II - Chapitre 14 : L'étrange Noël de Victoria Bennett
Boooonjour !
Bon les concours se rapprochent alors je poste quand j'ai le temps (et ce week-end je ne l'aurais pas). J'espère que vous allez bien et que tout va bien chez vous dans ces temps troublés ! Mais détendons-nous, c'est assez pénible d'en entendre parler sans cesse, parlons plutôt chapitre !
Merci beaucoup pour les réactions sur le chapitre précédant, elles me vont trop au coeur ! j'espère que ce chapitre vous plaira tout autant ! Il est long, mais normalement c'est un des derniers "monstres" si on veut !
Bonne lecture !
PS : * avec explication en commentaire
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Le temps était fini où les jours se succédaient, vifs, précieux, uniques : l'avenir se dressait devant nous, gris et sans contours, comme une invincible barrière. Pour nous, l'histoire s'était arrêtée.
- Primo Levi, Si c'est un homme.
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Chapitre 14 : L'étrange Noël de Victoria Bennett.
J'avais pensé que Simon installerait un matelas à côté de son lit mais la réalité fut la même que le soir où je l'accompagnais dormir dans son dortoir : j'avais fini par m'endormir, vaincue par mes pleurs, la voix éraillée d'avoir trop parler mais la gorge enfin libérée, et je m'étais réveillée le lendemain matin en constatant que Simon s'était écroulé à côté de moi et dormait d'un sommeil agité, un oreiller pressé contre son ventre. Je l'avais observé à la dérobé, les éclats d'or et de cuivre qu'éclairait le soleil dans ses cheveux et son nez bien trop grand et trop pointu et alors qu'un nouveau spasme l'avait parcouru, je m'étais demandé ce que Miles pourrait bien penser du fait que je dormais dans le même lit qu'un autre garçon. Certes, c'était ce garçon, et j'ignorais totalement si Miles était jaloux ou non. Mais la question me mit assez mal à l'aise pour que je m'extirpe du lit et reprenne mes clics et mes clacs pour sortir de la chambre à pas feutrés. J'avais alors erré dans Terre-en-Landes, grelottante et versant quelques larmes en songeant aux mots que j'avais pu attendre la veille, montant vers les hauteurs du village pour me baigner dans l'aube naissante. Un nouveau jour s'était levé devant moi, un jour où je renaissais petite-fille de cœur d'un meurtrier repenti à l'âme déchirée, et le vide en moi me parut moins lourd à supporter. Le soleil brillait fort dans le ciel quand j'étais rentrée chez moi, de l'éclat froid des rayons d'hiver mais qui avaient pour mérite d'exister et de colorer ma vie. Encore une fois, rien n'annonçait la neige chez nous, même si l'air glacial nous mordait la peau et ce fut donc transie de froid, mais l'esprit relativement clair que j'avais passé la porte de chez moi pour monter directement dans ma chambre, m'emmitoufler dans mes couvertures.
Les jours suivants furent assez pénibles : si mon père se montrait toujours adorable et me demandait même de faire de la magie – souvent pour des petits travaux, comme réparer le tiroir de la cuisine, ou faire léviter le carton de décoration trop haut pour lui – je percevais la moue réprobatrice de ma mère, ce qui rendait nos relations assez froides et cordiales. Ça ne gênait pas : quand je croisais son regard, mes yeux la dévisageait pour énumérer tout ce qu'elle n'avait pas de Miroslav Liszka, et ma poitrine se compressait. Et chaque fois qu'elle grognait quand elle apercevait ma baguette, je me faisais la réflexion qu'apprendre que le père qu'elle estimait tant était un sorcier la détruirait sans doute, et peu à peu, je me mis à accepter le secret imposé par mon grand-père et à lui construire une carapace au fond de moi pour l'y enfouir et ne plus y penser, pour le bien de ma mère et l'équilibre de la famille. La mort dans l'âme, je compris ce que mes grands-parents avaient voulu réaliser en nous cachant les secrets de mon grand-père – et ce que j'allais devoir réaliser à mon tour si je ne voulais pas que la famille explose. Je leur en voulais d'avoir laissé cette situation s'installer et s'instiller ce poison en moi, mais à présent je ne pouvais dénouer ce qui avait déjà été fait : il fallait que je l'accepte et que je maintienne cette famille à flot avec les outils que j'avais.
-Tu laisses combien de temps le chapon au four ?
Mon père fronça les sourcils en baissant les yeux sur sa recette. C'était la veille de noël et nous préparions le repas du soir, où mes grands-parents paternels devaient venir pour le réveillon. Il voyait toujours grand et fastueux pour le dîner, ce qui nous obligeait à commencer les préparations dès le matin alors que ma mère travaillait encore et n'apparaissait que vers dix-huit heures, quand il était temps pour nous de nous préparer. J'étais déjà aux fourneaux depuis deux heures quand mon père nous accorda une pause déjeuner et je me retrouvais épuisée et encombrée d'un plateau sur lequel le chapon farci attendait d'être rôti. Mon père se précipita vers le four que je venais d'allumer pour le refermer et réajuster les boutons.
-Pas maintenant ! Si on le met maintenant, il sera tout sec pour ce soir ... Ouvre-moi plutôt le frigo.
-Et comment je fais avec une poule farcie dans les mains ? râlai-je en levant le plateau et la carcasse enduite de beurre et d'aromates.
-C'est un chapon, ma chérie, pas une poule.
-C'est un volatile de type gallinacé, et je veux le poser pour pouvoir manger !
Mon père soupira profondément et ouvrit le frigo qui se trouva surchargé des amuse-bouche et des courses pour les préparations futures. Il dut lutter pour faire de la place pour le colossale chapon – il fallait bien cela pour nourrir Alexandre – mais je finis par refermer le frigo avec satisfaction. Puis mon regard effleura les couverts sales, les plats dégoulinants et l'état de la cuisine et le désespoir s'empara de moi. En deux ans, j'avais oublié à quel point la maison était chaotique quand mon père et moi faisions de la cuisine à grande ampleur.
-Papa, pourquoi on n'arrive jamais à faire ça proprement ?
-Parce qu'il faut être organisé pour faire ça proprement et qu'on ne l'est pas, soupira mon père en se grattant la tête. Hum ... Ma chérie, tu te souviens de Merlin l'Enchanteur ?
J'éclatai de rire, presque malgré moi et sortit ma baguette de l'arrière de la poche. Je la levai exagérément, me dressant sur la pointe en clamant :
-« Higitus, figitus zomba kazom ! On vous demande toute votre attention ! » (Je pointai ma baguette vers le premier plat qui se nettoya en une seconde, et chantonnai avec entrain : ) « Hockety pockety wockety wock, ramassons le bric à broc ... »*
Au terme de la chanson, et sous les éclats de rire de mon père qui s'écroula contre la table quand je hurlai « ALACASAME ! » face à une marmite de sauce récalcitrante et que, comme dans le dessin animé, je réussis à animer le sucrier et à le pousser contre la théière, la pièce était à peu près propre à défaut d'être rangée. Lorsque que tout fut fait et que je rangeais ma baguette, fredonnant de façon moins extravagante C'est ce qui fait que tout tourne rond, je me précipitai vers mon père, mue d'une idée lumineuse et me mis à bondir devant lui, un sourire extatique aux lèvres.
-Oh papa, s'il te plait ! Laisse-moi acheter un hibou pour que je l'appelle Archimède* ! Avoue ce serait du génie !
Mon père s'esclaffa de nouveau et pour toute réponse, il m'attira contre lui pour plaquer un baiser sur le sommet de mon crâne.
-Ce serait du génie, Victoria, mais je doute que ta mère soit d'accord.
Mon sourire se fana sur mes lèvres, tout comme la bonne humeur qui pourtant ne m'avait pas quitté de la matinée. J'avais trouvé ça reposant de cuisiner avec mon père, qui ne jetait pas de regard de travers à la baguette que j'avais laissée à la vue de tous sur la table et qui avait tartiné mon nez de sauce chocolat comme lorsque j'étais enfant. Une moue déforma mes lèvres et je haussai les épaules d'un air que j'espérais indifférent.
-Tant pis. Mais quand je partirais, j'achèterais un hibou et je l'appellerais Archimède.
-Et tu transformeras Simon en petit poisson pour qu'il se fasse dévorer par les brochets ?
-Je n'y avais jamais songé, admis-je, retrouvant le sourire face à la proposition et à la malice qui brillait dans les yeux de mon père. Mais c'est une excellente idée, merci papa ! Bon, ce repas, où est-il ?
Il s'était trouvé que le repas était de simples sandwichs au rosbif faits sur un coin de table qui n'était pas pris par de la vaisselle ou les recettes de mon père, et nous nous installâmes dans le salon avec un pichet de thé glacé, devant les informations du midi qui portait surtout sur les fêtes de noëls qui se profilaient. Ils montraient le marché de noël de Londres quand une information me revint à l'esprit.
-Mel vient vraiment ce soir ?
Mon père acheva de mastiquer sa bouchée de sandwich avant d'avaler et de répondre :
-D'après Alexandre, oui. Je voulais qu'ils viennent plus tôt, qu'elle ait le temps de nous connaître avant Noël et que tout ne soit pas cordial mais la petite travaillait, apparemment ... Par contre, elle ne viendra pas demain chez tes grands-parents, elle mange avec sa famille.
L'idée du repas du lendemain, que j'occultai totalement de mon esprit ses derniers temps, me tordit le ventre si fort que j'en lâchai mon sandwich, l'appétit coupé. J'ignorais totalement comment j'allais pouvoir réagir en me trouvant de nouveau face à Miro et Jaga Liszka.
-Mais elle vient pour de vrai ? m'assurai-je pour éloigner mes pensées de mes grands-parents.
-Mais oui, Victoria. Elle arrive quand même un peu avant – vers dix-huit heures je pense.
