III - Chapitre 33 : Rendez-vous avec l'Histoire
Je suis presque persuadée qu'il y en a qui sont sur les starting-block en mode "elle va craquer, elle va poster jeudi !"
Vous avez raison.
Mais bon j'ai une excuse, demain je suis en réunion avec tous les profs doc de là où je suis, et après go to Lille puis pas le temps alors que voulez-vous, on me force à poster, ce n'est pas ma faute ...
Bon maintenant le chapitre. Vous l'attendez, il est là, il arrive ... Pour ceux qui ne lisent pas L'héritage d'Ilvermorny d'Annabethfan, vous allez rencontrer son personnage principal, Julian Shelton, sorcier anglo-américain très doué en sortilège dont elle conte l'adolescence dans son récit ! Si vous avez pas lu ce n'est pas grave, ce sera très compréhensible pour vous je pense (et surtout, je vous invite quand même à aller lire parce que c'est exceptionnel !)
Chapitre dédié aux lectrices que j'ai pu rencontrer au salon du livre de Montreuil : c'était une super rencontre, je suis très contente de vous avoir découverte, et j'ai passé un moment génial avec vous <3 On va peut-être s'en faire un événement annuel !
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Chacun est libre de regarder l'Histoire à sa façon, puisque l'Histoire n'est que la réflexion du présent sur le passé, et voilà pourquoi elles sont toujours à refaire.
- Gustave Flaubert
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Chapitre 33 : Rendez-vous avec l'Histoire
Il avait fallu un verre supplémentaire, des tonnes de chocolat et le visionnage de plusieurs films chez moi pour qu'enfin mon cœur cesse de tambouriner dans ma poitrine compressée. Lorsque j'étais partie, Tonks s'était redressée sur la table, pâle, mais les blessures réduites à des cicatrices. Elle m'avait répété que j'avais très bien réagi, que si la mission avait réussi c'était que j'avais eu le sang-froid nécessaire pour me jeter sur la pièce et ne pas leur prêter main forte face à une redoutable Mangemort. Mais plus on me féliciter, plus ma cage thoracique se resserrait.
Je ne m'étais pas sentie héroïque. Je m'étais sentie tyrannique.
J'aurais voulu oublier et passer à autre chose, mais dès deux jours plus tard j'étais de retour dans la cuisine de la noble maison des Black avec Mondingus, Podmore, George, Bill et Simon. Tonks était absente – occupée à surveiller Poudlard et ses environs. Même Maugrey nous avait gratifié de sa présence dans la pièce pourtant peu adaptée à sa jambe en bois et sa canne. Il fixait son œil mécanique sur ce qui continuait d'attirer notre attention au centre de la table : la poignée de porte ronde et cuivrée. Elle ressemblait à celle qui ornait les dortoirs de Poufsouffle, en plus petite, et était dépourvue de la moindre serrure.
-Et de la moindre magie noire, maugréa Maugrey, morose. Je n'en ai pas trouvé la moindre trace ...
-Lestrange a payé ça une fortune et ce n'est pas gorgé de magie noire ? douta Podmore.
-Ce n'est pas corrélé, protesta Simon avec agacement.
Il était assis à côté de moi, la tête appuyée contre sa main, les yeux plissés rivés sur la poignée. Son regard était assombri par quelques cernes après la nuit qu'il avait passé à examiner l'objet à la demande de Maugrey et sa main continuait de caresser sa baguette d'un geste distrait.
-La magie noire n'est pas inaccessible, pas ... difficile à maîtriser. C'est d'autant plus facile si on utilise les bons vecteurs – la haine, la colère. Justement, user de certaines pratiques licites est parfois plus difficile, plus fastidieux alors que la magie noire offre souvent un chemin plus « facile » - mais moins efficace. Pas besoin de magie noire pour faire monter la valeur d'un objet.
-Et quels sortilèges ont fait monter les enchères ?
La main de Simon se crispa sur sa baguette et il échangea un regard avec Bill. Lui aussi avait les traits tirés et le teint pâle. Il avait détaché ses cheveux qui pendaient autour de son visage et avait besoin de ses deux mains pour tenir sa tête.
-Justement, c'est difficile à évaluer, marmonna Bill, frustré. Ce n'est pas parce que c'est de la magie licite que ce n'est pas de la magie dangereuse ...
-Ça l'est ? s'enquit Maugrey d'un ton bourru.
-On ne sait pas. Ça s'apparente. Il y a tellement de states de magie entrelacés ... et certains ont une vibration ... disons inquiétante, tout au plus.
-C'est du très haut niveau d'ensorcellement, évalua Simon. Entre les entrelacs de states et de couches, la finesse des enchantements ... Déjà cette nuit on a su les dénombrer et c'était pas mal.
-Et ce n'est pas fini, ajouta sombrement Bill. Il nous en faudra encore des nuits blanches – et peut-être même de l'aide.
Il étouffa un bâillement dans sa main et Simon se laissa aller contre la table, l'air désespéré à l'avance. Avec un sourire amusé, je passai une main dans son dos, provoquant un grognement de la part de Simon.
-Désolée du cadeau ...
-Ce n'est pas un cadeau, ça, Bennett. (Il se redressa à moitié pour tourner le visage vers moi). Je t'ai déjà dit que tu étais un boulet accroché à mon pied.
-Cent fois, oui, confirmai-je en tapotant sa tête. Au travail, minus.
Il me jeta un regard torve avant de nouveau se réfugier entre ses bras comme pour commencer sa nuit. Je le réveillai d'une pichenette sur la tempe.
-Hé, la crevette ! On n'est pas attendu ?
-J'ai le droit à dix minutes de sieste ? gémit Simon sans émerger.
-Si tu veux mais tu te débrouilles avec Octavia.
Simon resta encore quelques secondes affalé sur la table mais finit par redresser de manière si amorphe que Maugrey se fendit d'un reniflement méprisant. Il récupéra la canne qu'il avait callé contre la table et se dirigea vers l'escalier en grimaçant.
-Si jeunes et déjà épuisés ... Barrez-vous les gosses, si vous avez mieux à faire. Pod, viens avec moi, on va réfléchir à la suite. Weasley, continue de tirer ce que tu peux de cette fichue poignée de porte. Et fais une sieste, tu as une tête à faire peur. Pod ! Je te vois pas me suivre ...
-Oui Big Boss, marmonna Podmore en s'extirpant de la chaise. Mais sache qu'il n'y a pas que les gosses qui sont fatigués ...
-Et la sieste est loin pour les gosses, répliqua Simon, une main sur le visage. Je peux boire un café avant de partir, c'est envisageable ?
Il tourna un œil suspicieux sur moi et devant la fatigue manifeste que son regard véhiculait, je me levai moi-même pour préparer le café dans l'espoir que ça le réveille – mais surtout, que cela adoucisse son humeur. J'étais arrivée inquiète au QG après être passée chez les Bons pour découvrir qu'il avait découché et les seuls mots auxquels j'avais eu le droit depuis étaient : « un jour, tu vas me tuer Victoria Bennett. Même indirectement tu te débrouilles pour me gâcher la vie ». Comme c'était beau, l'amour ...
Bill rangea la poignée dans une boite de fer forgé et s'étira avec un bâillement. Maugrey et Podmore avaient eux disparu dans la cage d'escalier.
-Bon, moi ce sera la sieste en premier, déclara Bill en repoussant ses mèches rousses. Vous faites quoi vous cet après-midi ?
-Simon me fait visiter l'IRIS.
Je tapotai la cafetière de ma baguette et elle se mit instantanément à fumer. L'arôme de café se mit aussitôt à embaumer dans la pièce et si j'en grimaçai, Simon inspira un grand coup, soudainement redressé et les yeux ouverts. Bill haussa les sourcils avant de lever le pouce en ma direction.
-Et bien, en voilà une fille chanceuse ! J'ai fait une demande pour Gingrotts à mon retour mais mon dossier a été rejeté ... Manque de solidité dans la candidature, d'après eux ... Un moyen gentil de me rappeler que je suis un Weasley ...
