une œillade assassine.
-Fais attention, Shelton. Quant à elle (Il me pointa du doigt, geste qui me rappela tant sa chorégraphie que j'en fus quitte pour un nouvel éclat de rire). Privée de Simon de la semaine, si me voir peindre suffit !
-Si tu veux, acceptai-je de bon cœur, toujours gloussante. Je m'en fous, j'ai gagné une nouvelle image pour créer un patronus !
-Dégage, Bennett !
Noah me jeta son pinceau et je réussis à l'éviter adroitement. Ma condition physique était certes réduite à néant, mais mes réflexes n'étaient pas morts et il vint frapper le mur derrière moi en y imposant une tache informe. Sans attendre qu'un nouveau projectile ne suive celui-ci, je filai dans l'autre pièce, éventant mon visage écarlate de mes mains. Julian m'emboita le pas, un ricanement au bord des lèvres.
-Ne l'écoute pas, je suis sûr qu'au fond de lui il est ravi que tu ne sois pas une larve au fond de ton lit.
-Je vais chérir cette image jusqu'à ma mort, m'esclaffai-je en me laissant tomber dans le sofa.
Loin de la musique et de l'expression outrée de Noah, ma respiration commençait enfin à se réguler et l'hilarité à mourir dans ma poitrine. Julian se rassit sur sa chaise et se munit de nouveau de sa plume au moment où Noah ressortait de l'atelier avec humeur. Mon fou rire m'avait empêché de remarquer qu'il avait de la peinture sur la joue et sur son tee-shirt et que ses cheveux étaient si ébouriffés et ses yeux si cernés que je le soupçonnais d'être resté toute la nuit devant sa toile.
-C'est bon, elle s'est calmée ? grogna-t-il sans m'adresser le moindre regard.
-You are the dancing Queen, chantai-je en levant joyeusement les bras au ciel. Young and sweet only seventeen !
-Ouh, ça va être pénible ...
-Elle va devenir ton pire cauchemar, confirma Julian, le coin des lèvres frémissants.
-Je vais la jeter dehors à coups de pieds aux fesses.
-Si tu fais ça tu n'auras pas ma synthèse sur comment les sorciers ont allègrement voler des principes moldus qui nous ont aidé à mieux comprendre la magie, menaçai-je.
-Et ce serait vraiment dommage parce que cette partie-là est brillante, me défendit Julian avec un sourire fier.
Fierté certainement dû au fait que notre entretien avait inspiré cette réflexion, mais le compliment sincère empourpra mes joues. Face à cela, Noah se contenta d'un grognement indistinct et passa dans la cuisine.
-J'irai faire les courses en rentrant de l'IRIS, m'annonça Julian avec plus de sérieux. Tu as besoin de quelque chose ?
-Euh ... (Je passai les doigts dans mes boucles informes et grimaçai devant leur texture rêche). Du shampoing pour cheveux secs, c'est possible ?
-C'est quoi ces exigences ? s'étonna Julian en me toisant, un peu déconcerté.
Je faillis rougir devant ce regard. Il était vrai que d'ordinaire, je n'étais pas très coquette, mais j'avais pu observer en tentant de me coiffer pour le Nouvel An que j'avais définitivement renoncé à ressembler à quelque chose lorsque j'avais vu l'état de mes cheveux : long à me battre les omoplates aux boucles rêches et distendues : ils ressemblaient à des ronces que l'on aurait laissé pousser au bord d'une ruine. Puisque j'avais du temps à tuer, autant s'atteler à ce chantier.
-C'est juste ... mes cheveux sont longs, je ne sais plus quoi en faire. Je n'ai jamais été confronté à ça ... et puis bon, mes boucles c'est la seule chose que Simon aime chez moi, autant que je les entretienne un peu.
-Est-ce que tu crois que j'ai moi, besoin d'un shampoing spécial ? cingla Noah depuis la cuisine. Pour avoir des boucles parfaitement dessinées à en faire chavirer Julian Shelton ?
-C'est facile quand on a les cheveux courts, rétorquai-je alors que Julian levait les yeux au ciel. -Tu te donnes des excuses alors que la raison très simple est que j'ai des plus beaux cheveux que les tiens. (Il s'appuya contre le chambranle, un sourire machiavélique esquissé sur ses lèvres). Mais si vraiment tu veux vérifier qu'on vérifie ton hypothèse ...
D'un geste souple, Noah mit au clair l'objet qu'il cachait derrière son dos : une paire de ciseau métallique qu'il fit aller plusieurs fois avec un regard équivoque. Mon sourire se fana vite sur mes lèvres, tant je lisais dans les prunelles étincelantes de Noah qu'il venait de trouver là l'occasion de me faire payer mon fou rire. D'un bond, je me dressai sur mes pieds debout sur le sofa et sautai par-dessus. Le parquet gémit sous les pieds mais ne masqua pas mon cri :
-Julian, empêche-le !
-Du moment qu'il n'y a aucun qui tombe de l'escalier, vous vous débrouillez, énonça-t-il laconiquement. Je ne veux pas de mort la veille de mon anniversaire.
Noah parut prendre la chose pour une bénédiction et me suivit dans l'escalier que je venais d'avaler quatre à quatre avec des ricanements dignes d'un méchant Disney. J'étais enfermée dans la salle de bain depuis un quart d'heure, à menacer avec ma baguette, m'excuser, et rappeler qu'il ne fallait pas jouer avec des ciseaux lorsque Julian consentit à sonner la fin de la récréation en transformant l'objet de torture en plume d'un sort.
-Jules ! protesta Noah lorsque je ressortis de la salle de bain avec un grand sourire.
-Pire que des gosses, soupira Julian en se revêtant de son manteau. J'y vais, à ce soir les enfants !
