Opération séduction
-Tu vas quelque part, Oikawa ?
Dans la salle de club d'Aoba Johsai –témoin de tant de choses depuis le début de cette histoire-, les joueurs en train de se changer se retournèrent vers leur capitaine.
-Tu es toujours le dernier à être prêt, d'habitude, fit remarquer Iwaizumi.
Oikawa, habillé de pied en cap, en était au moment d'arranger ses cheveux devant un miroir –miroir, bien sûr, collé sur la porte de son casier-, alors que ses coéquipiers en étaient encore à enlever leurs genouillères.
-Je vais manger en ville, ce soir, annonça-t-il tout triomphant.
-Oh, tu as un rendez-vous avec Kageyama ?
Oikawa fit un sourire malicieux :
-Exactement. Enfin, il ne le sait pas encore. Mais tout Karasuno me soutient, alors dans quelques jours à peine, il me tombe dans les bras.
-Te tombe dans les bras ? Tu comptes lui faire un croche-pied ? commenta Hanamaki.
-J'entends pas les rageux, répondit Oikawa, qui, prenant son sac d'une main et ouvrant la porte de l'autre, se glissa au-dehors.
En arrivant devant les grilles de Karasuno, il ne manqua pas de rajuster ses vêtements, sa cravate et ses cheveux pour la énième fois. Il n'y a pas de raison qu'il refuse, se rassura-t-il ; personne, et encore moins Tobio, ne refuserait de la nourriture gratuite.
Il se redressa, nerveux, lorsqu'il entendit approcher le duo de Karasuno, extrêmement reconnaissable à ses cris perçants, tour à tour excités et agressifs. Lorsqu'ils le virent, Hinata fit un grand sourire et un clin d'œil complice, tandis que Tobio prit une expression suspicieuse.
-Ça par exemple ! s'écria Hinata tout content d'être un Villageois A dans cette histoire.
Il prit une expression faussement surprise, mais qui faisait quand même plus faussement que surprise.
-Le Grand Roi ! cria-t-il. Tu as vu, Kageyama ! Mais que fait-il devant notre lycée ? Je suis très étonné !
(Le texte était trop travaillé pour laisser un doute sur la crédibilité.)
-Il n'y a qu'à lui demander, répondit Kageyama.
Il s'approcha avec un mélange de curiosité et de méfiance, comme on regarde une méduse échouée sur une plage:
-Bonsoir. Qu'est-ce que tu fais ici ?
-Je viens chercher quelque chose, répondit Oikawa en penchant la tête de côté.
Il vit, dans sa vision périphérique, Hinata s'esquiver avec force sourires et pouces levés d'encouragement.
-Ouais, tu n'as toujours pas récupéré tes vêtements, signala Tobio, pensant que c'était de ça qu'il s'agissait. Ils sont chez moi.
-Oh, mes précieux vêtements ! Quelle honte. Il va falloir faire quelque chose pour compenser ça, Tobio-chan.
-Mais c'est toi qui m'as dit de les garder, je-
-Chut.
Oikawa étouffa ses protestations en lui posant un doigt sur les lèvres ; le mode drague était activé. Il s'extasia intérieurement de ce premier contact ; Tobio loucha pour regarder son index, mais ne flancha pas.
-Tu n'as qu'à me donner tes vêtements en échange, minauda-t-il.
Tobio s'apprêtait à protester, mais Oikawa secoua la tête et ajouta :
-Et comme intérêt... Je prends aussi ce qu'il y a dedans.
Les méninges de Kageyama semblèrent s'activer ; Oikawa pouvait presque voir les rouages tourner sous son front. Il préféra lui épargner cette épreuve :
-C'est-à-dire toi tout entier, mon adorable petit cadet.
Son index effleura délicatement la lèvre inférieure de Kageyama. Il avait parlé tout bas, sensuellement, rivant ses yeux de braise au fond des prunelles de Tobio ; une vue qui aurait fait éclater un thermomètre.
Il recula un peu et fit un sourire mutin :
-Tu as de la chance, c'est mon jour de générosité, aujourd'hui : je t'emmène manger dehors.
-Ah, répondit Kageyama, quelque peu surpris. Euh, d'accord. Si tu veux.
-Merveilleux, commenta Oikawa avec un sourire qui aurait ébloui un aveugle.
Il se mit donc en marche, ravi de son succès. Kageyama le suivit, et Oikawa ajusta le pas pour qu'ils marchent côte à côte. C'était le moment de lancer quelques phrases flatteuses au hasard, auxquelles il avait déjà pensé la veille au soir.
-Mon T-shirt te va beaucoup mieux qu'à moi, dit-il donc. Il fait ressortir tes yeux.