-Euh. Tu veux dire au moment où on passe du bordel de la cuisine au bordel de la salle de bain ?
Car à partir de dix-huit heures s'ouvrait un nouveau calvaire des fêtes de noël : la préparation physique, que suivait une longue et harassante bataille avec ma mère concernant le maquillage ou ma tenue du soir. Un sourire retroussa les lèvres de mon père.
-Bien. Alors disons que je te libère du « bordel cuisine » - disons, une heure avant le retour de ta mère pour que tu sois tranquille – pour que tu passes plus rapidement au « bordel salle de bain » et qu'au moins l'un d'entre nous puisse accueillir correctement cette jeune fille ?
-Pouvoir m'habiller sans maman qui jacasse autour de moi, songeai-je avec un sourire appréciateur. Mais tu m'offres le paradis, alors ! En parlant de paradis, je suppose que je ne suis pas exemptée de messe de noël ?
Le regard perçant de mon père me donna ma réponse et je levai les mains en signe d'apaisement. Il était un très bon pasteur : il avait un regard magnétique et une voix portante et arrivait à rendre son discourt intéressant et accessible à ceux qui ne pratiquait qu'assez peu la religion. Son but n'était pas de prêcher Dieu pour Dieu, mais de faire passer des valeurs assez universelles d'humanité, de fraternité et de travail pour guider au mieux croyants et non-croyants. J'admirais ce qu'il avait réussi à faire de sa messe, qui malgré le déclin de la religion restait honorablement remplie. Simplement, j'avais toujours détesté qu'à Noël, fête sacrée de la famille pour moi, mon père disparaisse assez tôt de la soirée pour préparer la messe qui avait lieu à minuit. Et surtout, je détestais devoir me déplacer à ladite messe alors que je me sentais lourde du chapon farci et des profiteroles au chocolat. Quand j'étais petite, je m'endormais sur l'épaule d'Alexandre et en grandissant, c'était lui qui s'était mis à s'endormir sur moi. Avec un sentiment ambivalent, je me rendais compte que cette année, il roupillerait peut-être sur l'épaule de Mel.
Il nous fallut encore deux bonnes heures de cuisines pour préparer le gros du repas du soir, et vers dix-sept heures, comme promis, mon père me libéra gracieusement pour que je commence à me préparer. Je fus assez déstabilisée en me retrouvant devant ma penderie, où s'amassaient mes robes de sorcières, mes jeans et mes tee-shirts et assez peu de tenues sophistiquées. Soudainement, je ne savais plus par quoi commencer : comment se préparait-t-on ? D'habitude, ma mère était toujours là pour me dire quoi mettre pour que je sois jolie, et comme elle avait bien plus de goût que moi je lui faisais une entière confiance tout en protestant vertement contre ses excès. L'année dernière, en l'absence de ma mère, c'était Emily qui avait tenu ce rôle. Mais cette fois, je me retrouvais seule, et incapable de faire autre chose que d'effleurer la partie qui contenait mes quelques robes et jupes que j'avais amoncelé avec les années. Faute d'y voir clair, je les sortis toutes pour les étaler sur mon lit, ainsi que les chaussures – comprenant celles que je pouvais emprunter à ma mère et que j'allai piller dans son dressing – et ouvrit la boite qui contenait mes maigres bijoux. Je la refermai vite en effleurant le seul qui m'importait et qui pendait déjà à mon cou : ma médaille de baptême à l'effigie de Saint George. Une à une, je me mis à sélectionner les tenues, réfléchissant à voix haute en envoyant les toilettes sur le sol lorsque je les refoulais. M'entendre parut intrigué mon père, qui passa sa tête par l'entrebâillement de la porte pour me fixer l'air intrigué. Je lui adressai une moue penaude, et levai le cintre d'une robe qui me semblait mieux aller que les autres.
-Je pense que finalement, j'avais peut-être besoin de maman, avouai-je de mauvaise grâce. Celle-là tu penses que ça ira ?
-Evidemment qu'elle ira, me rassura mon père, effleurant les autres tenues à terre du regard. Fais-toi un peu confiance, Victoria. Maman ne sera pas toujours là pour te dire comme t'habiller.
-Dis comme ça, j'ai l'impression d'être une gamine.
Il me gratifia d'un sourire mutin et repartit comme il était venu en sifflotant joyeusement l'air que je reconnus comme étant l'une des chansons de Merlin l'Enchanteur. Je détaillai la robe d'un air critique : c'était une robe de velours noir à bretelle et cintrée un peu en dessous de la poitrine. La jupe était fluide et m'arrivait au genou. Ce détail me fit grogner et je m'assis pour repousser les pans inférieurs de mon jean et faire apparaître des jambes qui avaient besoin d'un bon coup de rasoir. Entre cette constatation, mes mains rendues graisseuses par la cuisine et la farine que mon père avait saupoudrée dans mes cheveux, il était urgent que je passe par la douche si je voulais accueillir Mel à l'heure.
***
-Tory, Tory, Tory, Tory, Tory, Tory ... !
Je grognai en dévalant l'escalier, repoussant maladroitement les boucles qui me tombaient sur le visage et que je n'avais pas prise le temps d'attacher, pressée par mon nom beuglé dehors et accompagné d'un coup sonore dans la porte.
-Alex, fallait prendre tes clefs ! râlai-je en enfilant tant bien que mal mes chaussures une fois en bas.
-Je les ai oubliées ! Grouille, il caille !
Je jetai un regard noir à la porte d'entrée, qu'Alex martelait toujours de coup de poing pour être certain que je le fasse entrer plus vite. Refusant de lui laisser cette grâce, je pris le temps d'achever de coincer mes mèches à l'arrière de mon crâne avec une pince pour dégager mon visage et lissai ma robe avant de daigner ouvrir la porte. Le poing de mon frère faillit s'abattre sur moi et je m'écartai souplement pour l'éviter. Alexandre, déséquilibré, tituba jusque l'intérieur de la maison et je m'esclaffais en me laissant aller contre le battant.
-Tu réussis toujours tes entrées, me moquai-je alors qu'il se redressait, les joues roses de confusions.
-C'est cela, grommela-t-il en me flanquant une pichenette entre les deux yeux. Ça te plait de me ridiculiser devant ma copine ?
-Je suis sûre que tu l'as ridiculisée devant son copain donc ce n'est que justice.
Toute occupée que j'étais de rire de l'entrée d'Alexandre, j'en avais oublié la fille qui l'accompagnait et qui se tenait toujours sur le pallier, un léger sourire aux lèvres qui s'accentua lorsque son regard croisa le mien.
-Victoria, c'est ça ?
-Et tu es Mel, déduisis-je en présentant ma main. Enchantée.
Mel sourit, d'un sourire qui illumina ses yeux d'un gris plus clair que le nôtre et les fit pétiller. C'était une fille mignonne à défaut d'être belle : elle était peut-être un peu grande selon les critères de beauté, son nez était un peu trop osseux et évasé aux ailes, et le châtain de ses cheveux manquait d'éclat. Cependant sa façon de sourire compensait amplement ses quelques défauts et son port altier lui donnait une allure de grande dame.
-Enchantée également. Alexandre a tardé à nous présenter mais il m'a beaucoup parlé de toi.
-Oui bah, en parlant de ça ..., entonna-t-il en se grattant la tête comme pourrait le faire mon père. Pas un mot de son copain à mes parents, elle préfère que ça reste secret. (Il me prit par les épaules si brusquement que j'en fus projetée contre son torse) Tu comprends, c'est leur petite fille adorée ...
Je le foudroyais du regard, outrée que la seule excuse qu'il ait trouvée soit de me faire passer pour une petite fille fragile. Je refermai la porte derrière Mel avec un grognement étouffé et pris les manteaux pour les ranger dans une pièce adjacente. La jeune femme portait une élégante robe pourpre qui lui arrivait aux chevilles et se montra affable, et assez aimable pour m'aider à disposer l'apéritif à table pendant qu'Alexandre s'affalait dans le canapé. Je le frappai à l'arrière de la tête.
-Hors de question que tu ne fasses rien alors que tu t'es planqué à Bristol toute la journée pendant que je faisais la cuisine. Bouge-toi.
-J'espère que papa s'est surpassé cette année. D'ailleurs, où sont les parents ?
-Maman est arrivée il y a cinq minutes, elle est en train de se préparer et papa est allé chercher papy et mamy. Le temps que mamy jacasse sur son voisin et que papy vérifie toutes les coutures de la voiture de papa, ils seront là dans une heure, je pense.
Mel parut soulagée d'avoir ce court répit. Elle s'était assise à côté d'Alexandre, les mains posées sur ses genoux croisés en une posture très digne mais qui trahissait une certaine nervosité. Ses cheveux étaient amassés en une adorable natte qui pendait longuement sur son épaule. Alexandre s'était levé pour lui servir une boisson fraiche et il m'avait avoué avec un soupir à fendre l'âme que sa belle ne buvait pas d'alcool.
-Alors, le lycée ? s'enquit-t-elle finalement, sans doute pour briser le silence dans lequel nous étions plongés. Tu passes tes A-Level* à la fin de l'année, c'est ça ?
-C'est ça, mentis-je devant le regard insistant de mon frère. Avec Histoire et Littérature en matières principales.
Un sourire incertain releva la commissure des lèvres de Mel et son regard se fit songeur.
-Mon dieu, ça me semble loin ... Je ne me souviens même plus des sujets que j'ai eus ... Et qu'est-ce que tu vas faire, l'année prochaine ? Tu te contenteras de l'université de Gloucester ou tu vas essayer celle de Bristol ?
