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II - Chapitre 13 : Perelko

Bonjour ! Petit postage intempestif en avance ! 

DONC voilà THE BIG CHAPTER ! il a mis du temps à arriver parce que je ne voulais pas le faire directement à l'entrée de la partie 2 et il a fallu quand même arriver jusqu'aux vacances donc peut-être que les derniers chapitres vont ont parus un peu vains mais il fallait bien que je couvre la partie entre la rentrée et les vacances de décembre ...

Mais ne vous en faites pas, normalement à partir de là j'ai plus de chapitre qui "ne sert à rien" et ce sera notamment très dense à un moment donc j'espère que ça devrait aller mieux.

Allez, enjoy, bonne lecture, j'attends beaucoup les réactions sur ce chapitre là! 

***

Les secrets de famille sont de noires araignées qui tissent autour de nous une toile collante. Plus le temps passe, plus on est ligoté, bâillonné, serré dans une gangue. Incapable de bouger, de parler. D'exister. 


- Marie-Sabine Roger. 

***

Chapitre 13 : Perelko.

Malheureusement, Simon n'avait pas laissé filtrer la moindre information : il s'était contenté de siroter sa bièraubeurre en me foudroyant du regard depuis son pouf, agacé de l'attention qui s'était porté sur lui depuis que l'on était revenu du balcon. Mais Miles parut soulagé qu'elle soit détournée de lui et passa une fin de soirée tranquille et détendue. Il s'en était allé vers une heure du matin, et nous avions passé un quart d'heure devant l'immeuble à débriefer la soirée, et échanger des baisers à la lueur des réverbères. Il fallut que j'entende Alexandre nous siffler depuis son petit balcon au-dessus de nous pour qu'on se sépare. Miles transplana dans la ruelle adjacente et je remontai dans l'appartement, un sourire niais aux lèvres et le cœur assez léger pour commencer ma nuit en toute quiétude.

Nous avions finalement décidé de dormir chez Alexandre, et Susan et moi nous étions octroyés sa chambre alors qu'il dressait un lit de camp et que Simon prenait le canapé. La nuit fut plus paisible que je ne l'aurais cru compte tenu de la tempête qui allait s'abattre sur moi demain, et j'ouvris un œil vers dix heures, au moment où un soleil froid commençait à filtrer entre les stores. A côté, Susan dormait à poings fermés, la bouche légèrement entrouverte et je m'extirpai de la chambre à pas feutrés. Dans la pièce principale, Alexandre s'était étalé de tout son long sur son matelas de fortune, trop court pour lui, ce qui faisait que ses pieds dépassaient ridiculement. Simon était recroquevillé sur le canapé en position fœtale, un coussin enserré entre ses bras. Je tentai de me faire la plus silencieuse possible pour me réfugier dans la cuisine et prendre mon petit-déjeuner. J'étais en train de boire mon chocolat chaud, le regard plongé vers la fenêtre et les rayons froids du soleil quand j'entendis Simon s'agiter dans le canapé, et vis sa tête apparaître en un sursaut, les yeux plissés et les cheveux plus ébouriffés que jamais. Un sourire amusé retroussa mes lèvres.

-Salut. Café ?

Pour toute réponse, Simon me fixa un long moment, le souffle court et le regard éteint. Puis il poussa un grognement et retomba lourdement dans ses couvertures.

-Putain de cauchemar ...

-Tu as fait un cauchemar ?

Encore une fois, Simon garda le silence, et je décidai charitablement de le laisser émerger. Il lui fallut encore dix minutes avant de se trainer jusqu'à la table haute qui séparait la cuisine de l'espace salon, les yeux gorgés de sommeil, l'air d'être en pilotage automatique. Il s'accouda à la table et se prit le visage entre les mains, la respiration lourde. Face à son inactivité, je soupirai et mis la cafetière en route. Ce ne fut que lorsque la tasse de café fut devant son nez et que ses arômes chatouillèrent ses narines qu'il émergea de ses mains, m'adressant un pauvre sourire.

-Merci. Désolé, j'ai ... du mal à me réveiller.

-Ça devait être un sacré cauchemar, commentai-je distraitement en rajoutant une tonne de miel dans mon chocolat. Tu as besoin d'autre chose ?

Simon secoua la tête et riva son regard sur la fenêtre. Le temps était étonnamment clair, d'un froid profond mais sec et quelques nuages d'une couleur nacre et perle fendaient le ciel, poussés par une légère brise. Rien n'annonçait la neige dans cette partie presque côtière de l'Angleterre. Nous sirotâmes nos boissons respectives en silence, observant les nuages se faire balayer dans le ciel, changer de couleur et masquer le soleil pour le faire réapparaitre à notre vue. J'avais depuis longtemps fini mon chocolat quand Simon posa la question fatidique :

-Comment tu te sens ?

Je haussai les épaules. La vérité était que la nervosité s'était éveillée avec moi et que cela faisait cinq minutes que je touillai fiévreusement ma cuillère dans un bol vide, juste pour m'occuper les mains et l'esprit. Pendant que j'observai les nuages, j'avais tenté d'imaginer comment j'aborderais la question, mais chaque fois j'avais trouvé mes mots pathétiques : mes entrailles s'étaient nouées un peu plus, et l'entrechoquement de la cuillère contre la porcelaine s'était faite plus insistante. Simon finit par fixer la main qui tournait dans le vide d'un regard appuyé et je me figeai dans mon geste.

-Pas super, mais ça ne va pas aller en s'améliorant, avouai-je en lâchant ma cuillère. Tu ... tu m'accompagnes toujours ?

-Jusque la porte, ouais, assura Simon en se frottant le visage. Il ne faudrait pas qu'on tarde, d'ailleurs. Comme ça je t'accompagne le temps que Susie se réveille et après je la reprends ici pour rentrer. Elle doit aller voir Hannah dans l'après-midi si j'ai bien compris.

J'avais l'impression qu'on avait rempli mes viscères de plombs, et j'eus un hochement raide de la tête. Je finis par l'abandonner pour aller me doucher, mais même l'eau chaude ne parvint pas à détendre mes muscles. Et mon reflet dans le miroir embué de la salle de bain de me rassura pas le moins du monde. J'avais les traits tirés par ma courte nuit, et mes paupières lourdes rapetissaient mes yeux. Je m'habillai avec des gestes fébriles et laissai la place à Simon. Alexandre dormait toujours, indifférent à l'agitation autour de lui, une auréole de bave sur l'oreiller et un pied pendant dans le vide. J'eus un sourire attendri et j'effleurai tendrement les cheveux courts de mon frère. Comme réaction à ma caresse, il poussa un infime grognement et roula sur le côté, les bras en croix. Ma poitrine fut soudainement compressée par l'angoisse.

Si jamais j'apprenais des choses de mon grand-père, que devrais-je faire de ses informations ? Alexandre devait-il savoir ? Et mes parents ? Ma mère, cette femme logique qui avait toujours repoussé la partie de moi qui était magique, comment réagirait-t-elle en apprenant que le père qu'elle estimait énormément était un sorcier ? Et sa sœur jumelle, Beata, une femme adorable qui se relevait à peine d'un cancer du sein, devait-il apprendre la véritable nature de son géniteur ? Je pris la tête entre les mains, enfonçant mes doigts dans mes boucles et mes ongles dans mon crâne.

En déterrant les cadavres de mon grand-père, je risquais de faire exploser toute la famille.

-Hey ...

Je relevai précipitamment la tête, prise de court de sentir la main de Simon presser doucement sur mon épaule. J'étais si profondément agitée, plongée dans mes troubles et mes pensées angoissantes que je n'avais pas entendu Simon sortir de la salle de bain – ni sentit les larmes couler sur mes joues, jusqu'à qu'il en cueille une du bout de son index. Je pris une grande aspiration pour me calmer et levai mon visage pour refouler les larmes, croisant par la même le regard inquiet de Simon. J'eus un sourire penaud.

-Ça va. C'est juste que j'ai ... j'ai l'impression que depuis l'été dernier, j'ai le pied coincé sur une mine, que je suis immobile pour éviter qu'elle n'explose et détruise tout et ... c'est dur de bouger le pied.

-Mais tu ne peux pas le garder sur la mine toute ta vie, me rappela Simon avec une certaine douceur. Il n'y a pas de bon moment pour le faire mais ... il faut juste le faire.

Je déglutis nerveusement pour faire passer la boule de nervosité qui s'était formée dans la gorge et finit par acquiescer. Simon pressa une dernière fois mon épaule, comme un encouragement et se redressa pour me tendre la main. Je la fixai un moment, le cœur battant la chamade et assourdie par les mots qui se mélangeaient dans ma tête, n'attendant qu'une étincelle pour jaillir et s'embraser. Ce fut ce constat qui me donna la force de me lever et de prendre la main de Simon. Alors seulement j'eus le courage de pivoter vers la droite et ma magie fit le reste.

***

-Ah oui, le bord de mer ...

Les épis blonds de Simon étaient ébouriffés par le vent marin qui soufflait plus fort qu'à Bristol, et il y passa une main pour les tenir en place. Malgré le ciel clair et le soleil qui dardait ses rayons froids sur nous, l'eau devant nous semblait grise et menaçante. Un peu plus au nord, la Severn, plus long fleuve des îles britanniques, jetait ses flots incessants dans le canal de Bristol et l'eau douce rencontrait la salée avec un fracas qui m'arracha un sourire. La ville de Portishead s'était construite autour de l'embouchure du fleuve et mes grands-parents avaient décidé d'habiter un petit pavillon côtier à l'écart de la ville même, dans une maison isolée du reste du quartier, mais dont la terrasse donnait sur la plage de galet fin. J'avais la bâtisse en ligne de mire, encadrée une petite barrière blanche qui m'évoquait les banlieues chiques. La peinture beige des volets commençait à s'écailler et mériterait un coup de pinceau, et le jardin suspendu dont s'occupait soigneusement ma grand-mère était emmitouflé dans des couvertures de bâches pour protéger ses plantes du froid. Avec le sol sableux, il lui y était difficile de cultiver un potager mais ils avaient réussi à bricoler des bacs de terres agrémentées de fleurs et autres plantes qui décoraient le petit jardin, et permettaient à ma grand-mère de récolter quelques tomates et herbes aromatiques.

-Jolie maison, commenta Simon en me rejoignant péniblement, butant et luttant contre les galets. Le jour où ils passeront la baguette à gauche, je veux bien qu'on en discute.

Je lui plantai mon coude dans les côtes et il grimaça. Je croisai mes bras sur mon ventre, luttant contre les frissons et le vent glacial qui plantait des piques acérées en moi. Je contemplai longuement la maison de mes grands-parents avant de me tourner vers Simon, une moue mortifiée aux lèvres.

-Bon. Je dois y aller ?

-Il faut carrément que je t'y traine ? demanda-t-il d'un air amusé.

Lui aussi avait troqué sa cape sorcière contre un manteau de moldu et avait soigneusement noué son écharpe de ce nœud particulier dont l'Angleterre était si fière. J'eus un sourire moqueur en remarquant qu'il passait sans cesse une main dans les cheveux que le vent s'échinait à ramener contre son visage.

-Où est passé le bonnet orange ? Tu l'as enfin balancé ?

-Tu peux toujours rêver. J'ai plus envie de balancer le tien, mais je préfère le laisser prendre la poussière dans ma valise.