-Ah ? Merci, répondit simplement Tobio.
Il ne semblait pas très réceptif sur ce genre de remarques, alors Oikawa sortit directement l'artillerie lourde :
- Tu es toujours sûr de ne pas vouloir, pour le service... ?
Kageyama, jusque-là dans une attitude assez fermée, les mains dans les poches, la tête baissée et les yeux vers le sol, sembla se réveiller, comme si le prononcer le mot « service » équivalait à appuyer sur le bouton « on ».
-Hm, après mûre réflexion, peut-être que je voudrais bien recevoir tes conseils, murmura-t-il enfin.
Et il ajouta nonchalamment :
-Après tout, ton service est quand même mieux que celui d'Ushijima.
Oikawa dut y mettre toute sa volonté pour ne pas hurler de bonheur et lui déclarer sa flamme immédiatement. Ce fut assez difficile, mais il parvint à se réfréner (pour une fois ; n'oublions pas qu'il gâchait même ses propres missions espionnage) et l'entraîna dans le restaurant le plus proche.
-Nous sommes deux, dit-il au serveur en rentrant, en lui adressant un clin d'œil l'air de dire « trouve-moi un coin discret et romantique ».
Une fois assis dans un coin relativement isolé, Oikawa se décida à relancer la conversation :
-Tobio-chan, commença-t-il donc solennellement. La vie est comme le volley-ball, et je voudrais jouer sur ton terrain.
Kageyama écarquilla les yeux :
-Comment ça, tu veux venir à Karasuno ?
Oikawa soupira. Il s'en était douté, mais les choses s'annonçaient encore plus ardues que prévu.
-Comment dire..., reprit-il. Si la vie était un match de volley... J'aimerais aller jusqu'au tie-break avec toi.
Tobio ne répondit pas. Oikawa était en train de fondre de sa propre déclaration, trouvant que c'était quelque chose d'absolument magnifique, et qu'il devait le noter dans un coin de sa tête pour le jour de son mariage –enfin, déjà fallait-il faire comprendre ça à l'heureux élu.
Juste au moment où il pensait à arrêter sa poésie incomprise et lancer une attaque frontale, un serveur arriva pour prendre leurs commandes.
-Je voudrais quelque chose de bon, comme le garçon en face de moi, lança Oikawa avec un sourire en coin et –il ne put s'en empêcher- un clin d'œil.
Le serveur lança un regard à Kageyama, affalé sur sa chaise, avec son expression morose habituelle, et sembla pour le moins perplexe. Finalement, ils passèrent commande ; Kageyama, Dieu merci, semblait assez raisonnable pour ne pas prendre un plat trop cher.
-Alors, lança tranquillement Oikawa, exploitant le peu de connaissances qu'il avait. Les équipes de Tokyo arrivent bientôt, c'est ça ?
-Oui, répondit Tobio, qui s'enthousiasma : je vais encore pouvoir observer le passeur de Fukurodani !
Oikawa fronça les sourcils :
-Qui c'est, lui ? Pourquoi tu le regardes ? Pas de trop près, hein ?
Et, tel un moulin à paroles, il embraya :
-D'ailleurs, pourquoi tu veux regarder un passeur ? Tu sais que tu as devant toi le meilleur passeur de la préfecture d'il y a trois ans ? Tu le sais, tu étais là, ne mens pas, je m'en souviens très bien. Qu'est ce que le passeur de Fukurodani a de plus que moi ? Je suis sûr qu'il est moche, en plus. Et qu'il ne sert pas bien. Il a proposé de t'apprendre à servir, lui ? Hein ? Moi, oui. Alors, observe-moi à la place. Observe-moi, Tobio-chan! Regarde, je suis en face de toi !
Kageyama obéit, ses yeux se portèrent sur lui. Aussi Oikawa reprit-il une attitude séductrice ; il posa son coude sur la table, son menton dans sa main, le tout en se penchant vers Tobio. Il avança son autre main sur la table –les chances que Tobio saisisse le message, et en l'occurrence sa main, étaient extrêmement faibles, mais autant essayer.
Bien entendu, Tobio demeura bien à côté de la plaque, et, bras croisés, continua de dévisager son aîné. Oikawa guetta une lueur de passion soudaine, peut-être espérait-il une espèce de coup de foudre, une réalisation subite comme celle qui lui était tombée dessus à Karasuno ; que Kageyama, soudain, renverse la table et s'écrie qu'il voulait... –non, non, non, Oikawa, contrôle tes hormones, résonna dans sa tête une voix qui ressemblait à celle du coach de Karasuno.
