9. Le charbon
[Narration : Lucie]
« Si on reprend ce que tu viens de dire, Clé-à-molette, reprit Nino, les yakuzas du clan qui vous ont attrapés vous ont vu zoner dans le quartier Nishinari. Simplement, comment est-ce qu'ils ont deviné que vous étiez les amis de Ryôta ?
— Ils ont dû surveiller les environs de Nintaï pour nous identifier, suggérai-je.
— Ouais, ça doit être ça, confirma l'Idol en crispant les doigts autour de son verre.
Les yeux de Nino s'étrécirent.
— Bon, partant de là, les yakuzas ont découverts que vous aviez cherché la planque de Fumito, qui en réalité vous m'avez dit, habite dans le quartier Jûso.
Le visage de Ryôta s'éclaira.
— Hé ! C'est pour ça que les mafieux nous ont dits qu'ils allaient faire regretter à Fumito de les avoir lâchés ! Grâce à nous ou plutôt à Minoru et Clé-à-molette, ils ont découvert que Fumito avait un local à Nishinari. Ils n'attendent plus que de l'y pêcher !
— Ça fait un bon point pour toi, Ryôta ! marmonna Nino en s'avançant dans sa chaise. Dans peu de temps, tu ne seras plus en compétition avec Fumito ! Les yakuzas vont se charger de lui...
Je tressaillis.
— Vous vous en réjouissez ?
— On se fout de Fumito ! répliqua Kensei.
Il chassa de la main les volutes grises de la fumée de sa cigarette et reprit :
— C'est votre santé qui importe. Dans ce domaine, c'est chacun pour soi. Vas-y Nino, déroule la suite.
— Les yakuzas ont dû décider de prendre les choses en main. D'un côté, ils ont eu des problèmes avec Fumito qui s'est servi de leur réputation pour se faire de grosses marges. D'un autre côté, ils ne veulent plus reprendre un tel risque avec Ryôta qui, il faut le rappeler avant qu'ils ne mettent la main sur vous, ne leur avait toujours pas reversé l'argent de la première vente de stupéfiants qu'ils lui avaient confiés quelques semaines plus tôt. Ils ont dû tout mettre en œuvre pour repérer vos visages et vous retrouver.
— Je peux concevoir qu'ils aient pu nous accrocher sur le chemin de Nintaï, dis-je en m'adressant à Nino. Mais en l'occurrence, la voiture s'est arrêtée sur le trottoir d'une rue aux abords du centre-ville. D'habitude, nous ne passons pas par cet itinéraire. Les yakuzas ont vraiment eu un gros coup de chance pour nous retrouver à cet endroit !
À côté de Ryôta, Daiki remua. Il n'avait plus dit un mot depuis que Minoru l'avait rabroué.
— C'est pas un hasard, indiqua le géant. Mardi, à la sortie du club d'athlétisme, j'ai vu une voiture noire suivre Minoru et Clé-à-molette pendant qu'ils remontaient à pied le long de la route.
D'un air ahuri, Kensei se passa plusieurs fois la main sur le visage. Dans son regard, je vis qu'il hésitait à briser son verre sur la tête de Daiki.
— T'es con ou tu le fais exprès ? tonna-t-il contre le géant.
— C'est Takeo qui m'a dit de surveiller Minoru. Il avait peur qu'il lui arrive des bricoles...
— Surveiller Minoru ?
Daiki acquiesça de son visage aux traits grossiers. Il porta un verre de la table à sa bouche, en examina le fond et en but un peu. Kensei gronda :
— Très bien... Alors dans ce cas, t'as prévenu Takeo ?
— Pas vraiment... J'pensais que ça pouvait attendre.
— Mais c'est pas possible ! Franchement là, j'ai même la flemme de t'insulter !
— Quoi ? se récria Daiki.
— Barre-toi !
— Quoi ?
— Dégage ! hurla Kensei, en se dressant sur sa chaise.
Des clients assis à des tables se retournèrent sur nous, les sourcils froncés. Avec son regard de fou furieux, Kensei était impressionnant. Il était tant en colère qu'il semblait avoir pris trente kilos et vingt centimètres de taille.
Je ne pensais pas que Daiki obéisse à Kensei, mais contre toute attente, il quitta la table et traîna mollement le pas en direction des escaliers. Le géant avait sûrement dû comprendre à quel point il avait failli à sa mission.
Daiki était le militant et le soldat de Takeo. Pourquoi ne l'avait-il pas immédiatement informé qu'une voiture noire blindée suivait Minoru ? Son intention n'avait certainement pas été de le mettre en danger – et moi avec... Mais quel crétin !
Je tournai les yeux vers Kensei qui s'était rassis et avait bu sa bière d'une traite. Cette soirée mettait ses nerfs à rude épreuve. Je sentais bien qu'il avait envie de se battre, contre n'importe qui, pourvu qu'il puisse se défouler !
La mâchoire serrée, Kensei recula dans sa chaise. Il pressa ses doigts sur ses paupières, comme si ce geste pouvait l'aider à y voir plus clair dans son esprit. Sous la table, je posai une main sur sa cuisse, en espérant que ce geste lui apporterait un peu de sérénité. Au bout d'un moment, il y juxtaposa la sienne et releva le menton vers Nino.
« Le cerveau de Daiki, c'est de la pâte à modeler. Takeo la malaxe à l'envie et lui donne la forme qu'il veut bien lui donner.
— T'es plus en colère par rapport au fait que Takeo ait ordonné à Daiki de suivre Minoru, qu'il ait bâclé sa mission ou parce que Minoru et Lucie étaient en danger ?