En bas, la porte claqua et Noah me jeta un regard noir, sa plume à la main qui n'avait plus rien de menaçant. Visiblement, l'idée de ne pas repartir avec mes cheveux en trophée était terrible.
-Sale gosse, lâcha-t-il avec dépit.
-Tu aurais fait la même chose si tu m'avais vu danser sur ABBA.
-C'est faux. J'aurais fait pire.
Rassurée par la réplique qui mettait un point final à notre puérile dispute, j'éclatai de rire et suivis Noah sur la passerelle d'un pas plus léger. J'ouvris la porte de ma chambre et lui lançai avec un sourire alors qu'il descendait l'escalier :
-Je vais finir de t'écrire l'article pour me racheter !
-Pour ce soir, Miss Colibri ! exigea-t-il avec la fermeté d'un rédacteur. Je lance l'impression demain pour que Julian puisse ensorceler les exemplaires ce week-end ! Plus vite, plus vite !
Je le gratifiai d'un salut militaire qui le fit rouler des yeux avant de m'enfermer dans ma chambre. Sous mes feuilles de parchemins et mes brouillons, je parvins à trouver mon walkman dans lequel tournait depuis une semaine un disque des Cranberries. Je plaçais mon casque sur mes oreilles avec minutie et effleurai les touches de ma machine à écrire
La guerre de l'Essence, ou comment la science moldue nous renseigne sur notre identité
J'adorais ce chapitre-là, et c'était incompréhensible compte tenu du fait que c'était le plus technique, le plus pointu en matière de magie. Mais justement, c'était celui qui reliait mon projet au cœur de Simon, en ligne droite. C'était lui qui l'avait en partie inspiré en nous présentant les thèses sur la magie comme une onde, après notre entretien avec Julian. Il m'avait expliqué chaque détail avec une patience et une passion que je lui connaissais peu et malgré l'aspect très théorique et abstrait de la chose, j'avais bu chacune de ses paroles. J'avais même presque pu l'imaginer comme professeur, tant il avait semblé habité par ses propos et heureux d'enfin me faire comprendre ce qui le faisait vibrer dans l'étude de la magie. S'il méritait son nom au bout d'un chapitre, c'était bien celui-ci. Je fis craquer mes doigts au-dessus de la machine avant de frapper si frénétiquement que les cliquetis perçaient presque la voix des Cranberries.
Les sorciers aiment la magie. C'est parfaitement normal : c'est quelque chose qui nous définit, fait parti de notre identité en tant qu'individu et que Nation. C'est aussi l'aspect de nous qui nous met à part du genre humain : nous sommes doué de magie.
La magie, tous les spécialistes le diront, c'est un art complexe. Nous avons beau explorer tous ses aspects, toutes ses techniques depuis des siècles et des siècles, nous ne connaissons toujours pas les limites de notre magie. « C'est le pouvoir de l'infini » résume Adalbert Lasornette, le célèbre théoricien de la magie dans son ouvrage L'étoile aux milles branches. Le titre est par-ailleurs expliciter ainsi dans la préface : « La magie est une étoile aux milles branches, et chacune de ses branches mènent à mille possibilités. Nous ne sommes pas là de comprendre la nature et la profondeur de la magie que nous en somme de répondre à la question « pourquoi sommes-nous sur terre ? » ».
Là-dessus, deux écoles s'affrontent, d'après Adalbert Lasornette : ceux qui pensent que le Sorcier n'a pas encore découvert les limites de la magie, et ceux qui pensent que la magie n'est qu'une matière que le sorcier, par son intelligence et ses capacités, peut modifier et améliorer. Dans la première option, nous découvrons un nouveau sortilège ; dans l'autre, nous le créons. Le pouvoir de création et d'infini est alors transféré de la magie à l'individu qui la pratique. Dans l'un, la magie est un pouvoir presque divin, absolu qui nous est donné et qui transparaît à travers nous, dans l'autre elle est un outil à exploiter et à améliorer. C'est la guerre de l'Essence, celle qui consiste à définir l'essence même de la magie afin de comprendre qui de Dieu ou du Sorcier est à l'œuvre dans sa pratique.
Mais que vient faire ce conflit théorique sur l'essence de la magie ici ? Tout simplement parce que dans notre quête de définir ce qui fait de nous un peuple singulier, les moldus nous ont donné des armes auquel nous n'aurions jamais songé à penser, tout obnubilé que nous l'étions par l'exploration de la magie.
1- Les Moldus, un peuple tourné sur le monde et ses mystères
Contrairement aux Sorciers qui sont une communauté très fermée et centrée sur elle – surtout depuis l'établissement du code international du secret magique dont nous reparlerons dans un nouveau numéro – les Moldus eux ont toujours porté le regard sur le monde qui l'entourait et chercher à le comprendre. Sans magie pour les obséder, ils se sont intéressés à tous les aspects de notre vie, du vivant, du fonctionnement de notre terre et ce dès l'aube de l'humanité.
Quand nous nous demandions « comment fonctionne la magie ? », les Moldus se demandaient « comment fonctionne le monde » et ont posé les bases des sciences modernes : pourquoi la terre tourne, pourquoi le soleil se lève, pourquoi la pluie tombe, pourquoi TOUT tombe : pendant que les Sorciers se perdaient sur la quête aux milles chemins, les Moldus ont eu le temps de mathématiser et de théoriser le monde qui nous entoure. Nous explorions la Magie, à savoir un unique aspect de nous et de notre monde, eux ils exploraient l'Univers tout entier, dans sa globalité. Certains en verraient une preuve accrue d'intelligence de la part des Moldus qui en quelques siècles ont élagués la plupart des questions existentielles de la vie, mais nous préférons y voir tout simplement un regard différent sur le monde, un regard qui voit plus loin que ce qui nous singularise, un regard tourné vers l'extérieur et non vers soi-même.