-Ça valait le coup d'y passer autant de temps, râlai-je en levant les yeux au ciel. Tu ne respectes vraiment pas mes efforts.

-Oui bah toi, respecte les miens, rétorqua Simon avant de me pousser vers la maison. C'est parti, minus.

-Minus toi-même.

Mais je restai figée sur les galets, immobile comme pour me soustraire au vent et à mes responsabilités. Cependant, au lieu de fixer la maison, je rivai mon regard sur Simon, à la fois interloquée et embarrassée. Les pans de son manteau claquaient contre ses cuisses et le vent emportait avec les extrémités de son écharpe. Il haussa des sourcils, l'air étonné d'être l'objet d'un tel examen.

-Qu'est-ce qu'il y a ?

-C'est gentil, finis-je par souffler d'une voix si basse que mes mots furent emmenés par le vent. Je veux dire, d'être venu. Tu n'étais pas obligé.

Un léger sourire retroussa les lèvres de Simon et il me donna une petite bourrade, qui dans mon état d'immobilité provoqua ce qui faillit être une chute si je ne m'étais pas rattrapée à un pan de son manteau.

-Mais ce n'est pas une raison pour me faire tomber, glapis-je en donnant un coup dans son épaule.

-Mais tu vas arrêter de me frapper ?!

Je lui tirai la langue pour toute réponse, et il me prit par surprise en coinçant ma tête sous son bras pour me frotter rigoureusement le crâne. Le cri que je poussai se mua en éclat de rire quand les doigts de Simon pincèrent mes côtes et je me retrouvai écrasée contre son torse, haletante et un sourire désabusé aux lèvres.

-Et après c'est moi qui suis violente ...

-Je te laisse le croire pour mieux te piéger, railla Simon en posant un index sur mon crâne pour me repousser doucement. Allez, la crevette. Instant émotion terminé, gardes-en un peu pour ce soir.

Ce rappel de la situation me glaça et je m'écartai d'un pas, coinçant une mèche folle derrière mon oreille en un geste nerveux. Mon regard fut irrémédiablement attiré par la maison aux volets beiges et à la barrière blanche et j'exhalai un soupir pour m'arracher les dernières traces de frayeur pure pour ne laisser qu'une appréhension pointue et les mots qui se bousculaient dans ma tête. J'enfonçai mes mains dans mes poches et gratifiai Simon d'un petit sourire.

-Bon. A tout à l'heure alors ?

Simon sourit à son tour et hocha doucement la tête. Avec regret et au prix d'un effort incommensurable, je réussis à me détourner et à pivoter vers la maison. Mes pas heurtaient bruyamment les galets et le murmure du vent couvrit les battements sourds de mon cœur qui pulsaient à mes tempes. Je me retournai à intervalles réguliers, pour voir que Simon n'avait pas bougé de sa place, les pieds plantés dans les galets et les mains dans les poches. Chaque fois, il me faisait un signe de main pour m'inciter à continuer et ce fut comme ça que j'arrivais devant le petit portail qui donnait accès au jardin de mes grands-parents. Je le poussai et il s'écarta en un grincement qui se mêla au « Crac » sonore qui retentit sur la plage. Je fis prestement volte-face. Simon était parti. Ma main se crispa contre la barrière.

C'était entre eux et moi, à présent.

Je soupirai et avançai dans le jardin, contournant la table de bois clair qui servait quand le soleil brillait, jusque la baie vitrée qui donnait sur le salon. J'observai la maison à la dérobée, comme une intruse, une voyeuse qui épiait depuis l'extérieur. Mon cœur s'emballa quand je découvris ma grand-mère assise sur son sofa, ses lunettes chaussées sur son nez osseux et quelque peu crochu, que certaines personnes mal attentionnées n'hésitaient pas à qualifier de « juif », et ses cheveux encore bruns et vierges de toute mèche blanche ramenés en un chignon strict. Elle lisait, lecture qu'elle interrompit quand je pris la peine de lever la main et de frapper contre la vitre. Elle leva les yeux sur moi et j'agitai les doigts en guise de salut, un léger sourire aux lèvres. La main de ma grand-mère se porta sur son cœur et elle lâcha son livre qui alla choir sur le tapis. Se dressant sur ses pieds pour s'élever de sa modeste taille, elle se précipita vers la baie-vitrée pour tourner la clef dans la serrure et l'ouvrir pour me faire rentrer. Nous nous fîmes face quelques secondes, plongée dans une sorte de silence ému qui flotta autour de nous alors que nous nous dévisagions, scrutant chacun de nos traits. D'autres rides étaient apparues au coin de sa bouche qui semblait frémir d'un sourire, et son regard d'un brun presque noir, si sombre que la pupille se confondait avec l'iris, avait encore gagné en profondeur. Puis dans un même élan, nous nous précipitâmes l'une sur l'autre pour nous enlacer. Elle s'était encore tassée et si petite que j'étais, elle l'était encore plus et frêle, si frêle ...

-Tu en as mis un temps, finit-elle par lâcher en s'écartant. J'ai cru que tu nous avais oublié ...

-Bien sûr que non, enfin, lui assurai-je d'une voix rauque, franchissant enfin la baie-vitrée pour entrer dans la maison. Papy est là ?

-Non. Il est allé faire un tour, mais il ne va pas tarder. (La commissure de ses lèvres d'une finesse incroyable se releva). Il va être content de te voir, il s'est beaucoup inquiété pour toi cet été.

Mon ventre se tordit de façon douloureuse, mais je m'efforçai de lui sourire. Elle s'engouffra dans la cuisine pour nous préparer du thé et j'en profitai pour examiner la maison. Là encore, peu de choses avaient changées. Il y avait toujours cette immense toile sur laquelle était imprimée une photo de notre famille – mes grands-parents, mes parents, Alexandre, ma tante Beata et sa fille Marta – et toujours les mêmes photos sur la console. Mes yeux se posèrent plus particulièrement sur une très vieille photo, en noire et blanc et bien sûr figée, prise avant que la seconde guerre mondiale n'éclate et représentait la famille de ma grand-mère, dans une posture assez traditionnelle – les membres déployées autour du père de famille, un homme au nez crochu et au regard solennel. Jaga était debout derrière son père, les cheveux soigneusement tirés en arrière et souriait à la caméra comme je ne l'avais jamais vu sourire. Mis à part son nez et ses lèvres trop fines, elle ressemblait tant à ma mère que ça en était troublant. Ou peut-être que c'est à moi qu'elle ressemble, songeai-je avec un pincement au cœur. J'avais beaucoup pris de ma mère, et elle énormément de la sienne.

-Tu as toujours aimé regarder cette photo, observa ma grand-mère en revenant dans la pièce, une théière à la main.

J'eus un sourire coupable et reposai le cadre sur la console. J'avouai avoir toujours été fascinée mais surtout que cette fascination avait quelque chose de malsain et de morbide. Sur les cinq personnes présentes sur l'image, une seule avait survécu à la guerre.

-Désolée, une vieille habitude. Tu vas bien sinon ?

-C'est plutôt à toi qu'il faut poser la question, maugréa Jaga en se laissant aller dans son fauteuil. Il paraît que l'été a été difficile – et il fallait au moins ça pour que tu ne viennes pas nous voir ...

Il y avait une touche de reproche dans la voix de ma grand-mère. Elle me considérait par-dessus sa tasse de son regard sombre et je baissai honteusement le nez.

-Je suis vraiment désolée, mamy.

Mais elle balaya mes excuses d'un geste de la main – une main parcheminée et parcourue de veines saillantes aux ongles longs comme des serres.

-Ça va, perelko. Je comprends que ça ait pu être difficile pour toi ces derniers temps. Ça a été à l'école ?

-Ça a été dur, avouai-je d'une petite voix. Mais ça va mieux maintenant ...

Parler avec ma grand-mère, sous son regard bienveillant malgré une bouche qui ne souriant que rarement, me délia la langue et apaisa les vrilles de mon estomac. Bien sûr, je ne pouvais lui parler de Poudlard, mais avec des propos voilés je pus me plaindre de ma professeure horrible et dictatoriale, et de la pression des examens qui arrivaient en fin d'année. Je fus reconnaissante à ma grand-mère de ne pas poser de question sur mon avenir une fois avoir quitté ce qu'elle pensait être le lycée : cela m'aurait embarrassé de devoir lui servir un mensonge éhonté. Elle me donnait des nouvelles de ma cousine Marta, qui était rentrée en septembre d'Argentine, quand j'entendis la porte claquer dans le hall d'entrée. Mon cœur connut une embardée qui cogna contre ma poitrine à me fendre les côtes.

-Alma ne sait toujours rien, râla une voix bourrue. Rien, rien du tout, comme si ce magicien de pacotille ne ...

-Miro, le coupa ma grand-mère. Victoria est là.

Mais Victoria n'écoutait plus. Alors que mon grand-père apparaissait dans l'embrassure de la porte, les sourcils froncés et l'air penaud, mon esprit tourbillonnait des quelques mots qu'il avait prononcé en entrant, quelques terribles mots qui sonnaient comme une confirmation de ce que je craignais depuis des mois.

« Magicien de pacotille ».

-Magicien de pacotille ? répétai-je d'une voix blanche.

-Un magicien itinérant qui donne des spectacles dans le quartier, expliqua ma grand-mère avec un haussement d'épaule. Singulièrement agaçant ... On essaie de savoir quand est-ce qu'il partira ... (elle leva le visage vers son mari). Mais donc, Alma ne sait rien ?

-Absolument rien, assura Miro Liszka avant de m'adresser un grand sourire. Et qu'est-ce que tu fais là, toi ? Je ne pensais pas qu'on se verrait avant noël !

Il s'avança d'un pas et m'ouvrit les bras, son sourire s'étirant d'une oreille à l'autre, ses yeux pâles pétillants, comme si le ravissement avait chassé l'agacement qu'il semblait éprouver un instant plus tôt. En temps normal, je me serais précipitée vers lui et blottie contre son poitrail resté puissant malgré l'âge qui avançait, j'aurais humé son odeur de vieux cuir à plein poumon et souris machinalement en avisant les rides joyeuses au coin de ses yeux clairs. Je me serais moquée de la longueur de ses cheveux que l'âge avait rendus d'un gris fer et de sa barbe fournie qui lui donnait l'air d'un ours bourru. Mais là, je restai figée sur le canapé, avec l'impression qu'un liquide froid était injecté dans mes veines et m'ankylosait les muscles. Soudainement, la foule d'émotion que j'essayais de refouler depuis que j'avais posé les pieds sur la plage avec Simon m'assaillit avec plus de force et en un éclair, je revis la pointe de la baguette de Kamila sur moi, ses yeux brillants de larmes, de peur, et de détermination.

« Je te tuerais, et je retournais chez moi, m'avait-t-elle lancée, la baguette tremblante. Et ensuite j'irais sur la tombe de ma grand-mère pour lui dire que j'ai rétabli l'équilibre, et que la dette est payée. »

Mes poings se serrèrent sur mes genoux et mes ongles s'enfoncèrent dans mes paumes jusqu'à ce que ça en devienne douloureux.

