Chapitre 23 : À bout de Souffle
Tous les souffles se bloquèrent en même temps dans nos gorges. Un silence de mort plana au dessus de la scène d'horreur.
Un étranglement de stupeur se bloqua simultanément dans ma gorge et celle de la femme. Elle tomba, ses genoux s'effondrèrent contre le sol. Sa tête heurta le sable, et elle ne bougea plus. Immobile. Allez relève toi ! Relève toi ! N'abandonne pas ta fille! Allez ! Je la supliais mentalement, horrifié de mon geste. Je ne pouvais pas l'avoir tuée ! Je ne pouvais pas avoir tué une femme... Une innocente, une mère, une courageuse.
Elle aurait pu être tuée comme tous les autres, cela n'aurait fait que m'attrister... Mais de ma main ! De ma main bordel ! Je tentai de me rassurer, répétant que ce n'était pas de ma volonté et que cela restait le principal.
Cependant, le couteau avait quitté ma main, lancé avec la force de mon bras.
J'assistai au reste des événements comme si je n'y était pas. Mes yeux restèrent figés sur la femme tandis que les villageois se levaient un à un pour choisir leurs Destins. Hommes, femmes se succédèrent, traînant les pieds, morts de peur, affichant indifférence, force ou crainte ouvertement. Tout s'enchaîna sans que je n'en ai réellement conscience. Les uns refusaient de s'allier, étaient jetés par terre et ligotés. Les autres pliaient un genou hésitant et pouvaient rejoindre un second groupe encadrés par des gobelins vigilents. Aucun n'avait encore accepté d'embrasser la lame meurtrière d'un de leur proche ou de sacrifier un enfant. Aucun... Jusqu'à cet adolescent blond à l'air méprisant.
Sur sa mine sombre, les émotions semblaient ne pas exister. La crainte qu'il aurait dû ressentir face au baghros n'existait pas ou était bien dissimulée sous un masque indifférent, presque méprisant même. Il s'avança d'une démarche assurée, contrairement aux autres, jambes flageollantes, qui marchaient en trébuchant. Arrivé devant Smorblog, il s'était agenouillé comme à contrecœur et avait lâché :
-Mon Seigneur, je souhaite devenir votre fidèle allié. Je ne désire rien de plus au monde que votre gloire et la destruction de ces sauveurs prétentieux.
Sa voix claire ne trembla pas une seule fois. Les mots s'enchaînèrent simplement, énoncés comme une évidence. L'intéressé, lui offrit un sourire de ses crocs jaunis et répliqua :
-Bien, tu sais ce qu'il te reste à faire, désigne le gobelin qui a tué ta famille.
-Je n'ai aucun proche, mon seigneur.
Les commissures des lèvres de monstre s'étirèrent plus encore. Ses yeux se mirent à briller d'excitation. Un frisson me parcourut.
-Lequel désires-tu tuer ? demanda-t-il.
Chacun de ses mots résonnèrent clairement et la tension grimpa d'un cran encore si cela était possible.
L'adolescent tourna la tête vers les enfants. Les scruta. Les détailla tous. Ses yeux s'attardèrent sur la fillette penchée au-dessus du corps de sa mère. Il hocha la tête lentement et la pointa du doigt.
-Bien, lève-toi.
Le garçon obéit. Le baghros lui fit signe de s'avancer. Il s'exécuta. On lui déposa une épée entre les mains. Elles la maintinrent d'une poigne ferme. Ses dents s'entrechoquèrent uniquement au moment où la fillette releva ses yeux vers les siens. Leurs regards se croisèrent fugacement avant qu'il ne prit la décision de le détourner.
Il parut aussitôt incertain de son choix, comme perplexe face à ce que les prunelles de sa cible lui avaient montré. Je ne les avais pas vues mais voir l'adolescent perdre son assurance m'intriguait.
Le blond hésita puis continua à avancer. Des gardes le rejoignirent et relevèrent l'enfant. Chacun de ses bras était immobilisé. Elle ne chercha pas à se débattre longtemps. Elle inspira plusieurs fois calmement, puis elle perdit à nouveau tout contrôle d'elle-même. Ses pleurs dechirèrent l'espace, perçant le calme presque parfait de la nuit. Ils surpassèrent les crépitements des flammes lointaines et me glacèrent d'effroi.
