III - Chapitre 19 : Et la lumière fût
J'AI PITIE DE VOUS
(En fait je profite d'avoir oublié de poster sur Booknode et de compenser avec les deux chapitres d'un coup pour poster ici)
Vous l'attendiez, il est là alors sans plus attendre je vous laisse profiter et savourer ce chapitre. Je remercie Anna' pour sa relecture rassurante et enjoy la vôtre !
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Mais vous savez, on peut trouver le bonheur même dans les moments les plus sombres... Il suffit de se souvenir, d'allumer la lumière.
- Albus Dumbledore
Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban (film)
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Chapitre 19 : Et la lumière fût.
Des détraqueurs.
Je les avais brièvement aperçus en cinquième année. D'abord lors du voyage au Poudlard Express, puis à Pré-au-Lard. A ce moment-là, leur pouvoir de désespoir avait été plus prégnant, plus fort, jusqu'à s'en faire évanouir Simon. Mais même à l'époque, je n'avais pas eu l'impression de ressentir les effets comme aujourd'hui.
Tu n'avais pas vécu les mêmes choses à l'époque, me souffla une petite voix dans ma tête. Tu étais jeune, innocente avec le 5 novembre pour seul ennemis. Remember, remember ...
Sans attendre d'être paralysé par l'air glacial et les cris, je sortis ma baguette. Miles me jeta un regard épouvanté et lorgna tous les passants qui continuaient de marcher à nos côtés. Mais même eux marchaient moins vite, comme si un poids immense venait de s'abattre sur leurs épaules. Autour de nous, le monde avait ralenti.
-Non mais Victoria, ça ne va pas la tête ? S'ils te voient tu pourrais ...
-Tais-toi, j'essaie de me concentrer !
Et c'était de plus en plus difficile. Les voix et le froid gagnaient de plus en plus mon corps et mon esprit : mes deux mains s'étaient crispées sur ma baguette, glaciales et tremblantes. Je fermai les paupières, mais la seule chose que j'y gagnai fut de voir les grands yeux de Cédric ouverts sur le vide. Un gémissement voulut s'échapper de mes lèvres mais je parvins à les maintenir soudées. La main de Miles s'abattit sur mon épaule. Lourde, douloureuse. Il avait compris.
-Vic' ... Par Merlin, il faut qu'on transplane.
-On a atteint la limite ?
Je n'osai rouvrir les yeux mais son silence était éloquent. Mes doigts se crispèrent encore un peu plus sur ma baguette.
Cédric ! Hagrid, par Merlin, dites-moi, je vous en supplie ... dites-moi ...
Je tentai de chasser les souvenirs d'une inspiration tremblante. De souvenir, c'était de ça que j'avais besoin. De souvenirs heureux, de souvenirs forts. De la lumière qui jaillissait des ténèbres, brillante comme l'espoir. Et alors que le hurlement d'Alexandre sur l'immeuble à Bristol prenait forme dans mon esprit, je me surpris à fredonner, comme si cela pouvait chasser les voix :
-Do you hear the people sing ? Singing the song of angry men? It is a music of a people who will not be slaves again ...
La chanson de la révolte, la chanson de l'espoir. La chanson à l'issue de laquelle j'avais été si fière de moi que j'avais été capable de produire un patronus, un colibri scintillant entre les branches d'un frêne. Ce n'est pas la taille qui importe, c'est l'éclat, m'avait assuré Simon avec un sourire fier. C'était ça. J'avais été si fière.
-When the beating of the heart echoes the beating of the drums, there is a life about to start when tomorrow comes !
Il me semblait presque entendre mes camarades puis le corps puissant des armures de Poudlard m'accompagner, donner du corps à mon chant et me toucher, comme ça avait été le cas ce jour-là sous une véritable pluie de note alors que ...
-Will you join in our crusade, would you be strong and stand with me, beyond the barricades is there a world ... Spero patronum !
J'ouvris enfin les yeux, imprégnée de tous mes souvenirs qui se télescopaient dans mon esprit et poussai un véritable soupir de soulagement quand le jet de lumière argentée se solidifia en un petit oiseau dont les ailes battaient à un rythme impressionnant. En écho des battements de mon cœur, maintenant que j'y songeai.
Miles se décala adroitement pour cacher le colibri brillant aux yeux des passants. Il me prit par l'épaule et le patronus se trouva dissimuler entre nous deux, sa lueur argentée se reflétant à peine sur nos vêtements. Déjà je sentais les voix s'étouffer en moi pour ne laisser que le cœur vibrant du chant de l'espoir. Je poussai un véritable soupir de soulagement. La buée formée par mon souffle me semblait moins opaque, sans grande consistance, prouvant que l'effet des Détraqueurs était contré.
-Incroyable, murmura Miles en se mettant en mouvement, le colibri toujours coincé entre nous. Alors l'enchantement des statues l'année dernière, c'était toi ?
Je clignai des yeux, surprise. Après la vague de désespoir puis ma concentration immense, j'avais l'impression d'enfin retomber sur terre. Un sourire confus effleura mes lèvres.
-Euh, pas tout à fait ...
-Ça va, j'ai compris, cingla-t-il amèrement. Il n'y qu'un seul élève à Poudlard capable de produire un tel enchantement ...
-Tu veux vraiment m'énerver maintenant, alors que je suis ce qui la personne qui te permet un transplanage en toute sécurité ?
