Chapitre 24 : Vaillance
Le jeune homme releva la tête alerté par les cris d'horreur qui perçaient dans la foule.
Les autres candidats, dans le même état que lui, cherchaient en vain à trouver l'origine de la panique générale qui avait gagné les rangées encore enthousiastes quelques instants au paravant de public.
-Will, ne reste pas là ! hurla la voix de son père au milieu du vacarme. Rejoins moi ! Vite !
Les yeux noisette s'affolèrent, parcoururent les rangées de spectateurs à toute vitesse. Les gens se levaient, hurlaient, s'en allaient. Les garçons criaient, perdus dans cette incompréhension, ce brouhaha général. Ils étaient pourtant déjà stressés avant de venir se présenter à l'Epreuve, cette nouvelle source d'inquiétude les poussait à bout.
Les plus grands d'entre eux cachaient la vue à Will, hissé sur la pointe des pieds pour tenter, en vain, de retrouver son père. Sans qu'il ne puisse les retenir, des larmes salées perlèrent aux coin de ses yeux.
Il ne chercha pas à les dissimuler, sa seule occupation dirigée vers l'objectif de retrouver enfin son père. Un repère, quelqu'un pour lui dire ce qu'il se passait. Il se fit bousculer à plusieurs reprises, tomba contre le sol boueux. Ses pleurs augmentaient à chaque nouvelle chute mais à chaque fois il se relevait, vaillamment.
Il se retrouva debout, entre deux jeunes hommes à la carrure impressionnante lorsqu'un grognement surhumain perça le vacarme. D'autres hurlements gutturaux le firent trembler.
Et enfin, un chemin se dégagea devant lui, mènant tout droit en haut des gradins, presque vides. Et au dessus de toutes les rangées taillées pour accueillir un public impressionnant, se dressait un monstre. Debout, droit, fier, dominant l'arène de toute sa splendeur. Les épaules larges comme trois bariques de vin, les dents longues comme des épées et les yeux fous, aux lueurs rouges. À ses côtés, des centaines de gobelins s'amassaient les uns derrière les autre, dans un désordre vert et brun sans nom.
Will écarquilla les yeux, pria pour être en train d'halluciner. Oui, son cerveau devait lui jouer des tours suite à l'angoisse qui n'avait cessé de grandir en son ventre depuis quelques jours. Oui, ça ne pouvait qu'être ça. Ces créatures ne pouvaient pas exister, ne devaient pas exister.
Il ferma les paupières et inspira lentement. Tout doucement, pour calmer sa respiration. Inspirer. Bloquer l'air. Expirer. Lentement. Recommencer. Inspirer. Bloquer l'air. Expirer. Lentement. Il se créa sa propre bulle apaisante, uniquement concentré sur son souffle. Il oublia les bruits autour, la peur, les cris, cette vision d'horreur qui s'était offerte à lui. Tout disparut et il ne resta que son cœur qui ralentissait et sa respiration régulière. Plus rien ne comptait. Tout allait bien, tout allait pour le mieux à l'intérieur de son cocon.
-Will! hurla une voix qui paraissait si lointaine.
Le garçon papillona des yeux, tout doucement. L'écho du cri affolé ne le dérangeait presque pas, comme s'il faisait lui aussi partie de ces choses que sa bulle éloignait de lui.
-Will ! Non!
Cette fois-ci, l'écho fut plus puissant. La voix résonna dans toute l'arène et sortit brusquement le jeune fermier de sa torpeur. Un seul mot s'afficha dans son cerveau encore engourdi : papa.
Puis un second apparut : peur. Et un troisième : danger.
Il se tourna vers l'origine du cri. Un homme, son père, courait vers lui, le visage ravagé par la terreur. Ses pieds foulaient le sol à toute vitesse, il dérapait dans la boue sans s'arrêter et courait. Courait, encore. Toujours plus vite.
-Will, va-t-en ! cria-t-il à bout de souffle sans cesser sa course folle.
Alors, le garçon se retourna. Il fit trois pas en arrière en voyant l'armée de gobelins se ruer sur lui. Puis il fut paralysé par la peur. Ils approchaient trop vite. Bien trop vite. Tout s'enchaînait et lui découvrait les choses comme quelques secondes en retard. Comme s'il avait été mis au ralenti et était incapable de prendre pleinement conscience du danger qui planait au dessus de lui.
-Cours ! Wiiiiiiiill !
Mais il en était incapable. Ses jambes pesaient trop lourd, les gobelins arrivaient trop vite. Le sol commençait déjà à trembler, secoué par l'armée enragée qui se ruait sur lui. Il jeta un regard en arrière pour croiser les yeux de son père. Il ne le vit pas, brutalement plaqué au sol.
Sa tête heurta la terre, son corps suivit. Un poids immense s'abatit sur son dos et il se mit à voir trouble. Des secousses lointaines le firent trembler mais à nouveau, il avait l'impression que tout était étouffé dans un cocon moelleux qui ralentissait ses réactions et affaiblissait ses sens.
