En territoire ennemi
-Tu fais quoi, là ? Tu montes ou tu descends ?
Tels étaient les mots qui fusaient à l'arrêt de bus d'Aoba Johsai. Oikawa Tooru se prêtait en effet à un bien étrange manège consistant à monter dans un bus, puis en sortir pour y remonter aussitôt. Il était maintenant figé dans son dilemme : un pied sur le trottoir, l'autre sur la première marche du bus.
-Je monte, je monte ! décida-t-il.
Il grimpa dans le bus avec détermination, composta son billet et lança un regard autour de lui en quête d'une place libre. Cependant, aussitôt était-il assis qu'il bondissait de son siège et remontait l'allée d'un pas rapide vers les portes.
-Excusez-moi, non, vraiment...
Le chauffeur de bus, lassé, ferma les portes sous son nez et démarra. Sur un panneau s'inscrivit en lettres lumineuses la destination : Karasuno High School.
-Nooon ! Qu'est-ce que vous faites ? Je ne veux pas y aller !
-Il est schizo, murmura un étudiant à un autre, au fond du bus.
Oikawa était maintenant debout contre une vitre, lorgnant les issues de secours. Voici ce qui se passait dans sa tête :
« ................ »
Comment donc notre grand, notre unique Oikawa en était-il arrivé là ? En réalité, la situation était plus complexe que des points de suspension. Les mots qu'il avait prononcés plus tôt, autrement dit « Je préfère qu'on pense que Tobio sort avec moi plutôt qu'avec Ushiwaka » le perturbaient immensément.
Jusque-là, il ne s'était pas posé beaucoup de questions sur son comportement. Oui, il avait appelé Tobio « adorable » devant tout le monde, oui, l'idée d'aller le voir jouer était arrivée toute seule après qu'il avait entendu des filles parler de déclaration, et oui, quand il pensait à lui, il pensait surtout à ses « grands yeux ». Rien que de très normal. Hinata faisait probablement la même chose.
L'histoire avec Ushijima avait fait évoluer cette relation qui n'avait rien, répétons-le, que de très normal. Oikawa, qui maîtrisait le déni autant que les services smashés et les selfies, avait finalement compris qu'il était un tout petit peu trop possessif envers son cadet. Alors, oui, il préférait une rumeur entre eux deux plutôt qu'entre lui et quelqu'un d'autre –et en particulier Ushijima.
Et Oikawa n'osait pas penser plus loin, de peur de découvrir d'autres choses. Et le dilemme du bus représentait parfaitement le réel problème : d'un côté, il avait envie de ne plus jamais entendre parler de Kageyama Tobio, et de reprendre le cours normale de sa petite vie (telle qu'elle l'était avant qu'y soient impliqués Ushijima, de la drogue et un caleçon-alien). D'un autre, il avait envie de revoir son cadet, son groupie, sa fierté cachée, son Tobio-chan. (Il l'appelait comme ça mentalement, et c'était en s'en rendant compte qu'il s'était forcé à penser à des choses moins suggestives, comme, par exemple, « ..... »).
Aussi était-il tétanisé quand le bus s'arrêta. Jetant un rapide coup d'œil en descendant timidement, il ne repéra pas Kageyama –bien sûr, il allait devoir rentrer dans le lycée, et encore plus probablement dans le gymnase où l'attendaient une dizaine de joueurs hostiles.
Ils l'avaient vu arriver de loin, apparemment, car sitôt s'était-il approché du gymnase que la porte s'ouvrit en grand et qu'un joueur qu'il ne connaissait que de vue l'accueillit. Il avait l'air gentil et calme –ce qui était rare à Karasuno-, un remplaçant, sûrement. Cela le rassura quelque peu –au moins un coéquipier de Tobio qui ne voulait pas sa mort.
-Bon courage, murmura alors celui-ci.