Il baissa le regard sur le colibri qui virevoltait toujours entre nous. Il voulut s'échapper et nous devancer, mais je le ramenai à sa cachette d'un coup de baguette.
-Oui, tu as raison, maintenons-toi heureuse. Par curiosité, depuis quand tu l'as ?
-La fin d'année dernière. A un jour près des ASPIC, rageant. (Je levai les yeux vers le ciel, toujours lourd de nuage mais sans le moindre Détraqueur en vue). Il y aussi un sort contre eux ?
-Qui prendra fin dès qu'on aura dépassé la limite, confirma Miles, livide. Bon, voilà ce qu'on va faire. Concentre-toi sur ton patronus, moi je m'occupe du transplanage. Chez les Bones, je suppose ?
-C'est le plus sûr, oui.
J'avouai être incapable de transplaner. Malgré le patronus, je sentais encore les stigmates des serres que le désespoir avait refermé sur mon cœur. Miles soupira devant l'ironie de la chose et l'éclat du colibri tremblota. Il crispa une main sur mon bras.
-Respire. Continue de chanter si ça t'aide.
-Miles ... (Je jetai un coup d'œil sur les passants, nombreux à cette heure de sortie des bureaux). Les moldus ...
Certains semblaient pâles, remarquai-je alors. D'autres regardaient vers le ciel, l'air inquiet. Je suivis leurs regards et cette fois j'en vis un : une longue silhouette encapuchonnée qui coupa l'éclat de Big Ben l'espace d'un instant, comme un sinistre présage. Mon cœur se mit à tambouriner dans ma poitrine et Miles se pencha vers moi.
-Reste concentrée. On arrive, on sera vite rentrés.
-Mais les moldus ...
-Ils ne s'y intéresseront pas. Ce sont les sorciers qu'ils veulent. Ce n'est pas la première fois qu'ils sont postés là, Tu-Sais-Qui veut paralyser le Ministère, nous faire peur, nous amener à ne plus nous rendre au travail pour détraquer la machine. Les moldus ne les intéressent pas.
Mais il y avait eu plusieurs attaques. Ici, à Londres. Je l'avais lu dans La Gazette, j'avais eu des nouvelles par Lupin. Et je doutais que les directives de Voldemort soient si précises ... Face à mon anxiété croissante, mon colibri perdit de son éclat et battit plus frénétiquement des ailes. Je mis une main sur ma poitrine où mon cœur s'était emballé et me remis à chanter à voix basse :
-Will you give all you can give so that our banner may advance? Some will fall and some will live : will you stand up and take your chance ?
J'allais finir par croire Simon et Dumbledore : la musique était réellement une essence magique, aussi magique que la magie elle-même. Car les notes et la vibration chassa l'anxiété et mon colibri se remit à briller de tout son éclat argenté.
-J'avais oublié combien elle était joyeuse cette chanson, fit remarquer Miles d'un ton distrait. Oh mille gargouilles ...
Je suivis son regard et mon cœur remonta d'un coup dans ma gorge. Nous venions de tourner à une ruelle pour nous dérober au regard des moldus. Elle débouchait sur une place piétonne ouverte sur un petit espace vert. Là, le temps semblait réellement s'être arrêté : les passants se regardaient entre eux, puis le ciel, l'air perplexe, voire effrayés. Les réverbères se mettait à clignoter de façon inquiétante, apocalyptique. Ils éclairaient par intermittence la silhouette spectrale d'un Détraqueur, invisible à leurs yeux, qui flottait quelques mètres au-dessus d'une fontaine. L'eau en dessous se mettait à geler et une femme d'une cinquantaine d'année poussa un cri de surprise en le constatant. Ma main se referma plus cruellement sur le bras de Miles, qui s'immobilisa, livide.
-La limite de l'enchantement est là, au bout de la rue, m'apprit-t-il à mi-voix. D'habitude je transplane là pour que personne ne me voit – derrière cette maison là – mais avec lui ...
Il baissa le regard sur le colibri. Le patronus avait pointé le bec sur le Détraqueur, comme s'il avait compris pourquoi il avait été créé – contre qui il avait été créé. Je pris une profonde inspiration qui se solidifia en une brume blanche et opaque qui trahissait les pouvoirs à l'œuvre ici.
-Je peux ... je peux essayer de le faire fuir. Et dès qu'il part ...
-Je nous fais transplaner. Prête ?
Non. Mais je me rassurai en songeant que j'étais encore en sein de la protection du Ministère et fus motivée par les lumières de plus en plus vacillantes des réverbères qui angoissaient les moldus au pied du Détraqueur. Ce ne serait pas franchement une action en accord avec le secret magique, mais nous n'avions pas le choix – et par chance, mon patronus était très petit. Sans attendre que tout redescende, je pointai ma baguette sur le Détraqueur qui commençait à plonger sur la foule. Le colibri suivit la direction et redoubla d'éclat en fonçant sur la créature des ombres. L'action me semblait dérisoire, stupide : il était si petit et déjà je sentais à nouveau les serres du désespoir se refermer sur mon cœur. Je m'accrochais aux mots de Simon : la taille importait peu, c'était l'éclat qui faisait la différence. C'était comme moi. Qui aurait pu croire que je serais une si bonne gardienne en faisant moins d'un mètre soixante ?