Elle finit par me regarder. Ses yeux gris semblaient vides, comme si la mort était déjà venue la happer. Mais leur intensité réfutait cette impression. Je compris à l'instant ce qui avait fait hésité l'adolescent.
Elle semblait attendre quelque chose de moi. Peut-être que je la sauve, comme si cela était possible. Comme si elle n'avait pas vu mon impuissance face à la mort de sa mère. Comme si elle n'avait pas encore reconnu ma faiblesse. Mais soudain je compris. Ça, elle ne l'espérait plus. Elle désirait quelque chose que je pouvais lui donner.
Je serrai les poings et lâchai :
-Désolé.
Mon murmure se perdit en route, détourné par son cri de peur. L'épée venait de toucher la peau délicate de son cou. Je m'affolai et répétai plus fort :
-Elle t'attend là-haut, sois forte !
Cette fois-ci elle m'entendit. Elle sourit faiblement et le baghros envoya un cri perçant dans ma tête. Je m'effondrai, terrassé par la douleur. Je convulsais contre le sol, mon crâne allait exploser, compressé par une force incommensurable. Je perdis rapidement conscience. Mes paupières se faisaient lourdes, impossibles à maintenir ouvertes, malgré toute ma volonté. Elles se fermèrent, le noir m'accueillit dans son cocon de terreur. Je n'entendais plus rien à part les battements affolés de mon cœur.
L'oreille posée contre le sol, j'avais l'impression que chaque pulsation tambourinait violemment dans ma poitrine. Le son, bien qu'affolé gardait une certaine régularité sur laquelle je me concentrai pour m'apaiser.
Bientôt tout disparut à l'exception de ce battement régulier, envahissant et rassurant à la fois. Le reste n'eut plus aucune importance, mes sens oublièrent tout : Le feu, la destruction, les cris, la peur, le baghros, les morts, la cruauté, le vent qui hurlait, les villageois terrifiés, les enfants recroquevillés, l'adolescent blond. Tout s'envola et je plongeai très vite dans les méandres d'un sommeil bienfaiteur.
Ma respiration régulière et lente fut preuve de mon sommeil profond. Les heures se succédèrent, le soleil apparut au-dessus des ruines d'un village détruit. Le baghros et ses troupes n'avaient toujours pas bougés. Lorsque je me réveillai, la première chose qui attira mon regard fut lui.
Il se tenait, droit, sur l'estrade surélevée. À ses pieds, s'étendaient des kilomètres de terrain sablonneux, couvert de tâches de sang. Un ou deux bâtiments se tenaient encore debout, tant bien que mal. Leur toit légèrement incliné, résistait. Pour combin de temps, peu c'était certain. Mais ils s'accrochaient. Encore. Comme nous l'avions tous toujours fait. Comme moi enfant, comme tous les esclaves, comme sire Jildis à la baie de la Fahra. Tenir. Résister. Se battre. Ne pas baisser les bras.
Tout cela se répétait dans un cycle infernal. Un cycle sans fin semblait-il.
Le baghros dominait la ville. Il dominait la vie de centaines d'innocents qu'il venait d'attaquer et priver de liberté. Mais contrairement à ce à quoi je m'attendais, il paraissait presque déçu face à son œuvre.
Il se tourna vers moi. Je tentai de me redresser en position assise, n'y parvins pas et restait finalement couché.
-Je n'ai jamais désiré tout cela, lâcha-t-il.
Son regard se perdit sur les cendres éparpillées sur le sol, balayées par le vent mais toujours présentes.
-Je n'ai rien demandé de tout cela. Rien choisi, continua sa voix fatiguée.
Je n'osais pas bouger, fasciné par le regret qui perçait de ses mots.
-Vous nous avez envahis en premier, je n'ai fait qu'essayer de protéger mon peuple. Regarde ce gâchi, de votre faute ! Regarde ces cendres, regarde ces morts. Écoute le bois craquer et brûler. Sens cette odeur âcre du sang. Renifle, imprègne toi de cette atmosphère brisée. Demande toi ce que tu cherches, la paix ou cela. Demande toi ce qui est juste, ce qui ne l'est pas. Et la réponse t'apparaîtra évidente : les hommes sont cruels. Les fées sont perfides. Les Okitiens sont cupides. Les elfes sont prétentieux, les nains des lâches. Mais nous, mes frères, mes sœurs, mes parents, nous ne vous avions rien fait...
Sa voix se brisa sur la dernière phrase. Je ne savais plus que faire, que penser. Ainsi, les baghros pouvaient ressentir des sentiments ? Une pointe de tristesse en plus ! Je restai figé.
