Chapitre 3
Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton cur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !
Charles Baudelaire
Ca fait maintenant un mois que les Okeandras sont apparus puis disparus. Les journalistes ont beaucoup de cet évènement planétaire mais ont fini par se lasser. Aujourd'hui, tout le monde pense qu'ils ne reviendront plus. Seules quelques personnes pensent le contraire mais elles font maintenant parties des exclues de la société. Au infos, leur lynchage apparait régulièrement. Officiellement, les chefs d'état ont mis fin au rumeur et ordonné de ne plus en parler mais officieusement, tout le monde sait qu'ils ont demandé des recherches sur cette nouvelle espèce.
Sauf que ces recherches n'aboutissent à rien. La seule chose qu'on a, ce sont des photos. Pas la moindre trace de leur ADN.
Je suis une fois de plus en train de m'endormir en cours de français. Je peine à garder les yeux ouverts mais pour une fois, Monsieur Yalau semble plutôt indulgent puisque qu'il s'obstine à m'ignorer depuis la dernière fois.
Au bout de deux heures interminables, la sonnerie émet son bruit strident si reconnaissable annonçant la fin du cours de français.
Je me dirige vers la cantine, redoutant d'avance la nourriture qui est produite là-bas. Souvent, on n'identifie même pas ce que sait.
Une fois même, j'ai eu un steak encore congelé dans mon assiette.
Malgré ça, ma mère refuse de me laisser manger à la maison. Je suis donc condamnée à manger ses "aliments".
De plus, la cafétéria est toujours bondée et bruyante. Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, chaque élève avait le cou penché sur son i-phone.
Je m'assois à côté de Mélissa qui m'ignore, totalement concentrée sur son téléphone. J'ai beau me racler la gorge, agiter les mains, elle ne réagit pas.
Au bout de dix minutes, agacée, je sors à mon tour mon téléphone pour voir ce qui l'absorbe à ce point. Je fais défiler l'écran du doigt pour arriver aux actualités : "Invasion ?", suivit d'une courte vidéo. Je clique dessus, en augmentant légèrement le son.
Un Okeandras se tient sur une falaise, ses yeux brumeux semblant fixer le vide. Il semble attendre l'attention des gens autour de lui. Une fois qu'il l'obtient, il s'illumine, signe qu'il va parler.
"Peuple humain, vous avez offensé mon peuple en tuant les animaux que nous côtoyons. Nous étions venus en paix pour nous mêler à vous et devenir un peuple terrestre. Aujourd'hui, pour vous punir, nous emmènerons tous les mâles de votre espèce avec nous dans l'océan. Ne tentez pas de les sauver ou vous ferez face à de terribles conséquences."
Le monstre plonge ensuite dans la mer déchainée, anticipant les réactions de l'armée. Les journalistes à côté restent bouche bée. Je lève les yeux et remarque que tous les garçons ont l'air terrifié tandis que les filles affichent une expression neutre.
Le président français a annoncé suite à ça, qu'il tiendrait une conférence de presse ce soir pour présenter les mesures prises.
Je me lève pour retourner en cours tout en me demandant où sont apparus les Okeandras cette fois.
L'après-midi passe rapidement car tous mes camarades posent des questions sur une possible invasion, si bien que nous ne travaillons plus de la journée.
De retour à la maison, je vois ma mère installée sur le canapé, la télé projetant sa lumière sur son visage concentré. Elle ne se tourne même pas vers moi lorsqu'elle me salut. Je m'installe à côté d'elle sans même prendre la peine de retirer mes chaussures.
Le président est à l'écran. Il semble encore ahuri de la crise qui lui est tombée dessus alors qu'il vient à peine de prendre ses fonctions. Il se trouve à La Ciotat car il était en vacances. Eh bien, finit la détente mon vieux !
Il commence à parler mais sa voix tremble. Il tousse, se racle la gorge pour essayer de reprendre contenance mais c'est peine perdue. Il continue donc son speech avec la voix éraillée.
"Nous allons fermer les frontières et faire patrouiller tous les membres de l'armée de l'air et de terre. Rassurez-vous, nous ne sommes pas en danger, nous sommes prépa "
Un bruit d'éclaboussures est entendu puis on voit deux mains vertes apparaitre dans le champs de la caméra. Elles entrainent le président qu'on entend hurler et tenter de se débattre. Un nouveau bruit d'éclaboussures survient, emportant avec lui les cris du chef d'état.
La caméra grésille, tombe à terre, nous laissant d'entendre des cris de terreur, et s'éteint.
