• CHAPITRE TRENTE-DEUX •
- Tu ne m'as pas fait venir pour me poser des questions ?, lui demandé-je à mon tour, le poursuivant dans la cuisine seulement vêtue de sa chemise blanche.
- Vous êtes bien perspicace mademoiselle Jones, réplique-t-il tout en nous servant deux verres de vin blanc.
Sam s'approche de moi, nos verres à la main et son éternel sourire satisfait aux lèvres. Les muscles de son torse luisent encore à chacun de ses mouvements, tandis que son pantalon tombe avec désinvolture sur ses hanches. Je remarque également que le portrait de sa mère n'est plus présent sur la table. Même en balayant la pièce du regard, rien ne semble rendre compte de la présence d'un quelconque effet personnel. Seule règne une décoration un peu trop censurée à mon goût.
- Je n'allais pas garder un cadre brisé si c'est ce que tu te demandes.
J'évite alors son regard, au risque de chercher une réponse qu'il ne me donnera toujours pas. Ce n'est de toute façon pas le bon moment. Mes paroles brûlantes ont déjà fait bon nombre de dégâts et je ne voudrais en rien gâcher ce qu'il se passe entre nous en ce moment même. Contre toute attente, mon patron répond à mes interrogations de lui-même :
- Ma mère vit à Los Angeles. Elle est propriétaire de la chaîne d'hôtels de luxe Ritz-Carlton. Nous sommes d'ailleurs allés dans l'un deux lors de notre séjour pour le gala de charité, celui où il y avait ton père, commence-t-il, le regard dans le vide.
Cette soirée me revient soudainement en mémoire : l'atmosphère pesante de tous ces faux-semblants de gentillesse, le bruit des vagues sur la plage, la finesse des grains de sable... Je me souviens à quel point Sam avait su se montrer gentil avec moi, me réconfortant à sa façon alors que nous nous connaissions à peine. En en apprenant davantage sur lui, je me rends compte que tout n'était pas que stratagème chez lui. Sous sa carapace superficielle se cache en réalité une once de sensibilité et cela me plait d'autant plus. Les personnes demeurent souvent bien plus complexes que la première impression manichéenne que nous pouvons en avoir.
- Je l'admire énormément. Depuis le décès de mon père, elle a toujours su garder la tête haute et crois-moi, c'était loin d'être facile avec mon frère et moi. J'étais le petit diable de la famille, celui qui faisait toujours en sorte d'entraîner Matt dans ses conneries.
À ces paroles, je saisis instantanément la main qu'il a posé devant lui. Ses yeux plissés accentuent à présent les blessures présentes sur son visage, ne faisant que mettre leur intensité en avant. Il passe alors légèrement le doigt sur sa joue de sa main libre, avant de lentement dégager celle que je tenais fermement.
- Et il en paie maintenant le prix, prononce-t-il amèrement tout en se levant afin de remplir son verre à nouveau.
Mes sourcils se froncent immédiatement. Comment cela pourrait-il être de sa faute ? Matt était fou de rage après l'avoir frappé, notre conversation pour le moins houleuse et sa situation avec Alda. Je comprends cependant sa réaction, je me suis moi-même jetée la pierre lorsque ma meilleure amie m'a appelé. Un accident est si vite arrivé. Il cause parfois bien plus de dommages collatéraux qu'autre chose.
- Ne dis pas ça Sam. Rien de tout cela n'est de ta faute, tenté-je pour le rassurer.
- Tu ne peux pas comprendre.
- Ne recommence pas avec tous ces doutes que tu sèmes dans mon esprit sans me donner la moindre réponse !
Il s'approche alors de moi afin de me serrer dans ses bras. Ce geste fait instantanément redescendre la sensation de colère qui me menaçait. Je ne peux pas lui en vouloir. N'importe qui se mordrait les doigts si une telle chose arrivait à l'un de ses proches. Me contenter du doux refuge qu'est devenue la chaleur de son corps semble pour l'instant être la meilleure des options.
- J'irai lui rendre visite demain matin, tu devrais en faire de même, continué-je la tête emmitouflée entre son torse et son biceps.