Je faillis m'étrangler dans mon verre, assez étonnée de voir la question venir si vite sur la table. Chez nous, nous avions la chance de nous retrouver à moins de cent kilomètres de trois universités, dont deux plus prestigieuses que les autres : Oxford, inaccessible bien sûr, et Bristol, plus modeste bien qu'assez renommée, mais plus lointaine que celle de Gloucester, la grande ville voisine, qu'Alexandre avait fréquenté un an avant d'abandonner. Bien sûr, mon avenir ne s'inscrivait dans aucune des universités et ce fut pour cela que je répondis d'une petite voix :
-Je ne sais pas encore. Je vais déjà réussir mes examens, le reste ... on verra après. Tu as fait des études où, toi ?
-Oh, dans un pensionnat dans le nord, m'apprit-t-elle avec une classe désinvolture. Mais je suis de Londres à l'origine.
-Ah. Arsenal ? Tottenham ? West Ham ?
Mel se fendit d'un sourire teinté de regret et m'avoua qu'elle ne suivait pas le football, donc que peu lui importait la guerre que se livraient les différents clubs de la ville. Mais Alexandre utilisa mon ouverture pour parler des derniers résultats de Southampton, dont le début de saison était balbutiant, si bien qu'ils se retrouvaient dans les profondeurs du classement. Puis il entreprit de me conter leur rencontre, alors que la pauvre jeune fille arrivée tout droit de Londres venait de tomber en panne sur un coin de la route, un soir de janvier. Il se décrivait trop comme le chevalier arrivant sur son beau cheval blanc pour que ce soit crédible, mais les regards tendres qu'ils s'échangèrent et le timide baiser que plaqua Mel sur la commissure des lèvres de mon frère acheva de me rassurer. Elle n'aimait pas le foot, elle ne buvait pas d'alcool et paraissait assez réservée, mais ils semblaient réellement épris l'un de l'autre. Peut-être qu'une fille d'apparence si sage et posée pourrait être le facteur qui stabiliserait enfin mon frère. Elle achevait de se détendre totalement quand la porte s'ouvrit à la volée et que la voix criarde de ma grand-mère Anne fendait la maison avec insistance :
-Mais si enfin Edward, je t'assure que le voisin regardait par ma fenêtre ! J'ai voulu appeler la police mais ils ont refusé de venir, apparemment ce n'était pas une urgence, non mais tu le crois ?
-Annie mon ange, répliqua mon grand-père Benedict d'une voix bourrue qui tranchait avec ses mièvreries, ils viendraient plus facilement si tu ne les appelais pas tous les soirs parce que tu entends un bruit dans le noir !
Alexandre et moi nous esclaffâmes de bon cœur alors que mes grands-parents, visiblement d'humeur bougonne, entraient dans la pièce. Mon père apparut dépité derrière eux, et se reprit rapidement pour embrasser Mel sur les deux joues et lui souhaitait la bienvenue. Mamy Anne fut moins agréable, et je l'entendis qualifiée la jeune fille de femme « trop chétive et aux hanches trop étroites : pas bons pour les enfants ». Puis ses yeux s'étaient posés sur moi, scrutateurs, et elle avait ajouté en un soupir « comme Victoria, sauf que elle en plus, elle est petite ». Je tordis mes lèvres et toisai ma grand-mère, dont la critique et la classe étaient les maitres-mot, et mon grand-père de presque deux mètres qui regardait mon père et Alexandre de haut.
Tant pis pour Mel. Elle avait choisi le mauvais soir – et la mauvaise paire de grands-parents.
***
La soirée avait été gênante, mais j'avais retrouvé des brides de complicité avec ma mère pour me plaindre de mes grands-parents et pouffer sous cape quand Mel avait piqué un fard après que ma grand-mère lui ait demandé combien d'enfant elle voudrait. Ils avaient été scandalisés d'apprendre que les tourtereaux envisageaient d'un jour emménager ensemble avant même le mariage – ils étaient tous deux issus de famille très croyantes aux valeurs traditionnelles – et ma grand-mère avait failli défaillir quand Mel avait affirmé avec un aplomb surprenant qu'elle ne croyait absolument pas en Dieu et que le système de religion était pour elle une absurdité. Mon père n'avait pas été offusqué, bien que contrarié : il respectait les croyances de tous mais n'était pas ravi de voir son métier ainsi vider de toute substance par la jeune femme. Cela avait d'ailleurs expliqué la raideur de Mel à la messe et le fait qu'elle me jette un regard consterné alors que j'entonnais, plus par habitude qu'autre chose, toutes les paroles en chœur avec les gens réunis et chantai tous les chants religieux lancés par l'assistante de mon père.
-C'est pour ça qu'elle est avec ton frère : c'est une antireligieuse. Bon, la blanche ou la bordeaux ?
Je lorgnai les deux chemises proposées par Simon allongée sur son lit et les jambes pendant dans le vide. Après un instant de réflexion, je pointai la bordeaux. Pendant un instant je crus que Simon la rejetterait pour prendre la blanche, mais il me surprit en rangeant celle-ci et en passant dans la salle de bain pour enfiler la chemise que je lui avais choisie. Je souris, amusée et ramenait mes mains à l'arrière de la nuque. La chambre de Simon était dans les combles et, les murs mansardés et les poutres de bois apparentes donnaient à l'espace un côté rassurant. Il avait déplacé son lit cet été pour le mettre au centre de la pièce, là où il ne risquait pas de se prendre une paroi pentue en se réveillant – ah, les problèmes des grandes personnes ... - et une quantité pharamineuse de parchemins et de grimoires, mélange de ses cours, lectures personnelles et héritages familiaux, s'entassait dans une bibliothèque qui prenait presque l'ensemble du mur qui n'était pas mansardé. J'avais même surpris sur les plus petites étagères des livres de factures moldues, dont certains Shakespeare et essais de Hobbes. Puis mon regard se révulsa pour apercevoir le mur derrière son lit, où Simon avait accroché nombre de photos : des figées, des mobiles, des colorés. Terre-en-Landes comme Poudlard y était représenté, ainsi que des photos de familles des Bones.
Simon finit par revenir, vêtu de la chemise bordeaux qui, par complémentarité, faisait ressortir ses yeux verts et j'eus un sourire espiègle.
-Depuis quand tu m'écoutes quand je te dis quelque chose ?
-Boh, puisque tu es là affalée comme une larve sur mon lit, il faut bien que tu serves à quelque chose. Tu pars à quelle heure ?
-J'ai réussi à convaincre mon père que je les rejoindrais en transplanant. Comme ça au lieu d'angoisser toute seule dans une voiture, j'angoisserais avec toi. C'est fantastique, non ?
Simon ne paraissait pas réellement trouvé cela fantastique, mais semblait résigné. Il examina son reflet par le miroir de la penderie, effleurant ses épis blonds et décida qu'il ne pourrait rien y changer car il rabattit le battant avec un soupir.
-Vous faites quoi du coup, aujourd'hui ? m'enquis-je alors que Simon s'asseyait sur sa chaise de bureau, plaqué contre un mur en pente.
-Bien, comme la famille Bones se résume à nous et Amelia ... On fête Noël ici, avec Amelia. Caroline est dans la famille d'Andrew aujourd'hui, en plus, elle te passe le bonjour.
Mes lèvres se pincèrent et levai un regard désolé sur Simon, navrée d'avoir posé une question si idiote. La famille Bones avait été décimée par la guerre contre Voldemort, et Rose, qui était enfant unique, avait perdu son père quelques années auparavant et ne voyait plus sa mère depuis longtemps. Si la famille était si proche, c'était qu'ils n'avaient qu'eux sur qui comptait. Simon soupira :
-Arrête de me regarder comme ça. C'est comme ça depuis toujours et ça nous va très bien. Dis-moi plutôt si tu es sûre de ne pas sauter à la gorge de ... Hum. Est-ce que je peux encore dire « ton grand-père » ?
Pour toute réponse et agacée par la lueur sarcastique qui s'était allumée dans les yeux de Simon, j'agrippai son oreiller pour lui lancer à la figure. D'un geste que je ne perçus pas, il sortit sa baguette et l'oreiller se transforma en un nuage de plumes qui volèrent dans la pièce. Je roulai sur le ventre et posai mon menton contre mes mains nouées pour lui jeter un regard ennuyé.
-C'est pas drôle que tu sois un sorcier.
-J'ai des plumes plein la chambre, je pense que tu es gagnante, répliqua Simon. Bon, que fait-t-on ? Tu viens boire un coup avec nous avant de partir ?
-Non, je pense que je vais partir, évaluai-je en me levant. Mes parents doivent être à Bristol à l'heure qu'il est ...
-Dis au moins bonjour à mes parents, ça leur fera plaisir.
J'eus un léger sourire, et acquiesçai silencieusement. Je descendis du lit et lissai la jupe de velours de la robe que j'avais remis pour l'occasion. Je m'étais attendue à ce que Simon se moque de me voir porter une robe, mais là encore il m'avait surpris en restant coi – mais sans doute était-ce parce qu'il était lui-même en panique quant à ce qu'il devait porter. Je le suivis à l'extérieur de sa chambre et mon sourire s'agrandit lorsque je croisais Susan sur le palier. La jeune fille était vêtue de l'une robe verte émeraude, une nouvelle me semblait-t-il et m'adressa un sourire rayonnant lorsqu'elle m'aperçut.
-Tu restes un peu ?
-Non, désolée, m'excusai-je en la suivant dans l'escalier. Il faut que j'aille chez mes grands-parents, je vais finir par être en retard ...
Susan eut une moue déçue mais n'eut pas le temps de me convaincre de rester plus : nous étions descendus, et Rose se précipitait devant nous, une grande partie des plats de la journée la suivant de la cuisine à la table. Je faillis me faire percuter par la dinde, puis par les pommes-de-terre, avant que Simon ne glapisse, accroupi devant l'escalier :
-Maman !
-Oh ! s'excusa Rose en immobilisant les plats, qui flottèrent dans l'air. Pardon, je ne vous avais pas vu.