Ma mère et moi nous regardons, choquées. Ce n'est pas possible, c'est un cauchemar. Jusqu'ici, je ne prenais pas ça au sérieux puisque seul les hommes étaient concernés. Mais maintenant, je me rends compte de l'ampleur du problème.
Pour commencer de nombreux hommes ne pourront plus travailler, ce qui risque fortement de compromettre l'économie et l'approvisionnement en vivres et en argent de certaines familles. Ensuite, on fait souvent remarquer que sans les femmes, le reproduction serait impossible mais c'est aussi vrai pour les hommes.
Après, je suppose que ç'a ses avantages. Moins de monde sur terre pourrait permettre à la planète de respirer : moins de déchets, moins de pollution
Si on arrive à pallier le problème de la procréation, on peut réussir à vivre sans les hommes, faisant revivre la Terre par la même occasion.
En revanche, si les Okeandras viennent à se mêler au reste de la population, ça va être difficile à supporter.
j'avoue que je suis assez curieuse de savoir la suite des évènements. Les garçons vont-ils disparaître subitement ou progressivement ? Y aura-t-il de la violence dans cette invasion ?
Je m'endors la tête pleine de ses interrogations plus curieuses qu'anxieuses.
***
Je me réveille en entendant des cris. Me levant d'un bond, je cours à la fenêtre et écarte les rideaux. Je reste figer, une scène irréelle se déroule sous mes yeux.
Des hommes marchent dans la rue, parfaitement alignés. Quelques femmes, en infériorité numérique, sont mêlées à eux. Ils scandent des slogans stupides tel que : " Les hommes comptent pas pour des pommes !" ou " Halte à l'invasion !"
Certains à larrière commencent à se bousculer, faisant accélérer le pas de la foule. Au bout de quelques minutes, la troupe est en train de courir, totalement désemparée.
Derrière elle, apparaissent les créatures humanoïdes et cest la débandade. Elles sont armées de pointes acérées faites en os probablement. Leur sorte de lance est accompagnée dun bouclier fait de carapaces de crabe et de tortue géante au recto et dalgues tressées au verso. Le tout est maintenu par une lanière au bras de lOkeandras. Un à un, ils attrapent les hommes et les attachent, tandis que dautres vont toquer poliment aux portes pour chercher les fuyards.
Cest la panique générale, les garçons se jettent sur les fenêtres et les portes des maisons pour tenter déchapper à lennemi mais cest inutile.
Les quelques femmes qui étaient présentes dans la foule se retrouvent bientôt seules, leurs pancartes toujours levées. Elles restent là près dune minute, peinant à reprendre leurs esprits.
Pendant ce temps-là, les Okeandras continuent leur traque. Ils sont encore au bout de la rue mais déjà, je vois tous les volets, les portes et les rideaux se fermer sans laisser le moindre interstice.
Je descends, curieuse de voir si ma mère a assisté à cette scène terrifiante et en espérant quelle puisse me réconforter.
Les envahisseurs ont été rapides pour conquérir la Terre, ça cest de lefficacité !
Jouvre la porte de la chambre de ma mère et entre dans la pénombre ambiante. Seul un maigre rayon de soleil filtre à travers les volets clos et éclaire au passage le visage terrifié de ma mère.
Elle est roulée en boule, sa couverture la recouvrant entièrement comme pour la protéger. Elle observe autour delle de ses yeux hagards sans se fixer sur un point. Elle est blême et ses cheveux emmêlés ajoutent à létrangeté de la situation. Elle chuchote comme pour elle-même :
Jai voulu sortir pour aller travailler et jai vu ces monstres...
Ma mère soupire avant de senrouler un peu plus dans son drap. Puis elle murmure encore :
Iélena, il faut que je trouve Iélena.
Je mapproche delle lentement, avec précaution. Elle me fait vraiment peur, on dirait une folle. Je massois à côté delle et pose ma main sur son épaule en lui disant gentiment :
Maman ? Maman, je suis là, juste à côté de toi.
Elle tourne son visage sans expression vers moi, comme si elle ne me voyait pas et dans un sursaut, se jette sur moi en hurlant : Où est ma fille, sale monstre ?!
Elle continue de crier tout en me frappant.
Je décide de sortir de la chambre précipitamment et claque la porte derrière moi. Jentends ma mère sécraser contre la porte, la faisant grincer.
Je me tourne dans le couloir pour apercevoir un Okeandras qui savance vers moi.
Je ne sais pas quoi faire, je suis tétanisée. Il est maintenant à cinq mètres de moi et je ne peux toujours pas bouger. Il marche lentement, se dandinant comme un pingouin. Ses palmes le gênent et claquent sur le sol. Régulièrement, il trébuche sur le grand tapis que ma mère affectionne tant.