2- Une matière phénoménale : l'exemple des Potions.
Les Potionistes ont été les premiers à se tourner vers les résultats de siècles de recherche moldues, notamment en matière de chimie lorsqu'ils ont réalisé que la confection d'une Potion tenait tout simplement de la réaction chimique d'une substance avec une autre. Ils ont trouvé dans les principes moldus des moyens de perfectionner et même d'explorer tout un pan de l'art subtile de la confection de potion et d'élixir, un pan qui jusque-là leur était inaccessible par manque de connaissance. Parce que jusque-là, ils avaient négligé l'aspect physique de la discipline (la réaction des molécules), se contentant de résultats empiriques parfois aléatoires, voire faux, au profit des propriété magiques de leurs confections.
Ainsi, un grand nombre de travaux moldus ont été repris, traduits et appropriés par les Potionistes à partir du XXe siècle – les moins scrupuleux d'entre eux ayant jusqu'à dire qu'ils les ont inventés de toute pièce. Hector Dragworth-Granger, grand potionniste moderne, a notamment écris nombre de traités reprenant des principes et équations moldues appliqués à l'art de la Potion sans pour autant citer ses sources, tous les scientifiques qui ont apporté leur pierre à l'édifice de la science sans se voir récompenser par les sorciers. Devrions-nous donner à Antoine Lavoisier, grand chimiste français du XVIIIe siècle son Ordre de Merlin à titre posthume ? Elle est de lui la grande idée qui guide maintenant chaque potioniste selon laquelle dans la nature « rien ne se perd, rien ne se créer » ...
Cette nouvelle approche, plus physique, plus scientifique et moins expérimentale des potions nous a permis de grands progrès. C'est notamment grâce à ses nombreuses redécouvertes que Damoclès Smethwyk nous a notamment découvert la Potion Tue-Loup, grande œuvre des dernières années.
3- De l'essence même de la magie
Les Moldus ont une meilleure compréhension du monde que nous, c'est un fait. Par leur approche et par leur science, ils arrivent à dénouer tous les secrets de l'univers. Et s'ils avaient créé les outils pour que nous percions le nôtre ? La question de l'essence de la magie nous obsède depuis des millénaires : et si sa réponse ne passait pas par la quête aux milles chemins, par la magie en tant que telle, mais par les outils de compréhension du monde que nous ont légué les moldus ?
C'est en effet la nouvelle piste des théoriciens de la magie. A partir de travaux américains sur les ondes, une thèse a été menée pour ...
-Victoria !
Mon prénom s'infiltra à travers la musique qui résonnait dans mon casque et je l'écartai à moitié de mon oreille, incertaine d'avoir bien entendu.
-Victoria ! hurla une nouvelle fois Noah. Ramène-toi !
Sans plus de doute et quelque peu inquiète par le timbre étrangement alarmé de Noah, je retirai mon casque d'un geste si vif que cela heurta mon oreille et me précipitai vers la passerelle. J'étais à la moitié de l'escalier lorsque la porte d'entrée m'apparut et je me figeai au milieu, sonnée. Noah était debout, les bras écartés, dont un se finissant par une baguette mettant en joue une fille qui en miroir, le menaçait de la sienne. Elle tourna les yeux vers moi à mon arrivée et un mélange de stupeur et de choc m'assaillit lorsque j'avisai l'iris brune derrière les lunettes cerclées d'argent.
-Renata ?!
Renata Morton ne fit pas mine de sourire. Ça n'avait jamais une personne très souriante du temps où nous étions camarades de classe à Poufsouffle, au contraire. Mais là c'était comme si sa bouche était devenue de fer : rigide, incapable de plier sans casser. Elle s'avança d'un pas, comme prête à enfoncer sa baguette dans la gorge de Noah. Pourtant c'était sur moi que ses yeux étaient rivés.
-En septième année, entonna-t-elle d'un ton glacial. Quand tout le monde révisait les ASPIC dans la Salle Commune, nous sommes allées chercher des vivres dans la cuisine. Tu t'en souviens ? Quelque chose est tombé de ma poche. Dis-moi ce que c'était.
Le souvenir eut toutes les difficultés du monde à affleurer à ma mémoire. Et pourtant, il finit par remonter des abysses, l'image de cette photo s'échappant de la poche de Renata, virevoltant jusqu'aux dalles des cuisines pour que je puisse découvrir ...
-Cédric, soufflai-je, le cœur morcelé par le souvenir. C'était une photo de Cédric.
Renata me dévisagea quelques secondes, la baguette toujours tendue contre celle de Noah. Lorsqu'elle le fit enfin, ce fut d'un geste si raide que je compris qu'il lui en coûtait de me reconnaître et un éclair de douleur traversa fugacement son visage.
-En bon petit soleil de Poufsouffle, murmura-t-elle en retour.
-C'est quoi ce bordel ? cingla Noah, qui ne s'était toujours pas désarmé. Comment elle a su que tu étais là ? Et c'est qui d'abord ?
-Laisse-la rentrer, l'implorai-je en me précipitant dans la pièce. Elle fait parti de l'Ordre, Noah, tout va bien ...
Mais cette assurance ne sembla pas endormir la méfiance de Noah. Il fallut que je referme ma main avec un mélange de douceur et de fermeté sur son poignet pour qu'il daigne abaisser sa baguette. Renata en profita alors pour s'engouffrer à pas vifs dans la pièce, claquant la porte derrière elle sous l'œil noir de Noah.
-C'est Bill qui m'a dit où tu étais, m'informa-t-elle alors du ton sec qui l'avait toujours caractérisé.