Simon s'était mis à contempler fixement la pomme qu'il avait pioché dans la corbeille à fruit et ce, sous toutes ses coutures, pendant que j'observai les dernières gouttes de liquide noir tomber dans la tasse. Bill fut alors pris d'un bref éclat de rire et ébouriffa les cheveux de Simon avec un geste qui ne manquait pas d'affection.
-Mais ne fais pas cette tête. Je prends le prochain de tiquet de visite derrière la petite Vic'. Bonne journée les enfants !
Il s'en fut à son tour dans la cage d'escalier et le silence retomba dans la cuisine uniquement occupée par Simon et moi. Je posai un peu brutalement la tasse devant lui et m'assit en face, le menton niché dans la main. Si le café parut complétement faire émerger Simon jusqu'à en atténuer ses cernes, cela n'effaça pas l'air sombre qui s'était abattu sur son visage.
-Il n'a pas tort, l'IRIS marche beaucoup à l'influence ... On ne va pas se mentir, je n'y serais jamais rentré si je n'étais pas le neveu d'Amelia Bones ... En tout cas pas directement.
Il but une nouvelle gorgée de café en fixant la cage d'escalier par laquelle Bill était monté. Puis son regard tomba sur moi, assez longuement pour que je finisse par hausser les sourcils.
-Quoi ?
La bouche de Simon se pinça et il fit tourner son café dans sa tasse.
-C'est juste ... vous avez fait quoi pour récupérer cette pièce ?
-Du tricot, répondis-je d'un ton tranquille.
-Vicky ...
-Simon, répliquai-je sur le même ton d'exaspération.
-Très spirituel, rétorqua-t-il avec acidité. Arrête, je veux juste savoir si ça va. Pas te faire une pseudo-crise d'inquiétude – bien qu'avec tes précédents tu en mériterais.
Je fis mentalement le compte de tout ce qui avait pu m'arriver des dernières années, entre mes ennuis avec Nestor Selwyn et les messages de Kamila en sixième année et malgré ma réticence, j'admettais que Simon avait effectivement motif à s'inquiéter – et que jusque là, ses inquiétudes avaient été globalement muettes. Quelques regards soucieux, quelques remarques, mais rien qui ne puisse en effet s'apparenter à une « crise ». Je me frottai la tempe et repoussai les souvenirs de la nuit qui m'assaillait. Mon estomac se contacta de manière douloureuse et je détournai les yeux.
-Bof, avouai-je du bout des lèvres. J'ai ... j'ai menacé un gars. Je lui ai dit que s'il ne donnait pas la pièce, Podmore allait lui couper la main. C'est pas terrible ...
-Oh ...
Je haussai les épaules d'un geste que j'espérai nonchalant – mais la façon dont je continuai de fixer le vide devait crier à Simon que mon inquiétude était feinte. Et je fus totalement découverte lorsqu'il allongea le bras pour saisir ma main libre et que j'en lâchai un ricanement pitoyable.
-Laisse, ce n'est rien ... C'est juste ... Ce n'est pas moi.
-Bien sûr que ce n'est pas toi, confirma Simon avec une certaine fermeté. Disons que ... c'est une pièce et on doit tous jouer notre rôle si on veut voir la fin.
J'esquissai un petit sourire devant ses efforts et jouai avec ses longs doigts. Le contact rassurant dénoua lentement mes entrailles.
-Espèce de petit microbe vicieux qui essaie de me parler de théâtre pour m'attendrir.
-Et tu es agacée parce que ça marche, enchérit Simon d'un ton mutin.
Devant le petit rire qui s'en suivit, Simon se leva et rangea sa tasse vide dans l'évier. Puis il parut hésiter quelques secondes devant l'évier, avant de finalement se rapprocher de moi et d'embrasser le sommet de mon crâne. Cette fois, le sourire s'épanouit complétement sur mes lèvres et j'hésitai entre lui rendre la tendresse ou me moquer de son indécision manifeste. L'arôme qui se dégageait de lui me força à opter pour une autre voie et je fronçai du nez.
-Tu sens le café.
-Et c'est un problème ?
-Ouaip. Si tu veux m'embrasser va te brosser les dents, Bones.
Simon éclata de rire et poussa le vice à carrément m'embrasser sur la joue, m'entourant complètement de l'arôme amère et désagréable. Je poussai un glapissement en repoussant son visage mais il m'attaqua en me soufflant carrément dessus.
-Bones !
-Bennett ! s'écria-t-il sur le même ton.
Il s'était laissé tomber sur le banc à côté de moi, hilare et le regard bien plus claire et vif qu'avant sa prodigieuse tasse de café. De notre jeu, il avait gardé un bras passé dans mon dos et moi un sourire que je tentai maladroitement de réprimer. Je voulus le repousser mais ma main s'attarda sur son visage et effleura sa mâchoire. Nos regards s'accrochèrent et nos sourires se figèrent. Il parut évident que nous allions progressivement nous incliner l'un vers l'autre pour nous embrasser et peut-être même avais-je commencer à le faire malgré l'odeur de café qui nimbait toujours Simon quand des pas lourds se firent entendre dans l'escalier.
-Hey ! Il y a quelqu'un ici ?
Nous nous écartâmes précipitamment au moment où Remus Lupin entra dans la pièce. Simon était pâle et cerné, Bill visiblement épuisé mais ils faisaient pâle figure à côté de l'homme. Il me semblait même que quelques cheveux gris avaient envahi sa chevelure. Il nous adressa un sourire fatigué.
-Oh. Bonjour vous deux ...
-Bonjour Remus, lança immédiatement Simon – un brin trop précipitamment. Et au revoir, par ailleurs, on doit y aller ...
-On doit y aller ? répétai-je, un peu surprise.
-Oui, confirma Simon en m'obligeant à me lever. Sinon Octavia va nous tuer ...
Une main fermement accrochée à mon bras, il me guida jusque l'escalier. J'eus juste le temps de sourire à Lupin par-dessus mon épaule et il me répondit par un geste à peine esquissé de la main, lui-même souriant d'un air incertain. Simon me lâcha enfin dans l'étroite cage d'escalier et nous récupérâmes nos capes dans le grand salon. J'attendis qu'il crochète la sienne sur sa gorge pour attraper son col et le forcer à courber l'échine. Avec un sourire complice, il se laissa faire et nos lèvres s'unirent enfin après la frustration de la cuisine.
-Je pensais qu'il fallait que je me brosse les dents ? souffla Simon lorsque je m'écartais.
-Je peux retenir ma respiration quelques secondes, fis-je savoir avec un sourire.
Je caressai une mèche blonde qui lui couvrait l'oreille, hésitant à aller picorer un second baiser avant que nous retrouvions Octavia – et pire, le tuteur de Simon. Avant que je ne puisse me décider, il se pencha sur moi et posa ses lèvres sur mon front avant de s'écarter définitivement, les lèvres retroussées en un sourire.
-Allez, elle va vraiment finir par nous tuer ... Déjà qu'elle parait particulièrement irritable depuis qu'elle sait ...
-Oh, ce ne sera pas la pire, songeai-je en le suivant dans le Hall. Attends qu'Emily l'apprenne – et pire, qu'elle apprenne qu'Octavia a su avant elle ...
Simon poussa un gémissement qu'il étouffa lorsque nous traversâmes le Hall où les rideaux étaient tirés sur l'affreuse Mrs. Black. Aussi silencieusement que possible, nous sortîmes enfin sur le Square Grimmaurd. J'accueillis les chants d'oiseaux avec un sourire absurde. Cette année, l'hiver s'était prolongé jusque la mi-mars et bien que la date du printemps soit passée depuis quelques jours, les arbres peinaient à verdir. Mes pensées m'amenèrent à faire un bref calcul et je sifflai doucement, incrédule.
-Et ... mais ça fait un mois et demi, cette affaire.
-Quelle affaire ?
-Nous.
Simon me jeta un regard circonspect. Devant l'air qui restait frai pour l'époque, il avait rangé ses mains dans ses poches, me les rendant inaccessible alors qu'il devait me faire transplaner.
-Est-ce que c'est une manière de me faire comprendre que tu veux qu'on parle de ... nous à Emily ?