-Et toi, tu soutiens ça. Tu soutiens la cause du mal en obéissant à Noal. T'a-t-il déjà réellement montré de l'affection ? T'a-t-il toujours encouragé comme si tu étais l'élu, ou dit-il du mal de toi ?
Le baghros me posait ses questions lentement, mêlant émotion, voix tendre et désespoir. Tout ceci s'embrouilla dans ma tête, mon cerveau fatigué. Et puis, je n'avais pas vraiment la réponse à ses questions ! De l'affection, certes un petit peu, il m'avait serré une fois dans ses bras... Mais à présent que j'y pensait, après m'avoir amené chez lui, il n'y avait rien eu de plus.
Quant à sa deuxième question... Elle touchait sa cible : le sauveur m'avait annoncé clairement que je n'étais pas celui qu'il espérait... Ainsi, le baghros était bien renseigné et disait vrai.
-Avec moi, tu serais considéré comme mon fils. Comme ce fils que j'ai perdu, qui m'a été arraché, continua le monstre. Allez, rejoins mes alliés !
À cette phrase, un éclair de sagacité me traversa : il veut te faire changer de camp ! Il te manipule ! Toutes ses remarques sonnèrent immédiatement fausses, trop étranges pour être vraies.
Il s'approcha de moi, lentement, souriant de ses dents jaunes. Il tendit une patte vers moi pour me serrer la main, un air entendu sur le visage.
Je reculai à l'autre bout de la cage. Il abaissa son bras et lança, hargneux :
-Je ne te le proposerais pas deux fois !
Je me mis à paniquer. Il tentait de me manipuler depuis le début, mais s'il comprenait que je l'avais percé à jour, il risquait de se mettre en colère ! Un tourbillon de peur m'envahit. Il grossit, me faisant perdre mes moyens. Ma gorge s'assécha, mes mains tremblèrent, je pâlis brusquement.
-Très bien ! Si c'est ce que tu choisis... Ramenez-le, bandez lui les yeux, bâillonnez-le, attachez-le dans ma salle de torture. Je veux que la position soit tellement inconfortable qu'il se mette à pleurer avant que la séance ne commence !
Je n'entendais qu'à moitié ce qu'il disait, paralysé par la peur... Peur et douleur réveillent ta magie, peur et douleur ! Il me manquait la douleur pour réussir quelque chose, tenter quelque chose au moins. Et, après ce qu'il venait d'annoncer, la douleur viendrait en force.
Je n'avais plus qu'à l'attendre.
Qu'il essaie, de me faire du mal. Qu'il me terrifie, qu'il me fasse souffrir, je lui ferai regretter. Fort de cette certitude, je réussis à me calmer, apaisant ma respiration. Je ne gardais pas mon air calme bien longtemps.
Les ordres du baghros étaient en train d'être exécutés. Trois gobelins s'engouffrèrent dans ma cage, me mirent à genoux, mains derrière le dos. Une corde râpeuse passa autour de mes poignets, fut serrée et m'immobilisa. Le bandeau noir qui pendait autour de mon cou fut remonté, me privant une fois encore de la vue. Et cette fois-ci, ce ne fut pas un morceau de tissu qui m'empêcha de parler mais bien un bout de bois.
Je reçus quelques gifles dans la foulée, suivies de coups violents dans le ventre. Si violents, que je commençai à voir flou. Je perdis connaissance en quelques secondes à peine.
Lorsque j'ouvris les yeux, ma cellule m'accueillit. Une torche accrochée au mur m'éclairait faiblement tandis que le reste de la pièce, plongée dans l'obscurité me terrifiait. Le mur de pierres me semblait mal construit, un peu de travers, mais tellement épais qu'il paraissait impossible à casser.
L'atmosphère était humide, le bruit continu d'une goutte d'eau qui s'écrasait contre le sol me donna vite mal à la tête. Ploc. Ploc. Ploc. Ploc. Cela ne cessait jamais, ne ralentissait jamais. Le cycle infernal continuait, coûte que coûte, malgré mes hurlements.
De longues heures passèrent dans l'obscurité du cachot. Tout se répétait. Toujours. Froid. Peur. Faim. Colère. Ennui. Noir. Puis la porte s'ouvrait sur un gobelin qui changeait la torche et me donnait un bol de soupe froide. Et cela recommençait.
