Épilogue
*Mon Monument*
Je prends l'ascenseur, je sors au troisième étage, j'entre dans la chambre 237, et je sais que c'est bientôt la fin. La fin de leur histoire. De la notre.
Elle repose dans son lit d'hôpital, elle me sourit, elle a mon manuscrit dans ses mains, elle l'a lu, elle l'a finit, elle a oublié que c'était son histoire. Aujourd'hui elle me reconnaît, ça ne lui arrive pas souvent.
-Alban, tu es venu me voir.
-Bien sûr, je reviens bien plus souvent que tu puisses t'en souvenir.
Elle sourit tristement, elle sait qu'elle est malade, qu'elle ne se souvient de plus grand chose.
Elle ne souvient plus de sa rencontre avec Tony Stark, il y a trente ans de cela. Elle ne se souvient plus toute la douleur, le vide, la honte, la culpabilité, la tristesse, l'espoir, la joie, l'amour. Elle ne se souvient plus de la petite famille qu'on formait. Les après-midi à la plage quand elle se sentait triste. Le jus d'orange qu'elle faisait chaque matin. Les voyages que Tony nous offrait, ses yeux brillants. L'amour qu'il lui donnait, tout les jours, même ceux où ses démons à lui revenaient et qu'il buvait trop, ceux où ses démons à elle revenaient et qu'elle dansait tristement seule jusqu'à l'aube.
Elle ne souvient plus qu'elle m'a donné la plus belle des vies. Qu'elle a vécu la plus belle des vies. Qu'il a vécu la plus belle des vies. Chacun des deux faisait tout pour ne pas reproduire les erreurs de le leur parents. Si bien que de toute ma vie je ne suis sûre que d'une chose : l'amour d'une famille est ce qu'il y a de plus précieux, quand il est incassable et bienveillant. Et ce qu'on avait, on était terriblement chanceux, j'ai été terriblement chanceux.
Elle ne se souvient plus de tout ça.
Mais moi si. Et nous voilà, cher lecteur, à la fin de l'histoire. L'histoire que j'ai écrite, que vous avez lu, je l'ai donné à ma mère. Parce que c'est ce que je fais, je suis écrivain, et que je fais lire mes manuscrit à ma mère avant de les publier. Je le fais toujours. Alors elle ne reconnu pas que cette fois-ci c'était différent.
-J'ai lu ton manuscrit, me dit-elle en me le tendant.
-Tu as aimé ?
- C'est une jolie histoire.
- C'est la tienne, maman. Ce sont vos souvenirs, à toi et Tony.
-C'est pour ça que je me souviens de rien, tu as volé mes souvenirs pour les mettre dans ton livre, plaisanta t-elle, moi qui me demandait où le temps était allé, il est dans ces pages.
Avoir une mère atteinte d'Alzheimer (c'était son héritage génétique disait-elle au début, la vengeance de sa mère) est indescriptible, et on apprend que dans l'amour il y aussi l'épuisement. À la fin, je me suis occupée d'elle, presque tout les jours. Même si elle ne me reconnaissait pas, je savais qu'elle m'aimait si fort que ça le faisait mal.
Mais c'était elle qui souffrait quand elle se rappelait qu'elle ne se rappelait pas. Elle avait lu son histoire, elle avait lu son nom, celui de Tony, celui d'Alban. Elle lisait ces noms et ils étaient vides. Elle lisait ces lignes et n'y voyait que des mots, il n'y avait pas d'images, pas de son, pas de souvenirs.
- C'est vrai... je ne m'en rappelle pas... je ne m'en rappelle pas, commença t-elle à paniquer.
- Hé, ça va, tout va bien. Les histoires sont ce que les souvenirs deviennent quand on les oublie. Je me souviens pour toi.
- Mais qu'arrive-t-il ensuite ? Ai-je été une bonne mère ? Avons-nous été heureux, finalement ? As-tu été heureux ?