-Pourquoi ... ?
Je n'arrivai même pas à finir ma phrase. Que Bill soit au courant de ma cachette, j'avais compris – Simon avait certainement eu besoin d'en parler à quelqu'un de fiable, quelqu'un avec qui il avait travaillé toute l'année dernière, quelqu'un qui connaissait les enjeux. Je dévisageai Renata, ouvertement perplexe. Ses épais cheveux châtains étaient noués sur sa nuque en une coiffure pratique et négligée, l'une des branches de ses lunettes étaient tordues et lorsqu'elle retira sa cape, elle me parut plus grande et plus maigre que dans mon souvenir. Son visage s'était émacié, durci et il fallut que je la fixe au fond des yeux pour percevoir des brides de la jeune fille que j'avais connue à Poudlard, secrète et solitaire certes, mais que j'avais eu la sensation de pouvoir toucher. Elle resta plusieurs secondes au milieu de la pièce, son regard planté dans le mien, si fort qu'il me fallut un temps pour comprendre qu'elle s'était mise à trembler de tout son corps.
-Ils ont pris Mathilda.
Je portai immédiatement mes mains à ma bouche, glacée d'effroi à la fois par la nouvelle en tant que telle et par la vision du masque de Renata qui se fendillait pour faire apparaître larme et abattement.
-Oh mon Dieu Renata ...
-Qui est Mathilda ? interrogea Noah.
Son ton était nettement plus conciliant, mais j'avais la sensation que c'était davantage par égard pour mon émotion apparente que pour celle de Renata. Ce fut néanmoins elle qui répondit d'une voix rauque qu'elle tentait de raffermir :
-Ma sœur jumelle ...
Je refoulai les larmes qui menaçaient de déborder de mes yeux. Oui, sa sœur jumelle, identique si l'on exceptait les lunettes et la nature de Mathilda qui avait toujours été une jeune fille douce, timide, aimable. La gentillesse incarnée, un petit écrin de douceur au milieu des Poufsouffle, l'une des rares personnes que j'avais pu qualifier de « copine » au début de ma scolarité solitaire. J'avais vécu sept ans avec, elle avait été mon quotidien, une part entière de mon paysage durant toutes mes années à Poudlard. Mais pour Renata, c'était pire que cela. C'était une partie d'elle-même qui se retrouvait entre les crocs de l'ennemi. Je me raccrochai à ce sentiment comme à une bouée de sauvetage. Peu importe l'effroi que je ressentais : ce n'était rien comparé à Renata.
Noah parut pleinement réaliser la gravité de la situation. D'un geste instinctif, il passa son bras derrière mes épaules dans une prise tendre et pleine de sollicitude.
-Je suis désolé ... je vais vous chercher ... thé, eau ... ?
-Un whisky Pur-Feu serait plus adapté, articulai-je péniblement.
Renata acquiesça silencieusement et Noah pressa une dernière fois mon épaule avant de se glisser dans la cuisine. Je le regrettais presque : orpheline de sa chaleur, je me mis à grelotter. Il fallut que je tende chaque muscle de mon corps pour que cela cesse et que j'amorce un mouvement vers Renata qui s'était laissée tomber sur le sofa, visiblement à bout de force.
-Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Dis-moi ...
Renata renifla et retira ses lunettes pour les essuyer avec un pan de sa cape. Malgré sa détresse apparente et ses yeux luisants, aucune larme n'avait dévalé sur ses joues.
-Je mange chaque vendredi soir chez elle ... et cette fois, quand je suis arrivée ... La Marque des Ténèbres flottait au-dessus de son immeuble. Quand je suis entrée dans l'appartement, j'ai découvert Erwin mort sur le sol et aucune trace de Mathilda ...
Les termes rationnels et clinique ne suffirent pas à atténuer l'horreur de la scène. Un bouchon douloureux me broya la trachée et je me gardai d'ouvrir la bouche de peur qu'il explose en pleurs. Erwin Summers. Ce nom avait fini par s'effacer de ma mémoire tant il appartenait à une autre vie ... Il sortait avec Mathilda depuis le bal de Noël, le bal du Tournoi – et quelle difficulté ça avait été pour qu'il regarde cette douce jeune fille, lui qui avait été fasciné par Fleur Delacour ... Ce qu'Emily avait pu le charrier ... ce qu'il avait pu rougir, lui qui avait eu la peau si pâle ... le « vampire », me souvins-je, au bord de la nausée. C'était ainsi qu'il était surnommé. Le vampire.
Je me pris le visage entre les mains, le souffle coupé. J'avais l'impression que la guerre venait de lâcher les premières bombes dans mon jardin. Elle avait brûlé ma maison, poussé mes parents à l'exil et moi à la cage et pourtant pour la première fois je sentis sa cruauté refermer ses griffes sur moi, les planter dans ma chair. Cette fois c'était la mort qui frappait.
-Mais pourquoi ... ? haletai-je, la poitrine comprimée. Mathilda, Erwin ... ils n'étaient pas dans l'Ordre, certainement pas le profil à chercher des noises aux Mangemorts ou au Ministère ... Votre mère est une sorcière, ils n'avaient aucune raison de ...
Le regard absolument déchiré que Renata planta sur moi étouffa le reste des mots dans ma gorge. Il ne m'en fallut pas plus pour comprendre. Mathilda n'avait absolument rien fait, pas plus qu'Erwin. Ils étaient aussi innocents que des anges. C'étaient des sacrifiés.
-C'est moi, s'étrangla Renata. C'est moi, c'est moi qu'ils voulaient atteindre ... Erwin c'est ... cruel, sans cœur mais c'est surtout un avertissement ... « Regarde ce qu'on lui a fait, tu veux que ta sœur finisse comme ça ? ».