Je poussai un soupir de soulagement lorsque le minuscule point argenté fit battre en retraite la longue et inquiétante silhouette du Détraqueur. L'oiseau frappa la créature en plein ventre, encore et encore jusqu'à ce qu'elle se fonde dans la nuit et disparaisse dans les ombres d'où elle était née. C'était complétement surréaliste et pourtant à la fin, il ne restait plus que cette lumière argentée brillante comme un phare. Miles n'attendit pas pour me prendre le bras et me faire sortir de la zone protégée. Je sentis la protection de l'enchantement glisser sur moi comme de l'eau, une cape que l'on enlevait de mes épaules et presque aussitôt, mon cœur trop lourd tomba dans mon estomac. Ce n'était pas normal ...
-Attends, dis-je à Miles alors qu'il s'apprêtait à transplaner. Attends, je crois ...
Un cri à glacer le sang se fit entendre dans le petit parc. Je tournai la tête, épouvantée, pour voir un Détraqueur attraper un homme d'une cinquantaine d'année par le poignet. Ses longues manches noires découvraient des doigts visqueux, couverts de croûtes et de son autre main il repoussa la capuche qui découvrait ce que personne ne pouvait décrire. Mon sang ne fit qu'un tour et je lâchai immédiatement Miles pour courir en leur direction.
-Vic' !
-Spero patronum !
Cette fois, le colibri jaillit dès la première fois et frappa le Détraqueur à la gorge de son bec effilé. Il lâcha le passant, qui s'écroula sur le sol, hors d'haleine, perdu et hébété. Je m'agenouillais face à lui pendant que mon colibri achevait de repousser la créature.
-Vous allez bien ?
-Laura ... Laura mon dieu, ma chérie, je suis désolé, je voulais ...
L'homme était en état de choc et se contenta de se replier en position fœtale, une main sur le front, blanc comme un linge. Je le forçai à se redresser de mes maigres bras et désigner l'enseigne qui brillait quelques mètres plus loin.
-Prenez le métro pour rentrer.
-Laura ...
-C'est fini. S'il vous plait, allez au métro ...
-Victoria !
Je me tournai vers Miles, qui pointa d'un index tremblant sur l'extrémité du parc. La place s'était vidée de ses passants, sans doute effrayés par le clignotement frénétique des réverbères qui reprenait de plus belle. Mais la quelque dizaine qui restait était encerclée par trois Détraqueurs – moins celui que je venais de faire fuir. Ils étaient postés aux trois rues qui débouchaient sur la place et se rapprochaient avec une lenteur calculée. Leurs mains étaient sorties de leurs manches, éclairées de façon crue par la lumière vacillante des réverbères comme dans un mauvais film d'horreur. Leur vision me fit suffoquer. Miles réussit enfin à me rejoindre et me prit le bras.
-Il faut qu'on transplane !
-On ne peut pas les laisser, protestai-je en m'arrachant à sa prise. J'en ai fait fuir deux ...
Les réverbères s'éteignirent, puis se rallumèrent brusquement pour jeter une lumière crue sur le visage terrifié de Miles. Ses yeux s'écarquillèrent face à la proposition.
-Ils sont trois Vic', au moins ! On transplane !
J'hésitai. La peur que reflétait le visage de Miles était un reflet de la mienne : j'avais de plus en plus froid, et mon cœur devenait de plus en plus lourd. De nouveau, des voix dansaient dans mon esprit, à peine discernable, mais assez reconnaissables pour que les larmes me montent aux yeux. Cédric ... Le souvenir m'ébranla assez pour que je fixe la main que me tendait Miles, tentée de la saisir et d'échapper à tout ça. Puis un nouveau cri déchira l'air, fit écho à d'autres qui résonnaient dans mon esprit et ma main se porta plus facilement à ma baguette. Un Détraqueur s'était glissé derrière une jeune fille et avait refermé ses mains sur ses épaules. La fille était blême, incapable de comprendre ce qui lui arrivait et se remit à hurler comme une folle alors que le Détraqueur se penchait de plus en plus vers sa gorge ... Epouvantée, je levai instinctivement ma baguette, sachant très bien que j'étais incapable de le produire :
-Spero ... spero patronum !
La brume argentée était épaisse, assez épaisse pour que le Détraqueur recule, mais pas assez pour qu'il fuit.
-Vic' !
Miles tenta de m'attraper, mais je lui échappai d'un bond en me précipitant vers la fille qui venait de s'écrouler. Ses yeux convulsaient et reflétaient la lueur spectrale du réverbère au-dessus d'elle. Puis il s'éteignit complétement et je me retrouvai avec ma brume argentée comme seule lumière dans la nuit noire, obscure et humide. Je frottai les doigts tremblants qui tenaient ma baguette et retins un gémissement de désespoir quand mon semblant de patronus découpa les contours de pas une, mais deux capes longilignes. Je reculai d'un pas, toujours devant la fille qui ne reprenait pas conscience et pris ma baguette à deux mains.
-Allez Vic', m'encourageai-je d'une voix haletante. Tu peux le faire, tu l'as fait ... Allez, pense aux armures ... Spero patronum !