- On a vécu la plus douce des vies. Tu a été une merveilleuse femme, et une mère formidable. Vous m'avez tellement aimé. Tellement. Je n'ai manqué de rien. J'ai été le plus chanceux des fils. Et tu étais heureuse, si heureuse. Tony aussi, il rayonnait. Tu faisais chaque matin un jus d'orange. Tony nous emerveillait toujours avec ses gadgets, avec son savoir et sa gentillesse, il m'a toujours traité comme son fils. On a traversé le monde, on est resté des après midi sur le canapé à regarder des vieux films, et quelques fois tu dansais dans le salon avec Tony.
Elle me sourit, un peu nerveusement, elle essaie d'imaginer ce qu'elle a vécu, mais elle ne peut se contenter que de me croire. Et elle me croit.
Il y avait aussi ce que je n'ai pas pu écrire ou dire, ce que j'étais en train de vivre. Ce qui s'était passé, vers la fin. Qu'après avoir vécu un temps en Asie chez mon père, j'étais parti vivre en Europe, et que j'avais reçu ce coup de fil de Tony. Je m'en souviendrai toujours.
-Alban, c'est ta mère, je ne voulais pas t'inquièter alors je ne t'ai rien dit, mais elle a Alzheimer, et, je pense que tu aimerais revenir, avant qu'elle ne t'oublie.
J'avais été bouleversé par cet appel. Je me souviens de chacun de ses mots. Je suis revenue immédiatement. L'avantage d'être écrivain, c'est que je suis libre de mes mouvements. Je les ai vu, mes parents, vieux et heureux, Tony cachait sa peine et son inquiètude, il avait mit des post-it sur chacun des meubles pour qu'elle se souvienne à quoi ils servaient, des post-it sur les photos :
"Toi, Ode, moi, Tony, lorsque notre fils Alban à reçu le prix du meilleur roman policier anglo-saxon de l'année "
J'ai trouvé ça si touchant et si triste en même temps. Tony était plus âgé qu'Ode, il vieilliessait mal, il était souvent fatigué, mais il prenait toujours soin d'elle.
- Elle a pris soin de moi quand nous nous sommes rencontrés, et je prends soin d'elle maintenant, disait-il, oh, si tu avais pu me voir à cette époque, quel chaos j'étais, et alors que l'air avait du mal à entrer, elle s'est faufilée dans la tempête figée.
Il avait ce sourire béa sur les lèvres, ses yeux brillaient toujours, les années ne les avaient pas ternis, elles les avaient juste ridées.
Et c'était lui qui faisait le jus d'orange le matin.
Peu de temps après, Tony mourut d'une rupture d'anévrisme, il avait fait une chute mortelle. Une stupide chute.
Ils avaient vécu une belle vie. Et ce fut un bel enterrement. La maladie avançait mais Ode se souvenait du plus important. Elle s'était rappelé, ce jour-là, et j'ai vu l'immense douleur naître. Comme si la douleur était si grande qu'elle avait percé la maladie et l'oubli. Elle resta avec lui toute la cérémonie, jusqu'à ce qu'il soit sous terre. Et comme elle était venue, la douleur repartie, perdue dans l'oublie. La maladie qui la tuait lui sauvait la vie.
Je suis resté vivre près d'elle quand c'était trop tard. Je me suis occupée d'elle comme elle s'était occupée de moi, j'ai vu son regard se vider, et ne pas me reconnaître quand elle me regardait. Mais elle m'aimait tellement que ça faisait mal.
Alors j'ai fait la seule chose que je pouvais pour sauver ma mère. Alors j'ai fait la seule chose que je savais faire pour survivre, j'ai écrit. Elle était en train de mourir et j'essayais de la réanimer. Je l'aimais plus que la vie et elle était en train de mourir. J'écrivais son deuil de moi, les quatres années où j'étais disparu, j'écrivais celui de Tony, et je fuyais celui qui me pendait au nez, je le repoussais, je faisais tout pour l'oublier, ou peut-être était-ce pour m'aider à traverser ce qui m'attendait.