Et là-dessus, constatant que nous avions passés sa barrière de plat, elle s'éclipsa dans le salon et le repas chemina avec elle. Simon se redressa, sidéré, alors que Susan pouffait dans sa main.
-Mais dans quelle famille de fou on a vu le monde, marmonna-t-il en passant dans le salon.
-N'insulte pas ta famille, rétorqua une voix bourrue. Tu n'en as qu'une seule.
La voix me fit sourire et expliqua l'odeur de tabac qui me heurta de plein fouet lorsque je passai dans le salon. Amelia Bones fumait sa pipe, trônant dans son fauteuil tel une reine, son monocle enfoncé dans son œil. Un sourire releva la commissure de ses lèvres lorsqu'elle croisa mon regard.
-Ah ! Victoria, c'est ça ? Tu es ravissante.
-Ah, lâchai-je en piquant un fard. Euh ... merci.
-Sinon bonjour, railla Simon en se penchant sur sa tante pour l'embrasser sur la joue, avant de froncer du nez. Tu vas arrêter de fumer, un jour ?
Pour toute réponse, Amelia le lorgna d'un air mauvais et n'écarta pas un instant le tuyau de sa pipe de sa bouche. Au contraire, elle rejeta un nuage de fumée et Simon s'écarta vivement pour qu'il ne le heurte pas.
-Asseyez-vous, proposa-t-elle en désignant le canapé devant elle. Et parlez-moi de cette chère Dolores. Comment est-ce qu'elle s'en sort ?
-Pour Ombrage, j'ai quelques minutes, acceptai-je en prenant place précipitamment. Sérieusement, vous ne pouvez rien faire ?
-Elle a essayé de détruire Poudlard en empêchant tout sport et activité, tente de pousser Dumbledore dehors en outrepassant tous ses droits grâce à des décrets stupides, et n'a aucune qualification en tant que professeur, énuméra Simon en comptant sur ses doigts.
-On ne fait que lire son stupide bouquin pendant les cours, enchérit Susan avec humeur. Pas un soupçon de magie, surtout pas.
Amelia nous observa tous les trois, la bouche pincée en une mince ligne sévère, la pipe au coin des lèvres fumant paresseusement. Le monocle lui donnait l'air si dur et inflexible qu'elle semblait se transformer en rock. Elle finit par écarter sa pipe pour rejeter un panache malodorant dans la pièce et lâcha rudement :
-Voilà qui n'est pas surprenant. Fudge ne tient pas particulièrement à vous voir étudier quelle forme que ce soit de magie martiale ou défensive.
-Mais pourquoi ? s'étonna Simon, mortifié. Au-delà de cette histoire de Tu-Sais-Qui qu'il ne veut pas accepter, il y a d'autres dangers qui guettent notre monde, quelles raisons il a de nous laisser aussi démunis ?
Les lèvres d'Amelia se serrèrent si fort qu'elles blanchirent et elle laissa tomber sa pipe sur la table basse. Je la vis jeter un coup d'œil dans la cuisine, comme si elle guettait quelqu'un – son frère ? – et s'avança discrètement vers nous, les coudes sur les genoux.
-Parce que Fudge est devenu extrêmement paranoïaques et qu'il ne veut pas que pas que vous deveniez une armée à la solde de Dumbledore.
-Pardon ?
Amelia branla du chef avec une sorte de défaitisme résigné. Encore une fois, elle jeta un coup d'œil derrière nous, et constatant que personne ne venait, elle poursuivit :
-Fudge est persuadé que Dumbledore veut son poste, ce qui, nous sommes d'accord, est d'une absurdité folle. Si Dumbledore avait voulu être Ministre, ça ferait une éternité qu'il le serait, mais Fudge ne prend pas cela en considération. Son esprit est complétement paralysé par la peur, tant que ça en devient presque ingérable.
-Et nous, pauvres petits élèves sous sa coupe, on serait le moyen de Dumbledore pour entrer en guerre ouverte contre le Ministère ? conclus-je avec incrédulité. Mais il se rend compte que c'est absurde ?
-Sans doute pas, murmura Susan.
Elle n'avait pas l'air particulièrement ébranlée par la nouvelle : elle s'était contentée de serrer son poing sur son genou, les yeux étincelants. Simon se frottait le visage, sidéré. En l'observant passer la main sur sa joue, je me rendis compte pour la énième fois qu'il restait imberbe malgré la puberté qui avançait. Pas même l'ombre du début d'un duvet – à part peut-être à la commissure des lèvres, mais les poils étaient si blonds et si fins qu'ils en étaient invisibles.
-En nous envoyant Ombrage, il a fait plus de dégât contre lui que Dumbledore n'aurait jamais pu faire, fit-t-il remarquer. Même les gens qui ne croient pas au retour de Tu-Sais-Qui sont contre elle, tant elle est infecte.
-Pourtant, Dolores a toujours eu une certaine proportion à se faire aimer, mais notamment de ses supérieurs ..., songea Amelia en fronçant ses sourcils. Peut-être que ... Comme elle est sûre d'avoir le pouvoir, elle fait moins attention à se faire apprécier ... Bah. (Elle haussa les épaules avec une certaine raideur). De toute façon, je n'ai pas attendu que vous me disiez ça pour me forger une opinion sur cette femme. Un vrai poison dans le Ministère ...
J'échangeai un regard ravi avec Susan. J'étudiai silencieusement Amelia Bones, son regard verts qui avait la profondeur de ceux qui avaient trop vu et son monocle sévère qui laisserait une marque autour de son œil. Au-delà de ses compétences louées par tous, elle avait la véritable stature d'une femme de pouvoir et je n'avais aucun mal à l'imaginer à la tête du Ministère de la Magie. J'aurais voulu l'interroger plus, savoir où en étaient ses réflexions sur le retour de Voldemort, mais au moment où j'ouvrais la bouche, Simon me donna un coup de pied dans la jambe et je levai les yeux pour voir son père surgir de la cuisine. Son élégante toilette tranchait assez avec sa barbe de fer et de cuivre qui avait gagné en broussaille ses derniers mois. Il me sourit en m'apercevant et m'ébouriffa les cheveux de sa grosse main.
-Hey ! protestai-je en le repoussant. Je m'étais coiffée !
-C'était coiffé, ça ? ironisa Simon, qui récolta un coup de coude de ma part.
-De toute manière, ça ne change rien, me rassura George en réajustant maladroitement mes boucles. Tu es très mignonne.
Je rougis de nouveau, embarrassée par le compliment et le regard presque paternel que George posa sur moi. Rose arriva derrière son mari, sur la joue duquel elle posa un baiser avant de déposer une bouteille de whisky pur-feu sur la table basse.
-Tu vas chez tes grands-parents, Victoria ? s'enquit-t-elle en pivotant, faisant virevolter la jupe de sa robe dans un style presque « pin-up ».
-C'est ça, confirmai-je, une boule au creux du ventre. D'ailleurs, je vais y aller, mes parents doivent être arrivés, je vais transplaner dans le jardin ...
-C'est une bonne chose que ton père accepte mieux la magie, apprécia George, un sourire faisant frémir sa barbe. J'ai discuté un peu avec lui ces dernières semaines, il a réellement envie de comprendre dans quel monde tu vis. C'est pour ça que je l'ai amené à la voie 9¾.
-Une sorte de tour de magie que vous m'avez fait, plaisantai-je, touchée, avant de me lever. Je vais vous laissez, passez un joyeux noël.
-Merci ma chérie, à toi aussi.
Une étrange chaleur me monta de la poitrine jusqu'aux joues face aux mots de Rose, et je réagis à peine quand elle tapota doucement ma main. D'un geste machinal, je caressai la montre qu'ils m'avaient offerte pour mes dix-sept ans, en qualité de « parrain du monde magique ». Je leur adressai un sourire incertain et fis volte-face, une main sur le ventre, Simon sur mes talons. Il m'ouvrit la porte qui menait au jardin, un espace ouvert mais sans aucun vis-à-vis qui permettait de faire de la magie en toute tranquillité, avec les vaches de la grande ferme voisine pour seules témoins. Ce jour-là, le ciel était couvert d'un épais tapis de nuage, gris et lourd qui assombrissait l'atmosphère et laissai présager au mieux la neige, au pire une pluie verglacée. J'enfilai distraitement mon manteau, grelottant face au froid qui me mordait les jambes.
-Tes parents sont vraiment adorables, lâchai-je, encore émue par le « ma chérie » qu'avait laissé échapper Rose. Comment tu fais pour être issu d'eux ?
Un rictus tordit les lèvres de Simon et il haussa les épaules pour toute réponse. Je jetai un dernier regard par la fenêtre, pour voir Susan éclater de rire face à une blague de son père et Amelia rejeter un nuage de fumée grisâtre, la commissure des lèvres relevée en un sourire attendri.
-C'est quand les élections pour la tête du Ministère ?
-Euh, réfléchit Simon, pris de court. L'année prochaine, je crois. Ou l'année d'après. Bref. (son regard s'assombrit). Il ne faudra pas compter là-dessus pour se débarrasser de Fudge.
-Et que ce soit ta tante qui le remplace.
La tête de Simon s'inclina légèrement, mais il ne me démentit pas. Sans doute sentait-il comme Dumbledore qu'Amelia Bones avait la carrure pour devenir Ministre de la Magie. Je m'ébrouai et donnai un coup léger dans l'épaule de Simon.
-Allez. Je reviens ce soir pour prendre mon cadeau.
-Et qui te dit que je t'ai acheté un cadeau ? répliqua Simon en arquant un sourcil.
-Et bien tu as jusque ce soir pour m'en trouver un, rétorquai-je avec malice, avant de le gratifier d'un salut militaire. A tout à l'heure, Minus !