Quand il rentra dans le gymnase, en effet, Oikawa se sentit un peu seul. Tous les joueurs, encore en short et baskets, avaient convergé vers Kageyama et se tenaient autour de lui, fixant Oikawa d'un air réprobateur.
-Ya... hoo ?
Le joueur qui l'avait fait rentrer se dirigea vers l'attaquant chauve (lequel faisait une tête effrayante dans l'espoir d'intimider Oikawa) et lui fit un large sourire en tendant la main.
-Je t'avais dit qu'il viendrait.
Tanaka, l'air encore plus coléreux, lui ficha un billet dans la main.
-Ennoshita gagne toujours, déclara alors le passeur remplaçant, « Suga-chan ». Alors tu es venu. Je ne pensais pas que tu en aurais le courage.
Sa main était posée sur l'épaule droite de Kageyama ; l'épaule gauche, elle, soutenait la main de Daichi. Tobio, au milieu, n'avait pas l'air extrêmement perturbé par la situation ; en fait, il était complètement inexpressif.
Oikawa s'apprêtait à répondre que si, bien sûr, il était l'incarnation même du courage –faisant abstraction de ses jambes tremblantes et de ses sueurs froides-, quand le libéro se planta devant lui. Tooru lui trouva un air « agressivement petit ».
-Toi, serveur de la mort qui tue ! Si jamais tu fais du mal à Kageyama, Asahi va te défoncer !
Le champion, un peu plus loin, devint blanc comme un linge et recula de quelques pas :
-Euuuh... euh... C'est-à-dire que...
Un petit rire sardonique vint couper court à la scène. Tout le monde se retourna vers le grand blond, dans un coin, qui regardait la scène avec délectation.
-Vous n'avez donc toujours pas compris ? Ça crève les yeux, pourtant.
-Et quoi ? interrogea Hinata, qui se crut, comme à chacune de ses interventions, obligé de s'exprimer en criant.
-Seul le Grand Roi pouvait convenir au Roi..., précisa Tsukishima en rajustant ses lunettes avec un petit sourire auquel Oikawa ne trouva rien de gentil.
-T'as dit quoi, là ? réagit Tobio, irrité.
Oikawa leva les deux bras et prit une expression qu'il espérait apaisante.
-Ooh, cool, les gars. Ce n'est que moi, pas la peine de vous énerver comme ça.
Pas si apaisant que ça, apparemment, puisque le chauve glissa vers lui, arborant toujours sa mimique.
-Huuuuh ? Tu me trouves l'air énervé, le beau gosse ?
-Tanaka-saaan, le reprit Tsukishima. Ne l'appelle pas comme ça, sinon notre Roi va être jaloux.
-REPETE UN PEU? s'écria Tobio.
C'était une bonne chose que Daichi et Suga le maintiennent par les épaules. Oikawa contempla, songeur, les doigts des terminales crispés sur le T-shirt. Moi j'ai vu ce qu'il y a en dessous, ricana-t-il intérieurement.
Pas si intérieurement, apparemment, à voir la tête que tirèrent la capitaine et Suga. Heureusement, pour une fois qu'il avait de la chance, Hinata avait eu la bonne idée de crier quelque chose à ce moment-là, et les autres (y compris, Dieu merci, le libéro et le chauve) n'avaient pas entendu.
Ça n'effaçait pas le traumatisme que venaient de subir les oreilles des terminales. Oikawa essaya quelque chose :
-Et...et mon T-shirt ? tenta-t-il misérablement, préférant passer sous silence le caleçon qui allait avec.
-Il est dans mon sac, je vais juste-, commença Kageyama, mais il fut interrompu par ses parents de substitution, très, très en colère.
-Tu veux ton T-shirt ? demanda Suga, mais son sourire était glacé.
-Viens par là, on va te le donner, ce T-shirt..., articula Sawamura à travers ses dents serrées.
Et délaissant les épaules de Kageyama –coupables de ce lapsus-, ils le prirent chacun par un bras pour le tirer dehors.
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