Chapitre 18
Je ne le lâche pas du regard et fais de mon mieux pour paraître le plus calme et sereine possible. Au fil des secondes, son regard s'apaise enfin et il se détend. Je sens qu'il essaie de s'éloigner de la réalité et qu'il chasse sa colère comme s'il faisait fuir une mouche d'un revers de main, en sachant très bien qu'elle reviendra. Mais malgré tout il fait de son mieux pour redevenir distant – voire presque indifférent -, et je sais que c'est sa manière de s'excuser. Il remet sa carapace en place, en grande partie pour me protéger de lui-même. Je suppose qu'il est conscient de m'avoir dévoilé son côté obscur et qu'il le regrette atrocement ; cependant il sait aussi que je ne le jugerai pas sur ce qu'il est et que je ferai de mon mieux pour laisser croire que cet instant s'est échappé de ma mémoire.
Il ouvre légèrement la bouche bien qu'il n'ait jamais eu l'intention de parler ; puis ses yeux rencontrent les miens et je serais capable de le pardonner même s'il m'avait arrachée la tête. Il soutient encore un moment mon regard sans pour autant arborer ses airs de bad-boy qui ne craint rien. Il a des tas de choses à me dire et je suis sûre qu'il aimerait me prendre dans ses bras. Ça se lit en lui. Pour une fois je devine tout ce qu'il pense. Son corps entier respire l'amour et je discerne même de la tendresse sur ses joues.
Je reconnais là Yanis, MON Yanis. Celui dont je ne me lasserai jamais, celui qui m'attire irrésistiblement vers l'interdit et le danger, celui pour qui je prendrais tous les risques, celui qui ne me trahira pas, celui en qui je peux faire confiance, celui qui me ressemble, et celui que j'aime. Comme un frère, comme un ami, comme l'encre qui se consumera avec moi dans la passion en écrivant l'histoire d'un amour fusionnel.
- Les vampires sont là, n'est-ce pas ?
- Oui.
- J'irai quand même. Et tu m'attendras dans le parc, comme prévu.
Son regard implorant contraste tellement avec ce qu'il a jusqu'à ce jour laissé paraitre de lui que j'en suis décontenancée. Et pourtant c'est le même, la seule différence est qu'aujourd'hui il s'est dévoilé un peu plus ; demain il le fera davantage.
- Je n'échouerai pas. Je t'en fais la promesse.
A ces mots il incline la tête sur le côté et s'avoue vaincu.
- Es-tu seulement sûre que tu veux le faire ? Il y aura des anges, des vampires et peut-être autre chose...
- On en a déjà discuté. Inutile d'essayer de me faire changer d'avis. J'ai pris ma décision.
- Je sais, mais c'est moi qui doute. Je pourrai y aller à ta place et...
- Non. C'est moi qui doit y aller, rappelle-toi de ce que disait la lettre.
- Si tu savais comme je m'en fiche de cette stupide lettre !
- Moi je suis convaincue que tout va bien se passer. Aies confiance.
- S'il t'arrivait quelque chose je ne me le pardonnerais jamais.
- Il ne m'arrivera rien. N'était-ce pas toi qui disais qu'il fallait prendre des risques et se mettre en danger pour ressentir la vie ?
- Oui... Je te l'avais mis dans la tête quand tu étais encore chez toi... mais je te l'ai fait oublier.
Je souris tandis qu'il affiche un air ahuri.
- Comment tu...
- De plus en plus de souvenirs me reviennent. Et je crois que si je parviens à trouver l'héritier j'en apprendrai encore davantage. Il faut que j'y aille.
Yanis me fixe comme si... en vérité j'ignore à quoi il pense, alors il l'éclaire lui-même :
- Je ne m'étais pas attendu à ce que tu sois si exceptionnelle. Tu n'es pas comme toutes les autres... Tu...
« L'amour est partout, imprévisible, inexplicable, insurmontable. »
Mais il ne dit point cela, il se contente de baisser les yeux et je perçois le sourire aux coins de ses lèvres qu'il tente de dissimuler. J'ai tellement envie de lui murmurer que je l'aime, et que, puisqu'il m'aime aussi, nous n'avons plus qu'à tout abandonner et partir en voyage pour la vie. Après tout c'est plus qu'envisageable. Ceux qui viendraient nous chercher, on les chasserait à grands coups de pieds dans le derrière et ils ne montreraient plus jamais le bout de leur nez. On pourrait être heureux, Yanis et moi. Je pourrais être sa reine obscure. Je porterai une longue robe noire faite de pétales de roses de Turquie, celles au couleur de l'ébène. Nous règnerions sur les enfers ou n'importe quel autre endroit. Nous nous aimerions jusqu'à la fin des temps... mais il y a Théo, Lahela, ma famille, le Paradis... et tant de contraintes que je ne peux pas me permettre de rêver plus longtemps. Je n'ai que quelques secondes par-ci par-là pour m'imaginer la vie que je ne vivrai jamais. La société n'est-elle pas une prison ? si bien qu'elle nous prive même de penser au bonheur ? N'est-ce pas la pire des choses que d'empêcher quelqu'un de rêver et de croire que ses rêves puissent peut-être un jour devenir réalité ?