Ce n'était pas l'homme qui me souriait avec une telle tendresse qui avait pu tuer une mère et estropier son enfant ? L'homme qui sur la toile au-dessus de moi tenait l'épaule de sa fille en un geste qui montrait clairement qu'elle était son trésor ? La bile me monta à la gorge et une nouvelle fois, l'image de Kamila Tokarsky se superposa à celle de mon grand-père, puis celle de Dumbledore, m'enjoignant silencieusement de démêler tout cela.

-Victoria ? s'inquiéta ma grand-mère face à mon mutisme. Perelko, quelque chose ne va pas ?

Je ne lui répondis pas, le regard fixé sur mon grand-père, qui n'avait pas bougé de l'encadrement de porte. Il me scrutait de ses yeux pâles et peu à peu, ses bras lui étaient retombés le long du corps et le sourire épanoui s'était fané sur son visage. Il me dévisageait maintenant et un éclat douloureux s'éveilla dans ses prunelles. Il passa une main dans sa crinière grise qui lui arrivait à l'épaule sans me lâcher des yeux.

-Victoria ...

Les intonations roulantes et familières firent monter des larmes dans mes yeux que je chassais d'un battement de cil. Jaga se rapprocha de moi, posant une main tendre mais perplexe sur mon genou. Je pris une grande inspiration, comme électrisée par le contact de ma grand-mère et me levai, les bras croisés sur ma poitrine et les yeux plantés sur mon grand-père.

-Il faut qu'on parle.

Il ne parut pas surpris par ma déclaration, mais je vis tout de même ses épaules se raidir et son regard se faire plus incisif. Pour un homme de son âge, il avait une silhouette musclée et athlétique, et une posture féline d'apparence détendue, mais qui pouvait jaillir et s'activer à la moindre alerte. Et visiblement, mon annonce en était une car son corps entier se tendit imperceptiblement. J'ignorais ce qui était le pire : avoir sorti cette phrase-là, ou le fait que mon grand-père parut d'emblée la comprendre, et comprendre tout ce qu'elle enveloppait. Ses paupières se fermèrent et il exhala un léger soupir, les épaules soudainement affaissées par un poids invisible.

-Bien. Il fallait bien que ce jour arrive ...

-Tu savais, compris-je en souffle horrifié. Pour moi.

Ça venait de me frapper, de façon brusque et inopinée, comme si un fil venait de se tendre entre mon grand-père et moi, un nouveau lien qu'il y avait quelques mois encore je ne soupçonnais pas. Le tissage de la magie.

Une nouvelle fois, mon grand-père soupira et échangea un regard avec ma grand-mère. Et quand je la vis hocher gravement la tête et se lever pour s'engouffrer dans sa cuisine et s'enfermer dedans, je compris qu'elle n'ignorait rien de ce dont nous allions parler. Qu'elle aussi savait – et qu'elle aussi avait caché.

Ma tête se mit à tourner et je me laissai retomber sur le canapé. Je mis nerveusement ma main dans ma poche et effleurai ma baguette du bout des doigts. Ce contact m'apaisa étrangement et je l'empoignai pour trouver la force de ne pas éclater – de rage ou de sanglot, je ne savais pas encore. Miro finit par se glisser sur une chaise en face de moi, les mains jointes paume contre paume, les coudes sur les genoux pour se rapprocher physiquement de moi.

-Evidemment que je savais. Bon, les cubes que tu as faits volé quand tu avais trois ans m'avaient mis la puce à l'oreille – mais j'avais cru sur le coup que c'était ma propre magie bridée qui se manifestait. Puis tes parents m'ont annoncé qu'ils t'envoyaient dans un pensionnat en Ecosse. Sur le coup, ça m'a mis en colère : c'est comme si, simplement parce qu'Alexandre les mettait en difficulté, ils abandonnaient leur rôle de parent et te punissait pour les pauvres méfaits de ton frère. Puis j'ai réfléchi ... et je me suis rappelé qu'il y avait en Ecosse une école pour les jeunes filles capable de faire voler ses cubes d'enfant.

Je n'en revenais pas qu'il me parle de cela avec tant de naturel, d'un ton si détaché, si badin. Certes, son sourire s'était définitivement fané sur ses lèvres, mais il y avait ce pétillement dans ses iris et cette sorte de soulagement qui transpirait dans ses mots, comme s'il les avait retenu trop longtemps et qu'ils lui brûlaient les lèvres.

J'avais beau m'y attendre, ça restait proprement surréaliste.

-Dis-le.

Miro me renvoya un regard interloqué, et je déglutis pour expliciter :

-Je ... je ne comprends pas tout, papy. J'ai ... besoin de l'entendre, pour l'assimiler. Pour être sûre.

-Je vois, souffla-t-il, plantant ses yeux dans les miens pour m'assurer : Victoria, perelko ... j'étais un sorcier. Comme tu es une sorcière.

Je fermai les paupières, les mots tournants dans mon esprit, scellant définitivement toutes les informations que j'avais pu accumuler depuis l'été dernier. Néanmoins, un détail venait raviver mon intérêt et j'ouvris un œil perplexe :

-Etais ?

Un pauvre sourire s'étala sur les lèvres de mon grand-père et ce fut d'une voix où perçait une pointe d'amertume qu'il me répondit :

-J'ai cassé ma baguette quand je suis arrivé en Angleterre.

Mes yeux s'écarquillèrent sous le choc et j'empoignai plus solidement ma propre baguette dans ma poche. Ce simple objet qui avait pris une place si grande dans ma vie de sorcière, dont je ne me séparais jamais ...

Comment un sorcier pouvait-il se résoudre à casser sa baguette ?

Une question qui venait garnir la pile de toutes celles que j'avais à poser. Je ne savais pas par quoi commencer : sa condition de sorcier caché, sa famille et Agata Tokarsky, la femme que, si j'en croyais les dires de Kamila, il aurait tué un soir de 1943 à Gdansk. Je vins joindre mes mains pour en contenir le tremblement, soudainement incapable de regarder mon grand-père dans les yeux.

-OK, lâchai-je d'une voix tremblante. OK, très bien, tu étais un sorcier je l'ai deviné il y a des mois, d'accord ... Mais bon sang, explique-moi, s'il te plait, explique-moi. J'ai appris ça et ... ça m'a complétement perdue.

-Des mois ? s'étonna-t-il en fronçant les sourcils. Alors pourquoi tu ne viens que maintenant ?

Je plantai nerveusement mes dents dans ma lèvre inférieure. Parce que je ne voulais pas entendre que tu étais un assassin. Mais chaque chose en son temps. Il fallait dénouer les choses après les autres. Un nœud à la fois avant que tout défile et devienne clair.

-Je te raconterais mon histoire, lui promis-je en un souffle, si tu me racontes la tienne avant.

Une sorte de flamme jaillit dans les prunelles de mon grand-père, une flamme qui s'embrasa fugacement avant de s'apaiser et de disparaître. A nouveau, il passa une main dans ses cheveux puis sur son visage avec le gros soupir de l'homme las.

-Mon histoire ... Hum ... Peut-être que j'ai besoin d'apprendre avant ce que tu as découvert.

-Que tu t'appelles Miroslav Liszka, que tu es issu d'une grande famille de sorcier polonaise et que ... vous étiez du côté de Grindelwald.

Mon grand-père poussa le grognement d'un ours contrarié. Cette fois, l'étincelle destructrice persista dans ses yeux alors qu'il plongeait son regard à travers la fenêtre, scrutant l'extérieur comme s'il voyait les images du passé défiler.

-Les Liszka ... J'ai gardé mon nom de famille parce que je trouvais ça lâche de l'oublier : il fait parti de moi, de ce que je suis, de mon histoire ... Je ne pouvais pas le laisser en Pologne comme j'ai laissé ma famille. C'était peut-être stupide, c'est sans doute ça qui t'a permis de faire le lien ... Mais je m'attendais à ce que tu le fasses un jour. Tu es intuitive, perelko. Tu sens les choses.

Ma gorge se noua et je gardai le silence. Il avait dit ça avec une telle fierté que je ne pouvais m'empêcher d'éprouver un plaisir coupable à l'idée de faire son orgueil. Mais le léger sourire sur ses lèvres se durcit en un pli amer.

-Mais tu m'as demandé mon histoire ... C'est difficile, perelko. Tu l'as senti, ma famille n'était pas du bon côté de la pièce ... Et elle m'a amené dans sa chute vers les forces obscures. Tu es sûre de vouloir l'entendre ?

-Oui, assurai-je avec détermination. Je veux ... je veux comprendre.

Et te donner une chance de m'expliquer. De tout me dire, de me l'avouer par toi-même. Miro hocha gravement la tête et prit une gorgée de thé glacé avant d'entonner :

-Parfait. Commençons par la famille de boucher de laquelle je suis issu. Les Liszka. Parfaitement détestable selon les critères que tu dois avoir, ma grande. Raciste, adepte de magie noire ... et infiniment riche et puissante. Nous n'avons pas attendu Grindelwald pour nous hisser jusqu'aux plus hautes sphères de la Pologne Magique. Mon père était déjà Ministre de la Magie depuis plusieurs années, comme l'avait été son père avant lui ... et son grand-père avait été directeur de Durmstrang. L'école, le Ministère, la banque ... Les Liszka étaient partout, tu n'imagines pas. De ce que je sais des familles anglaises, il y a une certaine répartition du pouvoir, même au sein des grandes familles. En Pologne, non. Depuis quelques générations, les Liszka contrôlaient tout. Et je suis venu au monde, troisième enfant de Marceij Liszka dans cette famille surpuissante et qui m'appelait à occuper des postes prestigieux dans un monde où les moldus sont naturellement inférieur aux sorciers.

Il eut un léger sourire en remarquant le regard proprement scandalisé que je lui renvoyais.

-Je ne sais pas si tu connais beaucoup les pays de l'est du côté magique, poursuivit-t-il avec lenteur. Mais je pense que tu as dû comprendre qu'il y avait une dynamique particulière parmi les sorciers d'une même région : nous faisons tous nos études dans une même école, au moment où l'adulte en devenir se forge ses propres opinions. Quoiqu'il advienne, un sorcier britannique aura toujours comme socle et comme point commun avec sa communauté Poudlard – c'est bien ça, je prononce bien ? – et la culture de l'école. Et dans les pays d'Europe continentale et de l'est ... nous avons Durmstrang. Je pense que tu as eu l'occasion de découvrir ses élèves ? Dans ton « échange international » ?

Je m'empourprai en comprenant soudainement que tous les codes que j'avais pu élaborer avec mes parents ou seule pour cacher ma condition de sorcière avait été craqué par mon grand-père. Et je ne m'en ressentais que plus trahie : j'avais souffert pendant mes années d'étude de ne pouvoir parler à personne de ma magie et de devoir la cacher au fond de moi, et de la cacher à mes proches. Et dire qu'il avait tout deviné et qu'il aurait pu m'éviter cette peine ...

-C'était le Tournoi des Trois Sorcier, lui appris-je avec un brin de sècheresse. Et oui j'ai pu constater que les élèves de Durmstrang étaient ... différents.