-Non, assurai-je, déconcertée. Non, je réfléchissais juste ... Mais ce ne serait pas une mauvaise idée de ne pas trop tarder.
Un grognement à moitié étouffé me répondit et ce fut à mon tour de le lorgner d'un air suspicieux. Son air buté me fit rouler des yeux.
-Quoi ? OK Octavia n'a pas été sympa, mais c'est Octavia. Regarde plutôt ce qui s'est passé avec Susie. C'était si terrible ?
Simon se plongea dans un mutisme à la fois boudeur et songeur. Je retins un soupir in extremis. Cela faisait un mois et demi que nous étions embrassés pour la première fois et je ne savais pas quoi songer du temps qui s'était écoulé. C'était à la fois si proche puis une éternité. J'avais pris mes marques, Simon les siennes et les baisers se faisaient avec une spontanéité de plus en plus naturelle. D'un autre côté, j'avais conscience du chemin qui nous restait à parcourir, des craintes inavouées de Simon qui se manifestaient parfois par des gestes, des gênes, des hésitations. Les mains fermement ancrées dans ses poches notamment étaient un message. Tout s'arrêtait dès qu'un regard se posait sur nous.
Mais c'était Simon. Nous avions mis dix-huit ans à en arriver là – je ne pouvais pas lui demander d'accepter les changements plus vite qu'il le pouvait. En revanche, je pouvais semer les graines et attendre de les voir germer. Je lui jetai un bref coup d'œil. Il n'avait pas répondu à ma question, mais il n'avait plus cet air buté et paraissait songeur. Satisfaite, je pris le risque de poser une main sur son épaule et s'agripper son manteau.
-Bon. Je suis arrimée, maintenant. Tu me fais transplaner ?
Les lèvres de Simon tressaillirent et il doubla le lien en passant une main dans mon dos. Le temps que ses doigts se referment sur mon côté, je sentis déjà la magie faire effet et se concentrer dans mon nombril pour m'emporter au loin.
***
L'IRIS se situait dans la prestigieuse université d'Oxford. Petite, j'avais adoré cette ville, son charme médiéval proche de Terre-en-Landes et surtout sa prestigieuse université qui exerçait une fascination sur beaucoup d'anglais. Simon dut carrément me trainer dans la grande cour de Trinity Collège car je passai mon temps le coup dévissé à observer les sublimes bâtiments qui nous entourait. J'arrachai à Simon la promesse de revenir faire du tourisme avant de m'engouffrer dans l'une des bâtisses. Le couloir était décoré de boiserie et de tapisseries qui attirèrent autant mon attention que l'architecture extérieure et il fallut la voix impérieuse d'Octavia à l'autre bout pour fracasser ma fascination :
-Pas trop tôt ! Ça fait un quart d'heure que je poireaute, j'ai dû jeter deux sortilèges de confusions à des moldus qui passaient – dont un étudiant qui a cru pouvoir me draguer. Lui, il a failli avoir une queue de cochon en plus.
Elle rejeta son opulente chevelure d'acajou par-dessus son épaule et nous considéra d'un œil furieux. Elle s'était habillée de façon élégante, avec une belle robe de sorcière verte et un chapeau plus foncé. Un sac de cuire brun était passé à son épaule et pendait sur sa hanche – malgré la remarquable organisation d'Octavia, un parchemin dépassait. Un sourire narquois retroussa ses lèvres lorsque nous arrivâmes à sa hauteur.
-Oh, ne me dites pas que ma présence vous empêche de vous tenir par la main ? (Puis elle fronça du nez en considérant ma tenue, à savoir moldue des orteils à la tête). C'est tout ce que tu as dans ta garde-robe, Bennett ?
-Oh Merlin, marmonna Simon. Tais-toi, Octavia, je peux encore changer d'avis ...
-Oh mais non, tu ne ferais pas cela à ta petite Victoria, objecta tranquillement la jeune fille. Bon, comment on rentre ?
Simon soupira mais prit les devants dans les corridors jusqu'à nous mener à une porte visiblement condamnée et sur laquelle une affiche clamait « DANGER – INTERDICTION D'ENTRER ». Pourtant, Simon l'ouvrit d'un geste de la baguette et nous nous retrouvâmes dans une salle de classe où le plafond était à moitié effondré. Octavia enjamba les débris avec une grimace de dégoût et je jetai un regard interloqué à Simon qui s'était déjà précipitée vers l'estrade. Il se tenait à présent devant un antique tableau à crai sur lequel il passa la baguette. Le tableau s'ouvrit alors en deux en son centre, révélant un passage digne de la magie de Poudlard. Je fus plongée dans la nostalgie en m'engouffrant dans le couloir fait d'arc majestueux et de pierre nues : l'intérieur reprenait l'esprit de l'université d'Oxford et il fallait admettre qu'il y avait du Poudlard dedans. Octavia parut songer la même chose car un petit sourire inexplicable s'étira sur ses lèvres quand elle étudia son environnement.
-Ça va. Tu n'as pas été trop dépaysé ... Qui c'est ?
Je me retournai vers l'entrée du passage qui venait de se refermer derrière Simon. Il s'agissait de ce côté d'un portrait d'un homme aux cheveux noirs et aux yeux gris, le port altier. Son visage se fit presque méprisant à la question d'Octavia et je retrouvai avec nostalgie l'art des peintures qui se mouvaient dans leur cadre. L'homme rajusta son chapeau de sorcier orné d'une impressionnante plume sur son front.
-Mais enfin ! Quelles sont ses ignorantes ... ?
-Alphard Black, nous présenta Simon avec un vague geste. Le fondateur de l'IRIS ...
Je lui jetai un regard moqueur au nom de famille de l'homme et Simon fit prestement volte-face pour nous guider vers l'intérieur de l'édifice – et fuir toute remarque. Faute de quoi, ce fut vers Octavia que je me tournai et je remarquai le sourire entendu qui ourlait ses lèvres. Elle aussi connaissait l'histoire de Simon – et je le savais assez curieuse pour avoir poursuivi ses recherches et avoir découvert les branches Black dans l'arbre généalogique des Bones.
-Un ancêtre, me souffla-t-elle pendant que Simon nous guidait dans les couloirs. Je trouve qu'il y a un air.
-Il n'y a que toi, rétorquai-je. Oh ...
Nous venions d'émerger dans un hall immense, si haut que je ne percevais pas le plafond, sinon qu'il était lumineux. De splendides lustres d'or et de cuivre flottaient sans la moindre trace de suspension et chaque étage était ouvert sur l'espace par des rambardes. Mais ce qui attira mon regard fut le monumental escalier de colimaçon qui tournait pour desservir les différents niveaux. Ouvragé d'arabesques, taillé en branches et en feuilles comme s'il s'élevait en l'arbre des connaissances, ses piliers laissaient apparaitre les marches qui s'élevaient en pente douce.
-Un escalier à double révolution, expliqua Simon en commençant l'ascension. Deux escaliers qui ne se croisent jamais ... D'après la légende, on a piqué l'idée à De Vinci ...
-De Vinci ? Un moldu ? comprit Octavia, ébahie. Note ça, Bennett : les sorciers, les voleurs de l'Histoire ... Bennett ?
-Oh c'est pas vrai ... Victoria !
Je sursautai et cessai d'observer la monumentale pièce pour porter mon regard vers Simon et Octavia. Ils avaient gravi une volée de marches pendant que j'étais toujours au milieu du hall, à dénombrer les étages ou décoder ce qui semblait être le blason de l'IRIS – trois baguettes d'or encadrant un parchemin sur fond azur. Simon poussa un profond soupir et jeta un regard dépité à Octavia.
-Viens, on va la laisser là : depuis qu'on a posé un pied à Oxford elle joue à la touriste... Le professeur Shelton est au deuxième étage ...
-J'arrive, j'arrive ! m'exclamai-je précipitamment. Désolée ...
