Oui, comme vous pouvez le constater, je me remets à écrire. Je ne peux jamais m'arrêter bien longtemps car j'ai tellement de choses à raconter que j'ai peur d'en oublier si je n'écris pas tout tout de suite.

Alors me revoilà, moi, mes feuilles et mon stylo. Mais je ne sais pas par où commencer.

Enfin bref, vous m'excuserez, je suis un peu excitée et j'ai du mal à me concentrer, mais je ne vais pas abandonner, hein ! Non, malgré le fait que je ne sache pas quoi dire j'ai une envie irrésistible de le faire, alors je vais essayer de me calmer...

Bon... je crois que je ne vais pas y arriver...

Je vais me contenter de vous décrire ce qu'il y a autour de moi et je suppose que ça viendra tout seul...

Pour commencer, j'entends le bruit de l'océan, les cris des mouettes et le souffle du vent qui agite les palmiers. Il va falloir, d'ailleurs, que je leur dise à bientôt parce que je sens que je ne vais plus les revoir pendant un bon bout de temps.

Ensuite, permettez-moi de griller les détails parce que des tas de mots déferlent dans mon esprit et je sais enfin par où commencer.

Yanis. Voilà, C'est de lui que j'ai envie de parler. C'est lui qui occupe mes pensées depuis hier. Il me rend folle, et si j'ai bonne mémoire c'est justement ce qu'il a commencé à faire aux portes du Paradis. Me rendre folle, c'est sa profession. Il me fait perdre mes moyens, il... oh mais il y a aussi Théo...

C'est un véritable calvaire pour moi que de devoir me scinder en deux pour être reconnaissante envers l'un et envers l'autre. Cette histoire me prend la tête, mais je dois avouer que c'est plutôt agréable. Etre désiré par deux garçons magnifiques, intelligents, forts, et surtout, ailés. Les filles devraient rajouter ça dans leurs critères de sélection. Parce qu'un mec capable de nous prendre dans ses bras et de nous faire parcourir le ciel... c'est une bonne raison de contredire la vérité générale qu'un mariage sur trois se termine en divorce.

Franchement, si le surnaturel occupait une place plus importante dans la société ça ne serait pas si mal.

Cependant j'aime bien ce statut de privilégiée. Je suis la seule et l'unique, l'Immortelle, celle pour qui des peuples s'arrachent... je suis l'arme fatale et j'ai entre mes mains le destin du monde. Ce que je viens d'écrire ressemble plus à de l'autodérision, en fait, parce que j'ai l'impression de me moquer d'un peu tout le monde – y compris de moi – en disant toutes ces choses qui n'ont aucun sens à mon goût.

Il y a pourtant un fait dont je suis sûre : Yanis et Théo me veulent. Un ange et un démon s'intéressent pour la première fois de leur vie à une humaine, et je suis fière d'être l'heureuse élue... ne me reste plus qu'à faire un choix.

A vrai dire j'aimerais bien les avoir tous les deux rien que pour moi, mais ça ne serait pas gentil, or je ne connais pas les limites sentimentales d'un démon ou d'un ange et je ne sais donc pas ce qu'ils seraient prêt à faire pour m'avoir. J'ai souvent entendu des choses du genre : « pour eux les sentiments sont décuplés » ou « ils ne donnent leur cœur qu'une fois, mais c'est pour la vie » alors je me fais du souci à l'idée que je puisse leur briser le cœur. Après tout je n'ai rien demandé, j'espère juste qu'ils comprendront... de toute façon je ne suis même pas sûre d'avoir à en choisir un... tout est si dangereux que je ne m'en rends même plus compte, mais je suis quand même consciente qu'ils pourraient mourir n'importe quand... D'ailleurs, même moi je pourrais mourir. Qui me dit que j'ai vraiment un pouvoir ? Et comment fonctionne-t-il ? Est-ce que je vais vivre éternellement, est-ce que je vais cesser de vieillir à un certain âge ou est-ce que je vais ressusciter si je meurs ? Je ne préfère pas savoir... Il y a tellement d'immortalités possibles...

Et si j'essayais d'évoquer des faits plus joyeux ?

Bonne idée. Pour commencer je vais vous raconter ce qui s'est passé quelques minutes après que Yanis ait décidé qu'on irait à Paris – c'est demain, que le temps passe vite !