-Mais comment ils ont pu savoir ? Ils ont compris que tu faisais parti de l'Ordre ? Enfin Renata ne le prend pas mal mais ... je pense à mille personnes avant toi ...
Je pense à Simon avant toi – et mon cœur fut transpercée d'une pique glacée. Penser cela fit naître une bouffée d'angoisse et je préférais me concentrer sur la réponse de Renata :
-Tu ne sais pas ... mais ... depuis que je suis entrée dans l'Ordre ... (Elle cligna des yeux et sa cornée s'assécha). Avant, il y a une fille qui s'appelait Emmeline Vance qui se chargeait de tout ce qui était espionnage, collecte d'information à la source, voire infiltration ... elle est morte juste avant qu'on ne soit intégré à l'Ordre et ils ont trouvé que ... je ferais une bonne remplaçante.
Mes yeux s'écarquillèrent face à l'immensité de la charge qui semblait avoir été donnée à Renata. Là encore, ce n'était pas le plus naturel. C'était une bonne duelliste, une jeune fille intelligente et excessivement secrète. Mais froide, analytique et solitaire, compris-je en retour, soufflée. Idéal pour les longues missions seule à devoir masquer ses intentions et ses sentiments. Et surtout elle était déterminée. Renata n'avait jamais caché qu'elle était prête à prendre tous les risques.
-C'est pour ça que je ne te voyais jamais au QG, réalisai-je. Tu étais sans cesse en mission d'infiltration ...
Renata hocha la tête avec un brin d'agacement, visiblement indisposée de ce rappel au passé alors que l'urgence du présent pesait de tout son poids sur sa poitrine.
-Et ces derniers temps, c'est le Ministère lui-même que j'infiltre, ajouta-t-elle, les épaules tendues. Plus précisément, le bureau de Yaxley, notre nouveau chef du Département de la Justice Magique ... Contrairement à Thinckness qui n'est qu'une marionnette, lui est un véritable Mangemort, lui est dans les secrets de son maître. Je me suis faite embauchée comme secrétaire, je le suivais chez lui, je le suivais jusqu'au Manoir des Malefoy qui est parfois utilisé comme lieu de rassemblement, je l'ai suivi partout ... il a dû ... réaliser, comprendre ... et quand j'ai passé la porte de chez Mathilda ...
Sa voix s'était infléchie jusqu'à se réduire à un filet inaudible, assourdie par la culpabilité. Son poing s'était serré sur son genoux et un éclat de rage éclaira son regard.
-J'ai beau me repasser les images dans ma tête, chercher comment il a pu comprendre, qu'est-ce qui a pu me trahir mais j'ai toujours été prudente ... tellement prudente ... je ne comprends pas, je ne comprends pas ce qui s'est passé ...
-Ils ont toute la puissance du Ministère. Les employés sont certainement eux-mêmes surveillés, non ? Plus qu'ils ne le pensent ... et dans un milieu pareil, la paranoïa est partout, il aurait suffi d'un regard, d'une question ...
-Je sais. Tu crois me l'apprendre ?
J'acceptai la pique sans broncher, trop secouée par les fraîches nouvelles pour m'offusquer du ton presque acerbe de Renata. Elle parut néanmoins réaliser la brusquerie de sa réplique car elle détourna immédiatement les yeux, les joues échauffées.
-Enfin bref. Bill m'a donné l'adresse de l'endroit où tu étais cachée ... pour tout te dire, je te pensais partie depuis longtemps, ça m'a surprise ... mais je pense qu'il pensait que ... ça me ferait du bien d'avoir quelqu'un à qui parler.
La fin de la phrase était dite avec un soupçon d'amertume que je lui pardonnais également. Quelle plus grande frustration de s'entendre dire que quelqu'un partageait certainement ses malheurs ?
-Et bien si c'est le cas ...
Je pivotai nerveusement à la voix de Noah, sur le qui-vive, mais il était simplement en train de revenir vers nous suivi de trois verres de Whisky Pur-Feu et de la bouteille qui vint trôner sur la table du salon. J'agrippai immédiatement le mien pour prendre une gorgée de liquide qui me brûla la trachée, embrasa ma poitrine mais dissipa les brumes d'angoisse et de chagrin qui m'avaient envahi. Noah prit place sur le bras de mon fauteuil avec un étrange regard pour Renata.
-Je n'imagine même pas à quel point ta situation doit être difficile, convint-il avec une certaine douceur. Vraiment, je n'ai même pas envie de me l'imaginer. Evidemment que ça doit être dur, tellement dur pour toi ... Si tu as besoin de Victoria, n'hésite pas, tu peux rester ici ce soir. Voire même quelques jours.
Je gratifiai Noah d'un regard reconnaissant, même si dans mon for intérieur je doutais que Julian soit à l'aise avec l'idée d'héberger une espionne de l'Ordre ouvertement dans le viseur des Mangemorts. Par ailleurs, Renata resta de marbre face à la proposition. Dans son regard se mit même à danser une lueur dangereuse.
-Vous pensez que c'est vraiment ça que je suis venue chercher ? rétorqua-t-elle avec un souverain mépris. Une épaule pour pleurer ?
Ce n'était pas facile de désarçonner Noah Douzebranches et pourtant je le sentis totalement déconcerté face à ce bout de jeune fille qui le toisait de haut, les épaules redressées, clairement belliqueuse malgré son apparente détresse. Elle me pointa négligemment du menton sans cesser de défier Noah du regard.
-C'est elle que je suis venue chercher.
-Moi ? répétai-je sans comprendre.
Renata me fixa avec un calme olympien. Seuls les étincelles dans ses prunelles animaient son visage, un brasier souligné par le voile humide qui couvrait ses yeux.