Je les rejoignis à petite foulée et pris même les devants pour être certaine de ne plus traîner derrière. Ce fut difficile de ne pas observer la cage d'escalier ou le Hall qui défilait sous nos pas entre les piliers et de rester concentrée sur les paliers que je passai. J'étais si peu attentive que Simon passa une main dans mon dos pour me guider dans le couloir. Occupée à dévorer les lieux du regard, je n'avais pas remarqué que les sorciers que nous croisions portaient tous ou presque une robe bleue azure qui s'accordait au blason de l'institut. Je toisai Simon, amusée.
-Et toi, pourquoi tu n'en portes pas ?
-Parce que les étudiants ne sont pas tenus d'en porter une. Seulement ceux qui travaillent vraiment ici ...
-Vivement que tu travailles ici, alors, s'enthousiasma Octavia. C'est quelle porte ?
Visiblement exaspéré d'avoir à trainer dans son sillage deux filles bien trop curieuses et décidées à se moquer, Simon ne répondit pas et nous conduisit jusqu'à un nouveau couloir. Comme le Ministère, l'IRIS semblait se déployer magiquement au sein de l'université comme un espace parallèle. Il s'arrêta brusquement devant l'une des portes qui s'alignaient et y toqua brusquement. Elle s'ouvrit dans la seconde, sans me laisser le temps d'appréhender ou de me concerter avec Octavia sur la suite des choses. Un homme en robe de sorcier bleue en sortit. Plutôt fin, les épaules légèrement voûtées qui trahissait une posture ployée sur un bureau, il devait avoir la petite trentaine. Ses cheveux d'un blond cendrés étaient coupés courts et impeccablement coiffé sur le côté et son visage fin fut éclairé d'un sourire.
-Ah, Simon ! Je vous attendais plus tôt, je dois l'admettre ...
-Désolé professeur, c'est de ma faute j'ai pris une pause-café ...
-Est-ce que la « pause-café » est un code pour « séance de bécotage » ? me chuchota Octavia assez bas pour que seule moi l'entendre.
Je lui flanquai mon coude dans les côtes pour la faire taire. Fort heureusement, à part la grimace d'Octavia, rien ne subsista de notre échange – pas même la moindre rougeur sur mes joues – et je pus écouter avec un intérêt poli la réponse désespérée du professeur.
-Ah, Simon ... combien de fois je dois vous répéter que le thé est plus efficace pour vous donner un coup de fouet durable ? En plus de ne pas laisser sur sa personne une affreuse odeur persistante ...
Face au sourire poli mais crispé qui fut la seule réponse de Simon, l'homme finit par se tourner vers nous. Je devais admettre être surprise : je m'étais attendue au prototype de l'universitaire ridé à lunette et l'air revêche, pas à cet homme encore jeune et affable. Octavia était la plus proche de lui et il lui tendit une main amicale qu'elle saisit avec une fermeté professionnelle.
-Je suppose que Simon m'a déjà introduit, je suis le professeur Julian Shelton.
-En effet, confirma-t-elle d'un ton digne. Octavia McLairds, et voici ma partenaire, Victoria Bennett.
-Oui, oui, Simon m'a dit ... Mais entrez, entrez, je vous en prie installez-vous !
Il nous indiqua l'intérieur de la pièce et nous nous passâmes la porte. Il s'agissait d'un bureau éclairait par une fenêtre bien exposée et disposant d'un petit salon devant une cheminée en marbre à l'âtre haut. Le tout était décoré avec goût d'une belle toile d'un étang couvert de nénuphar de style impressionniste derrière le bureau d'acajou. Je souris en la voyant. J'avais toujours apprécié l'impressionnisme, ces tâches de couleurs qui de façon très brusque devenaient un paysage bucolique ou un portrait aussi réaliste qu'onirique. Ma contemplation m'empêcha de voir que le professeur Shelton nous proposait de nous assoir dans les fauteuils de velours verts d'eau devant la cheminée et de nous débarrasser de nos manteaux. Octavia fronça du nez et me fit les gros yeux devant le pull que dissimulait le mien – couverts de peluche et la manche retroussée pour cacher le trou qui s'était formé quand je m'étais accrochée à un clou. Parfaitement indifférent à ma tenue négligée, le professeur Shelton était déjà en train de parcourir les notes qu'Octavia
-Qui a du sang moldu pour se plonger dans un tel projet ? demanda-t-il sans quitter le parchemin des yeux.
-Euh, commençai-je en m'asseyant. Euh, c'est moi. Je suis née-moldue, même.
Un fin sourire retroussa les lèvres du professeur. Il continua de lire contentieusement le contenue du parchemin avant de se tourner vers moi.
-Mon père aussi, si vous voulez savoir. Ça ne l'a pas empêché de devenir lui-même un grand chercheur en sortilège en son temps ... d'où cela vous est venu ?
-D'un devoir que j'ai fait en sixième année, en Histoire de la magie, expliquai-je maladroitement, intimidée. C'était plus ciblée sur la seconde guerre mondiale ... Mais avec Octavia, on s'est rendu compte que les liens et les interactions entre moldus et sorciers ne se résumaient pas à quelques moments clefs de crise, mais étaient constants et chacun influaient sur le monde de l'autre en tout temps. Alors ... dans un contexte où on sent un sentiment anti-moldu s'élevait, ça nous semble ... naturel de rappeler à tout le monde à quel point la culture moldue nous influe. Que les moldus ne nous sont pas inférieur mais combien leur compréhension du monde est meilleure que la nôtre – et enrichit notre savoir et notre communauté.
J'avais jeté des regards fréquents à Octavia qui, sans me regarder, hochai de manière imperceptible la tête. Le professeur Shelton se fendit d'un petit ricanement qui sonnait sinistrement.
-Ah ... Oui, ça tombe sous le sens.
-Simon nous a dit que vous aviez tenté de déposer un brevet pour introduire les téléphones dans le monde sorcier, entonna Octavia. Vous pouvez nous en parler ?
Elle s'était déjà munie d'une plume et avait sorti de son sac un support élégant pour son parchemin qu'elle avait placé sur ses genoux. Simon s'était lui enfoncé dans le dernier fauteuil et avait sorti un livre sur ses genoux, l'air de se désintéresser de la conversation. Le professeur Shelton rit devant la question et l'éluda d'un vague geste de la main.
-Oh ! Cette tentative désastreuse, vous êtes sûres de vouloir en parler, Miss McLairds ?
-Je suis navrée ... mais ça m'intéresserait de savoir pourquoi cela s'est soldé par une tentative désastreuse.
-Parce que j'ai oublié de prendre en compte le fait que les sorciers ont leur propre moyen de communication. On ne va pas se mentir : quel sorcier se servirait d'un téléphone quand nous avons les cheminés qui nous permettent de communiquer instantanément ? (Il leva les yeux des notes d'Octavia avec un sourire penaud). Vous voudriez m'entendre dire que les sangs-purs se sont levés contre ma technologie importée, c'est cela ? Ils l'auraient sans doute fait, n'en doutons pas ... Mais pour le coup, c'était une erreur d'appréciation de ma part. Si les sorciers éprouvent des difficultés à accueillir la culture moldue en leur sein, c'est qu'ils ont construits la leur au fur et à mesure des siècles. Nier la culture propre aux sorciers serait une erreur de jugement de votre part, mesdemoiselles – comme ça a été la mienne avec les téléphones.
-Très bien pour les téléphones, admis-je alors que la plume d'Octavia s'activait déjà. Mais les cinémas, les télévisions ? Nous n'avons pas d'équivalent. Très bien nos photos bougent mais restent muettes – et en noir et blanc ... Même dans les technologies déjà importées, nous avons des difficultés à les moderniser.
Le hochement de tête d'Octavia me rassura sur la pertinence de ma question, ainsi que le sourire entendu du professeur Shelton. Sur la petite table basse au milieu des fauteuils, il y avait un service de porcelaine et il tapota la théière de sa baguette de bois sombre. Son bec émit aussitôt un panache de fumée blanche sifflante.
-Ah ... en effet, et c'est là que l'inertie et la rigidité de notre culture et de nos modes de fonctionnement interviennent. Vous vous êtes intéressés aux précédents ? Du thé ?
-Volontiers, accepta Octavia, néanmoins les sourcils froncés. Les précédents ?
-Les sorciers ont déjà importés des technologies moldues, rappela le professeur en lui servant une tasse généreuse.
