Partie 2
Plus on avance dans la visite, moins j'ai peur. L'atmosphère est toujours particulière, presque pesante, tout en étant aussi étrangement apaisante. Le silence et la pénombre doivent jouer dans ce sens. À moins que je ne sois complètement folle et que je devienne comme Valentin : attirait par le glauque et l'inconnu. Dans tous les cas, c'est une bonne nouvelle, puisque j'ai été plus loin dans cet Urbex que je n'aurais jamais pensé pouvoir aller. Mes limites n'étaient que celles que je m'imposais.
Au milieu du couloir délabré, nous continuons de nous enfoncer dans le bâtiment. Valentin est devant moi, comme il me l'a promis, et n'a pas cessé de filmer depuis notre entrée. Pour l'instant, nous n'avons vu qu'une succession de pièces plus ou moins vides, seulement meublées de quelques chaises et de quelques tables. Nous ne sommes pas encore arrivés dans la partie purement médicale de l'hôpital. Il n'y a donc rien eu de véritablement intéressant.
– Le bruit que vous entendez en fond, ce n'est pas le cri des Ombres, mais le vent qui s'est levé et qui s'engouffre dans le bâtiment.
En souriant à sa propre réflexion, Valentin me jette un coup d'œil. L'air amusé, je lui réponds en secouant la tête.
– D'ailleurs, pour l'instant, on n'a rencontré personne, esprit ou humain. Mais, on fait quand même attention, parce que quand on se préparait Kim Anh a vu de la lumière dans les étages.
J'acquiesce distraitement, tout en balayant les lieux du regard. Ces murs ont vu des tas de gens passer. Des personnes plus différentes les unes que les autres. Des personnes encore en vie ou disparu depuis longtemps. C'est triste que les bâtiments ne puissent pas nous raconter leur histoire, je suis sûre qu'ils nous rendraient plus riches et plus sages.
– Je pense que c'était d'autres explorateurs. L'hôpital est un peu trop à l'écart de la ville pour que des gens viennent squatter et je ne pense pas que des vigiles face des rondes dans le bâtiment.
– C'est peut-être la Nonne qui faisait la tournée des patients.
Je dis cela pince-sans-rire, ce qui semble surprendre Valentin. Les sourcils froncés, il me regarde par-dessus son épaule. Je fais la moue. Il devrait se réjouir que je me sente apte à plaisanter sur ce sujet. Après tout, ça prouve que je suis détendue et ça rendra mieux sur la chaîne. Ça changera un peu mon image aussi, je gagnerai encore en humanité. Ce que certaine personne m'ont reproché de manquer.
PlatinumGirl n'est qu'une vitrine.
PlatinumGirl n'est là que pour l'argent que lui donnent les placements produits.
On dirait que PlatinumGirl ne ressent rien.
PlatinumGirl ne prend jamais d'initiative, elle fait que suivre les modes.
Comment un mec aussi drôle que Val'Heureux peut se taper une porte de prison comme elle, PlatinumGirl ?
En repensant à ce dernier commentaire, beaucoup trop récurent sous mes vidéos, je laisse mon regard courir sur Valentin qui s'est remis à parler à sa caméra. Ma mère m'a toujours dit que les opposés s'attiraient. Il est vrai qu'avec Valentin, on représente plutôt bien cet adage en public. Pourtant, lorsqu'on est que tous les deux, on rigole bien. On est même plutôt les premiers à faire les fous. Peut-être que cet Urbex est l'occasion de montrer le vrai nous aux abonnés.
Alors que je tergiverse sur ma vie, un bruit sourd résonne entre les murs de l'hôpital. On arrête immédiatement d'avancer.
– C'était quoi ?
En chuchotant, il me répond :
– Ça venait de l'étage du dessus.
Il marque une pause. Dans un même mouvement, nous nous mettons à scruter le plafond, comme dans l'attente que le bruit se fasse de nouveau entendre.
– Soit le vent a fait claquer une porte, soit quelque chose est tombée.
J'ouvre la bouche pour rajouter une option, mais il me coupe en levant l'index.
– Et non, ça ne peut pas être la Nonne.
– Le soldat ou le tueur alors ?
Valentin me foudroie du regard, mais finit par me tendre la main. Sans hésiter, je l'attrape. J'admets que cette fois, ce n'était pas vraiment du second degré, plutôt une crainte caché par de l'humour. Ma poussé de courage a ses limites.
– Et je ne pense pas que ce soit des explorateurs. Vue l'état du bâtiment, on aurait entendu leur pas.
