Chapitre 27
J'ouvre les yeux. Je suis seule au beau milieu d'une chambre, avachie sur un lit, et j'ai terriblement froid. Une faible lumière pâle pénètre par l'espace laissé en bas des rideaux, ceux-ci trop courts pour couvrir l'intégralité de la fenêtre. Ça me fait sourire, j'aime bien les trucs faits à la one again. Je me prépare en vitesse – juste l'histoire d'être présentable -, puis j'emprunte le couloir et descends les escaliers qui mènent à la réception. Juste en face se trouve un café, je cherche Yanis des yeux mais il est introuvable. Une petite femme grassouillette me demande en anglais si j'ai besoin d'aide, vu mon faible niveau dans cette langue j'estime qu'il est préférable de me débrouiller sans elle.
Après mainte réflexion je sors dans la rue, peut-être devrais-je attendre Yanis, mais j'en ai un peu marre de dépendre de lui, de toujours devoir patienter jusqu'à son retour, incapable de le retrouver toute seule. Et puis où va-t-il ? Pourquoi il s'en va systématiquement sans moi ? Suis-je si encombrante que ça ?
Je traverse la route et faille me faire renverser par une voiture ; le conducteur me lance une remarque que je ne saisis qu'à moitié et j'atteins l'autre côté de la voie légèrement vexée de ne pas avoir été assez attentive. Plusieurs regards se fixent petit à petit sur moi. Il n'y a que de grands noirs baraqués qui n'ont pas l'air très aimable. Je fais mine de ne pas les avoir vus et poursuis mon chemin le long du trottoir.
Mais tu vas où, là ?
Sûrement quelque part où je ne devrais pas. En fait, une voix en moi me cri de retourner dans la chambre d'hôtel au lieu d'essayer de jouer à la grande fille autonome et indépendante.
J'ai la désagréable impression d'être suivie. Je n'ose pas me retourner et faire face à ces hommes qui ont l'air décidé à me traquer jusqu'au prochain cul-de-sac.
De mauvais souvenirs me reviennent. Pourquoi faut-il toujours que des gens m'épient, me guettent et me filent ? Qu'ai-je de si spécial si ce n'est d'être la source d'une rumeur internationale ?
J'aimerais savoir me défendre, me débrouiller sans l'aide de personne. J'en ai assez d'espérer que quelqu'un vienne me secourir et me sortir de mon pétrin. Seulement je ne vois pas ce que je peux faire contre des types qui ne parlent pas ma langue et sont chez eux. A voir les immeubles délabrés du quartier, tout laisse à croire que ce sont eux qui font la loi ici.
Yanis, Yanis... tu sais je ne peux pas t'appeler en ce moment mais si tu devinais que j'ai besoin de toi ce serait pas mal !
- Hey !
A l'intonation de la voix, je sais que je n'ai plus qu'une option : courir.
Je me précipite à toute vitesse devant moi, ignorant complètement vers où je me dirige. Je bouscule les quelques gens qui se trouvent sur mon passages et je prie pour ne pas me retrouver prise en sandwich entre deux bandes de « méchants loups ». Consciente qu'ils sprintent eux aussi et que je ne dispose plus que d'une poignée de secondes avant qu'ils ne m'attrapent – pour faire quoi d'ailleurs ? au cœur d'une rue, en pleine matinée ? – je hurle aussi fort que possible le nom de celui que j'espère être mon sauveur une fois de plus :
- Yanis ! Yanis ! Yanis aide-moi !
Je sens une main qui me saisit par le bras. Tirée en arrière, je me retrouve aussitôt par terre. Mon coude se brûle en effleurant le trottoir en béton et je n'ai pas le temps d'apercevoir mes assaillants que l'un d'entre eux tombe à une vingtaine de centimètre de moi, manquant de m'écraser. Ils se bousculent tous, ou plutôt, quelqu'un les bouscule. Je me protège comme je peux et tente de me relever. C'est alors qu'un crissement de pneus retentit, accompagné de cris de rages. J'en profite pour me hisser sur mes jambes et reculer. Une voiture git sur la route, les quatre roues en l'air. A ses côtés, deux hommes. L'un d'eux gigote, essayant désespérément de se remettre debout, tandis que l'autre est immobile, à au moins huit mètres de là. Avant que je ne puisse me rendre compte de l'accident qui vient d'avoir lieu, je distingue Yanis parmi les hommes qui me traquaient, il croise mon regard et je sens sa main prendre la mienne, à l'instant où nous disparaissons.