-Oui, les appareils photos, par exemple ... les sangs-purs continuent de le dédaigner, par ailleurs, ils préfèrent la peinture à l'huile et les portraits magiques ... c'est un exemple qu'on a déjà bien travaillé mais il y a peu de précédents, comme vous le dites.
-Vraiment ? s'étonna le professeur Shelton, la théière à la main. Vous n'en avez pas utilisé un tous les ans depuis vos onze ans ?
Octavia et moi le gratifiâmes d'un regard éberlué. Simon, pourtant silencieusement plongé dans sa lecture, fut le premier à comprendre et plaqua une main contre son front.
-Non mais vraiment ...
-Le Poudlard Express, soufflai-je, saisie. Octavia ce ne sont pas les sorciers qui ont développés le train !
-Ce n'est pareil, rétorqua-t-elle. J'y ai pensé, mais le train est obsolète dans tous les autres aspects de la vie du sorcier parce que nous nous déplaçons par magie – transplanage, portoloin voire balais. Le Poudlard Express répondait simplement à un besoin ponctuel pour déplacer une masse de petit sorcier qui ne pouvait le faire autrement ...
-Pourtant il a provoqué un tollé quand il a été mis en service, objecta Simon. Certaines grandes familles refusaient que leurs enfants soient transportés dans une machine moldue, il a eu des dizaines de plaintes et de procès ...
-Et c'est certainement un membre de la famille Bones qui s'en est occupé si tu es si bien informée sur la question ... Tu ne garderais pas les archives quelque part dans ta maison ?
Octavia lui servit un adorable sourire pour adoucir sa demande – et garder un masque de jeune fille respectable et polie devant l'éminent chercheur. Simon ne fut pas dupe et se replongea dans son livre avec un grognement.
-Comme si on gardait des archives officielles chez nous ... Non, cherche dans les archives du Ministère.
-Ce sera quand même utile, confirmai-je. Le Poudlard Express est peut-être une exception, mais il répondait à un réel besoin de la communauté magique – et malgré son utilité évidente, il a été décrié et boycotté. Ça nous fait un autre exemple que les photos ...
-De manière générale, je vous conseille de vous intéresser à la Ministre qui a inauguré le Poudlard Express, Ottaline Gambol, ajouta le professeur Shelton. Elle s'est de très près intéressée aux technologies moldues et à ce que les moldus étaient capables de nous importer. Dans nos archives, on constate une concentration des recherches sur des objets ou sur des savoirs moldus pendant cette période – c'est là qu'on a par exemple importé un nombre important de principe chimique qui sont très utiles pour la fabrication des potions. C'est intervenu à un moment où l'Empire Britannique était à son apogée et semblait être le cœur de la civilisation occidentale ... Les moldus brillaient – et les sorciers voulaient une partie de la lumière.
Je le dévisageai, complètement soufflée. Nous avions répertorié avec Octavia les moments où les sentiments anti-moldus étaient exacerbés, plus prégnants pour expliquer certaines tensions mais pas que nous avions complètement oublié l'histoire dans l'équation. Quand la civilisation moldue se trouvait brillante, le monde moldu gagnait de l'attrait – et du crédit. Pas étonnant que beaucoup de technologie dates du XIXe et début du XXe siècle – il s'agissait de l'âge d'or de l'Empire Britannique.
-Je n'avais pas fait la corrélation, murmurai-je, l'esprit en ébullition.
Le professeur Shelton m'adressa un sourire malicieux.
-Vous vous portez le noble et royal prénom de Victoria et vous n'avez pas pensé à vous pencher sur l'époque Victorienne ? Honte sur vous, Miss Bennett ...
-Je m'attendais à me trouver devant un chercheur en sortilège, pas à un historien ...
Le sourire du professeur Shelton se fit mélancolique. Il tendit la tasse de thé à Octavia, qui la saisit maladroitement de la main qui tenait la plume.
-Ah ... pour parler franc, j'ai un peu la double casquette ... Oui, une mère historienne et un père chercheur en sortilège, j'étais né pour lier les deux disciplines ... Ma mère m'aurait tué si j'avais extirpé le moindre fait de son contexte historique – peu importait qu'il soit moldu ou sorcier. Du thé ?
-Oh non merci, je n'aime pas beaucoup ça ...
Le professeur Shelton écarquilla les yeux d'un air choqué avant de porter son attention sur Simon, qui avait subtilement relevé son livre pour cacher son visage aux yeux de son tuteur. Mais moi qui étais plus proche, j'avais une vue sur le petit sourire fier qui s'étendait sur ses lèvres devant notre détestation commune de la boisson nationale anglaise. Mais visiblement, je venais de proférer une absurdité pour le professeur. Il reposa la tasse vide qu'il venait d'agripper, le regard toujours choqué et dardé sur Simon.
-Mais il semblerait qu'un sort se soit abattu sur Terre-en-Landes pour qu'un tel désamour du thé s'y répande ... Très étrange, le village est pourtant si beau ...
Je haussai les sourcils et interrogeai Simon du regard, mais il avait abattu son livre pour fixer son tuteur avec surprise.
-Très beau ? Vous êtes déjà venu ?
La bouche du professeur Shelton se tordit et il baissa le regard sur sa propre tasse de thé qu'il venait de remplir.
-Oh j'en ai eu l'occasion ... Vous préférez un jus de citrouille, miss Bennett ?
-Euh ... oui, oui. Je préfère. Merci beaucoup ...
Il me sourit et fit adroitement apparaître un pichet de jus de citrouille frai et un verre adapté. Je me détournai de lui pour observer la réaction de Simon. Après avoir considéré quelques secondes son tuteur, il s'était intéressé de nouveau à son livre mais un pli au coin de ses lèvres indiquait sa contrariété et ses yeux ne bougeaient d'une ligne à l'autre. Ils restaient fixes, songeurs et ses doigts étaient mis à pianoter sur la couverture – à son habituel rythme musical.
-Donc selon moi, si le but est de donner à votre travail plus de poids et plus d'attache aux dernières recherches, je m'intéresserais à cette époque tout particulièrement, poursuivit résolument le professeur Shelton en se redressant. Le mandat d'Ottaline Gambol et l'époque Victorienne en général : à ce moment-là, les interactions étaient fortes, plus fortes qu'elles ne l'avaient jamais été depuis le moyen-âge ... Vous avez une partie sur le moyen-âge, n'est-ce pas ?
-L'année zéro, répondîmes-nous en même temps.
Le professeur Shelton haussa les sourcils et chercha le terme dans les notes mais Octavia le coupa avec un sourire penaud :
-Désolée professeur, j'avais condensé ... Mais nous évoquons en effet le moyen-âge comme la période où les interactions étaient telles que moldus et sorciers avançaient ensemble. « L'année zéro » est 1689, l'instauration du code international secret magique. Le moment où nous avons commencé à cesser d'interagir. Ainsi les sorciers sont restés bloqués à des instruments du moyen-âge – les plumes et les parchemins le prouvent amplement. Nous avons décidé à partir de ce moment de consacré notre savoir à ce qui nous était propre, la magie, pendant que les moldus ont continué de développer leurs connaissances
-A dire vrai, les interactions s'étaient déjà largement taries avant l'instauration du code, ajoutai-je. Ça s'est établi dans les travaux de Bathilda Tourdesac : avec les persécutions la plupart des sorciers s'étaient déjà retirés dans la clandestinité et refusait tout contact avec la population moldue. Mais ça s'est institutionnalisé avec le code – et à partir de là, la différenciation et la marginalisation sont devenues systématiques.
-Donc on a certes oublié l'époque Victorienne mais ne vous en faites pas, professeur, on parle du moyen-âge, acheva Octavia avec un sourire satisfait. Et ne nous interrogeaient pas sur l'époque contemporaine, le sujet est abondamment traité, Victoria y a veillé.
Le professeur Shelton nous contempla, visiblement impressionné et parut sur le point de répondre quand quelques coups furent toqués à la porte. Avec des excuses à notre adresse, il autorisa le visiteur à entrer et la porte s'ouvrit sur une ravissante jeune femme aux cheveux châtains, au visage rond et au sourire avenant. Contrairement aux autres, elle portait une robe couleur ocre et derrière elle flottait une pile impressionnante de livres et de parchemins qu'elle guidait de sa baguette.