L'Homme bâtit autour de lui les murs qui délimiteront sa prison. Il se détruit lui-même et bien qu'il l'ait vaguement remarqué il ne fait rien pour changer le court de son destin. A croire qu'il influe sur beaucoup, mais pas sur sa propre vie. Car sa fin est inévitable. Il tente de dévier toutes les lois de la nature mais il se soumet à la mort.
- Il est midi moins dix, déclare Yanis en lançant un coup d'œil à la pendule fixé au mur du bateau-mouche. C'est le moment.
Tout-à-coup j'ai l'impression d'être muette. Le moment fatidique se rapproche et je dois admettre que j'ai peur.
- Nous sommes juste à côté, reprend-t-il. Tu vas sortir de ce bateau et te diriger vers le pont le plus proche. L'héritier est sur l'autre rive, il va bientôt traverser. Tu sauras le reconnaitre ?
- Il le faudra bien...
- Je suis désolé que tu doives faire ça toute seule...
- Allez, ce n'est pas grave. Ça passera vite.
- Am, on a un autre problème que les vampires qui rôdent non loin d'ici. Il n'y a pas de parc ou même de jardin qui soit assez près pour que tu aies le temps de t'y rendre.
- Tu n'auras qu'à te téléporter devant moi, non ? proposé-je.
- Ce n'est pas si simple. Il faut que je sache où tu es. Pour ça il faut que je me place de façon à pouvoir garder un œil sur toi... Mais ils sentiront mes traces et occuperont sûrement ces fameux endroits stratégiques.
- Qu'est-ce que tu comptes faire, alors ?
- Je vais voir, mais toi il faut que tu partes. Maintenant.
J'ai du mal à bouger et mes oreilles bourdonnent, pourtant je fais comme si tout allait parfaitement bien et je regarde Yanis d'un air assuré. Je me dirige vers la porte et je prie pour qu'il ne remarque pas que je tremble.
- N'oublie pas, rajoute-t-il avant que je ne disparaisse de son champ de vision, reste sur tes gardes. Et si tu es en danger, crie de toutes tes forces. Crie. Avant qu'il ne soit trop tard...
Ce sont sur ces derniers avertissements peu rassurants que je quitte le bateau-mouche en sautant du pont. J'atterris lourdement sur le sol, mais néanmoins debout. Je lance un coup d'œil en arrière, espérant entrevoir une lueur d'espoir dans les yeux de Yanis. Or il s'en est déjà allé et la déception vient étreindre mon cœur. A présent c'est seule que je dois accomplir ma mission.
A une centaine de mètres de moi se trouve le pont des arts et ses barreaux supportant les poids de milliers de cadenas d'amour. J'aimerais bien en accrocher un, un jour, il ne me reste plus qu'à décider quel nom sera gravé auprès du mien...
Je me mets en route d'un pas rapide. Au début j'ai peur d'éveiller les soupçons et puis je remarque que tout le monde marche vite à Paris. Je surprends quelques personnes qui tiennent leur sac entre leurs mains comme si elles craignaient qu'on les leur vole. Apparemment je ne suis pas la seule à ne pas me sentir en sécurité. Les gens ont l'air si stressé et de mauvaise humeur que je me demande même si ce ne sont pas eux qui doivent échapper à des vampires et honorer un rendez-vous avec le petit prince du Paradis.
Je fais de mon mieux pour me fondre dans la marée humaine et ne pas attirer l'attention. Dans mon lycée j'avais le don d'être invisible et de passer inaperçue, alors je suppose qu'il en sera de même ici. Je me rends compte qu'à aucun moment je ne me suis demandée si cette lettre ne nous menait pas tout droit dans les griffes du loup. Après tout, cela pourrait bien être un piège des anges ou des vampires... mais je suis persuadée que c'est Evelyne qui l'a écrite et je la vois mal nous trahir. Quand bien même le Conseil lui aurait forcée à rédiger cette lettre, elle ne l'aurait pas fait, ou du moins n'aurait pas parlé de l'héritier comme de celui que j'aime.
Peut-être ont-il des détecteurs de vérité au Paradis ?
Non. Et de toute façon je suis sûre qu'Evelyne aurait su déjouer leurs tours. Ses yeux bleus par lesquelles j'entrevoyais son âme me reviennent en mémoire et je tente en vain de me souvenir à qui d'autre ils me font penser.
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