Ouvrir les yeux. Inspirer. Sentir l'air gonfler ses poumons. Expirer. Chaque cellule fait son job. Chaque veine transporte du sang, du cœur vers le corps, distribuant l'oxygène. Un orteil bouge. Puis un deuxième. Le cœur tambourine. Il tambourine si fort dans ma poitrine. Mes yeux s'ouvrent à nouveau, les sons m'entourent. Un bip bip rythme l'atmosphère reposante de la pièce ou je me trouve. Mes jambes sont lourdes. Mes bras sont lourds. Dans ma tête, j'ai qu'une pensée. Je ne suis pas mort. Je soulève ma main au dessus de ma tête. Elle est fine, de longs doigts fins, blancs, quelques veines apparentes. Je suis vivant. 

Vivant. Comment c'est possible ? 

"Il est réveillé !" S'exclame une voix à mes côtés. Le visage de ma mère apparaît. Ma mère comme lorsqu'elle était jeune. Plus jeune. Elle me sourit, caresse mon visage en me disant des mots que je n'entends pas. Elle me parle, beaucoup. Et je sens une larme couler le long de ma joue. Ma mère est morte depuis quinze ans. C'est peut-être ça la mort finalement. On revoit les gens qu'on a perdu. Je suis mort.

Je suis mort et j'ai retrouvé ma mère morte. 

Elle me sourit, m'embrasse sur le front et me dit qu'elle est tellement heureuse de me voir réveillé. Qu'elle n'était pas sûre d'un jour me voir me rouvrir les yeux. Elle pleure de joie. Elle pleure, assise à moitié sur mon lit, ses mains encadrants mon visage. Et je pleure aussi, de retrouver ma mère. Elle est si belle, si rayonnante. Elle m'a tant manqué. 

Un médecin arrive, prend mon pouls, ma tension, ma température, me demande comment je me sens. "Bon retour parmi les vivants Newt..." Il me dit avec un sourire chaleureux. Troublé je le regarde. Je ne sais plus si je suis vivant ou si je suis mort. Je la ressens dans mes tripes, ma mort pourtant. Une balle dans la poitrine. Le sang qui gicle. La douleur dans le cœur. Mon corps qui s'effondre. Le goudron qui mord ma peau, qui épouse mon corps et les regrets qui m'assaillent. Je n'ai pas dit au revoir à mes enfants, je n'ai pas embrassé ma femme une dernière fois. 

Je la ressens dans mes tripes, ma mort. Elle est là. Elle est là. Ma mère est morte quinze ans plus tôt. Ma mère est là, devant moi. Je suis forcément mort. Et ce médecin me dit "Bon retour parmi les vivants." Comment ça ? Les vivants ? Non, c'est improbable. Je suis mort. Je suis mort. Je ne peux pas être vivant. Si ? 

"Qu'est-ce qui s'est passé ?" Je demande à ma mère, dans une voix rauque et hésitante. Celle-ci me regarde, perd son sourire un instant et attrape ma main pour la serrer entre les siennes. Sa gorge se serre, je l'entends au son de sa voix. Ses yeux se détournent, presque trop gênée de les sentir se border de larmes. 

"T'as eu un accident en rentrant du lycée... Une voiture t'a renversé... J'ai cru que je t'avais perdu pour toujours... T'es resté dans le coma trois semaines... J'ai tellement eu peur de te perdre à jamais." 

Les mots de ma mère résonnent en moi. J'ai déjà vécu ça. J'ai déjà été dans ce lit d'hôpital. Je suis déjà resté dans le coma. J'ai déjà frôlé la mort une fois. J'ai valsé avec elle pendant trois semaines. L'année de mes dix-sept ans. Comment c'est possible que je sois ici ? A nouveau ? Comment c'est possible que je me retrouve à une époque révolue ? L'année de mes dix-ans. L'année où j'ai frôlé la mort. 

"Maman... Quel age j'ai ?" Je murmure à ma mère. Elle me regarde, étonnée. " 17 ans, Newt. T'as eu dix-sept ans le mois dernier." J'inspire, ferme les yeux. Tous mes souvenirs de ma vie sont là. Est-ce que je suis en enfer ? Est-ce que mon supplice est de revivre le même cycle de la vie indéfiniment ? Comme Sisyphe est condamné à remonter inlassablement ce rocher sur la même pente.  Est-ce ça mon châtiment ? 

Je vois ma mère sortir son portable. Un vieux modèle. L'heure s'affiche. 13h38. 

Et en dessous, j'arrive à lire la date "23 novembre 2020". 

Mon corps se glace. 2020. L'année de mes dix-sept ans. 
C'est impossible. 

Je suis mort. 
Je suis remonté dans le temps. 
Je suis mort.
Je suis en enfer. 

Et je vais revivre inlassablement ma vie de mes dix-sept à mes trente sept ans. 
Une boucle sans fin... 

Est-ce ma punition pour avoir défier la mort l'année de mes dix-sept ans ?