-J'ai les ouvrages que vous avez demandé, professeur Shelton ! Je vous les pose où ?
-Ah ! se réjouit-t-il en se levant. C'est parfait, vous pouvez les poser sur cette table. Merci beaucoup, Adrianne.
Ce que firent ensuite le professeur et la jeune fille, je ne pus le dire car mon regard s'aimanta immédiatement vers Simon. Il s'était figé comme une statue de sel et ne daigna pas jeter le moindre coup d'œil à l'archiviste qui passa juste à côté de lui poser les livres sur la table passe entre les tasses vides et la théière. Au contraire, devant la pression évidente de mon regard et de celui d'Octavia, il s'enfonça graduellement dans le fauteuil et fit de son livre un bouclier contre notre attention – et tenter ainsi de nous cacher ses joues qui viraient de seconde en seconde au cramoisi. Faute d'avoir satisfaction, Octavia et moi nous tournâmes l'une vers l'autre et il s'en fallut de peu pour que l'une d'entre nous n'éclate pas ouvertement de rire. Elle se mit à prendre des notes frénétiques, son sourire caché dans sa main libre et j'étouffai le mien dans mon verre de jus de citrouille. Je n'éprouvai même pas le moindre pincement de jalousie pour cette jolie fille qui avait proposé un verre à Simon le soir de la Saint-Valentin – et peut-être même étais-je surtout désolée pour elle. Mais elle ne paraissait pas aller mal : elle avait un sourire presque solaire et un peu à l'image de Susan, elle avait quelques rondeurs qui loin de l'enlaidir faisait d'elle une femme, une vraie. Elle s'en fut avec le reste de ses livres d'un pas presque bondissant et le professeur Shelton se rassit dans son fauteuil, un sourire contrit aux lèvres.
-Veuillez m'excuser, Adrianne est notre archiviste-stagiaire ...
-Oh, on le sait, fit savoir Octavia, la moitié d'un rire dans la voix.
Elle le réprima en pressant davantage sa main contre sa bouche mais Simon la fusilla tout de même du regard. Perplexe, le professeur Shelton m'interrogea silencieusement, un sourcil dressé, mais je lui fis comprendre d'un signe de tête de ne pas en demander de plus : je peinais déjà bien assez à réprimer mon hilarité. Cela ne parut pas contenter réellement l'homme mais il décida tout de même de laisser couler.
-Oui ... enfin bref, je lui ai demandé d'extraire de nos archives quelques thèses et recherches qui ont été faites sous l'impulsion d'Ottaline Gambol. Sur les technologies moldues, lesquelles nous ont intéressées, lesquelles ont été rejetées et pourquoi ... Quels savoirs avaient l'intérêt des chercheurs, comment ils ont effectivement faits avancé notre propre science ... Je suis certain que beaucoup pourrait étayer votre propos, voire faire l'objet d'analyse complète... Tenez, si vous voulez jeter un coup d'œil sur la liste ...
Octavia s'empressa de la prendre, sans doute dans l'espoir de faire passer le fou-rire contre lequel nous luttions depuis l'apparition d'Adrianne. Elle la parcourut des yeux et son sourire se fana lentement pour ne laisser qu'un visage tendu par la concentration. A l'aveugle, sa main prenait même déjà quelques notes sur son parchemin.
-Hum ... oui, en effet, ça pourrait largement étayer notre propos ... Victoria, tu penses pouvoir faire une introduction assez dense sur le contexte historique ? L'époque Victorienne, les moldus au sommet de leur gloire, la volonté des sorciers de partager le gâteau de la gloire ?
-Partager le gâteau de la gloire, répétai-je, amusée. Mais voilà un titre de chapitre accrocheur ... Oui, je suis capable de faire l'introduction, pour qui tu me prends ?
-Si j'étais vous, j'élargirai mon propos des technologies aux savoirs en général, nous conseilla le professeur Shelton. Comme je vous l'ai dit, cette période a été l'occasion pour nous d'importer nombre de préceptes qui nous ont été utile dans notre compréhension de la magie même. Vous avez notamment une excellente thèse du professeur Pausanias Pillworth sur une conception de la magie comme était une onde – comme le son ou la lumière. Et de cette manière, quantifiable et mathématisable. Rien ne le prouve, mais force est d'avouer que les moldus nous ont transmis des outils qui nous aideraient à mieux comprendre notre monde, non en tant qu'humain, mais en tant que sorcier. Et je vous ai déjà parlé des nombreux concepts de chimie qui nous ont amené à complètement moderniser notre pensée sur l'art des filtres et des potions.
-Et bien, mon cher professeur, entonna Octavia, ravie, vous êtes en train d'ouvrir une véritable boite de Pandore pour nous ! C'est complètement ce que nous recherchions : des thèses, des écrits, des preuves qui confirment que le monde moldu nous apporte bien plus que ce que les défenseurs de Vous-Savez-Qui veulent nous faire croire ...
Il y avait une certaine passion dans les propos d'Octavia qui arrachèrent un sourire au professeur Shelton. Mais quand je l'observai plus attentivement, je vis dans son regard vert briller une flamme semblable à la nôtre et lorsqu'il reprit la parole, sa voix s'était légèrement enrouée et faite plus rauque :
-Et vous êtes incroyablement courageuses de vous atteler à une telle tâche. Les sorciers sont pour la plupart aveugle aux évidences que vous vous acharner à démontrer. La plupart du temps par ignorance, souvent par condescendance. Peu sont réellement hostile au savoir-faire moldus ... Mais ce n'est pas eux que vous essayez de combattre, pas vrai ?
-Non, avouai-je. Non, c'est plus ... la masse. Ceux qui sont ignorants, comme vous le dites – et qui constituent l'immense majorité des sorciers.
-S'investir dans la guerre des idées, acheva Octavia avec détermination. C'est peut-être là-dedans qu'on sera les plus efficace.
Avec un véritablement pincement au cœur, je me revis Turner tremblant au bout de ma baguette. Un frisson désagréable me parcourut l'échine et je le masquai en buvant une gorgée de jus de citrouilles. Ce n'était qu'un rôle, me martelai-je en reprenant les mots de Simon. Un rôle ... pas moi. En revanche, ces recherches, ce but, cette conversation, c'était totalement moi. De la moldue à la sorcière en passant par l'historienne. Et plus j'avançai dans la rédaction, plus j'avais envie de poursuivre. Ce qui n'était qu'un test à l'origine prenait des proportions insoupçonnées. Simon se l'était approprié, m'avait encouragée – et inconsciemment, ce soutien comptait également.
Le professeur Shelton nous contempla gravement toutes les deux. Lentement, il enroula le parchemin de note qu'Octavia lui avait confié et poussa vers nous les quelques livres qu'Adrianne avait déposés.
-Mesdemoiselles ... Je pense sincèrement que vous avez rendez-vous avec l'Histoire. C'est ce que vous êtes en train d'écrire – de réécrire, pour être exacte. Pas l'Histoire de la magie, par l'Histoire linéaire du monde moldu, mais la nôtre. Il est temps que les sorciers comprennent enfin d'où ils viennent. Si vous avez encore besoin de documents, d'ouvrage ou même de conseils, n'hésitez surtout pas. Je suis à votre disposition.
-Ne le dites pas trop, on risque de s'en souvenir, se moqua Octavia, l'air néanmoins émue. Merci beaucoup professeur. Votre soutien nous touche.
Comprenant que l'entretien touchait à sa fin, elle se leva en miroir du professeur Shelton et ils se serrèrent la main. Mais au moment où Octavia voulut la reprendre, il la garda fermement dans la sienne et plongea son regard dans celui de la jeune fille avec une certaine sévérité.
-Néanmoins ... soyez prudente. Ne dites pas trop haut ce que vous faites – et soyez prudente avec le mot de « guerre », miss McLairds. Vous le comprenez, vos recherches ne sont pas aux goûts de tous et certainement pas de l'autre camp. Alors faites attention. Surtout quand votre partenaire est une née-moldue.