Cette fois, le colibri se resolidifia alors que le chant battait de nouveau au rythme des battements de mon cœur. Do you hear the people sing ... L'important, c'était que ma magie m'entende chanter. Le colibri attaqua un Détraqueur mais l'autre fondit sur moi et la jeune femme. J'eus à peine le temps de me baisser sur elle, un hurlement au bord des lèvres, qu'une vape de fumée argentée déferlait de derrière moi, l'enveloppant toute entière de bienveillance et de détermination avant de frapper la silhouette qui recula. Le second avait disparu, emporté par le colibri qui profita de la brume pour planter son bec sous le capuchon du Détraqueur. Un son à glacer le sang en sortit alors et il s'éloigna pour se fondre dans les ombres. J'exhalai un soupir de soulagement et me tournai vers la jeune fille à mes pieds. Ce faisant, je me retrouvais face à un autre Détraqueur qui agrippa mon bras de sa main couverte de croûtes, sa capuche couvrant l'impossible penchée sur moi. Je poussai un véritable cri de détresse et voulus reculer, mais je butai sur le corps de la jeune fille. Je m'étalai à terre et le Détraqueur me suivit, se penchant sur moi, prêt à retirer sa capuche. De la noirceur qu'elle cachait se dégageait une odeur putride qui me paralysa. Sa main s'appuya sur ma poitrine pour m'empêcher de bouger et il se pencha ... se pencha ... Je ne sus d'où me vint la présence d'esprit de refermer mes doigts sur la baguette que je tenais encore et de la planter dans l'ouverture béante, sans même prendre le temps de convoquer un sort. Le cri qui en sortit me perça les tympans et réveilla une terreur primitive et animale en moi. Tout tremblait autour, des lignes des arbres à la bruine qui continuait de tomber et que je ne sentais même plus, toute engourdie que je l'étais par la frayeur. Et du fond de toute ce marasme de sentiment, je me surpris à réclamer quelqu'un, toujours le même, la personne qui était toujours là pour me sortir des situations délicates.
Simon ... Simon s'il te plait viens me chercher ... Simon ...
Et la lumière fût.
J'ignore ce qui se passa réellement, mais mes idées se firent soudainement plus claire, le poids sur mon cœur moins lourd. J'enfonçais encore ma baguette dans l'ouverture avec un gémissement et ignorai le cri perçant que cela généra pour le noyer dans le mien :
-Spero patronum !
La lumière argentée m'explosa la rétine. Mon cerveau ne parut pas imprimer ce que mes yeux voyaient, mais je me retrouvais enfin libérée de la pression insoutenable du Détraqueur sur ma poitrine. Je ne pris même pas le temps de voir le colibri le bouter hors du parc et résistait à l'envie de me pelotonner en boule sur les pavés pour reprendre mon souffle. Je pense que ce fut la vision de Miles, baignant dans la fumée argentée de plus en plus mince, le regard luisant de cette lumière alors qu'un Détraqueurs s'avançaient vers lui, chaque seconde davantage à mesure que la détermination de Miles faiblissait, qui me fit sortir de ma torpeur. Je cherchai le colibri du regard, paniquée. Il était toujours aux prises avec la créature, mais je n'hésitais pas à l'envoyer vers celui qui menaçait Miles. Son éclat terni redoubla face à ma détermination de le secourir et le Détraqueur fuit dès qu'il fut touché par sa lumière. Presque aussitôt, la brume de Miles s'évapora et il s'écroula à genoux, pâle comme un linge, une main sur la poitrine. Je réussis à m'arracher à ma torpeur et me précipitai vers lui. Enfin, précipiter était un grand mot quand tenue de la lourdeur de mes jambes et du poids que je sentais toujours sur mes épaules et qui me forçaient à marcher courbée. J'étais à mi-chemin lorsque je perçus du coin de l'œil le Détraqueur qui m'avait attaqué et que j'avais délaissé pour aider Miles flotter à ma gauche et se précipiter vers le premier homme qui avait été affecté. Désespérée, je fis volte-face, la baguette tendue et mon colibri fila tel une vague trace argentée. Un gémissement se fit entendre derrière moi.
-Vic' ! Viens, on s'en va !
-On ne peut pas les laisser ! Ils veulent ... ils veulent ...
J'écrasai une main contre mon visage et ma peau rencontra le sel de mes larmes. Quand est-ce que je m'étais mise à pleurer ? Elles inondaient mes joues. Elles tombaient, comme les passants, frappés par le désespoir, contrairement aux Détraqueurs, qui avançaient encore ... j'en avais chassés mais ils revenaient toujours ... L'un d'entre eux posa ses mains visqueuses sur le cou de la fille qui s'était évanouie et inclina la capuche vers elle. Avec un hurlement de rage, je levai ma baguette au moment où on m'agrippa fermement le bras. Je vis volte-face, prête à dévier la trajectoire de ma pointe, et rencontrai les yeux hantés de Miles. Sa prise se raffermit et soudainement, il pivota.
Je compris.
Je hurlai.
Mais la magie m'emporta tout de même.
Après quelques secondes d'étouffement et d'étourdissement, j'atterris à genoux dans la pelouse humide des Bones, mes mains soudées à ma baguette. Ici, la pluie avait cessé et la lueur argentée émanait d'une lune à trois-quart pleine qui éclairait le jardin et les champs. Les branches décharnées des arbres m'évoquaient les longues mains visqueuses des Détraqueurs et un frisson glacial me parcourut. Tout semblait soudainement d'un silence assourdissant et pourtant ma tête bourdonnait encore. Je portai mes paumes à mes oreilles pour atténuer les voix dont j'entendais toujours mes échos, mais cela ne suffit pas à les atténuer. Il y a eu un accident ... il y a eu un accident ... Et les moldus, les pauvres moldus incapable de se défendre ... Mes mains glissaient sur mon visage où coulaient toujours les larmes et je me redressai brusquement pour faire volte-face. Mon poing serré rencontra l'épaule de Miles, prostré dans l'herbe, les mains sur les genoux à chercher désespérément son souffle. Il vacilla sous le choc et d'écroula dans l'herbe avec un cri de surprise.