Nino adorait remettre les idées en place à Kensei. Il poursuivit de son timbre métallique :
— Tu soupçonnes Takeo ? Daiki n'aurait été pour lui qu'un marchepied ?
— Je ne soupçonne personne, soupira Kensei. Je dis juste que Daiki se laisse trop influencer par ses attentes. C'est vraiment son ami mais leur relation est déséquilibrée.
— Ça, ce n'est pas ton problème, rétorqua Nino en le soupesant du regard. Ah ! Il doit vraiment y avoir une contre-réunion dehors, ils ne reviennent pas.
En effet, arrivés au Black Stone à onze, nous n'étions plus que cinq à la table : Nino, Ryôta, Jun, Kensei et moi. Que faisaient-ils tous, à l'extérieur ?
Une fois de plus, Jun brisa le silence pesant qui avait envahi la table.
— Nino m'a raconté l'histoire de Fumito : son caractère, son arrestation, sa réputation... Mais aujourd'hui, qu'est-ce qu'il fait exactement avec la drogue ? C'est une nourrice ?
Je pensai que Ryôta allait répondre mais Kensei le devança :
— Ouais... Il planque chez lui la came contre rémunération. Mais il n'y a pas que ça... Fumito est aussi un charbon, un plan, un point de vente. Il doit rapporter un paquet de thunes au clan qui le fournit. Mais en dehors ça, ce qui nous inquiète maintenant, c'est que comme l'ont découvert Minoru et Lucie, Fumito pourrait lui-même fabriquer de la drogue.
— Il aura des problèmes avec les mafieux s'ils le découvrent... Mais quel impact ça a sur nous ? Je veux dire, personne ne va prendre le risque d'acheter sa merde, releva Jun.
Nino toussa :
— Il pourrait faire passer sa propre came pour celle que lui refourguent les yakuzas et la revendre à des pauvres types de Nintaï qui n'y connaissent rien.
— Je vois.
Jun releva le menton et parla d'une voix lisse :
— Mais en quoi ça vous choque ? Pourquoi vous vous sentez concernés par le sort des autres nintaïens ? Vous les défoncez au moindre mot de travers...
J'adressai un large sourire à Jun. Enfin quelqu'un qui osait pointer les incohérences des lois nintaïennes !
— C'est par égard pour nos cadets, répondit Kensei. Y'a des types biens à Nintaï qui ne méritent pas de ruiner leur vie si facilement avec du Crystal Meth, de la Flakka ou des sels de bain. Les autres, on s'en fiche. Nous ce qu'on veut, c'est mettre en garde des gars comme Mukai et Shôji.
— Je vois... Vous protégez vos propres relations. Mais ce n'est pas ce que vous auriez déjà dû faire avec le solvant, l'ecsta et le reste ?
D'un geste de la main, Kensei rejeta ses cheveux en arrière.
— On est arrivés dans l'établissement quand tout ça circulait déjà, invoqua-t-il. Nintaï a toujours été un marché aux drogues. Mais maintenant qu'on est des aînés et qu'on a les moyens d'empêcher l'arrivée du Crystal Meth et de la Flakka, on ne va pas se gêner !
Il me sembla sur l'instant que je contemplai Kensei avec un air de dévotion. Lui, le caïd, se nimbait d'airs de justicier qui lui allaient plutôt bien.
— C'est vrai, témoigna Ryôta. Ce n'est que depuis l'année dernière que les nouvelles drogues synthétiques arrivent dans l'établissement... Jusqu'à récemment, je n'y vendais que du cannabis. Mais l'herbe maintenant, ça ne rapporte plus. Les gens veulent tester autre chose. T'vois Jun, par exemple, le crack avant, je le gardai pour moi. Mais si on veut me le racheter le double du prix, je dis pas non...
Nino hocha plusieurs fois la tête et ajouta pour Jun :
— Notre intervention est aussi bonne pour la réputation de Takeo. Nous préférerions tous que ce soit lui plutôt qu'Ichiro qui soit à la tête de l'établissement pour l'année qui vient de débuter et préparer celle à venir. Une fois notre diplôme professionnel en poche, ces histoires ne nous concerneront plus mais on pourra au moins se dire qu'on aura fait le maximum pour éviter un gros désastre parmi les plus jeunes.
Il y eut un moment de silence, puis Jun déclara :
— Je suis content. Je crois que j'ai intégré la bonne faction.
— Tu ne le pensais pas avant ? railla Ryôta.
Jun haussa les épaules.
— On peut déduire de tout ça que deux clans yakuzas se disputent le secteur de Nintaï ? interrogeai-je.
Kensei, Ryôta et Nino hochèrent la tête de concert.
— Si la situation n'est pas réglée d'ici quelques mois, ça ne m'étonnerait pas qu'il y ait des éclats entre les clans... répondit Nino. Avec des dommages collatéraux.
— Et avant ça ?
— Les deux clans auront placé des guetteurs un peu partout pour mieux délimiter la zone et déterminer qui achète quoi et qui travaille pour qui.
L'Idol pinça la bouche et plissa les yeux.
— Ça veut aussi dire que beaucoup de liquide va commencer à circuler, ce qui va être utile.
— À quoi ? l'interrogeai-je.
— Y'a un paquet de types qui vont se faire démonter les dents. Au moins, leur blé leur permettra de se refaire le visage pour plaire aux nanas, ironisa-t-il. Allez ! Je me dévoue pour aller chercher les autres dehors. »
→ ★
Merci de votre lecture !
(* ̄▽ ̄)b Pour le prochain chapitre, je vous promets un petit "Kensei vs. Minoru."
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro