Une Lettre
Lorsque Luna a annoncé à Ophélie que Damian et elle partageaient des sentiments, cette dernière avait exulté de joie. Pas seulement parce que son amie avait une vie amoureuse qui la rendait plus heureuse, mais parce qu'elle-même avait une nouvelle distraction contre son chagrin.
En effet, elle et Gauthier passaient désormais une partie de leur temps à leurs chercher des noises, allant du simple commentaire taquin à la chorale des amours accompagnée de polochons dans la face. Parfois, Lucius, redevenant un enfant, se joignait à leurs attaques. De ce fait, cela offrait à Seth de nouvelles scènes propices à l'inspiration. Ses dessins devenaient plus joyeux.
Victoria avait été mise au courant de la nouvelle situation amoureuse de son père par ce dernier le soir même, et n'y avait accordé qu'un intérêt minime. Mais il s'avéra qu'elle semblait légèrement apprécier Luna. Damian les avait surprises en train de plaisanter, ce qui l'avait grandement étonné. D'une part, il ne s'attendait pas à ce que Victoria puisse rire en compagnie de quelqu'un de son âge et d'autre part, il s'étonnait de la bonne humeur de Luna. Elle ne pleurait presque plus, n'avait que peu de moments de tristesses, et avait enfin quitté sa chambre.
Elsa avait repris un peu de poil de la bête, depuis sa conversation avec Arsenic. Et malgré le fait qu'elle boude encore Night, elle recommençait à emmerder le monde comme elle le faisait si bien auparavant. Quant à Arsenic, elle se faisait entendre, mais n'apparaissait que rarement. Elle réfléchissait.
Lorsqu'elle avait accepté de faire un pacte avec Hélène, elle avait appris, quelques temps plus tard, que l'idée de l'organisation des Seigneurs de la Nuit lui avait été soufflée en rêve par Despair, qui avait, de ce fait, créé l'organisation. Mais quel était le but, derrière tout ça ?
Arsenic en avait une légère idée.
Une armée pour détruire leur père, camouflée derrière une volonté de préserver les créatures sombres de celles prétendant amener la paix et la joie.
Despair et elle-même étaient d'accord là-dessus : pour eux, le bien et le mal n'existaient pas. Ce n'étaient que des chimères propices à pousser les enfants et les adultes, d'ailleurs, à obéir. Là-dessus, Damian disait qu'ils se rapprochaient de Victoria. C'est pourquoi ils partaient du principe qu'il fallait sauver le plus d'êtres possibles persécutés par cette façon de penser. Façon de penser que Colombe incarnait malheureusement à la perfection.
En pensant à la divinité, sa main trembla et elle se versa de l'acide sur la main. Pestant contre sa main en train de se décomposer, elle soigna la plaie rapidement. Si la blessure n'était pas traitée, elle allait mettre du temps à se régénérer, et, par conséquent, laisserait une cicatrice. Enfin, ce n'est pas comme si elle les craignait, elle en avait jusque sur le visage, qu'elle dissimulait avec du fond de teint, quand elle y pensait. Quand elle eut fini de bander la plaie, elle remarqua un bout de papier qui dépassait de sous une partie de ses notes. Un bout de papier qui ressemblait à une enveloppe mauve. Elle la récupéra. Elle était adressée à Ophélie. De toutes évidences, elle devait venir de Marie-Antoinette.
Haussant les épaules, la démone monta dans le salon, se disant qu'elle pourrait récupérer de la chantilly et du thé par la même occasion. En arrivant en haut, elle s'exclama avec véhémence en se couvrant les yeux :
-Personne pour épargner à mes pauvres yeux habitués à l'obscurité la lumière de ce connard de soleil de merde ?!
-J'm'en charge maman, s'exclama Lucius.
Lorsqu'il claqua des doigts, les rideaux se fermèrent instantanément, provoquant les protestations de Gauthier et Damian qui jouaient aux dames et d'Ophélie, qui lisait sur le canapé. Seth aurait eu toute légitimité à se faire entendre à son tour, mais il semblait ne pas avoir remarqué que la luminosité avait sérieusement diminué. Dans ce tableau d'ombres protestantes, Arsenic se mouvait jusqu'au canapé et bougea l'enveloppe sous les yeux d'Ophélie qui la saisit au vol :
-Qu'est-ce-que c'est ?