-Parce Durmstrang les a forgés différemment que Poudlard vous forme – enfin je suppose, je ne sais rien sur ton école. En revanche, je me souviens parfaitement de mes années à Durmstrang : dortoirs collectifs où nous avions à peine plus de confort que les prisonniers de Nuremgard, chaque jour des cours de magie martiale et ce dès la première année, interdiction de faire des feux l'hiver, même pour nous réchauffer ... Durmstrang ne forme pas que ces sorciers. Ils forment des guerriers, des hommes et des femmes assez durs pour supporter la vie. Et surtout, nous étions habitués au discourt sur les moldus qui faisaient de nous une race supérieure qui expliquait que les enfants de moldus ne pouvaient pas venir étudier avec nous. Ce sont des mots que j'ai entendus dans mon enfance par mes parents et dans mon adolescence par mes professeurs, et ce sont des mots qui pénètrent profondément en toi, si bien que ça devient une vérité absolue dont tu ne peux discuter la véracité. Ce n'est pas une opinion, c'est un fait, tu comprends ?

-Ne me dis pas que tu penses toujours comme ça.

Des accents de froideur avaient percée ma voix, et mon grand-père eut un mouvement de recul, comme si je venais de le blesser physiquement.

-Bien sûr que non ! protesta-t-il avec une certaine fougue. Mais j'ai été jeune et influençable : oui, quand je suis sorti de Durmstrang, je pensais que j'avais un droit naturel sur les moldus que me donnait la magie, parce que c'est ce qu'on m'a appris toute ma vie ! En plus j'ai grandi dans des années où Grindelwald avait profondément planté ses griffes dans l'Europe de l'est et la Pologne : mon père lui était entièrement dévoué et nous avions un portrait de lui afficher dans le salon. A Durmstrang, on parlait tous de cet homme fascinant qui promettait que nous prendrions nos droits sur les moldus, les droits que nous donnait la magie et que nous refusait les grandes instances faibles et bien pensantes ! Oui, j'ai été cet homme-là, Victoria : un jeune idiot imbu de lui-même, fort de son nom de famille et de la magie qui chantait dans mes veines.

Il y avait une telle amertume dans la voix de mon grand-père que je n'osais souffler mot malgré l'horreur qui m'avait étreinte alors qu'il me décrivait le garçon qu'il avait été à dix-huit ans.

-Qu'est-ce qui a changé, alors ? finis-je par demander d'une petite voix.

Il poussa un profond soupir et détourna le regard. Sa bouche s'était tordue en un pli amer qui faisait frémir sa barbe.

-La réalité de la guerre. Je suis sorti de Durmstrang en 1943, auréolé de la gloire d'avoir été désigné comme meilleur duelliste de la promotion et espoir de la sorcellerie de l'est. J'étais plutôt excellent sorcier et je savais qu'en cette qualité, mon père attendait beaucoup de moi. C'était un homme froid, mais qui savait manier le fer et le velours avec nous, assez pour nous pousser à l'excellence. Ma sœur ainée, Dominika ... Elle était son enfant idéale : plongée jusqu'au cou dans son idéologie nauséabonde sans jamais la remettre en question, obéissante et loyale. Mon frère posait plus de problème, Aleksy était un impulsif, plus prompt à la cruauté qu'au gouvernement. Et moi, en plus d'être l'enfant prodige de la famille, j'étais celui qui réfléchissait le plus et le mieux. Qu'est-ce que tu sais de Grindelwald ?

La question était posée de façon si abrupte qu'elle me prit de court et je résumai tout ce que j'avais bien pu apprendre durant mes recherches et mes entretiens avec Kamila. Je poussai le vice à lui faire part de mes conclusions sur l'instrumentalisation de la seconde guerre mondiale par le Mage Noir pour mettre le monde des moldus sans dessus-dessous et s'imposer comme sauveur, et je vis une lueur stupéfaite mais appréciatrice briller dans les yeux de mon grand-père.

-C'est exactement ce qu'il faisait, approuva-t-il en acquiesçant. Pendant quinze ans il a attisé les griefs des nations d'Europe pour qu'elles se soulèvent les unes contre les autres. Mais il était évident qu'il avait une petite préférence pour les forces d'Hitler : elles lui correspondaient plus. Une idéologie basée sur le racisme, un régime fort et autoritaire, personnifié en un homme qui correspondait à lui seule toutes les idées ... Je sais qu'ils se sont rencontrés plusieurs fois. Est-ce que Grindelwald avait révélé sa vraie nature à Hitler je ne suis pas sûr, mais ce qui est certain, c'est qu'il a tout fait pour l'aider à mettre le monde moldu à feu et à sang. Pour qu'en parallèle, lui puisse faire de même avec le monde sorcier, et ainsi la lutte intestines et clandestine qui avait eue lieu pendant des années a-t-elle éclatée au grand jour pour devenir une guerre de sorcier. Au moment où Hitler envahissait la Pologne, Grindelwald fondait sur Gdansk parce qu'il s'agissait de l'une des rares villes dans le pays qui lui résistait encore, une des rares régions polonaises où son message peinait à passer – mais je pense que c'était plus le personnage que le message qui rebutait. Le polonais est fier et ne supporte que peu que ce soit un étranger qui lui dicte sa façon de conduire. Je devais avouer que ça me dérangeait aussi que nous, grande famille Liszka, soyons obligés de nous incliner devant cet allemand qui n'avait aucune légitimité sur notre pays. Mais c'était avant que mon père se lance dans la guerre à son tour et que je comprenne qu'il se servait de Grindelwald autant que Grindelwald se servait de lui.

Miro poussa un gros soupir et ses doigts s'agitèrent machinalement, comme s'il maniait une baguette invisible. J'écoutais d'un silence religieux, une petite partie de moi regrettant de ne pas pouvoir prendre de notes devant ce témoignage vivant du sujet qui m'avait passionné toute l'année dernière. Une autre partie souhaitait se boucher les oreilles, anticipant la suite avec épouvante.

-Je suis sorti de Durmstrang en 1943, et la guerre des sorciers comme celle des moldus battait son plein. J'étais en accord avec les idées de Grindelwald mais je ne supportais pas ses ingérences dans les affaires polonaises, ni sa proportion à utiliser la magie noire comme seul atout. A Durmstrang, on étudie la magie noire mais sans jamais la pratiquer, et il se trouvait que j'avais eu un professeur très récalcitrant à l'idée de nous montrer les Sortilèges Impardonnables. J'aimais beaucoup ce professeur, il m'a beaucoup influencé et fait en sorte que j'ai une grande réserve pour les mages noirs – et par conséquent, contre Grindelwald. Malgré tout, nous étions liés par les idées et je rêvais toujours d'un monde sorcier libéré du joug moldu. Alors je me suis lancé dans cette guerre et là ... j'ai découvert des violences, de la cruauté et une barbarie à laquelle même Durmstrang ne m'avait pas préparé. J'ai vu des camarades de classe assassiner des moldus par dizaine, se couvrant en disant que les autorités penseraient que ce seraient les allemands. J'ai vu ma fiancée de l'époque torturer une petite fille pendant des heures et des heures juste pour son bon plaisir, parce qu'après tout, ... ils n'étaient que « des animaux ». J'étais pour la séparation et une répartition stricte entre les moldus en dessous et les sorciers au-dessus, mais ça ... ces massacres, cette barbarie ... Un soir, je me suis fait la réflexion qu'avec toutes les horreurs qu'on commettait sous le couvert de la guerre, c'était nous les animaux. Pas eux, nous. Et pour enfoncer le clou, mon père m'a envoyé à Auschwitz.

-Et tu as rencontré mamy.

Miro confirma d'un hochement de tête épuisé, comme si se remémorer tous ses souvenirs le vidait littéralement de toute ses forces.

-Apparemment, Grindelwald était intrigué par l'appareil nazi pour éliminer les juifs et voulait l'observer de l'intérieur alors il a demandé à mon père d'envoyer quelqu'un qui parle polonais et allemand dans le camp. C'est tombé sur moi.

Je n'avais jamais vu mon grand-père pleurer, et pourtant en cet instant, j'étais presque persuadée qu'un voile de larme lui couvrait la cornée. C'était comme si ses yeux hantés revivaient ce qu'il avait vu à Auschwitz et je ramenai machinalement mon poing au creux de ma gorge, saisie.

-C'était des moldus, continua-t-il d'une voix rauque. C'était des êtres inférieurs à moi – bien inférieur si on en croyait le dogme d'Hitler. Pourtant je pense que le moment où j'ai compris que ce n'était pas le cas se trouve dans ce camp. C'est au pire moment de leur existence, au moment où prisonnier comme bourreau était déshumanisé à l'extrême, réduit à la plus vile bestialité ... que j'ai compris qu'ils étaient humains au même titre que nous. Que tout ce qui m'avait dégoûté dans la guerre je le retrouvais dans ce camp alors que c'était les moldus les uniques responsables : jamais Grindelwald n'avait soufflé l'idée à Hitler. Au contraire, j'avais plus l'impression qu'il voulait s'en inspirer ... Et c'est ce qui m'a fait basculer. Je ne voulais pas de cette horreur dans mon pays, que ce soit moldu ou sorcier.

Je fus convaincue par la sincérité de mon grand-père. De toute manière, un homme qui considérait les sorciers supérieurs n'aurait jamais épousé une moldue – et n'aurait certainement pas cassé sa baguette. J'écoutais la fin du récit de mon grand-père, les sourcils froncés car j'attendais toujours un événement fatidique qui ne vint pas, et j'en fus désappointée :

-Alors j'ai sorti ta grand-mère de là, je l'ai caché toute la fin de la guerre ... et j'ai lutté silencieusement jusqu'à ce que Dumbledore vienne nous débarrasser de Grindelwald – quel temps il a mis ... Puis la Communauté Magique Internationale a repris la main sur nos pays, condamné nos crimes et j'ai coupé les ponts avec ma famille. J'ai émigré ici avec Jaga, et j'ai cassé ma baguette une fois les jumelles nées. Je voulais commencer une autre vie, une vie saine, une vie où la magie n'aurait aucune prise sur moi ... (Il m'adressa un pauvre sourire qui sonnait comme la fin de son histoire). Et voilà, perelko. La boucle est bouclée. A ton tour.

Je ne répondis pas dans l'instant, les sourcils froncés par la perplexité. J'avais appris énormément de choses en peu de temps et pourtant trop de réponses demeurait en suspens. Une rage que je ne soupçonnais pas s'éprit de moi.

Là ce n'était plus de l'omission, c'était du mensonge.

-Ça commençait bien, c'est dommage, regrettai-je dans un murmure tremblant. Mais la fin est un peu rapide. Tu me prends définitivement pour une idiote.

-Une idiote ? répéta mon grand-père, incrédule. Mais enfin ... non, Victoria ... Enfin, c'est vrai que j'aurais dû te parler de tout ça ... peut-être plus tôt, quand tu aurais été assez grande pour comprendre mais ... Comment veux-tu que j'explique à une née-moldue que j'ai un jour été l'un des hommes qui souhaitait briser sa baguette ?

-Justement parlons-en ! éclatai-je en me levant d'un bond. Puisque tu en parles, commençons par cela ! Née-moldue ! Comment veux-tu que je le sois, si tu es mon grand-père et que je suis ta petite-fille ? Tu as peut-être cassé ta baguette, mais ce n'est pas en cela que se concentre notre magie : c'est dans nos veines, et le sang on le transmet ! Alors pourquoi je suis la seule magique ?

Maintenant que je faisais le constat à voix haute, je ne voyais qu'une solution, mais je n'osais la prononcer à voix haute. J'observais mon grand-père, ses cheveux gris, ses yeux clairs en amande que mangeaient les joues saillantes des slaves. Une physionomie de visage assez semblable à la mienne, semblable à tout polonais, mais mon nez était plus épaté quand le sien était droit et celui de Jaga crochu.