Je déglutis difficilement, tandis qu'on scrute la pénombre, toujours en alerte.
– On va continuer à avancer. On verra bien si le bruit se fait de nouveau entendre.
J'acquiesce. Valentin me tire doucement par le bras pour que nous continuions notre exploration. Nous n'entrons pas dans les pièces que nous voyons. Ce sont toutes des copies conformes de la précédente, des sortes de petits bureaux, dans lesquelles il n'y a rien de spécial.
– On arrive enfin dans le hall. Regarde, les peintures sur les murs !
Valentin s'approche de la fresque qui orne le mur derrière le comptoir d'entrée. Sa lumière éclaire alors les couleurs délavés de ce qui, à une certaine époque, devait se vouloir réconfortant pour les patients. On peut voir une sorte de scène biblique. Une femme auréolée pose une main sur la tête d'un enfant qui semble mourant. Il est porté par ses parents. Derrière eux, plusieurs personnes semblent prier. Malgré l'air agonisant de l'enfant, aucun autre personnage ne semble triste, au contraire.
– Je pense que c'est Sainte-Anne.
– Je pense que c'est glauque.
En grimaçant, Valentin se tourne vers moi.
– On dirait qu'ils sont en train de se réjouir de la mort du gosse.
– J'avoue que ce n'est pas très bien réalisé.
Je grimace à mon tour.
– Les patients devaient se dire qu'ils ne sortiraient jamais d'ici en voyant ça et que les médecins en seraient heureux.
Je fais la moue pour me retenir de sourire à la remarque de Valentin. En arpentant le hall, il ajoute :
– Tu me diras, quoi qu'il arrive, les médecins ne sauvent personne, donc dans un sens, ils se réjouissent bien de ça.
– Quoi ?
Valentin s'arrête et hausse les épaules.
– Bah oui, un médecin n'a jamais rendu personne immortel. Quoi qu'il arrive, 100% de leur patient finisse par mourir.
– T'es idiot Valentin, je te jure !
Il rit. Je secoue la tête.
–Il faut bien que je te change les idées, je te sens tendu depuis qu'on a entendu du bruit.
– Non, ça va.
L'air peu convaincu, Valentin hoche la tête, avant de se remettre à arpenter le hall. Plantée au milieu de la salle, je le suis du regard. Il filme chaque détail sous un angle précis. Il est minutieux et à le regard aiguisé. C'est fascinant de le voir travailler comme ça. Il a nettement plus de mérite que moi et mes plans fixent.
Un courant d'air me fait frissonner, avant d'aller souffler dans les étages de façon lugubre. Je grimace et lève les yeux vers le plafond. Au même moment, le bruit sourd se fait de nouveau entendre, plus proche cette fois. Je sursaute et échappe un cri.
– Cette fois, je suis sûr, c'est une porte qui claque avec le vent.
– Comment tu peux en être sûr ?
Les yeux écarquillés par la peur, je fixe Valentin. Ses yeux s'accrochent rapidement au mien.
– Parce que si c'était des personnes, on entendrait d'autre bruit.
Je ne trouve rien à dire, mais il doit voir que je ne le crois pas vraiment, puisqu'il se rapproche de moi.
– Eh, crois-moi, j'ai déjà fait des Urbex avec d'autres groupes. Ce n'est pas des personnes qui font ce bruit. C'est le vent, la nature. Rien d'inquiétant.
– Je dois faire confiance à Val'Heureux, le pro des Urbex, c'est ça ?
– Tu as tout compris.
Il me sourit, avant de déposer un baiser sur mon front.
– Allez, continuons. On va justement aller à l'étage voir ce qu'il se passe.
Pour la énième fois de la soirée, Valentin me prend par la main pour m'emmener à sa suite. Seulement cette fois, je me fige, le regard rivé aux escaliers que son plateau LED est en train d'éclairer. Surpris, il se retourne vers moi.
– Qu'est-ce qu'il y a ?
Ses yeux font l'aller-retour entre mon visage et ce que je regarde. Je viens d'avoir une révélation.
– Kim ?
– Dis-moi que ce n'est pas ce que je crois Valentin ?
En feignant l'incompréhension, il demande :
– Quoi ?
Je soupire et le regarde.
– C'est toi qui as tout mis en place ?
C'est plus une affirmation qu'une question.
– De quoi ?
– Les lumières, les faux mythes, les bruits, la caméra : c'est quoi après ? Un faux corps ? Un faux fantôme ?
Valentin fronce les sourcils et se met complètement face à moi. Je dois dire qu'il joue particulièrement bien la surprise. Je ne le pensais pas si bon acteur. Est-ce qu'il y a seulement une chose qu'il ne sait pas faire ?