-Un cadeau de ta mère qu'elle a dû me confier il y a un moment mais que j'ai oublié de te donner.
-Ah, euh... Merci, dans ce cas, bredouilla l'adolescente qui l'ouvrit avec précautions, sa vision vampirique s'adaptant rapidement à l'obscurité.
Elle aussi curieuse, Arsenic décida de déchiffrer la lettre par-dessus l'épaule d'Ophélie :
Ma très chère fille,
Je présume que tu dois en avoir assez que je te parle par lettres pour t'annoncer les choses importantes, n'est-ce-pas ? Cependant cette fois-ci, ce n'est pas parce que j'ai peur de ta réaction que j'utilise ce médium pour communiquer avec toi, mais simplement par manque de temps. Je n'ai pas voulu gâcher nos derniers jours ensemble avec ce genre de considérations, et j'espère que tu ne m'en voudras pas pour cela.
Je souhaiterai te conter la façon dont je suis passée d'innocente reine de France à celle que tu as connu et aimé comme ta mère.
Lors d'une froide soirée d'hiver, j'ai reçu à ma cours une jeune femme venant d'Autriche, comme moi. Je l'ai acceptée à mes côtés, malgré le fait qu'elle était peu causante, plutôt renfermée et très différente des demoiselles que j'ai eu l'habitude de côtoyer. Malgré cela, il se dégageait de son regard une forme de vitalité qui m'avait conquise et qui lui assurait ma bénédiction.
D'après ce que je savais, cette femme était veuve et sans enfants. Elle avait de somptueux cheveux roux, lisses, comme les tiens. Et, d'après ce que j'avais cru comprendre, la nourriture avait tendance à la révulser, aussi elle ne partageait ni n'assistait aux repas. Elle était censée se nourrir d'aliments particuliers, à l'abri de tout le monde.
Comme tu dois t'en douter, cette femme était une vampire. Comme tu le sais, nous pouvons très bien nous nourrir de n'importe quoi, malgré le fait que nous ayons une forme de dépendance au sang. Or, il se trouve que plus un vampire prend de l'âge, plus son corps devient délicat. De ce fait, il ne peut se nourrir que de sang, de préférence humain.
Cette femme était âgée de plus de mille ans.
Quand des tensions ont commencé à éclater au sein du peuple, elle a tout de suite senti le danger et m'en a averti. J'étais horrifiée de tout ce qu'elle m'avait dit. Je ne comprenais pas comment cela se faisait, j'étais encore trop innocente, trop bête pour comprendre. Malgré cela, cette femme m'a fait une offre, une offre que je ne pouvais refuser. Elle m'offrait l'immortalité en échange de ma place. Elle me laissait, bien entendu, le temps d'y réfléchir.
Étant attachée à ma position de reine, je voulais, dans un premier temps, faire face à la menace avec toute la force et la volonté qui incombaient à ma position. Mais plus le temps passait, et plus je me laissais aller à la couardise. J'ai fini par accepter.
As-tu lu les Chroniques des Vampires d'Anne Rice ? Ou au moins Entretien avec un vampire ? Si tel est le cas, sache que la transformation telle qu'elle est décrite dans ces livres se rapproche scrupuleusement de la réalité. Cependant, cette vampire me fit un autre don. Elle me fit don de sa vie. Elle m'expliquait que je ne devais pas renier mon nom et mon passé, mais elle voulait me faire profiter de son expérience pour que je puisse affronter l'avenir sans avoir à me heurter à toutes les choses indésirables qu'elle avait vu et vécu. En plus de cela, elle m'offrit son apparence et prit la mienne, bien qu'avec le temps, je récupérais peu à peu les traits de mon visage originel.
Le choc de connaitre tout ce qui lui était arrivé m'avait rendue amorphe pendant une bonne dizaine de jours. Je refusais de sortir et ne parlais à personne, assimilant tant bien que mal les siècles de connaissances que j'avais appris en une poignée de minutes. J'ai cédé à la paranoïa et la peur, et encore aujourd'hui, au crépuscule de ma vie, je en te cache pas que cela est plus fréquent que ce que je te laisse à penser.