J'ai pris les souvenirs qu'on m'avait racontés, j'ai recousu les souvenirs de Tony, de mon père, de ma mère, parce qu'ils avaient été oubliés par eux. Je me suis plongé dedans corps et âme, je m'y suis abîmé, tranché, déchiré, pour transformer le charbon en diamant. Parce que c'est ce que font les écrivains, ce que tout le monde fait, pour pouvoir vivre avec son passé et espérer des lendemains nouveaux. Par peur, j'ai écrit. Par peur que moi aussi, j'oublie.
Je tenais le manuscrit dans les mains, et avec ce regard si doux elle me demanda :
- Pourquoi ce titre, Ode aux acsenceurs ?
-Tu ne te souviens pas de cette lettre que Tony t'avais écrite quand il était au QG des Avengers et que tu nous attendait, seule ?
- Non.
- Je te l'apporterai la prochaine fois.
-Tu reviendras me voir ?
-Bien sûr, je reviens toujours. Tu ne t'en souviens pas, c'est tout.
Je l'ai regardé sourire à mon demi-mensonge. Je n'ai pas été tout à fait honnête. J'ai quitté mon foyer familiale à mes vingts ans pour rejoindre mon père en Asie et à mes vingts cinq ans je suis parti vivre avec l'homme de ma vie en Europe. Je revenais peu, mais autant que possible, j'ai beaucoup travaillé.
Quand Tony mourut, je suis rentré pour les funérailles, j'ai confié ma mère à une maison de retraite et je suis reparti en Europe. Pas parce que je ne l'aimais pas, mais parce que je l'aimais trop et parce que ça faisait trop mal de la voir sans Tony, de la voir le pleurer comme de la voir l'oublier. Parce que je devais aussi pleurer celui qui était comme mon père. Je suis revenu quand je ne pouvais plus fuir, quand on me dit qu'elle devait être hospitalisée, qu'elle n'en avait plus que pour quelques mois.
J'ai regardé ce sourire trop chaleureux et je m'en suis voulu. J'avoue, même si elle ne pouvait pas comprendre :
- Je suis désolé de ne pas avoir été là. Je suis désolé de t'avoir laissée quand tu avais besoin de moi. Je suis désolé d'avoir fuit. Je suis désolé de ne pas avoir cru les médecins quand ils m'ont dit qu'ils ne pouvait pas te sauver. Je suis désolée d'être venu trop tard. Je suis désolé de ne pas pouvoir te réparer. C'est le regret de ma vie, je suis si désolé.
Elle me regarde et dans ses yeux pousse l'herbe du pardon. Je ne saurais jamais dire si à cet instant elle se souvenait de mon absence ou de son deuil ou d'un souvenir qui remontait d'il y a plus de trois jours. Elle ne laissa rien transparaitre, parce que ce n'était pas important pour elle, ça ne changeait rien. Elle entendait son fils se confondre tristement en excuse envers elle, et elle savait, oh elle savait que je disais ça parce que j'avais tellement peur de sa fin, cette fin qui était si proche. Et elle ne voulait pas laisser son fils dévoré par des regrets.
- Tu as ta propre vie, mon chéri, et c'est tout ce que souhaite une mère. N'en sois jamais désolé. Je veux te voir vivre, pas pleurer pour ceux dont le temps est venu.
Elle prend ma main et l'embrasse avec le même sourire qu'elle avait gardé toute sa vie.
-Et puis, tu reviens demain.
Je l'embrasse sur le front et je ne peux plus parler.
Je sors de la chambre et je pleure de rage contre moi-même. Si elle ne s'en souvenait pas, moi je ne pouvais qu'imaginer la douleur qu'avait été la sienne dans la mort de Tony, dans sa maladie, et que je n'étais pas là. Mais je suppose que c'est ça l'amour d'une mère, c'est aussi chaud que le pardon.
Je suis revenu le lendemain, la lettre à la main, mais elle était morte.
Ils ne l'ont pas dis à l'enterrement, les mauvaises choses, que j'étais revenu trop tard, que j'avais laissé ma mère malade seule pendant trop longtemps, qu'elle me confondait parfois avec mon père biologique. Ils n'ont pas dit les bonnes choses non plus, ils n'ont pas dit à quel point elle pouvait être drôle, ce qu'elle avait sacrifié pour moi, ses coups de téléphones chaque semaine.