J'eus à peine le temps d'entendre l'habituel « Minus toi-même » que je pivotai sur moi-même. La voix de Simon fut emportée par la magie et le vent qui hurla à mes oreilles lorsque je posais le pied sur la plage de galet de Portishead, juste à côté de la maison de mes grands-parents. Avec à la fois un pincement au cœur et un certain soulagement, je constatai que mes parents n'étaient pas encore arrivés – cela aurait étrange que l'on se présente chez eux en décalé. J'attendis quelques minutes dans le froid, luttant contre le vent qui me décoiffait plus efficacement que George Bones, jusqu'à ce que je voie enfin notre voiture apparaître au coin de la rue. Je m'y précipitai et entrai dans l'habitacle en tremblant de tous mes membres, les dents claquantes. Ma mère me jetait un regard suspicieux à travers le rétroviseur, mais Alexandre fut plus chaleureux et m'enveloppa immédiatement de son manteau.
-Ça fait longtemps que tu attendais ? s'inquiéta-t-il alors que mon père se remettait en marche.
-Non, ça va mais quel vent, râlai-je en ramenait le col de mon manteau sur mes joues gelées. Mel est partie ?
-Ce matin, pendant que tu étais chez les Bones, répondit mon père en se garant dans l'allée. Bon, ma chérie, il va falloir que je t'apprenne sérieusement à conduire : avec tout le vin et tous les pierogis qu'on va engloutir, je ne suis pas sûr de pouvoir être en état de prendre le volant.
Je laissai échapper un petit rire, dont la moitié resta étouffé dans ma gorge. Je suivis mon frère hors de la voiture et débarrassai le coffre des cadeaux et des plats que nous avions ramenés. Lorsque je me retournais, les bras pleins, je me figeai totalement en remarquant que Miro se tenait déjà dans l'encadrement de la porte, un grand sourire aux lèvres et plongeai mon frère dans une étreinte d'ours.
-Tu as beau habiter à côté, ce n'est pas pour ça qu'on te voit plus, se plaignit-t-il en le prenant à bout de bras.
-Désolé, répondit Alexandre sans sourciller. Mais que veux-tu, il y en a qui bossent !
Ma mère lui jeta un regard de travers et mon père dut lui donner un coup de coude pour qu'elle avance. Elle embrassa son père sur la joue avec un sourire qui détendit enfin son visage et il la serra en retour à rompre les os. Je le vis fermer les yeux alors que ma mère se blottissait contre lui, telle une enfant, et quand il les rouvrit, il les vrilla sur moi. Nous nous affrontâmes du regard quelques instants, en silence, et je cédai la première en détournant les yeux, les entrailles nouées. J'attendis que chacun des membres de ma famille soit passé devant lui pour m'ébrouer, et j'avançai en me fendant d'un « bonjour », sans m'attarder. Mais je ne pus éviter ma grand-mère, qui m'attendait de pied ferme et me barrait le passage au salon, les poings sur les hanches. Ses yeux sombres parurent s'attendrirent en se posant sur moi, et elle plaqua un baiser sur ma joue.
-Perelko. Comment ça va ma chérie ?
-Ça va, répondis-je sobrement, la gorge serrée. Joyeux noël, mamy.
Un léger sourire releva la commissure de ses fines lèvres, et elle s'effaça pour me laisser passer, visiblement satisfaite de mon état d'esprit. J'ignorais si c'était le cas de Miro, dont je sentais la brûlure du regard sur ma nuque, à la fois inquisiteur et déchiré.
Ça promettait d'être une longue journée.
***
Et Seigneur, qu'est-ce que ce le fut.
Ma tante Beata et Marta, sa fille, étaient arrivées en retard, déclenchant l'ire de la matrone polonaise. La faute était à la jeune fille, ma cousine de vingt ans, petite aux traits vaguement slaves, si on exceptait le nez osseux qu'elle tenait de Jaga et les cheveux d'un brun plus clair que les notre qu'elle avait hérité de son père. Marta était une sorte de princesse qui ne sortait jamais sans maquillage et le soin apportait à son apparence avait fini par les retarder, mais le résultat était là : elle était magnifique. Mais c'était la vue de ma tante Beata qui m'avait fait suffoquée. Ma mère et elle étaient des fausses jumelles, ce qui permettait de les reconnaître assez facilement : Marian était toute mince quand Beata avait plus de rondeur, et le nez de ma mère était typiquement polonais quand ma tante avait hérité du chez de « juif » de Jaga. Mais la si souriante Beata avait fini par fondre sous les rayons de la chimiothérapie : elle semblait maintenant aussi décharnée que sa mère, aussi petite, aussi vulnérable. Mais elle me sourit en me voyant, un sourire qui éclaira son visage et effaça la lassitude de son regard. Elle se présentait sans perruque, de ses cheveux courts et d'un brun qui blanchissait et ce fut la force qui transparaissait de chacun de ses gestes qui m'avait donné le courage de supporter ce repas.
Ma mère était plus détendue maintenant qu'elle était face à ses parents, et certaine que je ne puisse pas faire de magie inopinément. Mais chaque sourire chaleureux qu'elle adressait à mon grand-père était comme un couteau retourné dans mes entrailles, un couteau sous forme de rappel de tout ce qu'il lui cachait. Il n'était pas son père et surtout il était sorcier, comme moi et toute la partie de moi qu'elle occultait totalement. Je passai la moitié de la journée à éviter le moindre contact, ne serait-ce que visuel, avec mes grands-parents et mon père parut s'en rendre compte. Il avait fini par me lancer de longs regards circonspects tout au long du repas, et était venu me rejoindre dans la cuisine alors que je débarrassais seule la table, profitant de ce répit pour m'isoler.
-Ça va ma chérie ?
Je haussai les épaules, parfaitement conscience que j'étais transparente. Je vidais les restes d'une assiette dans la poubelle et la rangeai dans le lave-vaisselle. En rentrant à Terre-en-Landes, j'avais réussi à me reconstruire après la tempête qu'avait causé les aveux de Miro, mais à présent que j'étais de retour dans cette maison, je me sentais à nouveau creuse, comme si on m'avait de nouveau vidé de la partie de moi qu'on avait nommé « Perelko ».
-Bof. Je suis assez fatiguée.
Mon père me contempla un long moment de son regard gris et serein et je sus qu'il perçait à jour mon mensonge aussi facilement qu'il lisait mon malaise sur mon visage.
-C'est à cause de la magie ? supposa-t-il à brûle pourpoint. De la réaction de ta mère ?
Il y avait un peu de la magie, et un peu de la mère, et pourtant mon père n'avait jamais visé si loin. Il était à des années lumières des préoccupations qui me tracassait et cela ne fit qu'aggraver le nœud dans mon ventre. Je n'avais jamais rien eu à lui cacher, ou du moins rien de cette ampleur, et cela me crevait le cœur de devoir mentir à cet homme qui prônait l'honnêteté comme principale vertu et qui avait tant fait d'effort pour moi pour que nos relations soient saines et transparentes. Et voilà que je les empoisonnais par des mensonges.
-Non, ça va. Enfin, je suis habituée à la réaction de maman, je te dis, c'est jusque que je suis fatiguée.
Mais la seconde fois ne parut pas berner d'avantage mon père et il fronça les sourcils, un éclat à la fois blessé et inquiet dans le regard. Mais avant qu'il ne puisse insister d'avantage, la porte de la cuisine s'ouvrit et Marta la passa, faisait virevolter sa robe d'un jaune safran. Elle nous adressa un charmant sourire.
-Como estais ? lança-t-elle joyeusement avec un accent rendu parfait par son séjour en Argentine.
Je n'étais pas particulièrement douée en langues étrangères – la faute aux manques cruels en la matière de Poudlard et en la paresse que donnait la magie – et cela m'agaçait profondément qu'elle parle espagnol comme si nous pouvions la comprendre.
-Et toi ma petite Marta ? renchérit mon père sans lui répondre. Tu te réhabitues à l'Angleterre ?
-Très bien, c'était long l'Argentine ! soupira Marta en prenant une bouteille dans le réfrigérateur. C'était extraordinaire mais dieu que c'était long ...
-Tu aurais pu rentrer, fit remarquer mon père avec une note de reproche dans la voix. Ta mère aurait apprécié ...
Mais Marta, insensible, haussa les épaules. Je savais que toute la famille avait mal vécu qu'elle ne rentre pas pour soutenir sa mère, atteinte d'un cancer qu'elle avait fini par vaincre au prix de nombreuses chimio. Mon père secoua la tête et repartit dans la salle principale pendant que je m'attelais à la vaisselle : cela me donnait une excuse pour rester loin de mes grands-parents et de toute l'angoisse sourde qui en résultait. Marta s'observait par la vitre du four et passa un doigt le long de l'arrête de son nez.
-Le jour où j'aurais de l'argent, je me le ferais refaire, promit-t-elle en grimaçant de dégoût. Un nez de juif ... peuh ! Tu pourras songer à appeler un médecin pour ta poitrine, toi aussi.
Je me gardai de lui répondre, priant silencieusement pour qu'elle décampe vite. Ce qu'elle fit : nous ne nous étions jamais beaucoup entendues, elle et moi, comme le prouvait sa pique qui restait méchante sous le couvert de la moquerie. La porte claqua derrière elle et je poussai un soupir d'aise, ravie de me retrouver enfin seule. Malheureusement, cela ne durera pas et je ne pus retenir un regard agacé pour la personne qui entrait dans la cuisine. Je détournai les yeux en remarquant qu'il s'agissait de ma grand-mère. Mon cœur fit une chute vertigineuse dans ma poitrine et je fixai l'eau savonneuse dans laquelle mes mains s'activaient avec des gestes mécaniques.
-La vaisselle peut attendre, Victoria, dit ma grand-mère en tirant une chaise vers elle. Viens avec moi.