On a tenté d'élaborer un plan ou plutôt de s'organiser – oui, c'est plus juste. Puisque les vampires et les anges peuvent facilement sentir sa présence, il est préférable qu'il reste à l'écart, alors on trouvera ensemble le bon pont et puis il ira m'attendre dans le parc le plus proche – apparemment sa trace y serait plus dur à déceler. Puisque je vais me retrouver seule au moins dix bonnes minutes il faut bien que je sache me défendre au cas où... alors il m'a appris à me battre ! Enfin non, il m'a juste montrée quelques trucs mais ça n'a pas duré longtemps parce que j'étais crevée au bout d'une demi-heure – ça l'a exaspéré. J'ai tout de même appris à manier un couteau sans me couper un doigt et à rapidement allumer un bâtonnet d'huile avec un briquet pour le lancer sur un vampire. Je sais que pour les tuer il faut soit les brûler, soit les décapiter, soit leur embrocher le cœur avec du bois. Yanis m'a bien mis dans la tête que je ne parviendrais à mettre en œuvre aucune de ces trois manières et que si je tombais nez-à-nez avec des vampires, ma meilleure option serait encore de courir. Il m'a aussi précisé que dès que nous aurons mis les pieds à Paris, ils en seront rapidement au courant.

Je crois néanmoins que le plus périlleux pour moi sera de traverser le pont, trouver Daniel, lui prendre ce qu'il a à me remettre et faire en sortes de ne pas me faire repérer ni par les vampires ni par les anges qui accompagneront sûrement l'héritier.

En y pensant je suppose que c'est mission impossible et que je n'arriverai jamais jusqu'à Yanis saine et sauve... mais je n'ai pas le choix.

Je n'ai plus qu'à faire confiance à celui qui a écrit cette lettre, en espérant que tout ça ne soit pas un piège.

Positif, positif... Oui, alors parlons positif, justement.

Le meilleur moment passé sur cette île restera pour moi celui où Yanis a essayé de m'apprendre à me défendre – je ne pourrais pas lui reprocher de ne pas avoir fait de son mieux.

Nos corps se frôlaient et j'avais l'impression d'entendre son cœur battre tandis que le sang martelait ma tempe. Il me prenait les mains et nous dessinions ensemble les gestes à mémoriser, des gestes qui me sauveront peut-être la vie demain. Je pensais qu'il aurait du mal à se comporter comme avant alors qu'il avait été à deux doigts de me dire qu'il m'aimait, et pourtant si. On aurait dit que son esprit s'était vidé. Il était parfaitement calme, aussi bien au paraître qu'à l'intérieur. Il arrive à faire la part des choses on ne peut mieux et je vais me reposer sur cette excuse pour justifier ma médiocrité lors de ce mini-entrainement : il était beau et mystérieux, et ne se sont pas écoulées vingt secondes sans que mon cœur envoie des messages à mon cerveau, lui demandant de décrypter encore et encore chacun de ses traits et de ses gestes. C'est obsessionnel. Il me fascine davantage de jours en jours et je prends conscience que le temps l'embellie. Plus nous nous rapprochons, plus il a l'air bien. Et même si je sais qu'il ne peut pas s'empêcher de chambrer à tout-va, il doit se sentir beaucoup mieux quand l'ambiance est détendue et que le lien qui nous uni se nourrit de sourire et d'éclats de rire. J'en viens à faire attention à Yanis, à prendre soin de lui comme s'il avait besoin d'être protégé... de son côté il fait de même pour moi. On se fait du bien, et l'un et l'autre, mais si un jour ça casse je crois que ce sera bien plus dur pour lui que pour moi.

Parce que bien qu'il ne m'ait rien dévoilé de son passé, je ne suis pas niaise, je sais très bien que sa vie n'a pas dû être facile. S'il refuse de se livrer à moi c'est qu'il craint que je ne le vois plus du même œil – parce qu'il a sans doute commis d'affreuses choses dont il n'est pas fier - ou c'est que ça ferait ressortir trop de mauvais souvenirs ; or il ne peut pas se permettre de se laisser perturber par ce genre de chose alors qu'il a une grosse responsabilité sur les épaules.

Chaque fois que je le questionne pour tenter d'en apprendre davantage sur lui, c'est comme s'il verrouillait tout. Son visage perd toute expression et son regard se vide de toute émotion. Le mieux à faire serait de cesser de fouiner pendant un moment et d'attendre que nous ayons créé assez de liens pour qu'il se livre de son plein gré, mais je suis trop curieuse pour ça. Et ça m'étonne, d'ailleurs, car je ne me rappelle pas avoir déjà eu écho de ce défaut...

Après tout, je grandis, et tout autour de moi évolue. Les paysages changent de formes et les couleurs optent pour de nouveaux tons. Une page se tourne et une nouvelle ère commence.