
1. Même Minoru
Les jours s'écoulaient, sans nouvelle de Kensei. Toutes mes certitudes s'envolaient. J'avais la sensation d'être prise dans un mal de mer qui ne passait pas.
Personne ne savait ce qu'il était devenu, à l'exception de Mika. Mais celui-ci demeurait muet, même avec Takeo. L'Hypocondriaque se contentait de me jeter des regards qui en disaient long sur ce qu'il pensait de moi et s'en servait pour m'éloigner du groupe. Cela fonctionnait. N'ayant plus ma place sur le toit, je me terrais dans le secrétariat. Au bout de quelques jours, je n'en sortais plus.
Comme Reizo l'avait espéré, Nintaï avait pris connaissance des faits. Ses prétentions avaient été démontrées et rendues publiques par tout un système de preuves qu'il avait élaboré au fil de mes visites contraintes à son domicile : photographies de moi franchissant la porte ou de mes vêtements froissés sur le sol, description des emplacements de mes grains de beauté, etc.
L'impact dans l'établissement Nintaï était pire que ce que j'avais craint. On m'accusait, on me faisait mon procès et on me condamnait. Les étudiants m'abreuvaient d'injures sur mon passage. Je « puais », c'était ce que les nintaïens disaient de moi. Pour eux, j'étais une traînée, qui plus est, une étrangère ayant sali un Japonais.
Au Japon, le condamné à mort ne connaissait pas la date de son exécution. Chaque jour pouvait être le dernier. Chaque jour pouvait être celui de la pendaison. Chaque matin, le condamné pouvait s'attendre à ce que le gardien s'arrête devant sa cellule. Si le geôlier poursuivait son chemin, vingt-quatre heures de vie supplémentaires lui étaient accordées. La peur au ventre était perpétuelle. Je me demandais combien de temps je pourrais encore tenir dans l'établissement Nintaï.
Il y avait quelque chose dans l'aspect de la culture nipponne que je n'avais pas entièrement saisi : l'honneur. Ce que j'avais commis n'était pas une simple tromperie, c'était une pulvérisation de l'honneur de Kensei. Terminé, la jolie occidentale surdouée. Nous vous présentons la sournoise indignité féminine dans sa plus abjecte âpreté. Quoi que je fasse à présent, j'étais perdue.
La culpabilité. Un petit mot qui en signifiait un plus grand : j'étais coupable. D'un crime ? D'un délit ? De rien puisque qu'on m'avait manipulée ? Peu importait. Je devais assumer la responsabilité de mes décisions. Mais nul n'acceptait de croire que j'avais agi privée de liberté.
Je me sentais désemparée. Comment cela avait-il pu arriver ? Avoir cédé à Reizo en gardant secret son chantage avait été une grave erreur.
« Je ne veux plus te voir. Disparais. » Les derniers mots de Kensei se heurtaient sans cesse dans ma tête. Ils résonnaient, lancinants, tranchants. Ils m'entravaient les entrailles, les tordaient, les sabraient.
J'avais voulu encaisser une révélation promise par Reizo. À la place, j'avais reçu un coup de couteau dans le dos qui ne finissait plus de me saigner.
Le neuvième jour, Minoru me porta le coup fatal. Il franchit le seuil du secrétariat tandis que j'étais pliée sur le bureau, les mains croisées derrière la nuque, les coudes m'enserrant le crâne pour m'empêcher de me remettre à pleurer. Il s'approcha, tout habillé de noir. C'était la première fois que je le voyais vêtu de l'uniforme intégral.
Son regard se perdit dans le vide.
Je bredouillai :
« Tu aurais pu toquer à la porte. Ce n'est pas poli.
Minoru s'anima, l'œil hostile et parla vite, comme si des fourches en feu lui brûlaient la langue :
— T'es pas en position de me donner des leçons de morale !
— L'erreur est humaine, me défendis-je sans réelle conviction.
— T'es sacrément humaine toi !
Sa voix écorchée se brisa :
— Au début je ne le savais pas ou alors j'ai refusé de le croire mais t'as un cœur de pierre !
Mes yeux s'embuèrent de larmes. Je fus incapable de lui répondre. Minoru, mon cher Minoru était venu m'achever. Je ne pouvais plus parler. Il cria :
— Merde ! Pense à moi, Clé-à-molette !
Prostrée, je ne réagis pas. Il recula, conscient qu'il perdait le contrôle de lui-même :
— Tu l'as cherché, aussi ! On n'a rien sans rien ! Kensei est parti ! Au fond, il te reste qui ?
Je voulus rétorquer lui, ma grande-sœur, Sven, Leandro, Shizue, Yoshi, Aïko, peut-être même Nino. Mais rien de tout cela n'était vrai. Aucun de ces noms ne panserait la blessure. Minoru me rendait la vue et ce n'était pas facile à supporter.
Les épaules effondrées, cherchant ma respiration entre les hoquets, j'articulai :
— Venant de toi, c'est pire que tout. Tu es plus sadique que je ne le pensais. Si tu ne viens pas pour une affaire administrative, va brasser de l'air ailleurs. »
Minoru déglutit et s'enfuit. Le mouvement vif de ses jambes renversa la plante verte sur le linoléum. La terre se répandit, pleine d'asticots.
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