9. « Des gens comme toi »
[Minoru me jeta un regard en biais qui signifiait « Tu veux que j'intervienne ? ». Je secouai la tête et me retournai sur Naomi.]
— Tu pourrais m'expliquer pourquoi tu en as après moi ? On dirait que tu t'acharnes.
— ...
— D'où tu sors tes preuves selon lesquelles je travaillerais comme escort-girl ? Ça frôle le ridicule.
— Comme si j'avais besoin de vérifier les actions d'une traînée !
Le bouchon de la cocotte-minute pétarada dans ma tête et la vapeur monta. Minoru plissa les yeux. Il avança d'un pas vers elle en la poignardant d'un regard noir. Naomi blêmit mais maintint sa position.
Elle poursuivit, sifflante, le ton insinuant.
— J'ai mes sources ! Une fille t'as vue passer devant le Pretty Diamond et discuter avec un host... Vous sembliez bien vous connaître !
Je mordis fort mes lèvres pour contenir un jet de poison. Je me revoyais saluer Tomo en passant devant le host club car c'était mon trajet quotidien vers le métro. Sur ce, je me recentrai et répliquai :
— Tu ferais mieux d'empêcher ta petite cervelle de cracher autant de mensonges. Maintenant qu'on sait que c'est toi, tu perds toute ta crédibilité. Ça fait quoi, d'imaginer des bêtises pour te décharger de ta propre culpabilité ?
Mes arguments sentaient l'eau de boudin et mon discours partait à vau-l'eau. Naomi me dévisagea, les yeux exorbités :
— Ferme-là, abrutie ! Tu racontes des mythos à Ryôta pour qu'il se tire et après ça, tu joues les saintes vierges immaculées !
Elle était là, la raison de ses ragots : une petite vengeance. Naomi pensait que j'avais incité Ryôta à rompre avec elle. C'était la cour de récréation !
Mes neurones ne firent qu'un tour. Je réglai mon focal en la fixant d'un œil bleu orage.
— Qui sème le vent récolte la tempête.
Naomi eut un rire méprisant qui me hérissa les cheveux sur la tête. Sa voix monta d'un cran dans les aigus, sa bouche s'étrécit en cul-de-poule et sa gestuelle devint anarchique.
— Qu'est-ce que j'aurai bien pu lui dire qu'il ne sache déjà, hein ? Je marquai une pause, avant de lancer sèchement : Les problèmes entre Ryôta et toi ne regardent que vous.
— Justement ! Tu t'es sentie obligée de l'ouvrir ? rugit-elle, haineuse.
Naomi commençait à me faire peur. Pourtant, si je cessais d'avancer, cette vipère ne ferait qu'une bouchée de moi.
— Pose-toi des questions avant d'accuser les autres, opposai-je. Ryôta réfléchissait déjà à cette possibilité.
— Tu crois ça ? Avant que tu lui racontes que...
— Que tu le trompais ? Qu'est-ce que j'en avais à faire de votre relation ? Je n'ai pas l'intention de m'éterniser. Arrête tes salades sur moi, tu perds ton temps.
— Ah, ben ça alors ! Et t'as ramené ce crétin au-cas où je te fasse bobo ? » ricana Naomi en avisant Minoru qui avait un bras appuyé contre le mur d'enceinte du lycée.
La paume en travers de son nez plat, Sumiho regarda sa copine de travers et prit une couleur jaune de bile comme si elle avait elle-même était atteinte par la pique. Naomi haussa ses sourcils trop épilés et devant mon inertie, me poussa violemment contre la grille de son établissement. Surprise, j'en eu le souffle coupé.
Aussitôt, Minoru se détacha de son appui et héla Naomi.
« Crétine toi-même ! C'est parce que t'es facile que les mecs sortent avec une garce comme toi ! ajouta-t-il un sourire en coin avant de me relever d'une main.
Le visage transfiguré, il bomba le torse :
— T'attends pas à ce que Ryôta revienne. Après vos rencards, il avait trop la honte de revenir avec des traces de fond de teint plein la tronche et une haleine qui puait le parfum bas de gamme et l'alcool !
Naomi tressaillit en jetant des regards inquiets autour d'elle.
— Ferme-là ! Espèce de...
Minoru passa d'un air menaçant au cynisme le plus vénéneux.
— Tu vois, tu fais ton altesse mais en fait, t'es qu'une pouffe ! Hé ! Tout le monde ! cria-t-il autour en porte-voix : Vous saviez que Naomi adorait l'herbe ?
Naomi n'en menait pas large devant l'imposante stature et les railleries de Minoru. Des lycéennes curieuses vinrent s'agglomérer en cercle autour de nous. J'avais hâte que tout cela prenne fin. Minoru en faisait trop.
Toujours déterminé, il vrilla son regard sur Naomi :
— Si après ça t'as des problèmes, c'est à moi que tu devras avoir affaire. Parce tout ce que t'as pu dire sur Lucie, sache que personne à Nintaï ne l'a gobé, Ryôta le premier ! ».
Il écarta vivement le bras de Sumiho qui essayait de le retenir et me fit signe qu'il était temps de prendre congé.
A peine avions nous fait dix mètres que l'opossum transgénique se retourna et acheva Naomi : « Hé, planche à pain ! Une dernière chose : si tu crois que personne n'est au courant que t'empiles les coussinets pour te rembourrer le soutif, ben tu te goures à plein tube ! T'es la risée de Nintaï ! ».