Sa voix ne semblait souffrir aucune contradiction, pourtant, j'hésitai. Mes doigts s'immobilisèrent sur la poêle que j'étais en train de nettoyer et je ne m'autorisai qu'à tourner légèrement la tête.
-Pourquoi ?
Un sourire énigmatique s'étira sur les maigres lèvres de Jaga et elle tapota ce qu'elle tenait entre les mains, à savoir un paquet argenté. Un cadeau. Je poussai un profond soupir, vaincue par les obligations de noël et séchai mes mains avant de m'asseoir face à elle sur la petite table de la cuisine. Elle avait revêtu une élégante tunique noire brodée de fleurs blanches et jaunes qui flottait sur sa maigre silhouette. Je tordis mes mains sur mes genoux, la gorge compressée et elle finit par faire glisser le paquet sur la table pour me l'offrir.
-N'oublie pas de me le rendre, déclara-t-elle alors que je m'en emparais. J'y tiens.
-Un cadeau qu'il faut te rendre ?
-L'important ce n'est pas cela, mais l'histoire qui va avec.
La bouche tordue par la perplexité et l'appréhension, je déchirai le papier argenté pour dévoiler un cadre photo familier. Je jetai un regard déboussolé à ma grand-mère.
-Ta famille ?
Jaga acquiesça gravement, et ses paupières se fermèrent alors qu'elle exhalait un léger soupir qui sonnait comme une résignation. Elle leva un index osseux et courbé par la vieillesse pour désigner l'homme au centre de la photo. Il avait le visage mince et le nez crochu de Jaga.
-Mon père, Jakob, Jakob Stern. C'était un grand professeur de philosophie, à l'université de Cracovie. Un homme ouvert qui avait fini par rejeter la religion de ses ancêtres car il était persuadé que l'homme ne pouvait écrire les lois de Dieu et encore moins le comprendre – si toutefois ce Dieu existait. Ma mère Helen (Elle tapota le visage d'une femme très belle aux pommettes hautes et aux cheveux bruns et bouclés retenus sur sa nuque), était du même acabit : sa famille était loin d'être pratiquante et je ne suis même pas sûre que ma grand-mère ait été juive. Mais peu importe, car avant d'être une religion, nous étions un peuple et nous transmettions notre dignité par le sang.
Je portai la main sur ma poitrine où mon cœur battait à un rythme erratique à mesure que je comprenais ce qu'il se passait. Les yeux de Jaga s'étaient voilés comme si elle avait cessé de contempler le présent pour plonger son regard dans son passé. Après m'avoir laissé le temps de la contempler, elle me reprit la photo des mains pour caresser le visage de ses parents d'une main qui s'était mise à trembler.
-Nous n'avions de juif que le nom, poursuivit-t-elle d'une voix qui s'était comme étranglée. Stern. Un nom de juif, un nez de juif ... un compte en banque de juif. Nous n'avions pas attendu Hitler pour que les insultes antisémites fusent, vois-tu. La Pologne a toujours été quelque peu antisémite, et c'est pour cela que mon père a veillé à nous donner des prénoms bien polonais, pour nous éviter les amalgames. Ceslaw, mon grand frère, et Emilia, ma petite sœur. Mais nous étions polonais avant tout : je n'ai jamais été à la synagogue, sauf pour un mariage ou la bar-mitsva d'un cousin, je ne connais que quelques mots d'Hébreu que mes parents prononçaient plus par habitude qu'autre chose et je n'ai jamais porté d'étoile, malgré le David que m'avait offert ma grand-mère pour mes dix ans ... enfin, jusqu'à ce qu'Hitler m'y oblige.
A son tour, elle porta sa main sur sa poitrine, caressant le tissu de sa tunique comme si elle pouvait sentir l'étoile qu'on l'avait forcée à porter pendant la guerre. J'aurais voulu lui dire qu'elle n'était pas obligée de me raconter cela, que je comprenais parfaitement que cette partie d'elle reste enfouie, mais je m'en trouvais incapable : j'étais fascinée par chaque mot qui sortait de sa bouche et pendue à ses lèvres, rendue muette par le désir d'en savoir plus. Après un instant d'hésitation, elle fit à nouveau glisser le cadre face à moi et énuméra d'une voix qu'elle s'était efforcée de rendre neutre :
-Emilia est tombée malade dans le ghetto, et nous manquions cruellement de moyen, nous n'avons pas pu la sauver. Elle avait dix ans. C'était juste avant la liquidation du Ghetto et parfois je me console en songeant que cela lui a permis d'éviter la chambre à gaz deux semaines plus tard ...
Je réprimai un hoquet d'horreur. J'avais beau savoir tout cela, l'entendre de la bouche de ma grand-mère, une survivante, rendait cela affreusement plus réel et plus ignoble. Car je me rendais compte que c'était à mon sang que c'était arrivé.
-Mon père n'a pas eu cette chance, continua amèrement Jaga. Il était revenu de la guerre 14-18 avec une jambe défectueuse qui l'obligeait à marcher avec une canne. Le ghetto, sa liquidation et le trajet jusqu'au camp l'avait affaibli ... Alors une fois arrivé sur la rampe de sélection de la gare d'Auschwitz – pas celle que tu as en tête et qui arrive directement au camp, celle-ci a été construite en 1944 pour l'arrivée des Hongrois, non nous étions arrivés à la gare située à quelques kilomètres – on l'a déclaré comme inapte au travail. Ils l'ont arraché aux bras de ma mère pour le conduire dans une autre file que celle sur laquelle nous étions rangées, et qui s'est avancée jusqu'au fond du camp ... Ce n'est qu'en parlant avec les autres détenues et en remarquant la fumée grisâtre qui s'échappait en permanence de cette zone que j'ai compris ce qui lui était arrivé.
« Ma mère et moi sommes dès lors restées ensembles, puisque mon frère avait été emmené dans un baraquement pour les hommes. Je me suis rendue compte que j'avais eu de la chance : j'avais à peine quatorze ans, et j'étais l'une des plus jeunes du camp. Je ne devais ma survie qu'à un air de plus fraiche santé que les autres : j'étais plutôt énergique et je pense que le SS qui m'avait fait sortir du train avait compris que je parlais Allemand, ce qui pouvait être avantageux pour une travailleuse. Un pur hasard, sinon j'aurais été dans la même file que mon père ... Malheureusement, j'aurais peut-être préféré. Tu as sans doute lu moult choses sur la vie à Auschwitz, non ?
Son regard avait beau être fixé sur moi, il était difficile de croire que c'était réellement à moi qu'elle s'adressait, tant il était lointain, comme happé par ses souvenirs. J'eus un hochement raide de la tête en comprenant qu'elle m'incitait à énumérer ce que je savais :
-On vous rasait la tête ... On vous tatouait le numéro sur le bras ...
-C'était le cas uniquement à Auschwitz.
-Ah. Et, euh ... On vous forçait à travailler, sans pause, tous les jours. On vous donner le strict nécessaire pour survivre – et encore, pour survivre un minimum de temps. Vous viviez dans des baraquements insalubres, où vous cherchiez la moindre place pour dormir et ... Et euh ... C'était sans compter toutes les violences dans le camp, des kapos*, des maladies ...
Je gardai le silence, intimidée par le regard de ma grand-mère qui restait fermement planté sur moi, impassible si ce n'était une profonde lassitude. J'avais douloureusement conscience que ce que disait était édulcoré par rapport à sa réalité et je me faisais l'impression d'une gamine qui ne savait pas de quoi elle parlait. Ses lèvres se relevèrent en une mince ligne cynique.
-Ne crois pas que tu me heurteras, perelko. (elle porta une main à son avant-bras, où, je le devinais, on avait tatoué son matricule). Ils l'ont déjà fait. Oui, tout ce que tu penses qu'ils m'ont fait, ils l'ont fait. J'ai été tondue, marquée comme du bétail et élevée comme une bête de somme destinée à faire leur travail. On m'a battu, on m'a touché sans mon consentement, et j'ai vu des gens mourir et subir comme moi – ce qui est presque pire, psychologiquement parlant, que de le subir soi-même. Mon corps était entier à eux et pourtant je m'étais toujours refusée à leur donner mon âme et je m'échinais à la faire vivre, de quelque façon que ce soit ... Je refusais de devenir une de ses ombres qui hantaient le camp.
Ombre et poussières, répéta en écho la voix de Dumbledore. Nous n'étions qu'ombres et poussières une fois la vie arrachée et ma grand-mère avait refusé que cela lui arrive prématurément. J'ignorais où elle avait pu puiser une telle force dans un tel champ de désespoir.
-J'ai pris des coups de fouet parce que je chantais au travail ou parce que j'osais défier un allemand du regard. Et chaque fois qu'ils me prenaient un peu plus je sentais lever en moins ce feu qui me disait chaque jour « moi ils ne me prendront pas ».
Elle garda le silence plusieurs secondes, un silence presque éploré pendant lequel elle baissa la tête, comme un recueillement.
-Et Dieu que c'était dur, de garder cette idée en tête. « Vis, Jaga », m'avait dit mon père juste avant de partir dans la file qui l'emmènerait à la mort ... Et j'ai prié, j'ai ressassé ces mots pendant tout le temps qu'à durer ma détention. Même quand ils me battaient, même quand cette tchèque plus grande que moi me volait ma ration de pain tous les jours, même quand je n'arrivais plus à porter les charges qu'ils me donnaient ... Ma mère est morte la première. Une épidémie de typhus : on était tellement infesté de bestiole qu'il y en avait sans cesse. C'était quatre mois après mon arrivée. J'étais au travail, une route en construction à quelques kilomètres, quand on me l'a appris et je me suis totalement effondrée ... J'ai hurlé en Allemand contre les kapos, et ils m'ont tellement rouée de coup qu'ils ont cru m'avoir tuée ... Ils m'ont laissée pour morte. Et lorsque je me suis réveillée, j'étais toujours au bord de la route, il faisait noir et un SS était penché sur moi. Je m'attendais à ce qu'il me tire une balle dans la tête, certains en avait pris une pour moins que ça, mais en réalité je m'étais rendue compte ... que d'une manière ou d'une autre, il m'avait soigné.