- À une condition, réplique-t-il sans desserrer son étreinte.
- Il y en a toujours une avec toi, n'est-ce pas ?
- Ta répartie m'agace..., commence-t-il en essayant tant bien que mal de plisser les traits de son visage afin d'accentuer son regard noir habituel.
- Tu fais déjà assez peur comme ça. Pas besoin d'en rajouter, répliqué-je tout en reculant, un sourire indomptable au bord des lèvres.
À peine ai-je le temps de terminer ma phrase que celui-ci me prend par le bras afin de m'entrainer contre lui à toute allure. Son nez effleure aussitôt mes longs cheveux décoiffés, avant de délicatement passer quelques mèches de ces derniers derrière mes épaules. Il enfouit alors son visage contre mon cou, expirant assez fort pour que je devine à quel point mon parfum ne le laisse pas indiffèrent. Cette partie du jeu me plait bien plus que celle que nous avions mal commencé. L'indifférence n'en faisant plus partie, les compteurs sont à présent remis à zéro. Je me laisse aller à lui. Il se laisse aller à moi. Aucune sensation ne saurait me procurer plus de satisfaction que la sincérité se dégageant de chacun de ses gestes. Je la ressens au plus profond de moi à chaque fois que sa peau rentre en contact avec la mienne, que son souffle se mélange au mien.
Son regard scrute un instant mon visage, avant que celui-ci ne s'approche d'un boîtier noir posé sur l'imposante commode de son salon. Tout en ouvrant ce qui s'avère être un tourne-disque, il s'attèle à la recherche d'un nombre incalculables de vinyles, tous sagement posés les uns à côtés des autres. La curiosité me piquant de part en part, je m'approche à mon tour. La surprise se fait d'autant plus grande que bon nombre d'artistes, que je considère comme étant incontournables, y sont présents. Parmi eux se trouvent Bill Withers, Johnny Cash, Alain Bashung, Pink Floyd ou encore AC/DC. Je l'observe surprise suite à ces bonnes découvertes. Il faut dire que je ne m'étais jamais réellement intéressée à ses goûts musicaux, moi qui avait tendance à l'imaginer constamment la tête dans la paperasse... Ou plutôt à l'imaginer sans ses vêtements.
Tu ne te tromperas pas toi-même Chloé.
Le crépitement provoqué par le contact du saphir et du disque chatouille tendrement mes oreilles. Alors que la musique Push Pull de Hoobastank résonne dans l'ensemble de la pièce, Sam se met à bouger au rythme de le chanson et celui-ci se débrouille étonnement bien. Tandis que j'observe ce spectacle privé inattendu, sans pouvoir empêcher mon rire de se propager autour de nous, rien ne semble le déstabiliser. Ses jambes s'entrecroisent sans pour autant s'emmêler comme j'aurais pu le penser. Ses bras, ses sauts, tout semble parfaitement coordonnés pendant les trois minutes s'écoulant à une vitesse affolante.
- Et ouais, prononce-t-il tout en faisant claquer sa langue contre son palais sans pour autant décrocher l'immense sourire qui s'est dessiné sur son visage durant ses pas. Tu n'es pas la seule à avoir une passion. J'ai commencé à prendre des cours de danse hip hop à l'âge de neuf ans.
- Je suis impressionnée Monsieur Miller !, m'extasié-je ironiquement. Non sérieusement, je ne m'en doutais pas le moins du monde.
- Parce que ça devrait être gravé sur mon front ?, rit-il à présent.
- Non ce n'est pas...
Il revient vers moi afin de feindre déposer un baiser sur mon front, me poussant en réalité légèrement afin de récupérer le verre posé plus tôt sur la table présente à mes côtés. Il sait l'effet qu'il me procure et n'hésite pas une seule seconde à en jouer. Rien que pour cela, je continuerai toujours à le détester.
De la sueur commence à perler le long de ses cheveux bruns jaillissant sur son front humide. Il faut avouer qu'il a su se donner à plus de cent pour-cents, ce qui m'a pour le moins laissé sans voix.