-Nous sommes prudentes, rétorqua Octavia d'une voix plus froide. Et nous sommes encore à l'état de projet ...
-Ne vous méprenez pas, je ne vous dis pas de ne pas faire ce que vous faites. Simplement de vous entourer des bonnes personnes et de rester prudentes dans vos propos ... Faites un ouvrage scientifique, pas militant. Contactez-moi avant d'envisager la moindre publication, je tenterais de vous aider.
Octavia me jeta un petit regard dans lequel je lus le trouble mais aussi le triomphe. Sans le savoir, le professeur Shelton lui donnait raison contre moi – privilégié un propos neutre à un propos engagé. Après une seconde d'hésitation, je hochai la tête avec résignation et Octavia se fendit d'un petit sourire satisfait.
-Comptez sur nous. Et encore merci pour votre aide ... Bien, nous allons vous laisser Simon, je présume et Victoria et moi allons ...
-Victoria reste avec moi un peu, intervint alors Simon sans quitter son livre du regard. Tu peux rentrer toute seule, je pense que tu as compris où était la sortie ...
Octavia haussa très haut les sourcils avec dédain et je gratifiai moi-même Simon d'un regard étonné. Il ne daigna pourtant pas s'expliquer, mais son visage fermé m'intriguait assez pour que fasse discrètement signe à Octavia de partir. Elle ouvrit les bras en signe d'incompréhension et je dus être plus ferme en indiquant la sortie d'un signe de la tête. Elle leva les yeux au ciel et poussa un soupir qu'elle ne tenta même pas d'atténuer.
-Très bien, je te la laisse. Mais je la récupère demain pour qu'on débriefe tout ça. Il va falloir apprendre à la partager, Bones.
Sans se soucier du regard mi-amusé mi-perplexe du professeur Shelton ou du regard meurtrier de Simon, elle lui tapota la tête avec condescendance et s'en fut avec un dernier salut, les livres pleins les bras. Quand la porte claqua définitivement derrière elle, je me tournai vers Simon, toujours retranché derrière son livre, les sourcils froncés.
-La prochaine, Victoria aimerait décider par elle-même. Qu'est-ce qu'il y a ?
-J'ai envie de vérifier quelque chose. (Il abaissa brusquement son livre pour darder un regard étrangement énervé sur le professeur Shelton, toujours debout face à nous). Vous êtes entrés en quelle année à Poudlard ?
-Je vous demande pardon ? s'étonna-t-il.
Il détourna immédiatement le regard et fit disparaître la tasse d'Octavia et la théière d'un mouvement souple de la baguette. Cela ne fit qu'agacer davantage Simon. Il jeta son livre sur la petite table qui en trembla et me fit sursauter.
-Vous avez visité Terre-en-Landes. Et quand je vous ai parlé de Victoria la semaine dernière, vous avez laissé entendre qu'elle était fille de Pasteur alors que je ne l'avais pas précisé. Alors je me permets de vous demander : en quelle année êtes-vous entré à Poudlard ?
-Oh, attends, intervins-je, complétement déboussolée par la tournure de la conversation. Qu'est-ce que tu essaies de savoir, exactement ... ?
Julian Shelton eut alors un inexplicable sourire. Et de manière toute aussi mystérieuse, il y avait une sorte de fierté dans ce sourire. Il se laissa aller dans le fauteuil qu'il avait occupé tout le long de l'entretien.
-Ce qu'il essaie de savoir, commença-t-il dans un souffle, c'est si j'ai connu Matthew Bones à Poudlard.
Je me figeai devant la réponse et très lentement, je cherchai une confirmation du côté de Simon. Un rictus de dépit s'était dessiné sur ses lèvres, signe que le professeur avait visé juste. Je déglutis nerveusement et finis par m'enquérir du bout des lèvres.
-Et donc ?
-Et donc j'ai effectivement connu Matthew Bones à Poudlard, murmura Julian Shelton, comme un terrible aveu. Et pour être parfaitement honnête ... il se peut qu'il ait été mon meilleur ami.
Alors sans même m'attendrir de l'éclair de douleur qui avait traversé le visage du professeur ou des poings de Simon qui s'étaient serrés sur ses genoux, je m'enfonçai dans le fauteuil avec un gros soupir de défaite.
J'étais venue pour moi. Pour mon projet. Comment aurais-je pu deviner que sans le savoir, je me précipitais vers l'une des ombres qui jalonnaient l'histoire de Simon ?
Je pris une profonde inspiration en m'efforçant de chasser les traces d'exaspération qui s'étaient éprises de moi. Cette fois, il m'incluait. C'était une ombre que je n'aurais pas à lui arracher. Peut-être même avait-il besoin de moi pour en faire jaillir la lumière. Résignée, je me redressai et crevai le silence dans lequel nous étions plongés en lançant :
-On me dit clairvoyante ... mais clairement celle-là je ne l'avais pas vu venir.
-Vous le saviez ? attaqua Simon avec humeur. Que j'étais son frère ? Quand vous m'avez pris comme élève ...
Après un instant de réflexion, Julian Shelton hocha la tête avec raideur. Il passa une main sur son visage dont les traits s'étaient crispés depuis quelques secondes et il continua de fuir le regard de Simon. Lui n'avait pas cette difficulté : ses yeux étaient vrillés sur lui, brillants, accusateurs.
-Oui ..., oui évidemment que je le savais, admit le professeur dans un filet de voix. Mais n'allez pas croire que c'est pour cela qu'on vous a mis sous mon aile, Simon. Je suis responsable de formation et croyez-moi, je sais bien déconnecter mon cerveau de mon cœur. Vous êtes jeune, vous aviez besoin d'affiner nos talents et de polyvalence. J'étais parfait pour ce dessein. Croyez-moi, magiquement parlant ... nous nous ressemblons étrangement. L'univers a un drôle d'humour ...
Oh oui, songeai-je amèrement. Et il l'avait prouvé de nombreuse fois. Simon restait impassible sur son fauteuil, statique à l'exception de ses doigts qui continuaient de jouer sur l'accoudoir. Devant son mutisme furieux, le professeur Shelton se sentit obliger de poursuivre :
-Et si je dois être parfaitement transparent ... je suis le filleul de Leonidas Grims.
-Oh c'est pas vrai, lâcha Simon en se rejetant dans le fauteuil, les paumes plaquées contre ses tempes. Je rêve !
J'avais moi-même portée la main à la bouche devant la confidence inattendue, complétement déconcerté. Julian Shelton esquissa un sourire désolé face à nos réactions. Il dut considérer que la situation nécessitait une dose certaine de thé car il s'en servit une tasse si remplie qu'elle faillit déborder.
-Ah ... j'avoue que j'ai dû avoir peu ou prou la même tête lorsque Leonidas me l'a annoncé ... je venais t'intégrer Ilvermorny et de rencontrer ma famille maternelle – je suis à moitié américain et nous avions déménagés suite à ... vous vous en moquez éperdument, résuma-t-il quand Simon darda sur lui un regard courroucé et incrédule. Toujours est-il que ma mère est une Grims – la cousine de Leonidas – et elle a fait de lui mon parrain.
-Il me faut un arbre généalogique, décrétai-je en tentant de faire les liens. C'est ... fou.
Leonidas Grims. Le mari de Lysandra, la sœur de Cassiopée. Cassiopée, la mère de Matthew et de Simon ... Cette proximité familiale qui venait brusquement de s'instaurer ne parut pas radoucir Simon qui continua de toiser son tuteur de ses yeux sombres. Pourtant les mots semblaient lui manquait – ou alors avait-il conscience que son silence était une arme plus redoutable. En tout cas, il poussait le professeur à toujours plus se justifier :
-Si je ne vous ai rien dit, c'est qu'on m'a conseillé de ne pas le faire ... Quand vous avez été admis, j'ai reçu deux lettres : l'une du professeur Dumbledore, l'autre de Rose Bones – que je ne connaissais absolument pas, par ailleurs. Et dans les deux, j'avais une interdiction claire : vous parler de votre famille. Vos parents, vos frères, peu importait, ils ne devaient pas être évoqués ...