Alors d'où je le tenais, mon nez polonais épaté qui faisait l'un de mes complexes ?

D'où je tenais ma magie ? De mon sang ... ou du hasard ?

-Tu n'es pas mon grand-père, c'est ça ?

Je sus que j'avais vu juste au moment où les mots s'envolèrent de ma bouche, avec un certain naturel qui me glaça. Miro me contempla longuement, le regard légèrement embué, avant d'acquiescer un hochement de tête qui me brisa le cœur.

-Oui, perelko, c'est ça.

La voix me parvint comme provenant d'un autre monde, de l'autre bout d'un tunnel auquel je n'avais pas accès. Mes mains couvrirent ma bouche et mon nez – ce nez qui n'était ni celui de Jaga, dont j'avais bien assez hérité, ni celui de Miro ... qui n'était pas de mon sang. La bile me monta à la gorge et je déglutis pour la faire passer. Mon grand-père s'était levé, les mains en avant, comme pour me toucher mais je l'arrêtai en m'écartant d'un bond, bouleversée.

-Victoria ...

-Maman le sait ? m'enquis-je d'une voix nouée par les sanglots. Est-ce qu'elle sait au moins ça ? Est-ce que au moins elle sait que tu n'es pas son père ?

-En tout cas, je ne lui ai jamais dit, m'avoua-t-il d'une voix défaite. Parce que pour moi ça n'a aucune importance ... Marian ... Beata ... elles sont comme mes filles et ... non. Elles sont mes filles, il n'y a aucun débat à avoir là-dessus.

-Mais elles ne le sont pas ! Elles sont celles de mamy, c'est sûr, mais pas les tiennes !

Miro parut recevoir mes mots presque physiquement, reculant d'un pas à chaque fois, passant sa main sur son visage et dans sa barbe. Il était si profondément agité qu'il fit tomber sa tasse de thé, dont le contenu alla s'éparpiller sur le sol et la tasse roula sur elle-même jusque la baie vitrée. Il voulut éponger avec des serviettes de table, mais je ne lui en laissai pas le temps : je sortis souplement ma baguette et la pointai sur le liquide brun qui recouvrait le sol. Un instant plus tard, il avait disparu et Miro leva sur moi des yeux éberlués. Puis son regard s'attarda sur ma baguette, et je vis une pointe de désir refoulé le traverser. Gênée, je la rangeai prestement dans ma poche et repris mon souffle pour exiger :

-Je veux la vérité, maintenant. Et en entier.

Toujours accroupi à l'endroit où sa tasse s'était renversée, Miro me toisa silencieusement, avant d'entonner :

-Je ne pourrais pas te la donner entièrement. Il y a une partie de l'histoire qui appartient à ta grand-mère et à elle seule. C'est pour cette raison que je ne me suis pas appesanti sur mon passage à Auschwitz : il y avait trop de choses qui la concernait. Simplement ... Voilà : à la fin de la guerre, nous nous sommes séparés pour nous reconstruire chacun de notre côté. Elle avait compris que j'étais un sorcier, et après tout ce qui lui était arrivé, ça l'effrayait. De mon côté, je me suis détaché de ma famille, et ça a été pour nous deux quatre années d'errance au bout desquelles nous avons fini par nous retrouver, par hasard, à Cracovie. J'étais perdu, sans réel but, broyé par tout ce à quoi j'avais pu assister ... et je recroise cette femme, cette battante que j'ai tant admiré, tout aussi perdue et broyée ... et le ventre arrondi par trois mois de grossesse.

Ma gorge se noua et je posai une main contre les lèvres pour réprimer l'émotion qui menaçait d'éclater en moi. Miro haussa les épaules.

-Qui était le géniteur, je n'en savais rien – et par ailleurs, je ne suis même pas sûr que Jaga ait un jour su ... Mais peu importait. Cette femme m'avait ravi mon cœur dans les méandres de merde d'Auschwitz et si elle m'acceptait avec ma magie, j'étais prêt à l'accepter avec son enfant, et d'accepter l'enfant lui-même. Elle m'a accepté avec mon lourd passé et moi je l'ai accepté avec notre futur. Il nous a fallu deux mois pour décider d'émigrer en Angleterre, pour notre bien et celui des enfants à venir.

-Si elle t'a accepté avec ta magie ... alors pourquoi tu as cassé ta baguette ?

Miro parut sortir de sa torpeur face à ma question et me contempla un long moment sans rien dire, quelque peu surpris. J'avais une certaine idée sur la question, mais la réponse contenait une information dont il ne m'avait toujours pas parlé. Il plissa les yeux, comme s'il pouvait extraire mes pensées d'un regard de cette intensité et j'eus un effet vaguement l'impression qu'on appuyait à l'arrière de mon crâne. Mais le temps que frotte l'endroit douloureux, la sensation était passée et Miro soupira profondément.

-Pas facile ... Je t'ai trop bien appris.

-A quoi ?

Il eut un petit ricanement et se redressa, son verre vide entre les mains.

-L'occlumancie.

-Quoi ?

Je fronçai les sourcils, la perplexité faisant fondre la boule d'émotion dans ma gorge. J'avais une très vague idée de ce que j'étais l'occlumancie – un art auquel nous aurions dû être tout au moins initié théoriquement, si nous avions eu une professeure correcte. Miro eut un sourire entendu et se rassit dans son fauteuil, les bras croisés sur sa poitrine.

-Tu veux toute la vérité ? En voici une nouvelle : je suis un légilimens de naissance et c'est un don que je n'ai jamais perdu, même une fois ma baguette brisée.

-Tu peux lire dans les pensées, traduisis-je avec la désagréable impression d'être complétement à découvert.

Cela accentua mon malaise et Miro parut le remarquer. Mais contre toute attente, ce fut un sourire amusé qui s'étira sur ses lèvres.

-Ne panique pas. Pas dans les tiennes. Tu avais une certaine prédisposition pour l'occlumancie, je m'en suis aperçu même au moment où je te pensais totalement normale. J'ai toujours eu énormément de mal à lire en toi. Mais quand j'ai compris que tu étais sorcière, j'ai poussé tes dons assez loin pour te rendre une occlumante complète sans que tu ne t'en rendes compte. Ton esprit réagissait chaque fois que le mien tentait d'y entrer et à force de lutter il s'est créé des barrières et des protections qui sont assez solide pour repousser ceux qui voudront s'introduire en toi. Tu me remercieras plus tard.

Mais les remerciements n'étaient pas les premiers mots que j'avais en bouche, à l'instant. Je fixai mon grand-père, horrifiée, portant instinctivement les mains à ma tête comme si cela pouvait physiquement la protéger.

En deux phrases, je venais d'apprendre que l'homme devant moi n'était pas mon grand-père, mais qu'en plus il s'était permis toute ma vie d'entrer dans mon esprit, mon antre la plus sacrée, le dernier sanctuaire de tout homme ... et que la pression que j'avais eu l'impression de ressentir quelques minutes auparavant était sans doute l'émanation de son esprit qui avait tenté d'entrer dans le mien, avant que mes barrières ne le repousse. Cette fois, mon estomac se retourna et son contenu remonta dans ma gorge. Je réussis à contenir ma nausée de mon mieux pour bredouiller :

-Ne le refais pas. Jamais.

-Je ne le fais pas, Victoria, m'assura-t-il avec douceur. La plupart du temps, les pensées viennent à moi, parce que les personnes sont trop expressives et que je suis très réceptif ... Mais je n'use jamais de mon don sciemment, sauf si j'ai une excellente raison.

-Et là, c'était quoi ton excellente raison ?

Il eut soudainement l'air d'un petit garçon pris en faute et ce fut d'un ton contrit qu'il s'expliqua :

-Je voulais savoir ce que tu avais appris, au juste. Jusqu'où avaient été tes réflexions, comment ... comment tu as fini par comprendre tout ça.

-Le nom de « Tokarsky » t'est-il familier ?

Il était temps de crevé l'abcès, le plus douloureux, celui qui me déchirait les entrailles depuis des mois. Qu'il ait un jour était un jeune coq arrogant du type de Drago Malefoy, je pouvais l'encaisser dans la mesure où ses opinions avaient changées. Qu'il m'ait caché tout cela à moi qui était aussi une sorcière et partageait son secret de son côté continuait de me faire souffrir, mais à terme je pensais pouvoir à terme lui pardonner. Mais ce qui était arrivé à Agata Tokarsky, la grand-mère de Kamila ... C'était différent.

On ne tuait pas impunément.

Il resta impassible quand le nom fut prononcé, se contentant de dresser un sourcil soupçonneux.

-Tu sais, perelko, les « Tokarsky » en Pologne sont l'équivalent du « Smith » anglais*, me fit-t-il remarquer d'une voix qui me semblait exagérément prudente.

-C'est drôle, répliquai-je, frémissante de colère. Parce qu'une fille de Durmstrang a voulu me faire payer le fait que tu aies tué sa grand-mère. Et qu'elle s'appelait Agata Tokarsky.

-Te faire payer ? répéta-t-il d'une voix blanche.

Je hochai sèchement la tête et écartai mes manches pour faire apparaître les cicatrices pâles qui me striaient les poignets là où les liens de Kamila avaient entamé la chair. Les yeux de Miro s'écarquillèrent et une main tremblante couvrit sa bouche.

-Une fille ... Qu'est-ce qu'elle t'a fait ?

-Je m'en suis sortie, élaguai-je d'un ton que je voulais neutre. Je ne l'explique pas trop, un chien sorti de nulle part ... Bref. L'important ce n'est pas ce qu'elle m'a fait, c'est ce qu'elle m'a appris. Et elle m'a appris que tu avais tué quelqu'un. Et blessé une enfant.

Je n'en revenais pas de réussir à lui jeter ces mots au visage avec un calme glacial dont je ne me pensais pas capable. Les paupières de Miro se fermèrent et ses traits se figèrent soudainement en un masque de douleur et de culpabilité, se creusant profondément en des rides pour me fit pour la première prendre conscience que Miroslav Liszka ... était une vieille personne. Comme Dumbledore, je l'avais toujours vu comme un homme sans âge, qui avait les cheveux gris depuis que j'étais petite et dont les profonds sillons qui marquaient son visage m'étaient si familiers qu'ils m'étaient devenus invisible. Mais je posais enfin les yeux sur ses rides, sur la lassitude dans son regard et sur le poids qui faisait ployer ses épaules, le voûtant tel le vieil homme blessé qu'il était. C'était comme si soudainement le poids de sa vie s'abattait sur lui. Comprenant qu'il ne pourrait plus éviter cette partie de son histoire que, malgré mes pressions, il avait tenté de me cacher, il se prit la tête entre les mains, m'observant entre ses doigts écartés, une pointe d'épouvante dans le regard.

-Je n'aurais jamais songé ... qu'on vienne te chercher des noises pour ce que j'ai fait ... Je ... je ne savais même pas ...

Il garda le silence un moment, laissant lentement couler les mains sur son visage et passant les doigts dans sa barbe, comme pour se redonner contenance.

-Dans l'est, les dettes de sang sont prises assez au sérieux et il y a de fréquents règlements de comptes sauvages sous le compte de vieilles affaires familiales ...