-Pourquoi tu as fait ça ?!
-Quoi ?!
-Pourquoi tu nous as ramené ?! Ils vont aspirer leurs âmes, ils vont tous mourir – pire que mourir ! La fille ... (Je plaquai mes mains contre mon visage avec un gémissement). J'aurais pu faire quelque chose, l'en empêcher ...
Malgré sa fatigue et sa pâleur, Miles se releva immédiatement, furibond.
-Bon sang, Victoria Bennett ! Arrête, ce n'est pas possible ! Pourquoi j'ai fait ça ? Parce qu'on allait y passer ! Je ne suis pas sûre que tu aies compté mais ils étaient cinq et cinq contre ton petit oiseau c'était impossible !
-Il fallait m'aider !
-Je l'ai fait ! Je t'ai aidé Victoria et je ne sais pas si tu as remarqué mais c'est grâce à ça que tu as encore ton âme ! Mais on ne pouvait rien faire de plus ! (Il fit un large mouvement du bras pour englober Londres que nous venions de quitter). Si on restait une minute de plus, l'un d'entre nous y passait !
Mais je refusais d'entendre ça. J'avais la tête encore pleine des cris des moldus qui subissaient le pouvoir des Détraqueurs, ma peau ressentait toujours la poigne de celui qui m'avait attrapé et avec la lumière argentée dans laquelle baignait le jardin, j'avais toujours l'impression d'être coincée là-bas. Ma vue se brouilla et d'autres larmes roulèrent sur mes joues.
-C'est trop facile d'abandonner comme ça ! C'était notre devoir de les protéger, ils ne peuvent pas le faire eux-mêmes ! Si tout le monde fuit au moindre danger, qu'on les abandonne à leur sort alors ...
Je frappai du pied sur le sol, à court d'argument mais toujours furieuse et désespérée.
-Tu n'avais pas à me ramener, tu n'avais pas le droit ! Pas le droit !
-Excuse-moi ?!
-Qu'est-ce qui se passe ?!
La voix tonnante de George me fit sursauter. Il venait d'émerger par la porte qui donnait sur la terrasse, la lumière découpant son ombre impressionnante sur le sol. La lueur orangée trancha avec l'argenté de la lune et je respirais plus librement, brusquement consciente que j'étais sortie de l'attaque et que les Détraqueurs avaient disparus de mon horizon. Mes mains se mirent à trembler et mes doigts laissèrent tomber ma baguette qui rebondit plusieurs fois avant d'être aspirée par l'herbe. Je repliai mes mains sur ma poitrine toujours meurtrie, toujours lourde, comme si j'avais aspiré un petit peu du souffle du Détraqueur. En un instant, une poigne ferme m'emprisonna le bras et je captai vaguement que Miles ramassait ma baguette.
-Qu'est-ce qui s'est passé ?
-Des Détraqueurs ... A Londres ...
-A Londres ?! Bon sang ... rentrez vite ...
George n'attendit pas pour m'amener sans ménagement vers l'intérieur. Trop faible et sonnée, je ne protestai pas et jetai simplement un regard à Miles par-dessus mon épaule. Il paraissait hésité, nos deux baguettes en main, son visage blafard crûment éclairé par la lumière de la maison. Nos regards s'accrochèrent et cela parut le décider à nous suivre dans le salon des Bones. Tout était calme et la lumière des lampadaires donnaient à la pièce un éclairage tamisé que seules les braises dans l'immense cheminée éclairée. George me guida avec douceur dans le beau fauteuil près du feu que j'aimais tant et se pencha pour remettre une buche dans l'âtre.
-Les moldus ...
-Vic', soupira Miles, exaspéré.
-On ne peut rien faire pour eux, confirma George avec tristesse. C'est un débat qu'on a souvent ... Bref. Je vais voir si j'ai du chocolat dans la cuisine, réchauffez-vous.
-Je ne vais pas vous embêter, je vais rentrer ...
Le regard plus sévère de George se posa sur Miles. Ses yeux verts luisants dans la semi-pénombre me serrèrent le cœur.
-Mon garçon, je ne sais pas par quel miracle tu as réussi à transplaner une fois avec des Détraqueurs aux alentours. Moi je ne prends pas la responsabilité de prendre le risque que tu te désartibules alors assis-toi et réchauffe-toi. J'arrive avec le chocolat.
Il mit encore une buche pour nourrir le feu et s'en fut dans la cuisine. Je me pelotonnai dans le fauteuil en fixant les flammes, toujours tétanisée, incapable de percevoir la chaleur qui se diffusait de l'âtre. Pourtant, les braises étaient devenues brasier et crépitait au cœur de la pierre, pourtant j'avais l'impression d'être enveloppée du souffle glacial de l'hiver. Je portai une main à ma tempe. Ma tête résonnait encore, me plongeant dans une bulle désagréable que coupa George en me mettant un morceau conséquent de chocolat sous le nez. Sans attendre, je lui arrachai presque des mains et croquai dedans. L'arôme explosa dans ma bouche et enfin j'eus l'impression de ressentir à nouveau, que cette lourde et glaciale couverture tombait enfin de mes épaules et que la chaleur du feu me parvenait enfin. Sans même profiter du goût j'avalai mon chocolat en silence. Cette fois, je les sentais les larmes qui dévalaient mes joues. Elles me brûlaient.