-C'était ... papy ?
Elle hocha gravement la tête et un sourire passa fugacement sur ses lèvres. Un goût amer se répandit dans ma bouche alors que je prenais conscience de la chronologie. Nous devions être en 1943, et après avoir tué Agata Tokarsky, Miro avait été envoyé en observation à Auschwitz. Il était peu surprenant qu'il ait revêtu l'uniforme de la SS, quand bien même cela me révulsait totalement.
-Il m'a raccompagné silencieusement jusqu'au camp, et quand les gardiennes ont demandé où j'étais passé, il a simplement dit qu'il avait pris du bon temps avec moi et m'a planté là. J'avais beau être passée aussi proche qu'on le pouvait de la mort, je n'avais plus mal nulle part, si ce n'était en moi. (Elle posa ses mains sur son cœur et je vis avec horreur son regard s'embuer pour la première fois de ma vie). Si tu savais à quel point j'aimais ma mère ...
La gorge compressée par l'émotion, je détaillai le visage d'Helen Stern, de ses boucles sombres et ses hautes pommettes dont Jaga avait hérité, puis transmises à sa fille et petite-fille, à ses mains posées avec tendresse sur les épaules de son mari.
-J'étais tellement accablée de chagrin que j'en avais oublié le SS, reprit Jaga après avoir pris une bouffée d'air pour se donner contenance. Pourtant, il fallait bien aller travailler le lendemain ... et survivre, vivre comme mon père avait ordonné que je le fasse ... Et voilà qu'en me levant le lendemain j'apprenais qu'on avait transféré au Kanada !
-Le Canada ? répétai-je sans comprendre.
Devinant que je faisais référence au pays, Jaga fut prise d'un petit rire qui assécha ses yeux.
-Presque, Perelko. On appelait cela comme ça à cause des richesses qu'il y avait à l'intérieur – et pour nous, le Canada était un pays riche ... C'était l'endroit où était acheminé tous les objets confisqués par les SS sur le quai de gare ou récupérer sur les corps, dans les chambres ... Mais c'était aussi l'endroit le plus convoité par les détenus. On y était à l'intérieur, à l'abri du froid et de la pluie et on arrivait à grappiller quelques rations supplémentaires. C'était là où les conditions de travail étaient les moins difficiles ... et où on avait le plus de chance de survivre. Oh, je ne dis pas que c'était facile pour autant, bien sûr. Je triai toutes les affaires d'hommes qui étaient voués à une mort certaine, y compris les dents en or qu'on arrachait des bouches des cadavres ... Parfois je rencontrais quelques membres du sonderkommando* qui nous faisait le récit de nuit à brûler les cadavres ... Certains kapos nous brutalisaient et l'un d'entre eux violaient presque tous les jours la fille avec laquelle je travaillais, Rachel. C'était une jolie fille, malgré l'amaigrissement et les cheveux tondus mais il l'a amoché ... Au début, elle hurlait. Puis il la frappait et elle a fini par se taire. Tous finissent par se taire.
-Mon dieu ...
Je n'avais pas pu retenir la plainte, tant le récit de Jaga me prenait aux tripes, aux fondements même de ma féminité. La bile me monta à la gorge alors que je prenais conscience de ce que cette Rachel avait bien pu vivre – et de même pour ma grand-mère, forcée d'assister à son supplice chaque jour. Jaga avança sa main pour la poser sur le poing que j'avais serré sur la table, et planta son regard dans le mien.
-Je te raconte tout ça pour que tu te rendes compte ce à quoi ton grand-père m'a arraché. J'aurais pu finir comme Rachel, à hurler puis à me taire, mais chaque fois qu'un kapo s'approchait de moi, il changeait brusquement d'avis, comme ... comme par magie. Quand je suis rentrée au Kanada, énormément de choses que je qualifierais de « magique » se passaient autour de moi : je trouvais plus de nourriture que les autres, je me réveillais à peine meurtrie des coups et de la journée de travail, quand j'avais soif je trouvais une gourde non loin ... J'étais si épuisée moralement que je n'avais pas cherché d'où venait ma chance, me contentant d'en profiter ... et alors que j'allais mieux, que mes forces me revenaient, je l'ai remarqué qui rôdait. Le SS. Et d'une manière inexplicable, j'ai compris qu'il était ma chance.
« Evidemment, il me révulsait, et ce fut pire quand j'ai remarqué qu'il était Polonais. Maintenait que j'allais mieux, ma fierté revenait et je m'étais mis à refuser ses cadeaux : les gourdes d'eaux, les nouveaux sabots, la ration de pain et même la tablette de chocolat. Alors il est sorti de l'ombre et m'a pris à part. « Je ne suis pas comme eux » m'a-t-il promis. « Je ne suis même pas un vrai SS. Je veux juste t'aider ». « Si tu n'es pas comme eux alors prouve-le », je lui ai lancé. Et je suis retournée à mon travail. Le lendemain, le kapo avait de nouveau tenter de s'en prendre à Rachel, et j'avais détourné les yeux, me préparant mentalement à entrer dans une bulle pour ne pas entendre ses cris ... Mais ce fut ceux du Kapo que j'entendis et lorsque je me suis retournée, il gisait inconscient, devant une Rachel épouvantée et le SS qui essuyait une barre de fer. Il a promis à Rachel qu'il ne la toucherait plus et il a tenu sa parole : jamais plus elle n'ait été inquiétée. Alors depuis, il nous a aidé, et nous étions si démunies que nous avions mis notre fierté au placard pour accepter son aide. Ça n'a pas suffi à Rachel. Trois mois plus tard, un autre Kapo a voulu d'elle et Miro n'était pas là. Cette fois-ci elle en est morte.
Emilia. Jakob. Helen. Rachel. Le nombre de victime qui avait compté pour ma grand-mère s'alignait dans mon esprit en une lugubre litanie. Toutes ses victimes devenues ombres et poussières pour les désirs d'un seul homme.
-Et ton grand frère ? interrogeai-je du bout des lèvres.
-Ceslaw. Il était la dernière chose qui me retenait dans ce camp. Nous étions arrivés depuis presque un an et nous étions presque les derniers survivants du train qui nous avait amené au camp. Je le croisais de temps à autre, le temps de voir qu'il était amoché, mais vivant. Après la mort de Rachel, Miro s'est mis à me faire miroiter un rêve : me faire sortir d'ici. C'est si beau, si irréel d'entendre ses mots ... Mais je ne pouvais pas partir. Je ne pouvais abandonner Ceslaw. Alors il a fallu qu'il se fasse abattre en représailles d'une évasion début 1944 pour que j'accepte la proposition de Miro. Toute ma famille était morte, Rachel était morte, je ne pouvais pas rester sur leur tombe, au risque de d'y descendre moi aussi. Alors j'ai laissé ce SS qui avait tenté de sauver Rachel, qui m'avait sauvé également en un sens, car sans lui je serais morte lorsque j'ai appris le décès de ma mère, me faire sortir. Je penserais que ce serait difficile : il m'avait prévenu que je verrais peut-être des choses qui me déboussoleraient, mais qu'on en parlerait une fois à l'abri.
-La magie.
Jaga hocha gravement la tête. Elle avait joint ses mains, paumes contre paumes, et avait noués ses doigts les uns aux autres en un geste tordu qui devait être douloureux pour elle. Soudainement, elle qui avait été si impassible lorsque j'avais reformé l'ampoule cassée devant elle, elle détournait les yeux, comme si des résurgences de la peur qui l'avait habitée lors de son évasion refaisait surface.
-Il avait une baguette dans sa main ... Et soudainement, tout s'est ouvert devant nous. Il la pointait sur un garde, et il allait faire un tour ailleurs. Il la pointait sur une porte et la porte s'ouvrait. Je suis sortie comme je suis rentrée, par l'entrée principale, sans que personne ne nous fasse obstacle. En moins de temps qu'il fallait pour le dire, j'étais dehors. Et une fois hors du camp ... Il m'a prise par le bras avec une douceur surprenante pour sa stature et m'a dit de m'accrocher.
-Seigneur ... il t'a fait transplané ?
-Ah, c'est le terme ? s'étonna Jaga avec un vague haussement d'épaule. Tout ce que je sais, c'est que ça m'a ramené à Cracovie et que j'ai vomi toutes mes tripes.
Je ne pus retenir une grimace, imaginant avec difficulté le trouble que ça avait dû être pour une jeune fille de quinze ans, faible et sous-alimentée, d'être confrontée à la magie de manière si violente. Le transplanage secouait même les sorciers les plus aguerris, quel effet avait-il bien pu avoir sur elle ?
-Il m'a emmené dans une maison, jusque la fin de la guerre, acheva-t-elle de narrer. Au milieu de la campagne, chez la femme qui l'avait élevé ... Elle m'a redonné la santé, elle a pris soin de moi et ... J'aurais pu être heureuse, vraiment. Miro était adorable, Natalia également mais ... elle faisait elle aussi de drôles de choses avec une baguette de bois, des choses que je n'arrivais pas à assimiler. Dans la nuit où il me faisait sortir, la magie a coulé sur moi comme de l'eau pour disparaître une fois séchée, mais là ... En plein jour, sans cesse, pendant presque un an ... Et puis il y avait cette créature, toute petite et fripée qui obéissaient aux ordres de Natalia mais qui me lançait des regards mauvais et ne cessait de me répéter que mon « sale sang » salissait la noble lignée Liszka ...
-Whao. C'était un elfe de maison qui te disait ça ?