-Parce que tu penses vraiment ce que je veux entendre ? me récriai-je, perdant mon calme. Que j'ai été victime d'un simple règlement de compte, simple comme il y en a des dizaines dans l'est ? J'aurais dû mourir parce que tu as tué cette femme ?

Ma voix était partie dans les aigus et je plantai mes dents dans ma lèvre inférieure pour retenir le flot de parole indigente qui ne demandait qu'à sortir. Mais le silence de Miro et son regard épouvanté planté sur moi ne fit que décupler la colère qui gonflait déjà mes veines et le sentiment de trahison qui enflait en moi et faisait s'accumuler des larmes dans mes yeux. L'une d'entre elle parvint à s'échapper et dévala ma joue avant que je ne l'écrase d'un revers de main.

-Comment tu as pu ... ?

Je n'avais jamais vu mon grand-père pleurer. Pourtant j'étais presque persuadée que des perles translucides s'accrochaient désespérément aux cils de l'homme qui me fixait d'un regard dévasté, s'y agrippant pour ne pas couler et ne pas perdre la face.

-Sache qu'il n'y a rien que tu puisses me dire que je ne me sois déjà dit, chuchota-t-il d'une voix rauque. Pas une insulte, pas un reproche, pas une incompréhension qui te traverse n'est assez forte pour que tu saches ce que j'ai ressenti ces cinquante dernières années, depuis le jour où j'ai jeté ce putain de sort dans une putain de maison à Gdansk.

C'en suivit une foule de mots et d'injures en polonais dont je ne reconnus que les consonances roulantes et les accents slaves. Il se prit la tête entre les mains, enfonçant profondément ses doigts dans ses cheveux comme s'il voulait se les arracher. J'avais l'impression que la lumière du lampadaire clignotait et je lui jetai un regard inquiet.

-Ce sont des souvenirs douloureux Victoria, me lança mon grand-père avec une certaine dureté. J'ai déjà des centaines de piques plantés dans le cœur, un par jour que j'ai passé depuis que mon âme a été déchirée. Tu auras beau me donner des piques supplémentaires, et tenter de les enfoncer dans ma poitrine de toutes tes forces, ce ne seront que des cure-dents par rapport à ce que je me suis déjà infligé.

-Je ne veux rien ajouter, protestai-je, la gorge serrée. Je veux ... je veux comprendre ... comment toi tu as pu faire ça ... comment ça a pu arriver ...

Le corps de Miro fut agité d'un affreux soubresaut qui ressemblait à un sanglot réprimé et je plaquai les mains ma bouge pour contenir ceux qui me nouaient la gorge. Je ne cherchai même plus à cacher les larmes qui mouillaient abondement mes joues, toutes ses petites perles translucides qui dévalaient la pente comme pour expier un poison de mon organisme.

Perelko.

Puis, aussi soudainement qu'il s'était effondré, il parut reprendre le contrôle de lui-même et se redressa, le visage profondément marqué mais les yeux secs et le regard déterminé.

-C'était ... la guerre, Victoria. Je ne dis pas que ça justifie tout mais ... ça influe sur ta perception du bien et du mal, ça brouille les lignes et le droit chemin s'écarte dangereusement ... Je venais de sortir de Durmstrang, j'étais encore le jeune idiot imbu de sa personne quand mon père m'a muté à la tête d'une escouade d'élite qui débusquait les résistants et les traitres pour qu'on puisse les envoyer à Nuremgard – ou simplement les exécuter. En septembre, on nous a informé que l'un d'entre eux – qui avait tué deux de nos hommes dans une joute quelques semaines auparavant – s'était caché chez une tante, à Gdansk.

-Agata Tokarsky.

Miro hocha douloureusement la tête et joignit ses mains en un geste qui ressemblait affreusement à une prière.

-C'est ça. Nous étions cinq quand on a déboulé dans sa maison en jetant des sorts à tout-va, sûr d'être dans notre bon droit, d'œuvrer pour une certaine justice ... et c'est alors que je stupéfixais le mari que j'ai découvert derrière lui ce qu'il tentait de protéger : une petite fille d'un an à peine, et un garçon de cinq. Ils étaient cachés derrière un fauteuil, et le garçon nous fixait avec des yeux terrifiés, comme si nous étions des monstres assoiffés de sang. La petite elle, elle ne comprenait pas grand-chose, elle pleurait, réclamait sa mère qui n'était pas dans la pièce. Les autres de mon unité fouillaient la maison à la recherche de la tante et du neveu et il ne restait qu'un homme avec moi, Marek, un gars qui avait été à Durmstrang avec moi ...

Je hochai la tête, reconnaissant vaguement le nom comme étant celui de l'homme qui avait été à Nuremgard à sa place, d'après les dires de Dumbledore.

-La maison était déserte. On a réveillé le mari, et isolé les enfants, j'avais exigé qu'aucun mal ne leur soit fait ... Je pensais les remettre à la femme qui m'a élevé – nos parents ne s'occupaient pas de nous, petits, j'ai été confié à une gouvernante, la seule personne qui m'ait donné de l'amour dans mon enfance et je savais qu'elle prendrait soin de ces enfants. J'étais sur le point de les embarquer quand soudainement tout a basculé, et le neveu et la mère sont soudainement revenu à la maison ... pendant que Marek emmenait le mari ligoté et que je tenais la petite fille braillant dans mes bras. Comme tu peux l'imaginer ... Agata a très mal pris la chose.

J'imaginais assez, oui, la terreur et la colère qui avait pu emporter cette femme en constatant qu'on lui arrachait toute sa famille, promise à un avenir incertain entre les mains du plus jeune fils du dictateur polonais. Mon cœur se gonfla d'anxiété alors que la suite des événements se dessinait dans mon esprit.

-Elle a attaqué la première, souffla Miro d'une voix comme venue d'outre-tombe. Je ne dirais pas ça pour me justifier, c'était naturel ... J'ai lâché sa fille pour me défendre, et elle s'est mise en pleurer encore plus fort, titubant dans nos pattes à moi et à Marek, qui se battait contre le neveu ... Mais je ne suivais plus le combat, j'étais concentré sur Agata, sur le fait qu'elle s'avérait être une bonne duelliste qui n'avait rien à perdre et qui se battait avec la rage du désespoir et un courage que je n'ai jamais plus revu après – a part chez ta grand-mère ... Et je constatai que moi, le grand prodige de Durmstrang, le meilleur duelliste de l'école ... J'étais une coquille vide. Et que ça faisait de moi quelqu'un de bien démuni face à la colère et à la soif de vie d'Agata Tokarsky. Alors très vite, alors qu'elle gagnait du terrain, de plus en plus et que Marek perdait contre son neveu, que je voyais ma maigre vie dans laquelle je n'avais rien accompli défiler sous mes yeux, j'ai paniqué. Ma vie ne valait pas grand-chose, me rendis-je compte, mais elle m'appartenait, elle m'était précieuse et elle serait encore longue. Il fallait que je la préserve, pour pouvoir en faire quelque chose, alors ... j'ai mis fin au duel. Uniquement mu par la panique, la certitude absolue que moi aussi j'avais le droit de continuer à vivre, de remplir la coquille vide que j'étais, que mon fil ne pouvait pas être coupé comme ça, pas maintenant alors que tout s'offrait à moi ...

Les yeux de Miro se fermèrent à nouveau, comme s'il était trop pénible pour lui de revoir Agata Tokarsky mourir sous ses yeux.

-C'était le genre du duel où c'était elle ou moi. Et ça a été moi, avec tout ce que ça en a coûté. Au moment où j'ai jeté le sort, prononcé ces mots maudits, j'ai senti quelque chose se briser en moi, et j'ai compris quand j'ai vu Agata tomber, les bras en croix et les yeux ouverts sur un autre monde ... j'ai compris que c'était mon âme qui venait d'être brisé. J'avais pris une vie ... et j'étais condamné à devenir un être brisé et broyé par ses actes.

Il rouvrit les yeux sur la fenêtre, un regard dont la profondeur semblait happer la clarté et exprimait à la fois tout et rien. Les larmes s'étaient figées sur mes joues et inconsciemment, j'expiai un soupir de soulagement, malgré le monstre invisible qui me labourait les entrailles.

C'était douloureux. Mais c'était dit.

-Et la petite ? osai-je demander.

-Marek.

Une colère pure se mit à animer ses rides sur son visage et une nouvelle fois, la lumière des lampadaires tremblota. J'agrippai l'accoudoir, le cœur battant la chamade et une main plongée dans ma poche pour effleurer ma baguette. Les sentiments étaient un vecteur important dans l'utilisation de la magie et malgré le fait qu'il y ait renoncé, elle chantait toujours dans les veines de Miro, profitant qu'il perde le contrôle pour se manifester. Le lampadaire se mit à briller d'un éclat spectral alors qu'il poursuivait :

-Au moment où Agata tombait, Marek était en plus mauvaise posture avec le neveu, et la petite qui trainait dans nos pattes l'avait fait tomber. Ça l'a mis en rogne alors sans réfléchir, il lui a jeté un sort qui l'a atteinte au bras. La gamine a hurlé, je n'oublierais jamais comment elle a hurlé ... Le neveu a essayé de se précipiter vers elle, mais Marek l'a utilisé en otage, promettant de la tuer s'il ne déposait pas la baguette. J'aurais dû l'empêcher, protéger l'enfant mais ... j'étais agenouillé face au corps d'Agata, incapable de faire quoique ce soit d'autre que de fixer ses yeux vitreux. Alors pour sauver la gamine le neveu a déposé la baguette et ils ont pu l'embarquer.

Je me pris le visage entre les mains, recevant ces mots comme le point final de l'histoire que je voulais entendre en arrivant ici.

Maintenant, la boucle était bouclée.

Maintenant, je savais.

Mon grand-père était un sorcier.

Mon grand-père n'était pas mon grand-père.

Mon grand-père était un meurtrier.

Les mots tournaient en boucle dans mon esprit, creusant un peu plus de douleur et d'incompréhension à chaque fois. Tous les liens que j'avais cru véritable et indéfectibles étaient en train de lentement se détisser : mon admiration sans borne pour mon grand-père, cette homme doux et affectueux qui avait été le soleil de mon enfance, me semblait soudainement qu'un pâle souvenir ... Car je ne savais plus qui il était. Je connaissais chaque ride de son visage, chaque éclat de ses yeux blafards, chaque nuance de ses mèches grises et pourtant, à travers le voile de larme, j'avais l'impression de contempler un étranger. Un gouffre immense s'ouvrit en moi quand je compris qu'en un sens, je venais de le perdre. Il continuait de parler, mais même sa voix me semblait changée, fausse, comme venant de loin :

-Je ne sais pas ce qui advenu de ses enfants ... J'étais dans un état second quand ils ont arrêté le neveu et le mari, et laissé le corps d'Agata là ... J'avais abandonné mes troupes pendant ma mission et c'est en sorte de punition qu'ensuite mon père m'a envoyé inspecter Auschwitz ...

-C'est à cause d'elle que tu as cassé ta baguette.

Mes réflexions étaient à milles lieu des siennes, et pendant qu'il tentait d'achever son histoire, j'essayai de faire les liens entre toutes les informations que j'avais reçues, tentant désespérément de trouver du sens dans le fouillis qu'était devenu mon esprit. Ce n'était pas une question, mais Miro acquiesça tout de même silencieusement, comme si les mots s'étaient soudainement étouffés dans sa gorge. Je fermai mes paupières et mécaniquement, deux nouvelles perles roulèrent sur mes joues.