- Mais j'ai l'impression qu'autre chose est gravé sur mon front, dit-il enfin, après avoir bu une gorgée, me coupant ainsi de mes rêveries.
Mon souffle se coupe instantanément. À vrai dire, j'ai peur de ce qu'il pourrait me dire car avec lui, je suis sûre d'une chose : je ne pourrai jamais être certaine de quoi que ce soit. Son côté imprévisible m'effraie un tant soit peu ou bien est-ce peut-être le fait de ne plus être bercée dans mes petites habitudes qui me dérange. En sa présence, je n'arrive plus à réellement faire la part des choses.
- Si tu voyais ta tête... Je ne vais pas te demander en mariage Jones !
S'échappe alors de lui un rire me rappelant celui que j'ai pu entendre lorsque ce fichu chauffeur semblait avoir prémédité son appui excessif sur le frein afin que je me retrouve à moitié nue sous le regard d'un homme qui n'était alors que mon patron. Si j'avais su que ses yeux si envoûtants parviendraient à happer mon attention et ce plus que nécessaire... Non, pour être franche, je ne me serais pas retenue. À quoi bon ?
- Dommage..., le taquiné-je à mon tour.
Celui-ci se met à genoux devant moi, attrapant ma main dans le feu de l'action. Mon coeur se met alors à battre à tout rompre sous le poids de la panique me gagnant petit à petit. Seigneur. Dites-moi que ce n'est pas vraiment ce que je pense avant que je ne m'évanouisse.
- Ma chère Chloé, aurais-tu la bonté de garder ma main dans la tienne jusqu'à San Francisco, le temps d'un week-end ? Toi qui hurlais il y a encore quelques jours que je cachais la moindre de mes attentions, je peux te promettre qu'à cet instant précis, ma seule attention est de plus amplement découvrir la femme qui me plaît. À défaut de ne pas avoir tenu une semaine chez moi, je t'embarque deux jours dans mon monde.
Dans un geste maladroit, je me défais de son contact sans détacher mon regard du sien. Cet homme est vraiment un numéro à lui seul. Je pense maintenant l'appeler Monsieur-j'en-fais-des-caisses.
- Debout Shakespeare !, lui réponds-je tout en m'éloignant.
- Tu es un paradoxe à toi seule, ma belle. J'étais pourtant on ne peut plus sérieux.
Partir en sa compagnie n'est à vrai dire pas une idée des plus déplaisantes, surtout avec ce qu'il s'est passé entre nous. Puis-je toutefois lui accorder toute ma confiance ? Sachant ce qu'il en a fait la dernière fois, je me permets d'en douter quelque peu. D'un autre côté, Sam a su faire ce qu'il fallait afin de rattraper le coup. Je n'irais pas jusqu'à dire que je lui en suis reconnaissante mais disons que l'idée de voir son visage d'ange à mes côtés ne serait-ce que quarante huit heures ne me laisse pas indifférente.
- Seulement si tu m'invites au restaurant..., tenté-je tout en haussant les épaules ainsi qu'en inclinant ma tête sur le côté afin de faire ressortir mes battements de cils.
Je n'avais pas décidé d'arrêter de jouer ? La gamine qui sommeille en moi ne ressort que davantage en ma compagnie. Moi qui me montrais toujours mâture et ferme en sa présence, c'est pour le moins raté.
- Madame pose déjà ses conditions, fait-il mine de réfléchir. Disons que c'est un marché conclu. Mais uniquement si j'ai droit à une petite gâterie...
- Sam ! Sérieusement !, réponds-je aussi rapidement tout en lui donnant un vague coup sur l'épaule.
Nos rires s'entremêlent alors au vague silence surplombant la pièce. Ce qui est magique avec Sam Miller est qu'il sait autant me faire rire de son insolence que de m'agacer en usant de cette dernière. Rien qu'à l'aide de cet infime détail caractérisant sa personne, je me sens réellement heureuse.
Pour la première fois depuis mon entretien, je n'ai plus peur de me retrouver dans ses bras. Je ne pourrai de toute façon plus lutter. Adviendra ce qu'il pourra.
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