Chapitre 25
Lorsque je me suis réveillée Yanis était déjà parti. C'était prévisible, après tout. Qu'il s'éclipse à l'aube, sans un bruit, pour ne pas avoir à m'expliquer où il va et ce qu'il compte faire exactement. Peut-être aussi agissait-il ainsi pour ne pas avoir à me dire « au revoir » ou « à tout à l'heure ». Je sais qu'il n'aime pas prononcer ces mots, parce qu'une petite voix dans sa tête émet systématiquement l'hypothèse d'un non-retour. Moi aussi il m'arrive de penser à ça, de me dire que brutalement tout pourrait s'arrêter... mais pour cela je n'ai pas besoin de balbutier ces quelques formules. Que je dise certaines choses, que je sois face à certaines situations, ça ne change rien car je pense, et mes pensées peuvent s'attribuer au proche comme au lointain, à une supposition comme à une fatalité, au possible comme à l'inévitable.
C'est pourquoi je chasse certaines pensées qui m'ont l'air dangereuses, et à force, j'ai la sensation de retenir un ouragan attendant le moindre moment de faiblesse pour dévaster tout ce qu'il y a en moi. Alors j'espère être un jour capable de contrôler mes émotions pour maitriser cette tempête prête à éclater. Peut-être que si je parviens à ne plus les craindre, je pourrais les exploiter et m'en servir pour arriver à je-ne-sais quelle fin.
En me rendant dans la cuisine, j'ai découvert qu'un tendre pain au chocolat m'attendait sur la table. Je me suis réjouie de cette attention et me suis préparée un chocolat chaud pour l'accompagner. J'ai déjeuné en silence en songeant que tout serait parfait si Yanis était là.
Ensuite j'ai pris une douche et je me suis faite jolie.
Pour lui ? Peut-être. S'il revenait.
J'ai passé une demi-heure dans le calme le plus complet. Parfois j'entendais des klaxons, et une sirène a retenti. Rien d'autre à déclarer. J'ai croisé mes feuilles du regard, mais je n'ai pas eu envie d'écrire. Tout ce que je voulais c'était que Yanis apparaisse devant moi, qu'il me prenne dans ses bras et me souffle à l'oreille que notre départ au Paradis était imminent. Je sais que si les choses se dérouleraient ainsi, je rirais. Oh que j'avais envie de rire ! Mais comment faire, seule ? Sans Yanis je ne suis plus grand chose. Il est devenu un point essentiel de ma vie. Avant de le connaitre, cela ne me dérangeait pas d'être enfermée dans ma chambre, je m'occupais comme je pouvais, je n'avais pas besoin des autres... mais aujourd'hui c'est différent. Je m'ennuie, je tourne en rond, et la présence d'une personne à mes côtés m'est presque indispensable. Je comprends qu'on ne puisse pas être heureux seuls. Car les relations amoureuses, amicales, familiales, sont la clef du bonheur. Nous avons besoin d'être inspirés pour éprouver des émotions. Elles ne naissent pas seules. Et l'inspiration, elle, nous vient de la nature, de ce qui nous entoure, mais aussi et surtout des gens.
« Le bonheur est ta capacité à aimer les autres. »
J'entends des pas se rapprocher de la porte. Mon appréhension n'est que de courte durée car Yanis entre et à ce moment-là l'atmosphère semble devenir merveilleusement apaisante et pétillante à la fois. Je suis éperdument soulagée de revoir mon démon préféré et de constater qu'il est en parfaite santé, mais aussi de remarquer qu'il n'a rien perdu de perspicacité hasardeuse. Je lui souris de toutes mes dents et il en fait de même, plein d'une sincérité qui prouve haut et fort que c'est une véritable satisfaction pour lui que de me retrouver et que rien au monde n'aurait pu le retenir ailleurs.
- Alors ? m'exclamé-je, empressée qu'il me raconte sa courte aventure.
- Mmm...
Il plisse les yeux en me fixant intensément. Je sais qu'il fait durer le suspens et que pour gagner son petit jeu je dois me montrer extrêmement patiente. Il finit par céder et prend un air presque sérieux.
- J'ai obtenu la réponse que j'attendais.
- Et ?
- Et donc maintenant je sais que je pourrais survivre sans aucun problème en dehors de la ville.
- Ah, dis-je enthousiaste mais sans pour autant réclamer plus de précisions. Et pour la ville ?
- On verra bien...
- Yanis... D'accord on part à l'improviste, mais c'n'est pas une raison pour négliger tous les détails – qu'excuse-moi je juge assez important ! Quand on sera là-bas... Oh ! c'est vraiment n'importe quoi ce voyage...
- C'est justement pour ça qu'on le fait, non ? Parce que c'est excitant ?
- Mais ça risque de ne plus l'être du tout une fois qu'on y sera.
- Ça fera partie de nos innombrables surprises. Allez, c'est plus le moment de douter. Ça ne l'a jamais été de toute façon. Il faut suivre notre instinct.
- Tu sais ce qu'il me dit mon instinct ?
- Non ! Et ne me le dis pas. C'est la première impression qui compte. Elle t'a dit qu'on irait au Paradis, et c'est ce qu'on va faire.
- Et comment y aller ?
- De ce côté-ci... j'ai ma petite idée.
Il s'apprête à me dévoiler quelque chose, mais il ignore si ça va me plaire ou non.
- Euh... ça te dit un léger détour aux Caraïbes ?
- Aux QUOI ?!
- Je sais, je sais... on a eu notre dose d'îles et de soleil...
- Enfin non ! Ce n'est pour ça... c'est juste que... Pourquoi ?