Perelko.

Pouvais-je être la « petite perle » d'un homme pareil ?

-Je me disais bien, murmurai-je d'un ton étranglé. Je me disais bien qu'un sorcier ne pouvait pas casser sa baguette ... C'est ... c'est contre-nature, c'est s'arracher une partie de soi-même ...

-Ma magie m'avait déjà arraché une partie de moi-même, Victoria. J'ai tenté de vivre avec ça mais chaque fois que je brandissais ma baguette, Agata se matérialisait devant moi ... Chaque sort devenait une souffrance du quotidien ... Chaque nouveau sort, je me brisais un peu plus ... et en un sens, même ma baguette semblait m'avoir abandonné, mes sortilèges étaient plus aléatoires, comme si ma magie sentait que ... je n'avais plus confiance en elle. Alors quand j'ai retrouvé Jaga à Cracovie ... Un barrage a éclaté en moi, je lui ai tout expliqué ... et elle m'a dit que si je souffrais, alors il suffisait ... d'extirper le poison de la plaie.

Je hochai machinalement la tête, comprenant la logique. Un acte de magie extrême avait détruit sa vie et brisé son âme, alors pour guérir et recoller les morceaux, il lui était apparu qu'il fallait extraire la magie de sa vie. Pourtant, l'argumentaire rependait un goût amer dans ma bouche.

-Ce n'est pas ta baguette qui a tué Agata. C'est toi.

-Je n'ai jamais dit le contraire, perelko.

Perelko. Les sanglots nouèrent ma gorge et y formèrent une boule chauffée à blanc qui menaçait d'exploser en moi. Perelko c'était le nom d'une petite fille. Perelko c'était la tendresse faite d'un grand-père à son sang, sa descendance, son trésor. Est-ce que j'étais ça, moi ? Qui étais-je pour cet homme, cet homme qui avait songé qu'extraire la magie de sa vie pourrait faire oublier à l'univers ce qu'il avait fait ? Je nouai mes mains sur mon ventre où une douleur sourde venait d'apparaître. Cette histoire touchait aux fondements de ce que j'étais. J'avais toujours été fière d'être sa petite fille et recevais chaque « oh, elle ressemble à Miro ! » avec orgueil et un grand sourire pour mon grand-père, tellement heureuse d'avoir un peu de cet homme formidable. Et si tout ce que je pouvais avoir de lui n'était que poison ? Et que pouvais-je avoir de lui, si aucun lien de sang n'existait entre nous ?

C'était comme si une partie de moi devenait fantôme. C'était comme si soudainement, on m'avait coupé un fil et qu'une partie de moi partait à la dérive.

Je n'étais plus Perelko.

-Ne m'appelle pas comme ça. S'il te plait.

Miro parut recevoir les mots comme un coup de poignard. Il leva une main vers moi, presque suppliante.

-Victoria ... Je n'imagine même pas l'effet que ça fait sur tout d'entendre tout ça ...

-Non, tu n'imagines pas.

-Oh, perelko ...

-Arrête !

Je me dressai d'un bond sur mes pieds, en proie à une grande agitation, et j'enfonçai mes doigts dans mes cheveux pour me donner contenance. La lumière du lampadaire tremblota soudainement mais cette fois-ci, c'étaient mes sentiments qui en étaient responsable. Miro se leva à son tour et tenta de m'atteindre mais je m'écartai souplement, levant vers lui une main tremblante pour instaurer une distance dont j'avais besoin si je voulais garder les idées claires.

-Victoria ... (la voix de Miro s'était faite plus ferme). Victoria, je te l'ai dit, pas un seul des reproches que tu peux me faire ne sera aussi douloureux que ce que je me suis déjà infligé ... Casser ma baguette n'a pas suffi, il n'y a pas un jour où ...

-Mais évidemment que ça n'a pas suffi ! explosai-je, hors de moi. Et heureusement d'ailleurs, ça aurait été bien trop simple ! Tu crois que si je demandais à Voldemort de casser sa baguette ça effacerait toutes les horreurs qu'il a fait ?! Tu as réellement pensé que tu laisserais tout ça derrière toi en cassant ta baguette ? Que ça réparerait ton âme ?

Miro parut désarçonné par mon éclat soudain, et ouvrit et ferma la bouche sans qu'aucun mot ne sorte. C'était tant mieux : j'en avais assez entendu. J'avais fait l'effort d'écouter son histoire jusqu'au bout, toutes ses justifications, quitte à le pousser dans ses retranchements quand il était réticent à me livrer les informations que j'avais réellement besoin d'entendre. Maintenant c'était à moi de raconter mon histoire :

-J'ai appris ça attaché à un arbre, sous le joug de la baguette de la petite-fille d'Agata ! Tu penses que c'était les meilleures conditions pour apprendre qu'en plus d'être un sorcier, mon grand-père était un meurtrier ? C'était de sa bouche que je devais apprendre ça ? (J'écartai les bras pour me désigner, désigner ma vie). J'ai passé des années à cacher ma magie, à mes parents qui l'accepte à peine, et à Mamy et toi, parce que vous ne deviez pas savoir ! Des années de solitude entre elle et moi, où je culpabilisais à chaque mensonge parce que je vous adorais et que je détestais être malhonnête avec vous, et maintenant j'apprends que tu m'as cachée cent fois plus gros ? Que tu m'as laissée vous mentir, culpabiliser, me sentir seule dans mon coin avec ma magie pour mieux me mentir derrière ?!

-J'ai fait ce qui était le mieux pour l'équilibre de la famille ! protesta-t-il avec une certaine virulence. Comment aurais-je pu t'expliquer tout cela, hein ? Comment aurais-je pu raconter à mes filles que je n'étais pas leur père ? Ça les aurait perdues, Beata est fragile et Marian si pragmatique ... Te dire que j'étais un sorcier ? Et devoir t'expliquer tout ce qui allait avec ? C'est hors de question ! Tu ne comprendrais pas – et je ne le vois bien que tu ne le comprends pas, que tu me juges ! Plutôt trouver d'autres mensonges plutôt que de parler d'Agata et de perdre ma petite-fille !

-Mais je ne suis même pas ta petite-fille ! Je ... (je me pris la tête entre les mains, sans tenter d'essuyer les larmes qui coulaient sur mes joues sans discontinuer). Je ne sais même plus qui je suis, comment t'appeler ... qui tu es.

-Mais enfin, Victoria, bien sûr que tu es ma petite-fille ! éclata Miro avec la voix de l'ours en colère. Et ce que je t'ai dit ne change rien à l'homme que je suis maintenant, le grand-père qui a pris soin de toi toutes ses années, qui te défendait contre Marta quand elle était méchante avec toi, et qui te donnait des sucreries en douce ... Bon sang Victoria, je t'aime, tu n'es peut-être pas de mon sang, mais je t'aime ! Si tu savais ce que je suis capable de faire pour toi ... pour toi, Alexandre, Marta ...

Je le contemplai, son visage brouillé par les larmes qui s'accumulaient dans mes yeux, mon poing tremblant au creux de ma gorge. Pendant un instant, je me sentis capable d'accepter son amour, et de répondre aux bras qu'il me tendait, mue par une volonté d'oublier tout ce qu'il m'avait dit et tout ce qu'il avait commis pour me blottir contre lui, grand-père aimant et petite-fille joyeuse. Mais je clignai des yeux : les larmes dévalèrent mes joues et éclaircirent ma vue, et tout revint avec plus de force. La baguette de Kamila plantée sur moi, le jet vert glacé du sort de la mort que Maugrey nous avait montré l'an passé, les yeux gris et vides de Cédric et Miro, Miroslav Liszka, troisième enfant de Marceij Liszka, prodige de Durmstrang et meurtrier d'Agata. Les lumières vacillèrent avec plus d'intensité et l'abat-jour se mit à trembler.

-Si tu nous aimes alors pourquoi tu n'as fait que nous mentir pendant des années ? C'est toi qui nous a appris à dire la vérité, à nous apprendre que chaque mensonge pouvait nous éclater à la figure ! Tu l'as appris à maman, tu l'as appris à nous, comment tu as pu être aussi hypocrite ?!

-Mais parce que je vous aime, justement ! s'écria-t-il et la lumière s'éteignit complétement avant de se rallumer avec plus de vigueur, éclairant son visage dévasté. Parce que je voulais que mes filles grandissent dans un environnement sain, qu'on ait une vie normale et heureuse ! Tu es heureuse là, Victoria, que le mensonge prenne fin et que tu saches enfin la vérité qui te semble si chère ?

Non. Non, j'étais loin de l'être. J'avais l'impression qu'on creusait un puits au fond de moi, dans la partie qui un jour avait été Perelko pour la remplir d'amertume, de douleur et d'un poison acide que j'identifiai comme la trahison.

La trahison n'existait pas si on ne savait rien.

Mais pourtant, je n'éprouvais aucune envie de faire machine arrière. J'avais été élevé dans une famille qui mettait l'honnêteté au-dessus de toute vertu – y compris l'homme qui se tenait devant moi, et qui m'avait menti toute ma vie. Je n'étais pas assez courageuse pour l'appliquer chaque jour que dieu faisait, mais chaque mensonge pesait lourd sur moi, notamment quand il était distillé aux personnes auxquelles je tenais le plus. Mais au moins je savais. Tout avait un sens – même si dans mon esprit embrouillé, rien n'en avait.

-J'aurais voulu le savoir. Peut-être que si maman avait tout su ... Elle aurait mieux accepté la magie et moi je n'aurais pas eu à me cacher toute ses années. Peut-être que si j'avais grandi avec l'idée que tu étais comme tu étais, il y avait longtemps que je t'aurais pardonné. Peut-être pas tout, Agata pouvait attendre qu'on grandisse ... Mais tu étais un sorcier et moi aussi : pourquoi on se l'est caché ? Pourquoi tu nous as forcé à vivre avec notre magie réprimée chacun dans notre coin ?

J'essuyais mes joues d'un revers de main et repris :

-Tu voulais construire une famille saine ? Mais comment on peut être une famille saine quand tout est basé sur du vent, sur de l'artifice ? L'artifice ne dure pas : un jour il s'écroule et voilà ! (Je me désignai avec une révérence moqueuse, mon sourire mouillé de larme). Le drame arrive, et détruit toute « la vie saine ».

-Ne fais pas ça, me supplia mon grand-père, comme pris d'une peur soudaine. Victoria ... S'il te plait, ne raconte rien à ta mère.

Je me tus, incapable de répondre. J'étais tellement happé dans mon tourment personnel que je n'avais pas encore songé à ce que je ferais de ce que je venais d'apprendre. Tout dire ? Ne rien dire ? Aussitôt, mon estomac se contracta, et je secouai la tête.

-Tu me demandes tout cacher ? De mentir à maman comme tu lui mens ? De continuer de lui faire croire qu'elle est la fille d'un homme ordinaire ?

-Tu connais ta mère, Victoria. Que crois-tu qu'elle pensera ? Si elle n'accepte pas ta magie, pense-tu qu'elle pourra accepter la mienne ? Et ce qu'elle a fait ?!