C'était étrange, au début j'ai pensé qu'elle était finalement partie parce qu'elle avait retrouvé sa vie, celle que j'avais écrite. Comme si elle devait partir entière. Elle était partie.
En vérité, cela faisait déjà un moment qu'elle n'était plus là, qu'elle m'avait laissé partir. Mais moi, je n'étais pas prêt à la laisser s'en aller. J'avais ce manuscrit dans la main comme si c'était son âme que je retenais en hotage. Oh, je ne pouvais pas m'en séparer. J'avais glissé la lettre à la fin du manuscrit, parce que je ne savais pas quoi en faire.
Alors le temps passa, mes doigts n'étaient plus plantés jalousement sur le manuscrit. J'étais prêt à la laisser partir de la seule façon que je savais le faire, en le publiant.
Et nous voilà, vous et moi, à la fin de cette histoire. Pourquoi publier un livre sur ses parents ? Eh bien pour moi, d'abord, parce que c'était mon moyen de survivre, de battre l'oubli. Parce que le deuil est pire que ce qu'on imagine. C'est silencieux et assourdissant, terriblement assourdissant. J'ai cru que j'allais devenir fou, ma tête était devenue tellement bruyante, les souvenirs, les mots "elle est morte elle ne reviendra pas, lui non plus" resonnaient des milliers de fois dans ma tête comme des coups de marteau. Aucune distraction ne marchait, mon corps m'écrasait, c'était de la torture, j'étais presque noyé, j'ai perdu tout mes repères et j'ai pensé que la douleur ne s'en irait jamais. Elle est restée un bon moment, ça a changé profondément mon être. Des mois plus tard, il arrivait que cette douleur se réveille et explose comme ça, un soir, ou à cause d'un détail qui me rappelait ma mère ou Tony.
Et après, longtemps après, vient l'oubli, la culpabilité d'avoir oublié rien qu'un instant. Contre l'oubli et le monde qui s'en fout, qui ne change pas malgré nous, on a envie de construire un monument pour ses morts. Le voilà, mon monument.
J'ai écris pour ma mère, ensuite, et pour Tony, pour qu'ils revivent un peu. Et parce que Tony avait envoyé cette lettre. Cette lettre. Elle datait d'il y a trente ans mais n'a pas vieillie d'un pouce.
Et alors j'ai compris. J'ai compris que ça me dépassait, que c'était plus grand que ça. Que c'était l'histoire de tout le monde, la mort, l'amour, la famille, le deuil, la douleur, l'addiction, le vide, le désespoir et l'espoir.
J'ai décidé de mettre cette lettre à la fin de cette histoire. Parce que c'est une ode aux ascenseurs, et que vous, lecteurs, vous êtes mon ascenseur, et de tant d'autres choses encore. C'est à vous, à eux que je rend hommage aujourd'hui. À tout les ascenseurs. Un jour, nous sortirons de l'ombre et ce sera à notre tour de construire des matins à la mesure de nos rêves.
Un jour (ou peut-être le sommes-nous déjà ?), nous serons ces histoires qu'on n'oublie jamais.
Et le charbon qui nous plonge dans le noir, nous le travaillerons, encore et encore, pour en faire un diamant qui nous sortira de notre propre obscurité, devant l'éclat on pleurera, et les larmes nous laverons du charbon, alors on se reconnaîtra entre nous. On comprendra qu'en se connaissait soi on se reconnaît chez les autres. On souffre de son humanité et on la voit dans chacun, pour finalement éprouver notre appertenance au monde et aux autres.
Nous sommes tout ce que nous avons, on ne le comprend qu'après avoir pleurer nos morts. La joie de savoir cette unique vérité vaut toute cette douleur. Alors je chante, je chanterais toujours, pour ceux qui ont disparu et ceux qui vivent, cette ode aux ascenseurs.
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N. A : il reste un chapitre (la lettre)!
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