Le chocolat n'extirpait pas de moi le pire sentiment. Au contraire, il me rendait plus lucide, plus consciente. Je me sentais lâche et faible.
Je rivai un regard ardent sur Miles, qui mâchait son chocolat avec un soulagement évident. Ses joues reprenaient des couleurs et il avait enfin lâché sa poitrine, comme si une douleur s'était enfin évaporée. Puis George revint dans la pièce avec deux tasses fumantes et ce fut vers lui que ma colère se dirigea :
-Comment ça, il y a un débat ?
-Pas maintenant, Vic', me répondit-t-il en posant le chocolat chaud devant moi. C'est plutôt à moi de te demander ce que tu faisais seule à Londres ...
J'avais complétement oublié ce qui m'avait amené à me rendre au Ministère et mon regard accrocha celui de Miles avant de glisser sur l'escalier qui menaient aux étages. Mon ex-petit-ami me sauva en expliquant calmement :
-Elle voulait me parler. Mais ça aurait pu bien se passer ... On était prêts à transplaner dès qu'on sortait mais ...
-Quel débat ? insistai-je sans le laisser finir. Quel débat il y a sur les moldus ?
George parut contrarié de me voir appuyer sur ce point et son imposante mâchoire se contracta. Il contempla quelques secondes la photo qui le représentait avec son frère et sa sœur, figé à l'âge de vingt ans, avant d'expliquer avec lenteur :
-Le Ministère ... ça fait quelques mois que Tu-Sais-Qui utilise la présence de Détraqueur pour faire plier les employés. Evidemment, eux s'en sortent, mais les moldus qui subissent leur pouvoir ...
Il poussa un profond soupir et passa une main dans sa barbe.
-Une commission a proposé que des agents soient postés en permanences aux limites de l'enchantement protecteur, pour les repousser et protéger la population moldue. Pour l'instant, c'est encore en suspens, ce serait quelque chose de couteux et dangereux à la fois mais ...
-Mais pour l'instant on les laisse crever, c'est ça ?
-Vic', non, ce n'est pas ça, protesta Miles, piqué au vif.
-Si c'est ça ! On a décidé que c'était « les sorciers d'abord », que les moldus étaient des victimes collatérales, mais acceptables de la lutte contre Voldemort ! C'est exactement ce qui se passe !
George ne réfuta pas et cela fit grimper ma colère en flèche. Maintenant que les brumes, le froid et la torpeur s'était évaporées, ne restait que le feu de la rage.
-Mais c'est atroce ! Mais comment voulez-vous que Voldemort n'ait pas de partisan ? Le Ministère pense exactement pareil, la magie noire en moins !
-Victoria !
-C'est ce qui se passe ! Ce qui se passe c'est « on se protège et tant pis pour eux », c'est inhumain ! On parvient à peine à se prémunir contre ça alors comment eux peuvent si nous on ne fait rien ? Comment ils font ?
-Mais on fait des choses, rétorqua Miles. Mais parfois, il faut juste admettre qu'on est impuissant et qu'on ne peut rien faire. Comme là, Vic' ! Tu ne pouvais strictement rien faire et tu nous as mis tous les deux en danger ! Bon sang, j'ai failli transplaner sans toi !
Je le fusillai du regard et il eut l'audace de ne pas baisser le sien. Son attitude me rappelait douloureusement celle qu'il avait eu face à Warrington alors qu'il maltraitait un né-moldu. Il s'était détourné, considérant ce que ce n'était pas ses affaires et j'avais compris que nous étions sur des trajectoires différentes. Voilà qui se confirmait aujourd'hui.
-Et bien tu n'avais qu'à transplaner et te mettre à l'abri !
-Tu crois réellement que j'aurais pu faire ça ? s'écria-t-il en se levant, incrédule. Et t'abandonner avec cinq Détraqueurs ? C'est ça que tu penses de moi ?
-Tu ne voulais pas rester, tu voulais fuir !
-Ils étaient cinq, Victoria, qu'est-ce que tu voulais qu'on fasse d'autre ?!
-Bon sang, qu'est-ce qui se passe ici ?
Simon venait de descendre, pieds nus sur le tapis cramoisi qui recouvrait l'escalier, les cheveux en bataille et un pull aux couleurs passées sur les épaules. Il s'immobilisa à quelques marches de hauteur et porta le regard sur son père, Miles, puis moi, puis Miles, puis de nouveau moi. Entre stupéfaction et inquiétude, il n'avait toujours pas prononcé le moindre mot quand mon ex-petit-ami s'adressa à lui avec une certaine virulence.
-Enfin ! Est-ce que tu peux lui expliquer qu'elle ne peut pas jouer aux sauveuses avec tout le monde ? Toi peut-être elle t'écoutera parce que j'ai l'impression de parler dans le vide !
-Ils ont été pris dans une attaque de Détraqueur à Londres, expliqua succinctement George.
Simon avait placé une main incrédule devant sa bouche et aux mots de son père, son regard se vrilla immédiatement sur moi. Et presque aussitôt, il se mit à flamboyer.
-Mais qu'est-ce que tu fichais à Londres ?
Qu'est-ce que je fichais à Londres ... ce que ... Avec un grognement de rage, je me détournai. Evidemment qu'il fallait qu'il mêle Simon Bones à tout ça, Simon et ses grandes leçons dont je voyais déjà venir la couleur, Simon qui malgré ses principes n'admettrait pas que je me mette en danger ainsi. Et ça me rendait furieuse à l'avance.