– Kim, je ne comprends pas de quoi tu parles.
– C'est ton équipe qui est là ? C'est eux qui sont censés jouer le rôle des « esprits » ?
Je mime les guillemets. Valentin secoue la tête.
– Tu voulais me faire peur dans ce lieu soit disant hanté pour faire le buzz sur Youtube ?
Son visage se décompose de plus en plus. En lui tapant l'épaule, j'insiste :
– Allez, lâche le morceau !
Je cris :
– Les mecs, vous pouvez sortir ! J'ai tout compris ! Vous ne me ferez plus p...
Valentin pose sa main sur ma bouche. Je ris.
– Qu'est-ce que tu fais ? On est tout seul ici. Je ne comprends pas ce qu'il t'arrive d'un coup.
Je lève les yeux au ciel.
– Et de quelle caméra tu parles ?
D'un mouvement faussement las, je désigne les escaliers. Valentin suit mon geste du regard. Il me fait rire. Il s'obstine à me faire croire qu'il ne comprend rien, alors que je l'ai clairement percé à jour.
– Je sais que tu ne vas pas me croire, Kim, mais je te jure que je n'y suis pour rien.
J'essaye de cacher mon air amusé et contourne Valentin. D'un pas décidé, j'avance vers les escaliers et monte les marches jusqu'à atteindre la caméra.
– Tu ne vas quand même pas essayer de regarder ce qui a été filmé ?
Avec une moue, je le toise.
– C'est exactement ce que tu me dirais pour que je regarde ce qui a été filmé.
– Quoi ?
Il grimace et me rejoint alors que j'ouvre l'écran de la caméra.
– Arrête ta psychologie inversée et repose la caméra, s'il te plait.
Je fais comme si je ne l'avais pas entendu et, en voyant l'écran s'allumer, m'écris :
– Ah ah ! Bizarrement, la batterie est à moitié pleine. Qu'as-tu à dire pour ta défense ?
Fière, je le regarde. Il a l'air choqué et ne quitte pas la caméra des yeux. Bon, peut-être qu'en réalité, il n'a rien à voir avec ce qu'il se passe ici et le fait que cet appareil se soit retrouvé dans les escaliers.
– Ok, en admettant que tu n'aies rien à voir avec tout ça : tu ne veux pas savoir ce qui est arrivé au propriétaire de cette caméra pour qu'il la laisse à moitié chargé dans les escaliers d'un hôpital abandonné ?
Le regard de Valentin passe de l'objet qui est entre mes mains à mon visage, retourne sur l'objet, revient sur mon visage et ainsi de suite jusqu'à ce qu'il se mette à secouer négativement la tête.
– J'ai vu assez de film d'horreur pour savoir comment ça se passe.
– Q-Quoi ? Pardon ?
Choquée par sa réponse, je me mets à rire.
– C'est toi, Val'Heureux, l'Urbexeur qui n'a peur de rien, qui me dis ça ?
– Ouais, tu as raison. Fais voir le dernier enregistrement.
Mon sourire s'élargit, alors que j'appuie sur le petit icone représentant un triangle vert. Valentin cale son menton sur mon épaule. Une image apparait sur l'écran. Elle est floue, mais semble représenter un couloir. Les chiffres digitaux indiquent que l'enregistrement ne dure que 20s. Sans hésiter, j'appuie sur « play ».
L'image se met en mouvement. Elle filme le sol. La personne semble courir. On l'entend répéter plusieurs fois « merde, merde, merde. » La vidéo s'arrête sur le haut des escaliers.
Dans un même mouvement, Valentin et moi levons la tête vers les marches qui nous surplombent. On s'attendrait presque à voir quelqu'un nous fixer. Il n'y a rien. Juste des gravats et la noirceur de la nuit.
– Regarde celle d'avant.
J'appuie. Une nouvelle vidéo de 20s apparait à l'écran. La miniature est plutôt similaire.
– Celle encore avant.
La voix de Valentin est pressé, on dirait presqu'il est inquiet.
– Encore.
Il ne me laisse pas le temps d'appuyer et le fait à ma place. Je lève les yeux sur lui. Son visage est fermé. Sa respiration plus lourde. Quelque chose ne va pas.
Doucement, je pose ma main sur celle de Valentin.
– Eh...
Il tourne les yeux vers moi. D'une voix faible, il dit :
– Il a dû voir quelque chose pour fuir comme ça.
– Tu veux qu'on parte ?
Vivement, Valentin secoue la tête.