Oikawa ne quitta sa pose aguicheuse que lorsque le serveur lui posa son plat sous le nez. Ils commencèrent à manger, et Tooru n'avait jamais vu quelqu'un engloutir ses aliments aussi vite que Kageyama. Il devait donc se hâter de mettre à l'œuvre la stratégie de drague n°512 :
-Je peux goûter ton plat ?
Il avait utilisé sa voix la plus mielleuse, la plus séductrice, celle à laquelle personne n'aurait jamais dit « non », pas même Iwa-chan. Mais Kageyama, les joues toutes rondes, releva sur lui des yeux outrés, comme si Oikawa venait d'insulter le volley-ball.
-S'il te plaît ? ajouta Tooru, en agitant sa fourchette.
Tobio plissa les yeux. De toute évidence, partager la nourriture ne faisait pas partie de ses habitudes d'animal solitaire. Il considéra Oikawa un instant, puis finit par consentir, d'un grognement et d'un hochement de tête.
Une petite victoire, apparemment. Oikawa s'efforça de porter la nourriture à sa bouche d'une manière absolument sexy –et la chaleur de la scène avoisinait alors celle d'un volcan en éruption- mais Tobio semblait s'être re-concentré sur son assiette et ne pas voir ce qui se passait en face de lui.
Forcément, Oikawa termina de manger bien après son cadet, mais il s'employait à transformer chaque fourchette en démonstration –il faut bien l'avouer- à caractère hautement érotique. C'est Tobio, étonnamment, qui relança la conversation :
-Et... du coup, le service, tu me l'apprendrais vraiment ? Genre... comment je peux augmenter ma détente ?
-Oh, oui, susurra Oikawa. Je t'apprendrai comment, d'un saut, tu peux t'envoler dans les airs...
-Ah ?
-Jusqu'au septième ciel, ajouta-t-il avec un sourire plein de promesses.
Kageyama hocha la tête d'un air pas tout à fait convaincu, probablement n'avait-il pas compris. Oikawa préféra ne pas insister –un jour, peut-être, et même probablement, il comprendrait.
Une fois qu'ils furent repus, Oikawa alla payer et remercia le serveur au passage. Il faisait déjà noir quand ils sortirent, et un vent frais soufflait. Tooru saisit l'occasion de lancer la méthode de drague n°684 :
-Il fait froid ! Tobio-chan, prête-moi ta veste ?
-Mais c'est ma veste, marmonna Kageyama.
-Mais tu as mon T-shirt. On sera à égalité, comme ça.
Tobio leva les yeux au ciel –mais, mais MAIS il descendit la fermeture éclair de sa veste de Karasuno, la fit glisser de ses épaules et la tendit à Oikawa sans le regarder. Celui-ci la saisit, bouche ouverte, larmes aux yeux. Il ne s'était pas attendu à ce que ça fonctionne.
-Alors tu m'aimes aussi, murmura-t-il.
-Quoi ?
-Super, merci, corrigea-t-il aussitôt en enfilant la veste.
Ils marchèrent jusqu'à l'arrêt de bus ; Oikawa était en train de se dire que peut-être que toute sa séduction fonctionnait –mais il n'en avait jamais douté, de toute façon, quelle idée !
Ça allait être le moment de se dire au revoir, et Oikawa commençait à se demander si ce n'était pas le moment de tenter sa chance. Après tout, il ne savait pas quand il reverrait Tobio, puisque les équipes de Tokyo allaient occuper tout un week-end. Mais on n'embrasse pas au bout du premier rendez-vous, surtout quand l'autre n'a pas compris que c'est un rendez-vous, pas vrai ?
-J'espère que tu vas bien t'amuser ce week-end, dit-il lorsqu'il vit les phares de son bus au loin. Ne t'approche pas trop du passeur, là... Et puis, on se recroisera probablement un de ces jours.
-Oui, répondit simplement Tobio.
Il zyeuta sa veste, qu'Oikawa portait toujours –ou alors, se dit Tooru, il me déshabille du regard- mais il était plus probable qu'il regarde sa veste- cependant, il ne fit pas de commentaire. Oikawa monta dans le bus sans oser initier un rapprochement, après tout la soirée avait déjà été assez riche. Le bus démarra, et il fit un petit signe de main à Tobio (accompagné d'un baiser volant, au cas où il n'avait pas été assez explicite).
Sur la route, il sortit son téléphone, tout impatient de raconter sa soirée à Iwaizumi. Un bout de langue dépassant au coin de ses lèvres, les yeux rivés sur l'écran, il écrivit avec toute sa naïve conviction :
« Iwa-chan, je crois qu'il est raide dingue de moi »
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