Simon à cause de qui j'étais venue à Londres. Parce que quelque chose sonnait faux depuis des semaines dans ma vie sans que je ne comprenne.
Sans réellement avoir de but en tête, j'avançai vers la porte. J'entendis Simon dévaler les quelques marches – voire sauter sur le sol car je perçus un concert de grincement de la part du parquet – et sa main se referma sèchement sur mon épaule.
-Où tu vas comme ça toi ?! Qu'est-ce qui s'est passé ?
-Laisse-moi ! Je n'ai ...
Je fis volte-face et les larmes me montèrent aux yeux quand je croisais son regard. C'est idiot, calme-toi ... Je parvins à les chasser d'un battement de cil et à poser des mots sur mes sentiments :
-Je sais ce que tu vas dire et je n'ai pas envie de l'entendre.
-Mais qu'est-ce que tu as fait ?
-Il y avait cinq Détraqueurs et elle a voulu rester pour aider les moldus ! me dénonça Miles avec un vague mouvement de la main. Pitié, fais-lui comprendre à quel point elle a été stupide !
-Ce n'était pas stupide !
Mais la pression de Simon sur mon bras se raffermit. C'était stupide.
Je tournai le visage vers le sol pour qu'il ne voit pas les larmes qui s'accumulaient à mes yeux. J'avais conscience de ne pas être rationnelle, mais rien ne l'était dans cette situation. J'avais l'impression que le pire me tombait dessus sur les épaules, au pire moment. Je voulais juste fuir, m'extirper de la situation et cesser de l'affronter – surtout depuis que Simon était entré. Et je n'étais pas la seule car Miles reprit immédiatement après :
-Ecoutez, je suis épuisé, je vais rentrer ... merci pour le chocolat, monsieur Bones.
-Je vais te ramener, proposa George en se levant. Je ne suis pas encore sûr que tu sois capable de transplaner ...
Il jeta un bref coup d'œil à Simon, qui hocha la tête avec reconnaissance et je compris que c'était plutôt pour nous laisser seuls. Je serrai les dents et fixai la main qui tenait toujours mon bras. Ses jointures en étaient blanches.
Miles ne daigna même pas nous adresser un regard en partant. La mâchoire contracté et toujours assez pâle malgré son énergie retrouvée, il s'en fut derrière George sans même protester d'être ainsi infantiliser. Sans doute était-il conscient de sa faiblesse. La porte claqua alors et Simon et moi nous retrouvâmes seuls, face à face, à nous défier silencieusement du regard. Pendant quelques secondes, personne ne parla et j'eus tout le loisir de constater à quel point les traits de son visage s'étaient tendus, comment ses iris s'étaient assombries sans que cela n'ait rien à voir avec la semi-pénombre, comment sa mâchoire se serrait à intervalle irrégulier comme s'il ravalait ses mots. Son mutisme s'éternisa et fit monter l'anxiété en moi. Et l'anxiété se transforma en poison lorsque je décidai d'être sur la défensive et de lâcher :
-Si tu as un sermon à faire, dépêche-toi. J'aimerais bien rentrer.
Ma gorge se comprima quand les prunelles de Simon étincelèrent de façon dangereuse. C'était parti. Une dispute de plus. Alors pourquoi avais-je envie de pleurer ? Les doigts de Simon tremblèrent sur mon bras.
-Peut-être que si tu m'expliquais je pourrais adapter.
-Il te l'a expliqué ! Il y avait des Détraqueurs, il voulait partir mais je n'ai pas voulu, j'ai ... Bon sang, je pouvais pas les laisser ! Quoi ?! me récriai-je quand Simon plaqua une main désespérée sur son front. Quoi, toi aussi tu penses que je suis stupide ?
-D'habitude non, mais là, franchement oui, Vicky !
-Qu'est-ce qu'il y a de stupide à vouloir sauver des gens ? Ils allaient les embrasser, ils les ont certainement embrassés maintenant !
L'idée me fut fit douloureuse que ma voix s'érailla sur la fin de la phrase, mais cela ne parut pas attendrir Simon. Il lâcha mon bras pour me prendre par les épaules et planter son regard dans le mien. L'intensité était-elle que mon souffle se bloqua dans ma gorge.
-Et à quoi ça sert que tu les sauves si tu te perds toi-même, Vicky ? Cinq Détraqueurs, tu ne pouvais pas les faire fuir à toi toute seule ! Ils t'auraient eu et ils auraient eu les autres après, ça n'aurait rien changé !
-J'aurais pu ... Je ... Si Miles m'avait ...
-Il n'a pas son patronus, c'est déjà un miracle qu'il ait réussi à te faire transplaner ! Il s'est mis en danger pour toi à cause de ça ! Bon sang ...
Simon fronça les sourcils et une de ses mains glissa sur ma nuque. Mais la prise n'avait rien de tendre. Il enfonçait ses doigts dans ma peau, à la base de mes cheveux en une pression douloureuse. Comme pour faire passer physiquement son message.
-Tu ne peux pas sauver tout le monde Vicky, tu m'entends ? C'est impossible, tu n'y arriveras pas. Tu ne peux pas ! Il faut que tu l'acceptes !
Il avait raison, je savais qu'il avait raison, mais je ne voulais pas écouter la dure vérité. Que je ne pesais pas, que j'étais inutile dans ce vaste monde, impuissante face à ses horreurs. Que des gens se trouvaient à présent réduit à l'ombres et la poussière et que je n'avais rien pu faire pour l'empêcher. Les larmes piquèrent de nouveau mes yeux mais je me refusais à battre des cils. Je ne voulais pas couper le contact visuel avec Simon.