– Je veux savoir ce qui l'a fait fuir.
Déterminé, il lance la vidéo. Celle-ci dure plus longtemps. Durant les premières minutes, un homme âgé d'une trentaine d'année, avec un bonnet vissé sur la tête, parle à la caméra. Il est dans ce qui semble être un ancien bloc opératoire. Il s'assoit sur la table d'opération. Il rit, puis s'arrête brusquement. Il semble avoir entendu quelque chose. Les sourcils froncés, il se redresse et tend l'oreille. Il explique qu'il croit avoir entendu un cri. Comme pour illustrer ses paroles, un hurlement résonne dans la caméra et on manque d'échapper l'appareil.
Valentin met pause et nous échangeons un regard inquiet.
– Tu crois que c'est...
Il secoue la tête.
– Je n'en sais rien. Tu veux regarder la suite ?
Je déglutis difficilement.
– Je ne sais pas si c'est une bonne idée. Je suis déjà en panique.
– Ok, on...
Entre nos mains, la vidéo se remet en marche toute seule. Nos yeux se rivent dessus immédiatement. Comme hypnotisés, on regarde l'homme se remettre en mouvement, sans même avoir le courage d'éteindre la caméra. Les yeux écarquillés, le trentenaire demande ce qu'il est en train de se passer. Il semble aussi perdu que nous, sauf que lui, il vit l'événement en direct.
Décrire ce qu'il se passe semble l'aider à garder son sang-froid, alors il rappelle qu'il vient d'entendre des cris, qu'il est seul dans le bâtiment et qu'il est en plein milieu de nulle part, en pleine nuit. Toujours assis sur le lit d'opération, il regarde autour de lui. Ces yeux deviennent de plus en plus ronds, ce que je croyais impossible.
Brusquement, il éteint la lumière de sa caméra. Son visage disparaît dans le noir. Il ne reste que ses murmures. Il dit avoir eu l'impression de voir quelqu'un dans le couloir. Il pense que c'est des toxicomanes et qu'il ferait mieux de se cacher avant qu'un en plein délire psychotique le trouve. Pendant plusieurs secondes, seule sa respiration est audible. Une respiration haletante, paniquée. Je le comprends. Je me surprends à respirer de la même façon.
Soudain, des bruits de pas se mêlent à son souffle. On ne sait pas si c'est les siens ou ceux d'une autre personne. Il est toujours dans le noir.
J'ai l'impression de regarder un film d'horreur. Je sais que quelque chose va arriver, seulement, je ne sais pas quoi. Je m'attends à sursauter d'une minute à l'autre. J'ai la sensation qu'un visage va soudain apparaître près de l'objectif ou qu'un nouveau cri va transpercer la nuit.
Une nouvelle sorte de murmure se fait entendre. C'est tellement subtil que je crois halluciner. Pourtant, le chœur de voix monte crescendo. C'est comme s'il se rapprochait de la pièce. Petit à petit, j'arrive à discerner ce qu'il dit.
« 1, 2, 3, Nous irons au bois
4, 5, 6, Cueillir des cerises
7, 8, 9, Dans mon panier neuf
10, 11, 12, Elles seront toutes rouges. »
La vidéo se fige. Mon cœur bat trop fort. Mes doigts n'arrivent pas à lâcher la caméra. L'hôpital est silencieux, beaucoup trop silencieux. Je sais ce qui va se passer. Je le sens. Je n'aurais pas dû ramasser la caméra. On aurait dû faire demi-tour.
Un cri strident vient nous percer les tympans. Je lui réponds par un hurlement horrifié en plaquant mes mains sur mes oreilles. Les bras de Valentin m'encerclent. Il me pousse vers le bas des escaliers.
– On s'en va, Kim.
Je couine et ne regarde que mes pieds.
– Vite !
– 1, 2, 3, Nous irons au bois
Les voix d'enfants viennent du haut des escaliers. Je n'arrive pas à croire ce qu'il est en train de se passer et en même temps, j'agis mécaniquement.
– 4, 5, 6, Cueillir des cerises
Valentin me force à avancer. On est presque dans le hall. On n'aurait jamais dû venir. Jamais.
– 7, 8, 9, Dans mon panier neuf
Les voix nous suivent. Elles sont plus proches. Elles sont nombreuses. Elles vont nous tuer. Je le sens dans mes tripes. Mon instinct me le crie. Il me le crie depuis que l'on est arrivé devant l'hôpital, mais je ne l'ai pas entendu.
– Tourne à droite.
Je me lance, les yeux toujours rivés sur le sol, les mains toujours plaqués sur mes oreilles. C'est un cauchemar. Je veux me réveiller.