Et soudain, tout cessa. Les tremblements s'arrêtèrent. Mais il avait tant de mal à respirer, la poitrine toujours comprimée sous un poids immense. Je vais mourir, songea-t-il avec horreur quand l'air se mit à manquer sévèrement.
Tout à coup, ce qui était couché sur lui fut déplacé. Il retrouva avec soulagement un accès à de l'air. Il laissa sa tête collée contre le sol quelques secondes, pour reprendre son souffle.
Puis il décida de se relever. Il tituba un instant, peinant à rester debout. Deux mains gluantes se saisirent de son bras et l'aidèrent à se maintenir en équilibre. Une fois qu'il fut stable, elles disparurent. Le garçon se retourna et vit des centaines de gobelins dans l'arène.
Ils venaient d'en prendre possession et escortaient les villageois vers la sortie, encadrant le groupe de leurs armes pointées en avant.
Will fut cogné par une lance qui lui piqua le dos pour lui signifier d'avancer. Son instinct le poussa à jeter un dernier coup d'œil à l'endroit qu'il occupait juste avant.
Et là...
Là tout bascula.
En un regard. En une seconde.
Tout s'effondra. Ses piliers. Non, son dernier pilier.
Tout venait de basculer. À jamais. Le destin était irréversible et sa sentence terrible.
Et là...
La colère prit le dessus sur la peur.
En un souffle, elle balaya ses pleurs.
Tout s'était effondré, il n'avait plus rien à perdre à tenter de le venger.
Alors avec un cri de rage, mêlé à sa peine, il fit volte-face, le visage ravagé par la douleur et la haine. Ses mains se saisirent du bout de la lance du garde et il lui arracha d'un coup sec. La colère lui conférait un courage sans faille, une inconscience même qui le poussait à se mettre en mauvaise posture. Mais rien d'autre ne lui importait. Rien d'autre que de venger cette personne qui s'était sacrifiée pour lui. Pour sa vie à lui.
Il fut arrêté dans son élan de rage. Un gobelin se jeta sur lui et le plaqua au sol, comme son père l'avait fait juste avant pour faire bouclier de son corps et sauver son fils. Des centaines de bottes s'étaient écrasées sur son dos mais il n'avait pas tenté de fuir. Il était resté allongé sur Will et avait enduré les coups avec vaillance.
Et à présent, coincé contre le sol, maintenu à terre d'une poigne forte, le garçon en prenait douloureusement conscience. Alors, toute adrénaline le quitta et il redevint un garçon frêle dévasté par la mort de son père. Il fut relevé, traîné au milieu des autres habitants et lâché près de l'estrade qui surplombait la place principale.
Les envahisseurs semblaient avoir bien prévu leur coup, arrivés pendant le moment de l'Epreuve, comme s'ils savaient que personne ne trainerait ailleurs dans la ville, sauf les enfants encore trop jeunes pour avoir le droit d'y assister.
Will resta debout, au milieu des autres citoyens. Les pieds à terre, les pensées tournées vers son père. La créature majestueuse qu'il avait aperçue en haut des gradins se tenait à présent debout au milieu de l'estrade.
Derrière elle, un garçon qui devait avoir son âge était recroquevillé dans l'extrémité d'une cage en bois. Will en eut des frissons. En dessous des mèches brunes de l'inconnu, des traces de sang apparaissaient clairement. Derrière ses yeux bleus ternis par la douleur, une terreur sans nom luisait. Dans sa position craintive se lisait toute l'horreur de sa situation. Ses plaies, ses jambes tremblantes, les croûtes de sang, les bleus, tout indiquait à Will que ce pauvre jeune homme avait été battu... Torturé même, nota le fermier.
Son regard restait inexorablement attiré par le prisonnier. À chaque fois qu'il tenait de fixer les gobelins ou leur chef, ses yeux convergeaient vers l'autre. Vers le malheureux. Il y avait quelque chose d'étrange, ne cessait de se dire Will. Quelque chose que ce garçon avait en particulier pour être traité de la sorte. Et surtout, quelque chose de bizarre dans l'attitude du mystérieux inconnu. Will se demandait pourquoi il ne cessait de fouiller la foule avec appréhension, sa crainte devrait pourtant être tournée vers celui qui se tenait à ses côtés !
Soudain, les yeux océan du prisonnier s'écarquillèrent. Il se mit à secouer frénétiquement la tête, les larmes dévalant brusquement ses joues. Will se tourna aussitôt vers l'endroit qu'ils pointaient. Il eut du mal à voir au dessus des épaules, des têtes, des cheveux qui le surplombaient. Il finit par se frayer un chemin dans la foule pour retrouver la source d'une telle frayeur.
À force de jouer des épaules, de se faufiler, de se glisser parmi les gens il arriva vers le lieu toujours fixé par le garçon. Will s'y arrêta et parcourut les alentours du regard. Il reconnut vaguement un des autres cadets qu'il avait croisé avant l'Epreuve, identifia un homme comme le boucher le plus réputé du coin et se figea sur une autre tête inconnue.