A maintenant deux mètres de la créature, je commence vraiment à paniquer mais elle me dépasse en mignorant complètement pour se diriger vers la chambre de ma mère. Jentends dailleurs celle-ci gratter comme une furie contre la porte.
Je respire enfin, soulager quil ne sen prenne pas à moi mais je réalise rapidement que sil ne sen prend pas à moi, il va sen prendre à ma mère.
Je cours vers la porte pour minterposer mais cest trop tard, lOkeandras a déjà posé sa main sur la poignée et la fait pivoter.
Ma mère est accroupie au sol et nous tourne le dos.
LOkeandras entre sans se soucier delle pour inspecter les placards. Fatale erreur.
Je recule, veillant à ne pas tourner le dos aux deux monstres. Ma mère me terrifie, on dirait une version moderne et féminine de Golum.
Soudain, elle se jette sur son adversaire et mord sa peau recouverte décailles tranchantes à pleines dents. Le monstre tente de se débattre mais les mains de ma mère étreignent ses épaules telles des serres. Horrifiée, je cours menfermer dans ma chambre à double tour.
Je mappuie contre la porte avant de me laisser glisser à terre. La peur ma essoufflée et mon cur bat la chamade. Je continue dentendre les cris de lOkeandras et de ma mère sans pouvoir distinguer qui prend le dessus.
Je reste assise contre ma porte de longues et douloureuses minutes en écoutant le moindre bruit. Les cris du combat se mêlent aux cris de terreur des femmes qui voient leur mari, leur enfant leurs être arraché.
Après cette attente interminable, plus aucun bruit ne résonne dans la petite maison. Je me lève pour sortir dans le couloir mais la poignée de la porte se tourne. Terrifiée, je bloque louverture de la porte avec une chaise et me jette à lautre bout de la pièce pour me cacher sous mon lit comme une enfant, guettant le moindre bruit, le moindre mouvement.
La personne devant ma chambre frappe et jentends la voix de ma mère :
Iéléna, ouvre-moi ma puce. LOkeandras est parti.
Avec milles précautions, je me relève, pousse ma chaise et ouvre la porte.
Ma mère se tient devant moi, le sourire aux lèvres, coiffée et habillée comme si rien ne sétait passé. Elle écarte les bras et savance comme pour membrasser mais je reste figée, la regardant avec méfiance.
Quest-ce quil y a ma puce ? Tu as eu peur des Okeandras ?
Non, ce nest rien, lui répliqué-je sèchement
Je sors en évitant le plus possible les contacts avec ma mère mais celle-ci en pense autrement. Elle menlace par derrière, provoquant chez moi un mouvement de dégoût. Elle membrasse le front avant de me relâcher. Je descends rapidement les escaliers pour méloigner le plus vite possible delle.
Ma mère prépare calmement son sac en soupirant et en me disant :
Mon chef va râler à cause de mon retard, cest la troisième fois ce mois-ci.
Je mabstiens de tout commentaire, sachant pertinemment que son chef ne va pas râler de son retard puisque lui-même aura un retard à durée indéterminé.
Elle membrasse une nouvelle fois le front avant de me souhaiter une bonne journée et de partir en oubliant comme toujours ses clés.
Je remonte pour aller me cacher dans ma chambre et pleurer comme lorsque jétais petite mais je vois quelque chose dépasser de la chambre de ma mère.
Je pousse un peu plus la porte, redoutant ce je vais y trouver.
La couverture de ma mère, quelle tenait tout à lheure enroulée autour delle, est à terre, prenant le seul espace libre quil reste sur le sol. Tout le reste est encombré de tous les objets que contenaient à lorigine les placards. Ils ont été jetés sans ménagement et même le cadre qui gardait la photo de mon père est brisé. Une odeur de poisson pourri et de mort flotte dans lair, au point que jen ai des nausées.
Je marche sur la couverture pour pouvoir accéder à la fenêtre et louvrir mais en posant le pied sur une bosse, jentends un écurant et sinistre craquement. Je soulève lentement le drap pour découvrir avec dégoût la tête dun Okeandras déformée par les coups et les morsures.
Ecurée, je rabats la couverture et cours vomir dans les toilettes.
Haletante, je mappuie contre le mur bleu de la salle de bain et ferme les yeux. Mais je revois cette horrible scène, faisant ainsi reparaître mes nausées et me laissant un goût amer dans la bouche.
Je me rince le visage et la bouche mais ce goût et cette vision refuse de disparaître. Je retourne dans ma chambre en étant totalement désespérée.
Ma mère a quand même pris une vie !
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