A nouveau, j'enfonçai mes mains dans mes cheveux, affreusement partagée. Il avait raison, ma mère accepterait moins que moi tout ce que je venais d'entendre, et pourtant l'idée de lui mentir et d'être embrigadée dans ce que je reprochais à Miro me tordait douloureusement le ventre. Je tirai une mèche à m'en faire mal, espérant désespérément que ça m'éclaircirait les idées, et étrangement ce fut le cas. Je fermai les paupières, le cœur en miette. Je m'apprêtai littéralement à faire exploser la famille Liszka.

Qui n'avait rien de Liszka, et c'était tout le problème.

-Il y a des choses que maman mérite de savoir. Que tu n'es pas son père biologique, que tu es un sorcier : ce n'est pas sain de le lui cacher. Elle t'aime, mais elle aime un mirage, un mensonge, un homme qui n'est que la moitié de lui-même. (Je tapai rageusement du pied contre le parquet). Seigneur, respecte-la ! Respecte son amour ! Mérite-le ! Tu connais tout d'elle, laisse la tout connaître de toi !

-Mérite-le ? répéta-t-il, une veine gonflant sur sa tempe. Mérite-le ? J'ai tout donné à mes filles ! Tout sacrifié à cette famille ! Ma magie, mon passé, mon avenir ! J'ai tout fait pour leur offrir une vie, loin de la Pologne Communiste, loin du monde nauséabond des sorciers et de ma famille détestable, loin des horreurs que Jaga et moi avions subies !

-Elle les a subis, toi tu les as provoqués !

-ASSEZ !

Cette fois, l'ampoule explosa en un son qui annihila tout cri et je me courbai, les mains sur les oreilles et le cœur battant la chamade. Miro recula jusqu'au mur, choqué de l'émanation violente de sa magie réprimée depuis des années, les yeux rivés sur les débris de l'ampoule. Ce fut le moment, où le temps semblait suspendu et que l'intensité de nos mots flottaient encore autour de nous tels des spectres, où Jaga choisit de réapparaitre, sortant de sa cuisine une main sur la hanche. Elle planta sur moi le regard qui m'avertissait que si je continuais dans cette voie, je serais privée de dessert, et baissa des yeux indifférents sur les éclats de l'ampoule cassée.

-Si tu es vraiment une sorcière, sois mignonne et répare-moi ça, Victoria.

Glacée par la voix sèche de ma grand-mère, je sortis machinalement ma baguette et la pointai sur les débris, les doigts frémissants.

-Reparo.

Les éclats de verres s'élevèrent les uns après les autres et Miro détourna le regard, la mâchoire contractée et un muscle tressautant violemment sur sa joue. Je baissai ma baguette quand l'ampoule fut reformée et qu'elle se remit à briller de tout son éclat et lançai un regard accusateur à ma grand-mère. Elle n'avait pas cligné de l'œil de toute l'opération, l'observant d'un air indifférent, comme si plus rien n'étonnait l'inébranlable Jaga Liszka.

-Tu savais, toi aussi.

-Evidemment que je savais, répliqua-t-elle. Je savais tout et j'ai su l'accepter. Alors tu vas ravaler tes cris et apprendre toi aussi à l'accepter, Victoria Anne Jadwiga Bennett.

-Pourquoi vous nous faites ça ?!

Jaga ferma les paupières et soupira d'un air excédé et Miro vint se poster derrière elle, entourant ses épaules d'un air protecteur.

-Ne parle pas sur son ton à ta grand-mère.

Elle lui répondit sèchement en polonais et il recula d'un pas, baissant sur elle un regard qui s'adoucit. Ma grand-mère s'approcha de moi et me prit les mains avec une tendresse surprenante compte tenu de la rudesse de son ton. Je ne la repoussai pas comme j'avais repoussé Miro : au contraire, je m'accrochai à ses mains comme à une bouée de sauvetage, et sans que je ne l'aie décidée, des larmes s'étaient remises à couler sur mes joues.

-Comment vous avez pu ... mentir comme ça .. ?

-Victoria ... Nous avons fait ce qu'il fallait pour maintenir l'équilibre dans notre famille. Le mensonge n'est pas une très bonne base, mais nous l'avons estimée meilleure que les drames qui ont jalonné notre passé. En arrivant en Angleterre, ton grand-père et moi avons fait un pacte : ce qui était arrivé en Pologne restait en Pologne. Auschwitz, Agata, la magie ... Nous avons décidé de ne plus en parler, de l'enfouir au plus profond de nous pour permettre à nos filles de vivre sereinement. (Ses doigts serrèrent un peu plus les miens et j'avais l'impression que sa voix s'enrouait sous les assauts de l'émotion). Ce n'était pas parfait, Victoria et bien sûr qu'il y a un risque que nous payions un jour ... Mais c'est notre famille. Notre famille on ne la choisit pas : on apprend à l'accepter telle qu'elle est. La famille c'est notre socle : quand tout s'écroule autour de nous, il nous reste ça car nous avons tissé des liens indéfectibles. Alors tout ce que tu as pu deviner, tout ce que ton grand-père t'a raconté, il te faut l'accepter ... Et une fois que ce sera fait, nous pourrons reparler de ta mère. Perelko, je t'en supplie, fais cet effort ...

Mais j'étais incapable de savoir si je pouvais l'assimiler. J'étais étouffée, broyée sous toutes les informations et les émotions qui avaient déferlées sur moi, tel la Severn dans le canal de Bristol, pour se noyer dans des eaux grondantes qui étouffèrent tout, rendant impossible la moindre pensée logique. La gorge nouée et des yeux plein les larmes, j'arrachai mes mains à celle de ma grand-mère et reculai lentement, balançant du chef pour remettre les idées en place.

-Perelko ...

Mais c'était trop. J'en avais trop entendu et je saturai. J'avais peur ce qu'il pouvait advenir de moi si j'en recevais plus et que se développait d'autre émotions qui menaçait de complétement m'engloutir. Je ne voulais plus entendre : je n'en avais plus la force. Alors ignorant les yeux suppliants de Miro et la main tendue de Jaga, je pivotai sur moi-même, les doigts crispés sur ma baguette. Un hameçon invisible m'agrippa le nombril et le fil magique m'emporta, assourdissant mon prénom hurlé par mon grand-père.

***

Je posai le pied à Terre-en-Landes, devant la maison des Bones. Dans mon trouble, je n'avais même pas fait attention à l'endroit où je transplanais. Par un heureux hasard, l'endroit était désert et personne ne m'avait vu apparaître subitement, comme par magie. Je posai la main sur mon ventre où le fourmillement s'atténuait lentement alors que la magie se résorbait et levai les yeux sur la maison des Bones. Mes larmes se figèrent sur mes joues et je les essuyais d'un revers de manche, avant de trouver un mouchoir dans mes poches et d'y enfouir mon nez. Je restai un long moment, séchant mes pleurs et tentant désespérément de me calmer, les yeux rivés sur la porte de bois rouge de la maison. J'avais besoin d'un endroit où me poser, où démêler tout ça quelqu'un qui puisse m'y aider ... et qui se trouvait justement dans cette maison.

En pilotage automatique, j'avançai vers le petit portail, le passai puis posai la main sur la poignée pour la tirer. La porte était ouverte, et la maison comme déserte : George et Rose devaient travailler à cette heure, et je savais que Susan avait prévu de passer l'après-midi chez Hannah. Ignorant les yeux d'Edgar, Amelia et George et ceux, plus déchirant, de Matthew et Spencer sur la commode, je précipitai vers l'escalier. Chaque marche grinçait sous mon poids, gémissant plus fortement à mesure que je montai, et ce fut sans doute pour cela qu'arrivée sur le pallier, une porte s'ouvrit à la volée, révélant un Simon aux cheveux ébouriffés et à la baguette brandie devant lui. L'image m'arracha un sourire et je levai précipitamment les mains de façon apaisante.

-Du calme, ce n'est que moi. Je sais que je suis effrayante mais quand même ...

-Par Merlin tu m'as foutu la frousse, soupira Simon en abaissant sa baguette. J'ai cru que les sorts de protection que j'avais jeté ne marchaient pas ...

-Bah, ils ne sont pas si efficaces si j'ai pu rentrer ...

Simon me lança un regard ennuyé, appuyé contre l'embrassure de la porte de sa chambre. Il resta un moment silencieux, claquant nerveusement la baguette contre sa cuisse mais je vis ses yeux me parcourir pour capter quelques détails : mes cheveux en désordre, les mains que je tordais à m'en déboiter les doigts, mes yeux rougis par les pleurs.

-Un jour, je t'expliquerais comment ça marche, me promit-t-il avant de demander du bout des lèvres : Alors ?

J'aurais voulu tenter de tout lui expliquer calmement, et de ne pas perdre la face, mais la triste réalité fut que les larmes me remontèrent mécaniquement aux yeux et roulèrent un instant plus tard sur mes joues. Simon parut momentanément désœuvré, immobile et les bras statiquement croisés sur sa poitrine, assez pour avoir la maladresse de lâcher :

-Ah ... A ce point.

-T'es un idiot, Bones ! jurai-je d'une voix pleine de pleurs, ramenant mes mains contre mon visage pour les cacher.

Mais il ravala son idiotie pour se mettre en mouvement et me prit délicatement les poignets pour écarter mes mains de ma figure, et m'attirer doucement contre lui. Je me laissai aller et enfouis mon visage sur son épaule, laissant enfin libre court aux sanglots qui me comprimaient la gorge et aux larmes qui n'avaient pas eu le temps de couler chez mes grands-parents. Je n'avais pas envie de parler : juste de pleurer et de vider tout ce qui avait pu s'accumuler en moi ces dernières heures. Juste extirper tout le poison, toutes les émotions qui paralysaient mes pensées pour enfin trouver du sens dans tout ce que j'avais entendu. Simon referma ses bras sur moi, et pressa une main contre mes cheveux et pour la première fois de ma vie, je me sentis minuscule face à lui, minuscule et vulnérable. Il attendit patiemment que j'arrête de trembler de tous mes membres pour poser sa joue contre le sommet de mon crâne, m'enveloppant un peu plus en plus pour proposer d'une voix douce :

-Tu veux rester ici ce soir ?

Sans même réfléchir, je hochai la tête contre son épaule, incapable de m'extirper de ses bras ou d'émettre le moindre son. Je sentis Simon soupirer dans mes cheveux et son souffle agita mes boucles et se répandit dans mon cou. Un frisson inexplicable me parcourut et un sourire insensé fleurit sur mes lèvres.

-Tu sens la menthe.

Simon s'écarta un petit peu pour me jeter un regard interloqué, avant de plonger une de ses mains dans ses poches et d'en retirer un paquet de chewing-gum.

-Je les ai piqués à Ethan quand je suis arrivé, il ne voulait pas me dire qui il avait au Père-Noël Secret et ça m'a agacé. Tu en veux un ? Il paraît que ça détend.

Mais c'était entendre parler d'Ethan et de Père-Noël Secret qui me détendit quelque peu et j'acquiesçai avec un faible sourire. Simon ébouriffa mes boucles d'un geste qui n'avait rien de moqueur, avant de glisser sa main de ma nuque jusque mes épaules pour m'inciter à entrer dans sa chambre. Je franchis le pallier et il referma la porte sur nous, qui claqua avec un bruit mat qui résonna dans la maison silencieuse des Bones. 

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