J'étais stupéfaite : les seuls que j'avais rencontrés étaient ceux qui travaillaient à Poudlard, des êtres adorables qui s'étaient mis en quatre pour me satisfaire. Jamais aucun n'avait fait part de remarques racistes ... Mais maintenant que j'y songeais, c'était sans doute un ordre de Dumbledore lui-même, un ordre contre lequel les elfes rompus à l'obéissance ne pouvaient rien faire. Cette idée me laissa un goût amer dans la bouche et je compris le pli qui durcit les lèvres de ma grand-mère.
-Si tu savais comme j'étais effrayée. Après m'avoir répété que j'étais inférieure parce que j'étais juive, on m'a dit que j'étais inférieure parce que je n'avais pas de magie ... Et la magie, Seigneur, la magie ... Ma vie était déjà bien assez compliquée, j'avais vécu trop de malheur : je n'avais pas besoin de la magie dans ma vie. Alors je me suis mise à m'enfermer dans ma chambre, à éviter Miro, Natalia et surtout ce petit elfe ... Lentement, la peur a cédé la place à la révolte. Ainsi donc il y avait une société parallèle qui se cachait à nous ? Et si des gens étaient capable de faire ce qu'il faisait, pourquoi ne mettrait-il pas fin à la guerre ? Alors Miro m'a avoué que chez eux aussi c'était la guerre et que la guerre l'avait poussé à faire des choses infâmes, des choses innommables ... Et soudainement le puissant SS qui savait faire de la magie s'est écroulé devant moi, à genoux et a sangloté comme un enfant. Mais j'avais trop de peine en moi, Victoria ... Alors ce jour-là, je n'ai pas su partager celle de Miro. C'était trop, beaucoup trop.
« J'y fuis le lendemain, et j'ai erré. Je n'en pouvais plus de la magie, et je n'étais pas voulue dans cette maison, pas d'avantage que je ne l'étais dans mon pays ... Les années qui ont suivies, je les ai vécus comme un cauchemar. J'avais trop vu, trop vécu : j'avais seize ans et j'étais une outre pleine qui ne cherchait qu'à se vider, se vider pour oublier qu'elle n'avait plus rien. Pour oublier tout ce qu'elle avait vu – la fumée qui s'échappait des crématoires, ma petite sœur rendant son dernier souffle, les cris de Rachel ... et les casseroles que Natalia faisait léviter par-dessus moi. Et alors que je laissai ma vie partir à la dérive, je me suis rendue compte que j'étais enceinte. J'ai à peine eu le temps de paniquer que Miro apparaissait de nouveau pour me sauver.
Là-dessus, son bras fusa et sa main fine et parcheminée agrippa mon avant-bras, ses doigts se resserrant tel des serres autour de mon poignet en une force qui me figea plus que le regard intense qu'elle planta dans le mien. Mon souffle se bloqua dans ma gorge quand je me rendis compte des larmes qui perlaient à ses cils, s'y accrochait désespérément pour ne pas couler.
-On avait un pacte, gémit-t-elle d'une voix morte. Ce jour-là, alors qu'on observait une dernière fois Cracovie pour ne plus jamais y revenir, on avait un pacte. Laisser nos douleurs en Pologne pour commencer une nouvelle vie. Nous n'étions plus la petite juive brisée par les camps et le sorcier broyé par les remords : nous devions être de nouvelles personnes, des personnes fortes pour nos enfants à venir. Et tu l'as brisé ... Tu as fait remonter des souvenirs qui sont susceptibles de nous détruire ...
-Je suis désolée, balbutiai-je, la gorge comprimée. Mais je devais savoir ... Je ne pouvais pas restée sans savoir mamy ...
-Maintenant, tu sais. Il a tué cette femme, il l'a tué parce que sinon elle l'aurait tué. Mais ... (elle porta une main décharnée sur sa poitrine et cette fois, une unique larme dévala sa joue cireuse et creusée par les ans) Il m'a sauvé. Sans lui je serais morte à Auschwitz ... Sans lui je serais morte en apprenant ma grossesse et je nous aurais précipité d'un pont, moi et mes enfants à naitre ... Sans lui je n'aurais jamais supporté ma vie : ma maternité, la découverte d'un nouveau pays et voir le mien sombrer, se révolter et sombrer ... Sans lui j'aurais vécu parmi les fantômes de tous ceux que j'ai perdu, et j'en serais devenue un moi-même ... Sans lui, je serais devenue ...
-Ombres et poussières.
Ma grand-mère n'eut pas besoin de comprendre d'où je tenais cela pour hocher la tête. Ses doigts se crispèrent un peu plus sur mes poignets, si bien que ses ongles se plantèrent dans ma peau, à l'endroit où les liens de Kamila avaient laissé leur marque.
-L'homme qui a tué Agata était peut-être un petit con inconscient, mais cet homme est mort en même temps qu'elle. C'est quelqu'un d'autre qui est arrivé sur les rivages de l'Angleterre, quelqu'un de bien, quelqu'un qui t'aime – qui nous aime. S'il te plait, Perelko, n'oublie pas ça. Une bonne action ne doit pas cacher la mauvaise – mais la mauvaise ne doit pas prédominer sur la bonne. C'est un homme qui souffre chaque jour et qui s'est affligé la plus grande des punitions pour des gens comme vous : il a renoncé à la magie. Dis-moi Victoria, n'a-t-il pas assez souffert pour que tu y rajoutes ta haine ?
-Je ne le hais pas, hoquetai-je, mes larmes coulant à leur tour avec moins de retenue que les siennes. Moi aussi je l'aime mais ... c'est pour ça que je suis si dure ... que ça me fait si mal ...
Ma grand-mère plaqua une main contre ses lèvres, sans doute pour réprimer ses pleurs, et ses doigts descendirent jusqu'aux miens pour les serrer forts, si fort que j'en eus la circulation coupée. Nous pleurâmes ensembles quelques minutes, sans d'autres sons émis que nos respirations haletantes et les sanglots que je tentai de contenir. Elle finit par tirer une élégant mouchoir brodé de sa manche pour me le tendre et je produisis un son à mi-chemin entre le rire et le sanglot en songeant au nombre de fois où je m'étais moquée d'elle et de son antique mouchoir. J'essuyais mes yeux, imbibant le tissu de larmes et de maquillage et je rendis à peine compte que Jaga avait sorti une petite boite de velours sur la table. Elle prit ma main pour la poser sur ma paume et je l'ouvris, intriguée.
-L'étoile de David que ma grand-mère m'a offerte, explicita-t-elle alors que je lui renvoyais un regard dérouté. Je ne l'ai jamais portée parce que je ne me suis jamais sentie juive ... Et je ne dis pas que tu as à le faire. Mais ... cela fait partie de toi, comme ça fait partie de moi. Mon histoire (elle posa sa main sur sa poitrine avant de la poser sur la mienne) est tienne, à présent. L'histoire de notre peuple est tienne. A toi de la transmettre un jour pour que jamais on oublie ce que l'ignorance et le racisme puissent pousser à faire. Et puise dans notre emblème, symbole de tout ce que nous avons enduré et ce à quoi nous avons survécu, la force de toi aussi surmonter nos épreuves.
Je levai soudainement le regard sur elle, abasourdie par sa dernière phrase qui faisait étrangement écho au retour de Voldemort. Pourtant, elle ne pouvait pas être au courant, Fudge n'y croyait pas, il n'aurait pas averti les autorités moldus ... Cependant, alors que mes yeux passaient de la breloque dorée au regard profond de ma grand-mère, je compris qu'elle était parfaitement au courant.
-Comment... ?
-Les restes de magie de ton grand-père et une sorcière très étourdie qui vit au bout de la rue. Ça n'a pas été difficile pour lui de comprendre qu'un certain mage noir était de retour ...
-« Le magicien de pacotille », me rappelai-je, un sourire passant fugacement sur mes lèvres. Donc il sait ...
-Bien sûr qu'il sait. Et il s'inquiète énormément de ne pas voir vos autorités agir. Et évidemment ... il s'inquiète pour toi. Il paraît que cet homme considère les gens comme toi ... comme inférieur.
J'eus soudainement l'impression qu'un nouveau fil se tendait entre ma grand-mère et moi, un nouveau lien que jusque alors, je n'avais pas soupçonné et qui n'avait aucun rapport avec notre sang. D'un mouvement raide de la tête, j'acquiesçai et un feu de révolte empli les iris de Jaga. Elle me prit la main des deux siennes, emprisonnant la breloque dans notre étreinte.
-Ne le laisse jamais t'atteindre, Victoria. Ne les laisse jamais te faire croire ça – et ne les laisse jamais croire ça. Ne les laisse pas te faire ce qu'ils nous ont fait.
Il y avait une telle force, une telle foi et une telle véhémence dans la voix de ma grand-mère que j'en fus rendue muette, ébranlée par les flammes qui brûlaient dans ses prunelles. Pour toute réponse, je posai une main sur celles qu'elle avait jointe, apaisante mais déterminée.
-Je te promets. Je ne les laisserais pas faire.
J'ai envie d'achever ce chapitre avec ce qui est écrit sur le mémorial d'Auschwitz :
« Que ce lieu où les nazis ont assassiné un million et demi d'hommes, de femmes et d'enfants, en majorité des Juifs de divers pays d'Europe, soit à jamais pour l'humanité un cri de désespoir et un avertissement.
Auschwitz - Birkenau 1940 – 1945 »
Je trouve ça hyper important de se souvenir. Alors ça peut paraître lourd, ça peut paraître inapproprié dans une fanfic' HP, mais quand je vois où va le monde aujourd'hui je me dis que ce sont des piqûres de rappel nécessaires. L'Homme a la mémoire courte. L'avertissement semble déjà oublié ...
Allez, sur cette note joyeuse, à dans deux semaines !
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