Novembre 2020 : 

Mes questionnements sur l'enfer et la mort n'ont pas trouvé de réponses dans les couloirs de l'hôpital. Ici, tout le monde luttait pour vivre, pour profiter de la vie, pour soigner des maladies. Un hôpital est un lieu de lutte, de vie, de joie et certaines fois de mort. Elle rôde, elle joue aux échecs avec la vie, la mort. Et la mienne semble être particulièrement sournoise. 

Quelques jours après mon réveil, je me suis levé de mon lit d'hôpital. J'ai contemplé de longues minutes mon reflet dans le miroir. J'avais de nouveau dix-sept ans. J'avais l'impression d'être coincé dans une comédie américaine où le héros retourne en arrière pour rejouer sa vie. Il retrouve son âme sœur et fait tout pour ne jamais la laisser partir.  

Dix-sept ans. Quel age ingrat. J'ai l'air d'un gamin. Je suis un gamin. C'est dingue comment en vingt ans, on change. c'est dingue de me dire que je connais le visage de mes enfants, alors que j'ai de nouveau dix-sept ans. J'ai de nouveau dix-sept ans. Demain, je sors de l'hôpital. Je me rappelle de ce jour, de ma sortie de l'hôpital. De mon retour au lycée. Je suis condamné à revivre mes cours de maths aussi ? Je veux dire, d'accord, je suis mort, mais quand même. Les maths c'était pire que l'enfer pour moi. 

A l'époque, je voyais mon jour de sortie de l'hôpital comme un renouveau. Comme si on m'offrait une nouvelle chance de vivre ma vie. Je me souviens de l'excitation, de la joie qui m'envahissait. Comme si j'étais conscient, à l'époque, que j'avais frôlé la mort et que rien n'était plus pareil. Qu'il fallait que je vive à fond, que je ne regrette rien, que ma vie soit grande, belle et pleine d'expériences. 

Pourtant, en mourant, des regrets j'en ai eu. Peut-être que c'est pour ça que je suis revenu à cette époque. Parce que j'ai trahi mes promesses, celles que je me suis faites, ce jour-ci, en sortant de l'hôpital. J'ai le droit à une nouvelle chance. Celle de vivre pleinement sans trahir mes promesses ? 

J'allais rentrer chez moi, retrouver ma famille, ma chambre, ma maison. J'allais m'attabler devant une pizza maison, cuisinée par ma mère. Une pizza avec plein de fromage et des olives noires, pour me faire plaisir. Mon petit frère m'accrochera le bras pendant deux heures, me collant comme une petite sangsue. Il me répétera que je lui ai manqué, qu'il a eu peur que je ne revienne jamais, et qu'il m'aime beaucoup. Il viendra se glisser dans mon lit plus tard, pour dormir avec moi, me disant qu'il chasserait les cauchemars. Le week-end sera un défilé familial ou tout le monde viendra s'enquérir de mon état de santé, que ma grand-mère me dira que je suis un miraculé et qu'elle espère me voir à la messe le dimanche remercier le Seigneur de m'avoir sauvé la vie. 

J'avais en tête tout le week-end. Un souvenir net. Comme s'il venait de se dérouler sous mes yeux. Je me suis endormi quelques heures plus tard, sur mon lit d'hôpital, pour une dernière nuit ici. Mon sommeil a été troublé. Un cauchemar, peut-être plusieurs. J'ai senti des ombres m'envahir, comme une boue opaque et gluante m'engloutir. Et des voix me dire que ce n'était pas la mort... que ce n'était pas l'enfer... Mais ma dernière chance pour rattraper mon âme-sœur. Les vagues boueuses ont fini par m'engloutir. Je me suis réveillé en sursaut, en sueur et tremblant. 

Rattraper mon âme-sœur ? 

Ces mots tournaient en boucle dans ma tête. La mort m'avait laissé une dernière chance ? J'étais donc toujours en vie ? J'étais revenue à l'époque où mon chemin croisait celui de mon âme-sœur. Et visiblement, je ne pourrais pas mourir tant que je ne l'aurais pas rattrapé ? Mon regret le plus cruel était celui-ci. De ne pas avoir rencontré quelqu'un qui me fasse vibrer entièrement. C'était totalement fou. J'étais mort. Puis on remettait ma vie en jeu, vingt ans plus tôt, histoire que la prochaine fois que je meurs, je meurs sans regret... La fin, c'est le début.

Rattraper mon âme-sœur ? 
Et comment je fais pour savoir qui est mon âme-sœur ?