La position devint rapidement insupportable. Mes mains, attachées en hauteur, m'obligeaient à me tenir sur la pointe des pieds. Pieds qui, eux, étaient liés de façon à ce que mes jambes soient en écart permanent. Toutes les attachés, en métal, m'entaillaient la peau dès que j'esquissais un mouvement trop brusque.
Et le pire, au milieu de tout cela était le sentiment d'abandon profond qui s'installait en moi. J'avais cru, au début, que Noal allait arriver et me sortir de là. J'avais espéré que le sauveur vienne à ma rescousse. Mais les rations de nourriture s'enchaînaient, les moments de sommeil également. La douleur s'intensifiait, en même temps que le temps filait. Et très vite, je compris que je ne le reverrai plus jamais.
Mille pensées traversaient mon esprit. Je me demandais pourquoi je ne voyais plus le baghros, pourquoi il me gardait en vie, pourquoi...? Pourquoi moi ? Pourquoi avoir enlevé un garçon comme moi ? Pour Noal m'avait-il choisi ?
J'avais tout le loisir d'y réfléchir. Enfin... Avant qu'il ne décidât de passer à la torture.
Un jour, la porte s'ouvrit plus brusquement que d'habitude. Je somnolais, la tête appuyée contre mon épaule. Mes pieds ne touchaient pas le sol, je me laissais pendre faiblement à mes liens. Je battis des paupières pour apercevoir ce qu'il se passait.
Deux gobelins apparurent dans mon champ de vision. Étrange... L'un d'entre eux se posta devant la porte, doigts crispés sur son arme tandis que l'autre s'avança. Il libéra mes mains et je basculai vers l'avant, tombant dans les bras du monstre. Il grogna et me poussa en arrière, je ne parvenais pas à garder l'équilibre et terminai assis.
Il détacha mes pieds et me redressa. Les deux monstres commencèrent par m'épauler, chacun d'un côté. Cependant, ces jours passés seul, dans le noir, avec peu de nourriture, m'avaient tant affaibli que même soutenu, il m'était impossible d'avancer.
Les deux gardes s'impatientèrent et ils me portèrent à tour de rôle sur leurs épaules couvertes d'un tissu d'un brun peu inspirant. Je faillis m'endormir durant le trajet, mais ils ne manquaient pas de me frapper pour me maintenir éveillé.
Lorsqu'ils s'arrêtèrent, deux immenses portes nous bloquaient l'accès. Je fus déposé au sol, maintenu debout par un troisième gobelin. Les battants s'écartèrent pour nous laisser passer et je titubai jusqu'à l'intérieur de la salle. Là, tout soutien me fut enlevé et je finis agenouillé sur un sol glacial.
-Installez-moi notre invité pour une petite séance sympathique... Vous savez, ma préféré, annonça Smorbôlg d'un air sarcastique.
Je fus relevé, traîné jusqu'à une table, allongé sur cette dernière et attaché à ses quatre coins. Je laissai ma tête se reposer contre le bord de cette dernière. Tremblant, je fermai les yeux. Pas question d'affronter le regard du baghros, pas question de me sentir vide à nouveau, perdre le contrôle de mes pensées.
-Tu sais, je t'apprécie comme prisonnier. Tu es plutôt mignon, sussura-t-il au creux de mon oreille.
J'en frissonnai. Sa griffe se balada sur mon torse, remonta jusqu'à ma joue et y laissa une fine trace. Un malaise naquit en mon ventre et me serra la gorge.
-Crois-moi, ce n'est pas contre toi ce que je m'apprête à faire. C'est contre Noal. Je souhaite juste m'assurer que lorsqu'il viendra tenter de te récupérer demain, tu sois trop faible pour fuir avec lui.
Mon souffle s'arrêta soudainement après cette annonce. Noal allait tenter quelque chose pour moi ! Mais il ne devait pas ! Il allait se jeter dans la gueule du loup !
Il fallait qu'il annule ce qu'il avait prévu, avant demain. Qu'il arrête son plan... Avant qu'il ne soit trop tard.
****
Coucou!
Voilà le chapitre de ce week-end... En fait je devais le poster la semaine dernière mais j'ai oublié que c'était le week-end... Quelle andouille!
Enfin bref, j'espère que malgré le retard il vous aura plu et n'aura pas été trop ennuyant et répétitif, les choses vont bientôt basculer, pas de panique ! :)
Bisous,
Dream
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