
• CHAPITRE DIX-SEPT •
L'allure de mon père reflétait parfaitement le personnage. Son costume gris, assorti d'une cravate pourpre, ne faisait qu'accentuer l'amertume que j'éprouvais envers lui. Je n'ose cependant lui dire que nous avons changé d'époque. Il n'hésiterait pas une seule seconde à me lapider sur la place publique.
- Je vois que vous avez d'ores et déjà pris vos marques.
Il nous épie de haut en bas tout en prenant soin de défroisser sa veste, d'un coup brusque, de ses deux mains. Son regard s'attarde un instant sur le peignoir que je porte mais, avant tout, sur la proximité encore présente entre mon patron et moi. Je me recule instantanément lorsque je comprends le réel sens de sa phrase, me faisant toutefois violence pour ne pas rétorquer que je suis loin d'être une fille de petite vertu ; cela ne ferait que davantage m'enfoncer dans des sables mouvants.
La tension semble être à son paroxysme. Je tourne la tête de droite à gauche, prise dans un étau m'oppressant au fur et à mesure que découlent les secondes. Leur relation ne devrait-elle pas être cordiale ? Après tout, Sam travaille pour mon père. Il serait pour lui imprudent d'omettre ce détail sachant qu'il peut être éjecté de son poste à tout instant. Cette pensée me jette un froid dans le dos. J'oubliais en effet que j'étais davantage une stagiaire lambda que la fille de Monsieur Jones. Je ne suis donc en aucun cas privilégiée, encore moins s'il advenait que je commette un faux pas. Or, ce soir, je me suis plutôt jetée dans le ravin.
- Vous pouvez disposer Monsieur Miller. Je dois parler à ma fille, continue-t-il sans se laisser démonter.
Ce dernier hésite un instant avant de sembler réaliser à qui il avait réellement affaire. Il n'est donc pas aussi joueur que je le pensais, ou tout du moins pas aussi imprudent que mon inconscient aurait pu l'espérer.
- Aurais-tu des explications ? J'ai cru entendre qu'il ne s'agissait pas de l'une de nos créations qui avait clôturé le bal final.
Nous y voilà.
À cet instant précis, je ressens une folle envie de lui hurler au visage que s'il avait daigné s'intéresser à sa fille ne serait-ce qu'une seconde, peut-être aurait-il remarqué que le bouquet final provenait de sa progéniture. Que durant toutes ces années, il m'avait à peine plus adressé la parole qu'un inconnu pourrait le faire par politesse. Je ne voulais plus être une simple formalité ou encore un élément perturbateur dans sa vie aux apparences de perfection mais une femme qui réussit seule, grâce à son talent.
- Toi qui ne m'as jamais considéré comme ta fille, ai au moins la décence de me considérer comme une stagiaire, prononcé-je en le regardant dans les yeux.
Cette fois, je ne me laisserai pas démonter. Je préfère risquer ma place plutôt que de me soumettre à son semblant d'autorité paternelle. L'hypocrisie est un vilain défaut que je compte bien bannir de ma vie, même si cela peut paraitre paradoxale vis-à-vis du monde professionnel dans lequel je désire m'épanouir. La vie n'est-elle pas un dialogue de contradictions indispensables à la construction d'une personne ? Mon géniteur, lui, n'était qu'une ligne constante pale et ennuyeuse. Je ne veux en rien lui ressembler.
- Une stagiaire, comme tu le dis si bien, ne se permettrait jamais de laisser passer une erreur aussi flagrante. Tu es une déception pour ta mère et moi.
Soudainement, une vague de colère s'empare de moi. Il dépasse les bornes et le fait en pleine conscience.
- Ne t'avise pas de parler d'elle comme si tu te souciais réellement de sa disparition. Tu as eu ce que tu voulais, non ? Son entreprise, une place que tu n'aurais jamais pu espérer obtenir sans son travail, voilà ce qui intéressent les rapaces dans ton genre.
Celui-ci voulut me couper dans mon élan mais je l'interrompis en haussant le ton de ma voix.
- Tu as laissé grandir ta petite fille seule ! Une petite fille qui venait de perdre sa mère ! Tu as choisi la facilité pour satisfaire tes ambitions et rien que pour cela, tu as perdu toute ma considération. Une place en tant que stagiaire m'intéresse moins que l'acquisition de véritables valeurs. Et si tu avais ouvert les yeux, tu aurais vu que j'ai hérité cela d'elle. Tu ne m'as laissé que de l'amertume et le temps perdu ne se rattrapera jamais.
- Je..., tente-t-il une énième fois, vainement.
- Tu sais quoi ? Vire-moi, c'est parfait ! Je refuse de représenter une marque ayant perdu toute son authenticité. Tu n'es pas Elisabeth Jones et tu ne le seras jamais, crié-je à présent.
Des bruits de talons résonnent alors dans la pièce. Nous nous retournons brusquement, coupant instantanément toute envie de lui en dire plus sur le fond de ma pensée. Je réalise que la bulle qui m'entourait quelques instants auparavant n'était qu'imaginaire et noire de fureur. Cet homme ne m'apportait rien de bon, il n'était plus l'être aimant que j'avais pu connaitre étant petite. Mais j'ai fait mon deuil et lui-même devrait songer à cesser de s'acharner sur le moindre de mes faux pas afin de m'entrainer au fond du gouffre.
Emma Rosewood apparait face à moi, un sourire resplendissant au bord des lèvres. Elle me serre dans ses bras tout en me chuchotant mille remerciements. J'observe vaguement mon père qui se redresse, tout en affichant un sourire qui me donne envie de vomir.
- Vous avez été époustouflante Emma ! Cette robe vous va merveilleusement bien..., dit-il dans un entrain plus qu'excessif.
- Ce n'est pas moi qu'il faut complimenter mais cette demoiselle. Matt m'a dit que cette splendeur était en réalité l'une de vos créations, s'exclame-t-elle à la fois emplie bienveillance et d'amusement.
Mon père la prend soudainement par le bras, l'entrainant vers la salle encore noire de monde tout en la remerciant de nous avoir fait l'honneur de sa présence. Je suis à bout de force. À tel point que je ne parviens même plus à distinguer leur conversation du brouhaha permanent des invités.
- Tout était fabuleux ma chérie, hurle Alda pleine d'enthousiasme tout en me sautant dans les bras.
J'avais complètement oublié sa présence ce soir. Avec tout ce qu'il venait de se passer, je dois avouer que son intention me fait beaucoup de bien. Je la serre à mon tour contre moi, au bord de la crise de larmes. La voix de Sam interrompt toutefois mon élan de tristesse :
- Le reste de la nuit nous attends les filles.
Ma meilleure amie saute de joie à l'entente de ces mots. Je suis heureuse de constater que cette soirée a au moins eu des effets positifs sur son état déplorable de la semaine. Elle mérite tout le bonheur du monde. Et moi, une rangée de shots susceptible de me faire oublier la catastrophe à laquelle j'ai de peu échappé.
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