J'ai quitté Versailles à peine un mois plus tard. J'appris tous les évènements de la Révolution Français de loin, cachée au fin fond du continent américain, en pleine nature. Je voulais vivre le plus loin possible de cette civilisation qui me répugnait au plus haut point. Je faisais peur à tout le monde, et je n'avais rencontré que peu d'humains depuis mon arrivée, et encore moins de vampires. Je savais que je n'étais pas la seule de mon espèce, mais je refusais de les voir. J'avais aussi peur d'eux que j'avais peur des humains.
Mon périple était long, la plupart du temps sinistre, même s'il m'arrivait de connaitre des instants de bonheur auprès des rares amis que j'avais pu me faire et des quelques conjoints qui ont bien voulu partager ma vie de façon éphémère. Lorsque j'ai fini par retourner en France, quelques temps avant ta naissance, j'ai été séduite par une Ombre à l'attraction irrésistible. Comme tu dois t'en douter, cette personne est ton père biologique. Certes, je connaissais celui que tu as appelé "papa" avant cela, mais même si nous nous fréquentions, il ne devait, à la base, exister rien de sérieux entre nous. Lorsque je me suis rendue compte, bien tard, que j'étais enceinte de toi, il m'a demandé en mariage. La perspective de t'offrir un père de substitution m'a séduite plus que le léger béguin que j'éprouvais pour lui, alors j'ai accepté. En même temps, je travaillais pour l'organisation d'Hélène. À cause de cela, j'ai eu l'occasion de revoir ton père biologique, plusieurs fois.
Arsenic sait qui il est, et j'aimerai que ce soit elle qui te le dise, plutôt que moi. Mais je pense que lui n'est pas au courant, aussi évites de lui en vouloir. Cette fois-ci, c'est entièrement de ma faute.
Ne m'en veux pas trop, je t'en prie.
Je t'aime, ma chérie. J'espère que je ne te manquerai pas trop longtemps. Par pitié ma princesse, va de l'avant.
Ta maman.
Arsenic pouvait sentir en Ophélie un mélange de trouble et de tristesse. Elle hésita. Devait-elle la trainer à la cave pour lui parler ou la laisser seule à ses réflexions dans le salon ?
Elle allait opter pour la seconde solution lorsqu'elle sentit la main de la jeune fille s'agripper à sa manche pour la retenir. Elle murmura :
-Tu dois me parler de quelque chose, non ?
-Hm... Descendons, si tu veux bien, d'accord ?
La plus jeune hocha la tête, laissant ainsi la bicentenaire la trainer dans son laboratoire. Ophélie contempla l'espace pendant quelques minutes, laissant à la démone l'opportunité de reprendre son travail.
-Est-ce-que c'est vrai ?
-De quoi, demanda Arsenic qui retirait une pince qui contenait une pièce de métal chauffée à blanc du feu ?
-Que tu sais qui est mon père.
-Ne... me demande pas ça quand j'ai cette saloperie dans les mains je serais foutue de me brûler, grommela la démone qui faillit échapper l'objet ardent !
Elle plongea les pinces dans un seau d'eau, à la manière des forgerons antiques, et se tourna vers l'adolescente en soupirant :
-Oui, je sais qui c'est, je l'ai su dès la première fois que je t'ai vue. À ton avis, pourquoi j'ai senti ton odeur dès que je t'ai vue ? Tu sens comme lui.
-Alors qui est-ce ?
Ophélie était tendue, au bord de l'explosion. Elle maitrisait sa voix pour le ne pas lui hurler dessus, même si elle mourrait d'envie de savoir. Arsenic soupira :
-Tu me promets de rester calme ?
-Oui, bien sûr !
-Tu me promets de ne pas lui faire de procès ?
-Euh... Oui.
Malgré l'hésitation de la jeune fille, elle sentait sa sincérité. Arsenic inspira :
-C'est Damian.
Le choc de cette révélation fit tomber Ophélie sur les fesses. Elle devait s'attendre à tout sauf à ça. Elle resta tendue quelques secondes, choquée par ce qu'elle venait d'apprendre, silencieuse, tremblante. La démone soupira et s'agenouilla face à elle au bout de 10 secondes :
-Est-ce-que tu vas t'en remettre ?