- Tu sais qu'on ne peut pas passer par le Portail pour nous rendre au Paradis, explique-t-il, alors il faut trouver un autre passage... et aux Caraïbes, il y a quelqu'un qui est susceptible de savoir où il est.
Ah... je ne sais vraiment pas dans quoi on s'embarque... J'appréhende de plus en plus mais d'un autre côté je me dis qu'il faut que je fasse confiance à Yanis, qu'il ne courrait pas le risque de me perdre et qu'il est, par conséquent, parfaitement conscient de ce qu'il fait... j'en doute, mais bon...
- On y va quand ?
- Eh bien... C'est-à-dire que j'ai usé pas mal de mes pouvoirs ces derniers temps. Je n'avais pas trop l'habitude de transporter quelqu'un avec moi, ni d'effectuer des voyages aussi longs et aussi fréquemment. Pour le Paradis, j'ai intérêt à être au top de mes moyens du coup il va falloir que je m'économise un peu... Juste un peu... rien qu'un tout petit peu...
- Et donc ? Qu'est-ce que ça signifie ?
- Qu'on se rendra aux Caraïbes comme la plupart des gens le font...
- En avion ?
Yanis jette un regard vers la table basse, je sais très bien qu'il n'y a rien d'intéressant de ce côté-ci.
- Fuis-moi je te suis...
- Tu attends de moi que je récite la suite ? demande-t-il comme s'il ne comprend pas où je veux en venir.
- Non. Je n'attends rien de toi, tu en fais déjà tellement ! Tu n'as pas à voir ça comme une faiblesse...
- De quoi tu...
- Tu n'es pas un robot doté d'une batterie inépuisable ! le coupé-je à mon tour. Et je ne veux pas que tu sois comme ça. Je t'adore tel que tu es, je refuse de vivre avec une machine.
- Arrête.
- Non ! Tu es un être vivant, Yanis !
Sur-ce, il s'en va. Comme ça. Sans rien ajouter. Sans me lancer un coup d'œil. Il se plante devant les épais rideaux gris et semble se plonger dans cette couleur insipide. Il ne fait rien pour voir au-delà, pour contempler la ville et accéder à la lumière du soleil qui à cette heure-ci pénètre dans l'avenue en s'y glissant par le haut comme de l'eau coulant le long des gratte-ciels.
Je le rejoins, incapable de le laisser s'imaginer plus longtemps qu'il ne me mérite pas ou qu'il n'est pas à la hauteur.
- Tu m'aimes bien, non ?
- Tu sais très bien que oui, réplique-t-il comme si c'est une évidence.
- Et tu sais que moi aussi je t'aime bien ?
Il se contente d'approuver d'un signe de tête.
- Sinon toi et moi on ne ferait pas autant d'efforts pour...
Je souffle, ne sachant plus vraiment ce que je cherche à exprimer.
- Si on ne s'aimait pas, si on était que deux pauvres cons sans aucun intérêt l'un pour l'autre, on se serait déjà séparés. Promesse ou pas promesse. Ou alors, on serait morts. En tout cas, une chose est sûre : si on est ici tous les deux c'est parce qu'on a fait en sorte de l'être. Tu m'as dit que tu voulais rester avec moi et me protéger... mais pour ça il faut que tu comprennes que... Oh Yanis, je m'embrouille grave, là.
Malgré lui il rit et j'en suis absolument ravie. Même si notre histoire est légèrement compliquée, on sait se sortir de certaines situations délicates. On finit toujours par sourire et s'échanger des regards complices. Ce n'est pas pour autant que l'on oublie ce qui vient de se dérouler et les obstacles qu'il nous reste encore à traverser, mais on fait de notre mieux pour faire mine d'aller parfaitement bien et le scepticisme laisse rapidement place à l'insouciance.
Nous nous sommes rendus en taxi jusqu'à l'aéroport de New York John Fitzgerald Kennedy. Notre avion partira en fin d'après-midi en direction de Kingston, capitale de la Jamaïque. Le vol devrait durer un peu moins de quatre heures.
C'est tout Yanis. Organiser un voyage en quelques minutes. Se décider à partir, tout simplement. Il renvoie l'image de la liberté que je me faisais. S'éclipser sans avoir à fournir d'explication,changer de vie sans que quiconque ne puisse s'interposer. Yanis a le don déconcertant de repousser toutes les contraintes. Il fait ce que bon lui semble,sur des coups de têtes. Avec lui j'ai l'impression que tout est possible et qu'à ses côtés j'ai une chance d'être libre à mon tour. Nous sommes pourchassés par des vampires, je suis « immortelle » et tout le monde veut s'accaparer mon pouvoir. Il est un démon et une guerre se prépare... pourtant en ce moment-même tout a l'air d'aller bien. Je suis impatiente de découvrir les paysages qui m'attendront à la sortie de l'avion. Je suis heureuse. HEUREUSE ! Et j'ai la conviction que rien ne peut m'enlever ceci, pas tant que Yanis sera avec moi. Il n'y a que lui dont j'ai réellement besoin, parce que les amies n'ont jamais été mon truc et, bien que ma famille me manque, j'estime être assez grande pour pouvoir me débrouiller sans elle. Ma tête est remplie de souvenirs, mais la seule chose dont j'ai envie est d'en écrire de nouveaux. Je ne regarde plus vraiment en arrière car le présent me plait tellement que je ne vois pas comment je pourrais le délaisser au profit d'un passé presque douloureux. Je suis emplie d'un profond sentiment de gratitude qui ne laisse plus la place au reste. « Vos plus beaux souvenirs sont encore à venir. » J'y compte bien !
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