Deux yeux verts alternaient entre le sol et la cage. Une bouche fine et pincée s'entrouvrait à certains moments pour murmurer des mots entendus par lui-même. Une mâchoire carrée, où une barbe nette et soignée pointait le bout de son nez, se contractait. Une légère cicatrice reliait son menton à son nez et malgré celle-ci, le visage conservait une certaine élégance.
Will contempla l'homme plusieurs minutes sans réussir à lui donner une âge. La quarantaine, peut-être plus, peut-être moins. Il n'en savait rien. Mais ce visage sonnait familier dans la tête du jeune homme. Un petit quelque chose dont il avait déjà entendu parlé, déjà vu ou... Les yeux du jeune fermier furent attirés par l'éclat d'une chaîne qui entourait le cou de l'homme. Le reste était dissimulé sous un pull en laine miteuse. Cependant l'éclat le fascina. Longtemps. Il resta absorbé par le collier jusqu'à qu'un cri franchisse ses lèvres.
Il porta sa main à sa bouche, refusant de croire ce que lui hurlait son instinct : cet homme était le sauveur. Oui, tout l'indiquait, se confirma Will. La chaîne, les yeux verts dont les chansons vantaient la beauté légendaire et puis, en dessous de l'état déplorable de ses vêtements, il gardait un visage soigné, une barbe taillée, des manières plus nobles que ce qu'un simple paysan aurait dû avoir.
Le présumé Sauveur se tourna vers lui. L'air sombre, il le menaça d'un seul regard de parler et livrer son identité. Comme quand papa me grondait et me faisait les gros yeux, songea Will. Ses souvenirs d'enfance l'englobaient, il se revoyait courant, riant, se jetant dans les bras de son père.
"Tu ferais mieux de te concentrer sur ce qu'il dit" lui conseilla une voix dans sa tête. Le sauveur le regardait d'un air entendu, comme s'il connaissait le contenu du message qui venait de lui parvenir...
Will hocha la tête et s'empressa d'obéir, tétanisé par l'impression que l'homme était entré dans ses pensées.
-Les règles sont simples, disait le monstre lorsque le fermier se concentra sur ses paroles. Agenouillez vous, promettez moi fidélité, vous deviendrez mes esclaves... Refusez, vous serez traités comme prisonniers ! Et si l'envie vous vient de me démontrer dès à présent votre loyauté, vous saurez quoi faire au bon moment, croyez-moi ! Mais avant toute chose, organisez moi ça, je vous prie... Femmes, par ici. Hommes, de ce côté là.
-Et les enfants ? hurla une femme dans la foule. Que leur avez-vous fait ?
Elle fut acclamée, soutenue par les autres habitants.
-Elle a raison ! approuvaient les uns.
-On veut les voir ! réclamaient d'autres.
Le baghros leva une main finie par de longues griffes pour réclamer le silence. Les murmures se turent, un silence de mort plana au dessus de la foule.
-Les enfants ont été pris en charge. Ne vous inquiétez pas à ce propos... Allons, allons, mes amis, rangez ces airs mécontents et croyez-moi ! Pourquoi me regardez-vous comme si j'étais un monstre ? Vous avez envahi mon territoire bien avant ce jour. Je ne fais que reprendre ce qui me revient de droit. Ne me jugez pas trop vite ! Ne me condamnez pas sans procès !
Will eut une moue écœurée. Le monstre se permettait de les appeler "amis" alors qu'il se présentait à eux pour saccager leur ville et venait de tuer son père !
-Espèce de... commença-t-il le rouge aux joues.
Mais il fut interrompu par son regard flamboyant et sa voix acide gronda:
-Ne t'avise pas de finir ta phrase si tu ne veux pas finir comme lui, le menaça-t-il en pointant le mystérieux garçon.
Son ton s'adoucit et il continua :
-Oh... Je ne vous ai pas encore présenté mon invité d'honneur ! Tu dois l'avoir reconnu, toi, pourtant Noal, n'est-ce pas ? Oh, ne te cache pas, il y a moins d'hommes ici que ce que tu ne crois, je vais finir par te démasquer...
Le cœur de Will s'affola. Noal, il ne savait pas de qui il s'agissait mais était presque persuadé que c'était l'homme qu'il avait identifié comme le sauveur. Le garçon se mortifia : je viens d'attirer l'attention par ici, il va le tuer par ma faute !
Il secoua vivement la tête, il devait aider le sauveur. C'était son devoir de citoyen, c'était ce qu'il aurait voulu faire pour rendre son père fier de lui. Son père, si honnête et si bon, si juste et si bienveillant aurait tout mis en œuvre pour aider un sauveur. Alors peu importait au garçon comment, mais il allait l'aider.
Et ce mystérieux garçon avec.
***
Coucou!
Voici le chapitre du week-end, on retrouve Will et nos deux autres héros :)
J'espère qu'il vous a plu,
Bisous,
Dream
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