-Mathilda est chez Yaxley. Je le sais. J'ai besoin de quelqu'un pour aller la chercher.
Le silence qui suivit l'annonce avait quelque chose de terrible. J'avais la sensation que la terre avait cessé de tourner, que le monde s'était figé pour laisser aux mots le temps de nous pénétrer de peser sur nos épaules de tous leur poids, de nourrir angoisse et panache pour les faire monter dans ma poitrine par bouffée suffocantes. Mais avant que la moindre réponse autre qu'une bouche béante ne me vienne, Noah dégaina d'un ton glacial :
-Vous êtes totalement folle.
Renata l'ignora royalement et se pencha vers moi, nettement plus désespérée :
-Victoria, je t'ai vu te battre, tu es la meilleure duelliste que je n'ai jamais connue. Ils t'envoyaient sur les missions dangereuses, tu sais gérer ce genre de situation. Je t'en supplie, je sais que seule je n'y arriverais pas ...
-Alors qu'à deux ça va suffire ? ironisa Noah, un sourcil dressé. C'est vrai qu'à deux contre le manoir archi-protégé du chef du Département de la Justice Magique et Mangemort, c'est du génie ! D'ailleurs comment tu peux en être certaine ?
-Parce que j'ai mes sources, crétin ! répliqua Renata avec humeur. Tu penses que je nous jetterais dans la gueule du loup et risquerais nos vies sans être sûre que j'y retrouverais ma sœur ? Ils la détiennent chez Yaxley, c'est sûr et certain ! Victoria tu as surveillé ce manoir l'année dernière, Tonks me l'a dit. Tu le connais. Yaxley reste à Londres jusque tard le soir ... il faut agir maintenant !
Le mot « maintenant » me fit totalement perdre mes moyens. Je restai paralysée, les doigts crispées sur le verre de whisky Pur-Feu auquel je n'osai même plus tremper mes lèvres. L'heure n'était pas à embrumer mon esprit, bien au contraire. Les yeux de Renata sortaient de leurs orbites et restaient dardés sur moi, dans l'attente d'une réponse alors que Noah me tournait le dos, les poings serrés.
-Et tu n'as rien de trouver de mieux de venir chercher une fugitive qui est en danger dès qu'elle pose le pied dehors ?
-Mais qui êtes-vous à la fin pour parler en son nom ? s'écria Renata en se dressant sur ses pieds, irritée. Je connais très bien Victoria, elle a une voix et c'est elle que j'aimerais entendre, pas son geôlier !
Noah fit un drôle de mouvement vers l'avant qui me mit en alerte et annihila mon apathie. Je me dressai d'un bond pour attraper son bras et je ne compris qu'en le saisissant que j'avais crains qu'il ne frappe Renata. La jeune fille n'avait même pas tressailli.
-Ça va, on peut parler, tentai-je de l'apaiser d'une voix mal assurée. Elle veut sortir sa sœur de là c'est normal, tu agirais de la même façon ...
-Il y a un Ordre, non ? rétorqua Noah sans se détendre. Des gens qui ont accepté de prendre des risques pour ce genre de mission de sauvetage ...
-Victoria en fait partie et a accepté le péril que je sache !
-Elle prend déjà plus que sa part !
-Assez !
Un peu affolée par le ton qui montait et les gestes de plus en plus virulents qui se joignaient à la parole, je me plaçai préventivement entre les deux, la main appuyée contre le torse de Noah pour le repousser. Et sous le stress, un vieil agacement louvoyait. J'avais toujours détesté qu'on parle à ma place, qu'on parle de moi comme si je n'étais pas là. On l'avait énormément fait dans mes jeunes années lorsque j'avais été trop timide pour prendre ma défense moi-même. Je n'étais plus une enfant. Je pris une profonde inspiration pour remettre mes nerfs d'aplomb. J'avais l'impression d'avoir pris un immense coup sur la tête et le simple fait de devoir la redresser pour contempler Renata fut douloureux.
-Renata, personne de l'Ordre ne peut t'aider ? m'assurai-je fermement. Vraiment personne ?
-Ils considèrent que ce n'est pas la priorité, lâcha-t-elle entre ses dents serrées. Ils m'ont juste ... conseillé de faire profile bas quelques temps. Mais ... Mathilda ... ils ne savent pas, ils ne la connaissent pas, elle ne peut pas endurer ça ... elle est trop fragile ...
Je ne pouvais pas le nier. Mathilda était quelqu'un d'adorable, mais pas la personne la plus résistante qui soit.
-Dis surtout que tu veux avoir les mains libres pour te replonger dans la mêlée.
-Noah ! m'indignai-je.
Cette fois, je le repoussai pour de bon d'une main et il tituba en arrière, un peu déconcerté avant de se remettre à fusiller Renata du regard – qui le lui rendait bien. Cela dit, elle ne l'avait pas démenti. Elle n'avait pas émis la moindre miette de protestation, pas même dans son attitude. Noah était doué pour déceler et soulever les points sensibles ... pivotant de nouveau vers Renata, je couvris le bas de mon visage de mes mains, totalement confuse. Devant mon mutisme déchiré, les paupières de Renata se pressèrent comme pour retenir des larmes.
-Ecoute Victoria, je sais que je t'en demande énormément. Il a raison ... tu en fais plus que ta part déjà, c'est injuste de t'en demander plus. Mais il n'y qu'à toi que je peux le demander ...
Elle prit une profonde inspiration, les mains jointes au niveau de sa poitrine sans que je sache si c'était en signe de prière ou simplement pour empêcher ses doigts de trembler.
-J'irai, avec ou sans toi. Mais je pense qu'on a plus de chance de s'en sortir vivantes si tu es là ...