C'était plutôt le genre de Nino d'achever ses victimes en concluant d'une phrase acide et glaciale.
***
« Minoru, je devais insinuer qu'elle était une planche à pain » soufflai-je en lui mettant une petite bourrade dans les reins. Il ne réagit pas et continua d'avancer dans la rue de sa démarche élastique aux grandes enjambées lentes. « Ça va ? Tu es tout vert... ».
C'était la tombée de la nuit. Arrêté au carrefour, Minoru dirigea son regard vers les feux de circulation, puis il fit mine de balayer d'un revers de main des poussières invisibles sur sa veste noire.
— C'est quoi cette histoire d'host club ? C'est pas des endroits où tu devrais traîner. Les nanas y laissent parfois plus que leur blé.
Minoru, en dépit de son allure débonnaire, était d'une nature douce et conciliante. Je l'avais deviné depuis un moment déjà. Il faisait assurément partie de ces individus dont on dit qu'ils ont bon caractère. Il était disponible et tolérant. Pour ces raisons, je lui faisais confiance. Peut-être n'aurais-je pas dû. Mais si Minoru manquait d'élégance, j'appréciais sa spontanéité.
— C'est un délire avec une amie de l'université, Shizue. Il y a quelques semaines de ça, je n'avais pas le moral. Nous sommes allées au Pretty Diamond sur un coup de tête. Depuis, je salue l'host avec qui j'ai discuté. C'est le chemin pour rentrer chez moi. Rien de plus.
À la façon japonaise, je plaquai mes mains l'une contre l'autre devant moi :
— Ne t'avise pas d'en parler aux autres, s'il te plaît. Ils donneraient crédit à tout ce qu'a pu raconter Naomi.
L'Opossum transgénique eut un sourire forcé. Je me dévissai le cou. Sa peau olive parut plus blême que d'habitude.
— Hé, Minoru ! Regarde-moi, s'il te plaît. Je t'en prie, tu sais que je ne suis pas comme ça.
Je dus avoir l'air convaincant car ses épaules se détendirent, puis s'affaissèrent totalement. Il relâcha ses bras le long du corps en soupirant. Je me raclai la gorge.
— Tu me fais peur parfois, quand je ne sais pas ce que tu penses.
— Use de ton feeling, Clé-à-molette. Use de ton feeling.
— C'est fatiguant de passer son temps à essayer de deviner ce que les gens ont en tête ».
Il secoua le menton. Nous étions tous deux las de la confrontation avec Naomi. Il en ressortait une vive impression d'amertume.
Une centaine de mètres plus loin, Minoru courba la nuque pour éviter la branche tombante d'un arbre bordant le trottoir. Je le sentais triste et profondément irrité.
« Pourquoi t'as hésité à la frapper ?
— Pardon ?
Il me jeta un regard.
— Naomi, articula-t-il. Tu as dominé la situation mais je t'ai sentie au bord du craquage. Je t'ai vue trembler. Il secoua encore la tête : Finalement, tu t'es maîtrisée.
Au loin, je regardai une voiture qui venait de nous dépasser s'éloigner sur le bitume.
— Évidemment, je suis civilisée.
Je regrettai ce mot au moment où je le prononçai. Un hoquet secoua sa poitrine.
— Peut-être tout mon contraire » dit-il en souriant gentiment.
Nous ne tarderions pas à nous quitter. Dans deux rues, je resterai seule avec mes pensées, ma colère et mes incertitudes : aurai-je dû employer la force physique, comme le suggérait Minoru ?
Je ralentis un peu le pas et ravalai ma salive.
« Tu traînes quasiment tous les soirs avec la bande... Vous devez forcément faire des mauvaises rencontres. Pour autant, est-ce que tu cognes chaque individu qui te fait sortir de tes gonds ?
Minoru calqua son pas sur le mien et réfléchit longuement. Enfin, alors que bientôt nos chemins se sépareraient, il se redressa :
— On ne tape pas sur tout ce qui bouge, hein !
— Tu n'as pas répondu à ma question, lui fis-je remarquer.
— Attends, laisse-moi finir. Ce que j'essaie de te faire comprendre, c'est que je ne suis pas une bête. Personne dans la bande ne l'est – sauf peut-être Daiki. Comme tu l'as dit, nous sommes des êtres civilisés. Ce que t'as ressentis face à Naomi, ça nous arrive souvent. Il soupira et reprit : Avant de réagir, on se demande si la mouise dans laquelle on va se mettre en vaut vraiment la peine.
— C'est le cas la plupart du temps à vos yeux.
Il m'adressa un large sourire et me donna une tape sur la tête.
— C'est pas faux. Mais il nous arrive parfois de laisser couler un incident... C'est pas si facile mais on le supporte. Il toussa légèrement : Toi, t'as bien tenu le coup face aux insultes de Naomi. A ta place, je lui aurai arraché la perruque.
— Je te rassure, j'y ai pensé.
Minoru sourit une dernière fois :
— Brave fille ! Les commissures de ses lèvres retombèrent et il enfonça les mains dans ses poches : Tu sais au final, le monde n'est pas fait que de pourritures. Tu rencontres toujours d'autres personnes, des personnes qui valent la peine qu'on s'intéresse à elles. Des personnes comme toi ».
Merci de votre lecture ! J'espère que cette partie vous a plu ~*
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