-Non mais je rêve, répéta Simon dans un murmure furieux.
-Simon, est-ce que tu peux vraiment leur en vouloir ?
Je lui jetai un long regard entendu et quand il le croisa, j'espérai qu'il se rappelait du pont, de ses pleurs, de l'état dans lequel la moindre mention de la vie qui avait précédée ses trois ans le mettait. Je dus y parvenir car pour la première fois depuis qu'Octavia était partie, son visage s'adoucit et la colère laissa transparaître le désarroi. D'un geste à peine esquissé, il me désigna au professeur Shelton.
-Des fois que vous vous demanderiez, c'est pour ça que lui ai demandé de rester ...
-Un plaisir, soupirai-je en m'enfonçant de nouveau dans le fauteuil.
Le professeur Shelton eut un petit sourire prudent.
-Je vois ça ... Donc ... je dois comprendre que la parole peut-être plus libre que ne le supposaient les lettres ?
Simon parut hésiter, la tête oscillant doucement de gauche à droite avant de finir par acquiescer.
-Oui, ça va mieux ... on va dire que ... je préfère la transparence, maintenant. Et c'est vrai qu'il y a quelques mois ce n'était pas le cas, ce qui explique sans doute que ... vous avez reçu ses lettres. Mais plus maintenant. Maintenant, je veux savoir.
J'eus toutes les peines du monde à retenir le sourire fier qui me montait aux lèvres devant la sereine détermination de Simon et il se pouvait même que quelques larmes fébriles me soient montées aux yeux quand Julian Shelton hocha longuement la tête, un sourire ému aux lèvres.
-Dans ce cas ... ce sera avec plaisir que je continuerais d'enseigner au frère de mon meilleur ami. Que j'ai vu pour la première fois pas plus grand qu'un gnome. (Son regard brilla étrangement et sa voix fut réduite à un filet quand il ajouta : ) Matthew disait que vous étiez un « mini-botruc » ...
Les yeux de Simon s'humidifièrent de façon automatique face à cette anecdote. Visiblement, c'était plus qu'il ne pouvait supporter – plus que ce qu'il s'était autorisé à supporter. Il cligna rapidement des cils et se leva brusquement. Il était temps de s'échapper avant que les émotions ne prennent le dessus sur lui.
-Très bien, entonna Simon d'une voix rauque. Très bien ... Ecoutez, on va y aller, je ... je vous dis à demain, professeur. Ou peut-être qu'on se verra chez Leonidas, tiens ...
Julian s'était levé en même temps que Simon et devant son trouble manifeste, avait refermé une main apaisante sur son épaule. Le contact parut le rassurer et il consentit même à regarder son tuteur dans les yeux une dernière fois.
-Ce sera avec plaisir, souffla Julian. Si cela te convient.
Le passage au tutoiement n'échappa à personne mais ne parut pas déranger Simon outre mesure. Avec un dernier hochement de tête, il se défit de la prise de son tuteur et se dirigea vers la porte. Je me levai à mon tour et, de peur de paraître impolie, je me forçai à tendre une main à Julian Shelton pour prendre congé. Il la serra de manière machinale, l'air toujours un peu sonné.
-Encore merci pour votre aide, professeur, dis-je avec un sourire. Et ... vous avez une très belle toile.
C'était sans doute la nervosité qui m'avait fait parler ainsi, mais je désignai le paysage d'étang et de nénuphar. Le professeur cligna plusieurs fois des yeux avant de se fendre d'un sourire.
-Ah ! Merci, un cadeau de mon compagnon ... l'impressionnisme est peut-être la seule forme d'art sur laquelle nous nous accordons ...
-Votre quoi ? m'étonnai-je, choquée.
-Vicky !
Simon m'attendait à la porte et me fit sèchement le geste de le rejoindre. Je bredouillai des excuses et des remerciements au professeur Shelton et me dépêchai de le rejoindre. Dès que je fus à sa hauteur, Simon agrippa mon bras et me fit sortir avec une fermeté inhabituelle. Sans pouvoir m'en empêcher, je liai cela à la dernière chose que j'avais relevé de l'entretien et décidai d'insister une fois la porte refermée derrière nous :
-Son quoi ?
-Oui, Victoria Bennett, fille de Pasteur, son compagnon.
Je retins in extremis le couinement qui monta dans ma gorge et suivis sans y songer le rythme soutenu imposé par Simon. J'avais vaguement connaissance de ces hommes qui aimaient d'autres hommes, sans en avoir rencontré aucun. Et cela changeait toute ma perception de l'entretien et de l'homme que je venais de rencontrer et qui m'avait pourtant beaucoup plu. Troublée au-delà des mots, je me mis à bégayer affreusement :
-Attends ... il ... il est ... ça et tu le sais ? Et ... ça ne te dérange pas ?
-Moins que d'apprendre que c'était le meilleur ami de mon frère.
Son pas se mit alors à ralentir au moment où la pression sur mon bras se fit presque douloureuse. La souffrance relative me remit alors les idées à l'endroit et je levai les yeux sur le visage décomposé de Simon. A présent en dehors de la pièce, il laissait le désarroi et la détresse prendre lentement le dessus sur lui. Dès que je vis les larmes emplir ses yeux, plus rien ne compta et je le forçai à s'immobiliser. Le couloir était désert, je pus donc l'enlacer sans crainte qu'il me repousse. Au contraire, il s'appuya largement sur moi et enfouit son visage dans mes cheveux. Sa respiration laborieuse se répandit dans mon cou et je fus presque certaine de sentir la caresse d'une larme sur ma peau.
-J'en ai marre ..., chuchota-t-il avec un mélange de rage et de désespoir. Je te jure, tellement marre ... chaque fois que je pense en avoir fini avec ça, ça me revient à la figure comme boomerang ...
-Simon ... tu n'en aurais jamais fini avec ça. Ça fait partie de toi. Alors ... résigne-toi et prépare-toi. Le boomerang va revenir.
Son petit rire arracha des frissons sur ma peau et tranquillisa son souffle. Rassurée, je caressai les cheveux à la base de sa nuque avant de proposer avec douceur :
-On va regarder un film ? Je pense qu'on a besoin tous les deux de se changer les idées.
-Ça dépend. On regarde enfin Rasta Rockett ?
-Seulement si c'est accompagné de chocolat.
Simon rit de nouveau – un rire tremblant, mais qui lui permit de se redresser et même de se pencher vers moi pour poser ses lèvres sur le bout de mon nez. Le geste m'arracha un sourire affreusement niais et je tordis mes lèvres pour le masquer. Nos mains se trouvèrent naturellement et cette fois, je sus que Simon n'aurait ni la force ni l'envie de me lâcher.
-Deal.
***
Alors je vais prévenir de tout de suite.
Ceux qui fustigent Victoria pour sa réaction face à l'homosexualité de Julian, ça va quelque peu m'agacer.
Oui je comprends que ça vous déçoit, voire que ça puisse blesser. Mais souvenez ce qu'est Victoria : une fille de Pasteur déjà et une fille du fin fond de la cambrousse du Gloucestershire. Vraiment une compilation de facteur pour, en effet, ne pas comprendre du tout l'homosexualité.
C'est fait dans un souci de réalisme. ça ne reflète pas ma pensée profonde. C'est amené à évoluer. Pitié, gardez-ça à l'esprit !
Maintenant je veux bien votre verdict :D
Franchement j'ai adoré écrire ce passage, c'est vraiment le point culminant de notre univers partagé, ça nous a ému toutes les deux !
Sinon sur les informations du chapitres :
- Julian est le personnage d'Anna, toutes les informations sur lui sont issues de LHDI, elle a relu le chapitre donc tout est validé ! Et pour ceux qui ne lisent pas, oui Julian était le meilleur ami de Matthew donc c'est un personnage que vous pourrez retrouver de façon récurrente.
-Les informations sur Ottaline Gambol sont issues de Pottermore : il est dit qu'effectivement elle était en effet intéressée par les technologies moldues et les moldus eux-mêmes qui paraissaient bien puissant du temps de l'Empire Britannique.
A dans deux semaines <3
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