Je saisis toutes les nuances de sa supplique. Je connaissais Yaxley et sa demeure. Je savais me battre, j'avais acquis contre mon gré une certainement expérience pour les situations périlleuse et délicates. Mais surtout, je connaissais Mathilda. Elle avait été une amie. J'étais la seule d'être assez impliquée émotionnellement pour tenter une telle entreprise à ses côtés.
Le pire dans ce raisonnement ? C'était qu'elle avait totalement raison. L'idée même de laisser Mathilda au fond de la cave d'un Mangemort m'arrachait le cœur et hérissait mon âme.
Renata dut le lire quelque part, dans mon expression, dans le fond de mon regard qu'elle ne quittait pas. Ses mains s'abaissèrent lentement et les traits de son visage se détendirent imperceptiblement. Et en miroir, Noah en la contemplant par-dessus mon épaule que la situation était en train de balancer. Il m'agrippa vertement l'épaule et m'entraina brutalement vers la cuisine.
-Excuse-moi, mon invitée et moi devons avoir une conversation privée ! décréta-t-il avec un dernier coup d'œil hargneux pour Renata.
Je me dégageai sèchement avant même d'arriver à l'atelier que Noah ferma. Il avait une telle expression ombrageuse peinte sur le visage que j'eus peur qu'il ne barricade ma porte pour m'empêcher de faire le moindre choix. Cependant il se contenta de croiser les bras sur sa poitrine et de me considérer avec un soupçon d'incrédulité.
-Victoria, tu n'y penses pas, quand même ? Enfin ce n'est pas une mission de sauvetage, c'est une mission suicide ! Ce n'est pas parce que Yaxley ne sera pas là que ce ne sera pas dangereux ! Le manoir doit être gardé, protéger ...
-Je connais les protections, je les ai étudiées l'année dernière, fis-je valoir dans un murmure ferme. Rien d'insurmontable ...
-Elles ont certainement triplé depuis qu'il est entré au Ministère !
-Noah, je ne vais pas juste rester au chaud ici pendant qu'elles risquent toutes les deux leurs vies ! J'ai passé sept ans à dormir avec elle, elles ont fait partie de mon univers pendant presque la moitié de ma vie ... Je n'ai pas le droit de la laisser aller seule comme ça ! Je n'ai pas le droit de laisser Mathilda moisir dans une prison ! Ils ont déjà tué Erwin ... Erwin, j'étais en cours avec ...
Un sanglot vint enrouer ma voix mais je parvins à le ravaler tant bien que mal. Moi qui étais si amorphe et loin d'une décision ferme cinq minutes plus tôt, je me trouvais brusquement une sacrée conviction. Avec dépit, je constatai que Renata avait actionné les bons leviers. L'image d'une Mathilda brisée dans une pièce sombre me tordait les entrailles et m'interdisait toute inaction. Quant à celle d'un Erwin, le teint rendu diaphane et translucide par la mort, j'étais tout simplement incapable d'y songer sans vomir ou pleurer.
Noah prit une profonde inspiration qui gonfla sa poitrine et redressa ses épaules pour le faire gagner en stature. Je l'avais toujours perçu comme grand, mais relativement élancé, pas menaçant. Pour la première fois aujourd'hui, avec ce regard sombre et intense, les traits tendus par l'enjeu et les boucles noirs qui faisaient jouer des ombres sur son visage, il m'intimidait réellement.
-Victoria, je te l'ai toujours dit, entonna-t-il avec un mélange de froideur et de sévérité. Peu importe ce que dit Renalda ...
-Renata.
-Peu importe, vraiment. Je suis ton hôte, pas ton geôlier. Quelque soit ton choix, je ne vais pas faire barrage de mon corps, t'enfermer dans ta chambre et mettre des barreaux aux fenêtres. Tu veux partir ? La porte est grande ouverte.
Comme Renata un peu plus tôt, il joignit ses mains au niveau de sa poitrine mais cette fois j'eus la certitude qu'il s'agissait d'une véritable prière. Mon cœur tomba comme une pierre dans ma poitrine. Noah Douzebranches n'était pas un homme à supplier.
-Mais je t'en conjure, ne le fais pas. Ce n'est pas dans leur intérêt de faire du mal à ton amie si la sœur jumelle se tient tranquille ... Si c'était Julian qui moisirait dans un cachot, je n'irais pas chercher une ancienne camarade d'école pour risquer nos vies. J'accepterais le fait d'avoir joué et perdu, et je prierais pour qu'il n'arrive rien à Julian. Je te jure que pour Julian, je fermerai ma gueule.
Et lorsque j'avais vu avec quelle ardeur il avait défendu la publication de ses caricatures et de son journal, jusqu'à l'absurde, jusqu'à la clandestinité, c'était une véritable preuve d'amour que de l'admettre. Mais aussi une véritable limite au combat de Noah. L'intégrité physique de Julian était sa limite. C'était assez vertigineux. J'avais la sensation d'avoir atteint un Noah secret, un Noah capable d'être terrorisé, tremblant, réduit au silence. Ma main alla se perdre sur sa poitrine qui se referma à chaque seconde sur mon cœur comme une cage étouffante.
-Chacun réagit à sa manière. Renata veut sortir Mathilda de là et je la comprends. Peut-être que pour Simon, je serais capable de la même chose ... certainement même, puisque je réagis déjà comme ça pour elle ... Mathilda, c'est un petit oiseau ... On ne sait pas comment elle ressortira de là ...
-Simon, rebondit Noah en me pointant de l'index. Merci, j'avais besoin d'une nouvelle cartouche. Simon.
-Il va certainement me tuer s'il l'apprend, concédai-je à contrecœur. Ça fait longtemps qu'il m'a interdit de jouer à l'héroïne ...