Peut-être parce qu'au fond, c'était le souvenir de ce regard qui m'avait fait tenir au pire des moments.
Je repoussai l'idée, troublée, tiraillée malgré la boule qui me montait dans la gorge et tentai de protester avec les restes éparpillés de mon indignation et de ma colère :
-Parce que tu ne l'aurais pas fait ? Parce que tu serais parti, toi ?
-Oui.
La réponse me choqua car elle fut prononcée instinctivement, très naturellement. Ses mains se crispèrent douloureusement sur mes épaules et son visage s'inclina un tout petit peu, juste assez pour que je sente son souffle irrégulier sur ma joue. Ma respiration se bloqua de nouveau.
-Par qu'en rentrant, je sais qu'il y a des gens qui ont besoin de moi. Dont toi, minus.
La prise sur mon épaule et ma nuque se desserrèrent sans cesser. Le bout de ses phalanges s'aventura dans mes cheveux et des frissons se dressèrent sur mon échine. Son regard aussi s'était éclairci, malgré la tension qui l'habitait toujours. Le retour de la couleur de l'espoir, la couleur que j'avais vue, au pire moment.
-Tu te souviens de l'année dernière, à Pré-au-Lard ?
Non. Oui. Je ne veux pas me souvenir, pas maintenant. Je suis fatiguée ...
-Tu m'as dit que si j'osais t'abandonner pour de la vengeance, tu te ferais un plaisir d'aller cracher sur ma tombe. L'inverse est vrai, Victoria Anne Jadwiga Bennett. Parce que si tu m'abandonnes parce que tu as voulu jouer à l'héroïne, je me ferais un plaisir d'aller cracher sur la tienne.
Le bout de ses doigts s'était enfoncé dans mon crâne. Il était sérieux. J'avais rarement vu ses yeux si graves, si solennels. C'était une promesse. Exactement comme celle que je lui avais faite il y avait près d'un an, aux Trois Balais. Le souvenir me fit tanguer et je me raccrochai au regard de Simon pour ne pas sombrer. Ces prunelles claires, d'un vert mousse piqueté d'ambre et de noisette, comme son visage été parsemé de pâle tache de rousseur rendue minimes par l'hiver. J'avais l'impression de connaître la place de chacune d'entre elle.
Je ne me rendis compte que j'avais laissé couler les larmes que lorsque son pouce quitta ma nuque pour caresser délicatement ma joue. Je me souvins alors que je devais respirer et pris une profonde inspiration qui laissa échapper un sanglot.
-Oh, Vicky ...
Sa voix avait perdu toute sa fermeté pour laissa la place à son inquiétude, son désarroi, son ... Mes pleurs redoublèrent alors que les échos de la conversation que j'avais eue avec Miles me revenait en tête. Plutôt que de l'affronter, je préférais laisser libre court à mes larmes et me précipitai contre lui. Il referma immédiatement les bras sur moi et me plongea dans une étreinte qui m'étouffa autant qu'elle stabilisa mon monde. Sa main remonta dans mes cheveux et me pressa contre son épaule.
-Bon sang, ne me refais jamais ça. J'ai besoin de toi en vie, d'accord ? Et avec ton âme de préférence.
Incapable d'articuler le moindre mot, je hochai la tête, la gorge déchirée par les sanglots, inondant son pull de larmes. Et alors que son autre main se crispait au creux de mon dos, que son odeur devenait ma seule réalité, la lumière se fit et je pris conscience de ce que je m'étais refusé de voir jusque-là.
C'était lui qui m'avait fait tenir. Le souvenir qui faisait naître le colibri, les notes, la chanson ... Tout ça, c'était lui. Et alors que j'acceptais le fait, des voix dansèrent dans mon esprit et chassèrent les échos que les Détraqueurs avaient fait revivre :
Je veux partager la nouvelle avec la fille qui partage ma vie.
Pour une fois dans ta vie, écoute-moi ...
Je ne veux pas que tu meures, Vicky.
Do you hear the people sing ...?
Mais avant de retourner à la poussière, on se battra ?
Parce que j'accepte le pire de toi et que tu acceptes le pire de moi. Parce que j'étais là au début et que je serais là pour t'enterrer d'un « on se reverra en enfer, minus ».
Oui, Victoria. On se battra.
Je fermai les yeux et m'enfouis dans l'étreinte de Simon, tremblante de tout mon être. Je percevais douloureusement les battements de son cœur sous son pull : ils cognaient contre ma peau, au même rythme que le mien et que les pensées qui me parasitait totalement l'esprit comme une mauvaise litanie :
Ce n'est pas normal ... ce n'est pas normal ... ce n'est pas normal ...
***
OK quand j'ai relu la fin, même moi j'ai pensé que c'était de la bombe, et c'est assez rare, je suis toujours sceptique sur ce que j'écris. Donc j'espère que ça vous a plu !
On se retrouve donc dans deux semaines pour le prochain chapitre "saisir l'essentiel" et à la semaine prochaine pour les lecteurs de La dernière page !
Et aux 3e de l'assemblée : BON COURAGE POUR LE BREVET, force et honneur à vous <3 Et pour les lycéens j'espère que le Bac (français, philo et grand oral) s'est bien déroulé pour vous, je croise les doigts !
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