– Attention !
Valentin serre ses bras autour de ma taille et me tire en arrière. Je relève enfin les yeux. Je n'aurais pas dû. Mon regard croise celui sombre et effrayant d'une femme. Elle est à quelques mètres de moi. Elle est pâle. Elle semble glisser sur le sol. Elle tient dans sa main une lanterne. Elle est habillée de blanc de la tête aux pieds. Ses vêtements sont maculés de rouge, du sang. Une croix pend autour de son cou. C'est la Nonne.
Alors que je m'apprête à hurler, Valentin plaque sa main sur ma bouche et me murmure :
– Calme-toi. Ça va aller. On va s'en sortir, mais il faut qu'on garde notre calme.
J'acquiesce. Rapidement, on fait demi-tour et nous dirigeons vers la grande porte du Hall.
– 10, 11, 12, elles seront toutes rouges.
Les enfants sont là, juste derrière nous.
– Cours vers la porte !
J'ai envie de m'écrouler sur le sol, pas de courir. J'ai tellement d'adrénaline et de peur dans mon corps que je n'arrive plus à supporter mon propre poids. Je m'écroule. Valentin essaye de me relever. Mes mains tremblent et je vois flou. Seulement, pas encore assez pour m'empêcher de voir l'homme qui apparait dans le couloir sur notre gauche. Il porte un pyjama gris claire. Le bas de son visage est semblable à un immense trou sombre. Il boite, trainant presque sa jambe infirme sur le sol. Il geint, comme s'il cherchait à expier sa souffrance. C'est le soldat.
Valentin me soulève du sol et me projette presque contre la porte. Prise d'une soudaine révélation, je regarde par-dessus mon épaule. Un groupe d'enfants avance lentement dans le Hall. Je ne vois pas leur visage. Ce ne sont que des Ombres.
Je murmure :
– Valentin, c'était qui les victimes du tueur en série ?
Je le vois se retourner vers moi, alors que mes yeux ne peuvent quitter les enfants qui avancent. La Nonne les a rejoints. Le soldat n'en est pas très loin.
– C'était des enfants, n'est-ce pas ?
– Oui...
De façon incontrôlable, je me mets à pleurer. Pas de peur ou de panique, mais de tristesse. Ces enfants, c'est petits âmes ont été tué impunément par un être abominable et pourtant, c'est eux qui ne peuvent trouver la paix éternelle. Le soldat a servi son pays. Il est mort au combat en tentant de le défendre et il reste là, à essayer en vain de communiquer. La Nonne a aidé les autres toute sa vie, faisant passer le « eux » avant le « moi » et elle se retrouve enfermée ici. Et nous, nous affreux êtres humains qui nous croyons tout puissant, nous venons blasphémer leur dernière maison.
Je m'écroule au sol et hurle :
– Pardon ! Excusez-nous !
Ils n'arrêtent pas d'avancer. Je tire sur le pantalon de Valentin, pour qu'il fasse comme moi. Il ne semble pas réfléchir et se retrouve à genoux à mes côtés. Sa voix résonne dans le Hall :
– Nous sommes désolés...
Je sais qu'il ne comprend pas ce qu'il est en train de faire, mais il me fait confiance. Je continue :
– Nous n'aurions jamais dû venir vous importuner. Personne ne devrait venir vous importuner. Vous avez déjà assez souffert dans votre vie, vous ne devriez pas souffrir à nouveau. Pardonnez-nous !
– Vous devriez pouvoir trouver la paix éternelle ici. Cet hôpital devrait être votre maison et aucun étranger ne devrait y mettre les pieds.
Il a compris. Seulement, je n'ai pas l'impression que nos excuses marchent. Les pieds de la Nonne sont juste devant moi. Elle s'accroupit. Je n'ose pas la regarder. Mon seul réflex, c'est d'attraper la main de Valentin et de la serrer fort.
La Nonne pose sa main froide sur mon crâne. Le soldat fait de même sur Valentin.
Les enfants reprennent en cœur :
– 1, 2, 3, prends garde à toi
Je sanglote.
– 4, 5, 6, voilà ta Catharsis
Valentin serre plus fort ma main. Il est là. Je ne suis pas seule.
– 7, 8, 9, tu seras bientôt veuf
Ils crient. Tous : la Nonne, le soldat, les enfants.
Ça me déchire le cœur.
Ça me déchire l'âme.
J'ai mal, au plus profond de mon être et je tombe.
Je tombe lourdement et longuement dans un abysse profond et putride.
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