-Et tu vas le faire quand même ?
Ma poitrine se gonfla d'indignation. Etait-ce la Victoria en moi qui haïssait la Juliette qu'elle était devenue et qui cherchait à se détacher de la figure de Simon pour rappeler qu'elle était capable de faire des choix seule ? Certainement, mais je ne fis rien pour l'endiguer :
-C'est Mathilda, il comprendra. Il sait. Noah, je dois y aller. Je ne peux pas laisser Renata y aller seule, ce serait ...
-... du suicide ? Merci de l'admettre !
-Arrête ! Noah j'ai été dans des situations pires que ça ! J'ai été attachée contre un arbre avec une fille prête à me tuer, je me suis trouvée à cinq contre une sur un toit, contre trois Mangemorts avec mes grands-parents ! Alors entrer et sortir d'un manoir, je suis capable de le faire !
-Victoria, là c'est la partie de toi qui est enfermée depuis septembre qui parle ! La partie de toi qui a macéré le fait que tu te sentais inutilité pendant des mois, qui dois accepter le fait que lutter c'est parfois rester entre quatre murs et qui a du mal à l'admettre, la partie de toi frustrée d'être incapable de te battre !
-Tu es mon hôte ou mon geôlier ?!
Les protestations se recroquevillèrent dans les prunelles de Noah pour ne laisser qu'une fureur glacée. Il me considéra sans un mot et pour la première fois je sentis que son silence pouvait être aussi destructeur que ses paroles. Car il l'alliait aux gestes, et la façon dont il se détourna de moi pour ouvrir sèchement la porte me glaça totalement. C'était un appel fracassant, un véritable défi qu'il me lançait. « Vas-y, passe cette porte » me criait son attitude. Cela m'ébranla assez pour que je reste statique, figée sur place alors qu'il me dévisageait de ses yeux plissés. Ce fut la vision de Renata, debout de l'autre côté la porte, sa cape déjà sur l'épaule, qui me décida. Avec une indicible sensation de trahison au creux du ventre, je mis en marche et franchis la porte. Je venais de passer mon Rubicon.
Un souffle tremblant au bord des lèvres, je récupérai ma baguette sur le sofa et ma veste sur le porte-manteau. Renata épiait tout mes gestes avec un silence appréciateur alors que celui de Noah me transperçait comme des lames gelées. Incapable de le tenir, je pivotai vers lui. Il ne m'avait pas lâché le regard.
-Je vais vite rentrer.
-Et si tu ne rentres pas ?
C'était jeté avec un flegme et une hauteur certaine, comme si ces dernières semaines n'avaient pas existé, comme s'il ne m'avait pas coursé le matin même avec des ciseaux et que je n'avais pas eu l'un des plus gros fou rire de ma vie en le découvrant en train de chanter ABBA. La forme me brisait le cœur, mais le fond arrêtait totalement ses battements. Et si tu ne rentres pas ? Je ne voulais pas y songer. J'allais rentrer. Si j'avais su m'extirper d'un toit de Bristol, je serais le faire de ce manoir en tenant la main de Mathilda. J'inspirai une grande goulée d'air, dos à Noah pour qu'il n'y voit pas des doutes. Des doutes, évidemment que j'en étais remplie. Mais leur laisser de la place était impossible. Les doutes allaient ronger mon engagement. Je me frottai le front, en quête d'une réponse audible. Une seule me vint à l'esprit. La seule chose dont j'étais certaine dans l'hypothèse où les choses tourneraient mal. La seule chose à laquelle j'étais capable de penser sans m'effondrer.
-Alors empêche Simon de faire une bêtise, articulai-je finalement à mi-voix. C'est tout.
-Comme me tuer ? Parce que je t'assure que c'est la première chose qui va lui traverser l'esprit.
-Je ne plaisante pas, Noah.
-Moi non plus. Tu te souviens de comment il a réagi à Oxford ? S'il t'arrive quelque chose, il va me tuer.
Inutile de chercher à nier. C'était une vérité.
-Alors prie pour que je revienne, comme ça c'est moi qu'il tuera, soufflai-je avant de me tourner vers Renata. On y va.
Elle hocha solennellement la tête. Après un dernier regard pour Noah, elle fit claquer ses talons contre le parquet et fit grincer la porte d'entrée sur ses gongs. Je tentai de chercher quelque chose sur le visage de Noah, une sorte de fierté ou de compréhension qu'il ne pourrait pas se permettre d'exprimer, quelque chose qui conforterait la partie de moi qui hurlait de ne pas prendre ce risque insensé. Mais il était d'une remarquable impassibilité. Ce n'est pas lui qui me dicterait mes choix.
Expiant un dernier souffle en espérant y laissait mes doutes et mes peurs, je fis volte-face pour emboiter le pas à Renata. Franchir le Rubicon – la dernière limite. C'était à moi de jouer avec ... pour perdre ou pour gagner.
***
Yeaaaah ne me détestez pas ! L'accalmie ne pouvait pas durer toute la P4 ... Vous avez quand même aimé le chapitre ...?
Voilà, j'espère que le retour du suspens vous plaira ! J'ai l'impression que c'est poussif niveau réaction ces derniers temps, peut-être un manque d'enthousiasme lié au manque d'action? Beaucoup d'entre vous n'ont pas lu LHDI et ont moins d'affinité avec ces chapitre-là ?
Ce n'est pas un appel ou une réprimande, hein ! Du tout et d'ailleurs merci pour tous les commentaires que je reçois, vous êtes incroyables ! C'est vraiment pour évaluer vos ressentis :)
Allez, on se retrouve dans deux semaines pour la suite ! Ne me haïssez pas trop entre deux ...
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