La plus jeune hocha la tête de haut en bas frénétiquement, mais Arsenic remarqua quelque chose d'alarmant. La soif de sang de la vampire avait été augmentée par le choc, et, avant qu'elle n'ait pu réagir, la démone se retrouva plaquée au sol, le souffle de la prédatrice balayant son visage tandis que ses yeux ne faisaient plus la différence entre la proie et l'amie.
La démone commença par se débattre sans chercher à utiliser ses dons, de peur de la blesser. Après tout, sa force brute aurait dû suffire à la faire lâcher, c'était à peine une novice, elle ignorait tout de la façon de contrôler ses pouvoirs et sa nature. Personne ne lui avait rien appris.
Mais la poigne d'Ophélie se faisait plus forte que celle d'Arsenic, et, pour une fois, elle sentit une légère forme de peur se former dans le creux de son estomac. Certes, cela expliquait comment elle avait fait pour boire le sang de Colombe, mais... si elle la vidait de son sang avant qu'elle n'ait eu l'occasion de se régénérer ? Est-ce-qu'elle allait mourir aussi bêtement que cela ? Inspirant à fond, elle murmura :
-Hé... Gamine, c'est moi... C'est Arsi... Tu ne vas pas me faire ça, hein ?
Elle entendit un grognement rauque alors que les crocs de l'adolescente commençaient à percer son épiderme. Mais... Elle venait tout juste de sentir les canines d'Ophélie contre son cou, non ? Comment pouvait-elle encore ressentir la moindre sensation au niveau du cou ?! Cette partie de son corps avait cessé de la faire souffrir depuis longtemps !!
Arsenic ne put retenir une exclamation de douleur quand elle sentit sa chair se faire finalement mordre à pleines dents. Elle... avait... mal... ? Elle avait mal ?! Elle avait mal et ce n'était pas la faute de ses promesses avec Despair ?! Mais... Qu'est-ce-qu'il y avait dans les crocs de cette gamine ?!?
Elle sentit son sang se faire aspirer rapidement. L'adolescente était assoiffée, elle se servait, avalant goulûment le sang frais qui s'offrait à elle sans aucune retenue. La démone réussissait à dompter son naturel et à la laisser se servir. Après tout, ce n'était pas de sa faute si elle agissait comme ça... Elle continuait de murmure au creux de son oreille quelques paroles pour lui intimer l'ordre d'arrêter. Mais elle ne semblait plus l'entendre.
Quand, enfin, elle perçut un instant de faiblesse chez Ophélie, la morale reprenant le dessus sur l'instinct, Arsenic la poussa brutalement loin d'elle, cherchant à reprendre son souffle, se sentant vider ses forces. Elle tenta de se relever en chancelant, portant sa main à son cou blessé. Elle n'avait plus mal. Elle tenta de griffer sa peau, et elle ne ressentit rien. De toutes évidences, les crocs de la jeune vampire étaient un sujet d'étude des plus intéressant. Il faudrait qu'elle s'y intéresse, plus tard...
Ophélie était recroquevillée dans un coin de la pièce, les larmes aux yeux, la bouche encore sanguinolente. Elle se lamentait, montrant qu'elle avait peur d'elle-même, de ce qu'elle avait fait. Dans le flot de paroles gémies par la demoiselle, Arsenic distinguait des "qu'ai-je fait ?" hystériques. La démone sourit :
-C'est pas de ta faute, tu sais... C'est juste qu'on t'a pas appris comment faire pour te contrôler...
-M-m-mais... Maman m'a dit que...
-Ta mère t'a juste dit de te méfier de toi-même, et malgré la fiole qu'elle t'a fourni pour apaiser ta soif, elle ne t'a pas montré comment te contrôler. Je... Je pense que je vais m'y employer. Damian et moi allons vous apprendre tout ce que nous pourrons sur le sujet, d'accord ?
-Comment ça, "vous" ?
-Luna aussi est concernée. Et je pense que Gauthier et Victoria ont du potentiel. Vous savez ce que vous êtes, mais vous ne savez pas comment le contrôler, voilà tout.
La sonnette retentit à l'étage inférieur, et Luna appela son amie. De toutes évidences, Wolf semblait avoir décidé de leur offrir une petite visite imprévue. La bicentenaire sourit :
-Allez, essuies-toi la bouche et monte, on t'attend là-haut.
La jeune fille ne se le fit pas dire deux fois.
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