Nous nous matérialisons dans la chambre d'hôtel, entre les deux lits. Il lève aussitôt les yeux au plafond et expire lentement pour tenter de se calmer. Il tremble, et moi je suis figée d'effroi. Je n'arrive même pas à formuler les questions dans ma tête, je n'arrive même pas à penser clairement. Tout se mélange et je revois en boucle les deux hommes, les taches de sang se propageant sur la route et la voiture fumante. C'est de ma faute. C'est à cause de moi. Je ne sais pas pourquoi je crois ça, mais je suis sûre d'avoir raison.
- Si je n'avais pas essayé de te retrouver bêtement, commencé-je à toute vitesse en constatant que je recouvre l'usage de la parole, ils ne m'auraient pas vue et donc ne m'auraient pas suivie. Tu n'aurais pas été obligé de me venir en aide et de les pousser pour t'approcher de moi, ils n'auraient jamais débordé sur la route, la voiture ne les aurait jamais percutés. C'est moi. C'est moi je suis complètement stupide. Tout ça parce que je voulais me débrouiller toute seule ! Mais je ne suis qu'une imbécile ! Je suis nulle ! Je fais toujours n'importe quoi ! Je ne vaux rien ! Je fais chier tout le monde, je cause le mal partout où je vais, je ne sers absolument à rien et je ne mérite pas qu'on m'accorde autant d'importance ! m'écrié-je en pleurant.
Un long blanc laisse alors place à mes sanglots. J'ai mal à la gorge et j'ai l'impression d'être dans un monde parallèle dans lequel seule la souffrance a le droit de s'exprimer.
Yanis parait enfin remarquer ma présence et comprendre le sens de mes paroles.
- Arrête. Arrête, dit-il en grimaçant comme si j'avais dit une grosse bêtise mais qu'il serait tenté de la trouver réaliste.
Comme lorsqu'on camoufle un mensonge à contrecœur.
- Il faut y aller, souffle-t-il en parcourant la pièce des yeux. On laisse les valises ici, quelqu'un viendra les chercher pour nous. Go.
Nous sortons de la chambre et passons par la porte de derrière qui débouche sur une minuscule ruelle sûrement très malfamée. Ma peur de revivre la même scène que tout à l'heure n'est que de courte durée car le lieu est désert. Tout le monde a dû être alerté par les bruits en provenance de l'accident. Yanis et moi marchons d'un pas rapide. Il fixe le bout de la ruelle sans prêter attention au reste. Tout est gris et un brouillard dense semble ramper sur le sol et s'enrouler autour des grosses poubelles qui encombrent le passage. Moi je me demande si je serai un jour capable de me débarrasser de cette horrible sensation qui s'accroche à mes jambes et se laisse trainer par terre, telle la mort qui nous prend pour cible et s'agrippe à nous, nous plongeant toujours plus vers le bas, jusqu'à ce qu'elle parvienne à nous aspirer au moment où la Terre s'ouvre sous nos pieds. J'ai l'impression de chavirer et chaque minute semble plus longue à supporter.
- Yanis... je... j'arrive plus à respirer.
Je me retrouve à genoux sur le sol, à deux doigts de m'écrouler. Le démon se montre enfin un peu attentif à mon égard et s'accroupit pour être à ma hauteur.
- Hé, ça va aller. Respire. Il faut juste que tu respires... murmure-t-il tendrement en caressant le dos de mes mains moites.
Je suis ses conseils à la lettre, même si ce sont surtout ses gestes qui me rassurent. Il dépose un doux baiser sur ma joue, à cet instant je ferme les yeux. Plus de flashs, plus d'images horribles. Il n'y a plus que la voix dans ma tête qui me répète calmement et sûre d'elle : « ça va aller, Am, ça va aller », elle aussi semble s'être apaisée.
Une fois que mon corps et mon esprit retrouvent une sérénité pondérée, nous nous remettons en route, nous éloignant le plus possible du lieu de l'accident.
Plus nous progressons dans la ville, plus le temps s'améliore et l'agitation parait gentillette et tranquille. Nous nous rapprochons des quartiers sûrs et je cesse de lancer des regards dans tous les sens pour m'assurer que personne ne nous suit. Lorsque nous apercevons enfin un taxi, nous l'interpellons tous les deux en même temps et cela parvient à m'arracher un petit sourire. Malheureusement il est occupé, et ce n'est que dix minutes plus tard que nous en trouvons un disposé à nous emmener à Port-Royal comme exigé par Yanis.
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