8. Addiction
Médéric retrouva son train-train quotidien. Entre disputes de voisinage, agressions, trafics en tous genres ou débordements en marge de mouvements sociaux... les enquêtes et les heures supplémentaires laborieuses s'enchaînaient.
Son fils restait son unique rayon de soleil. Ils ne se voyaient toutefois que deux semaines par mois et, bien que Médéric ait pu se libérer pour profiter des dernières parades carnavalesques des jours gras, ses gardes à la brigade rongeaient ce temps précieux. Si cela donnait à Ludéric l'occasion de développer ses liens avec ses grands-parents paternels, la relation déjà tendue avec Leïla ne fit que se dégrader. En dépit des efforts du gendarme, son - incessamment sous peu - ex-femme lui témoignait de plus en plus d'aigreur.
Elle n'était pas parfaite, mais leur mariage avait sombré par sa faute à lui. S'il avait su l'aimer comme elle le méritait, elle n'aurait jamais été chercher son bonheur ailleurs. Elle avait le droit d'être heureuse dans sa nouvelle vie ! Avec un homme qui ne soit pas un inadapté affectif. Et il était injuste que Ludéric en veuille à présent à sa propre mère parce que cet amour réciproque avait planté son petit fruit. Elle avait toujours été là pour leur fils, elle ! Un père digne de ce nom n'accepterait jamais qu'il la rejette dans le seul but qu'il trouve réconfort dans ses bras à lui, le vrai fautif de l'histoire.
Autant de reproches balancés à Médéric. Pourtant, il ne voulait pas déchirer sa famille plus qu'elle ne l'est déjà. Il encaissait donc sans broncher.
Évidemment, dans un tel climat, ses bonnes résolutions durèrent à peine trois semaines. Il était las de ce vide au fond de lui, las de cette absence de ressenti. Aussi malsain était-ce, il avait de se sentir vivant. Besoin de le revoir. Lorsque Médéric tomba sur l'annonce de la soirée carnavalesque spéciale, organisée pour la mi-carême, il ne pu donc résister. Il pensa qu'assister à son show sur la scène du Fantasmique lui suffirait. Mais il se trompait, ce n'était pas assez.
Admirer Phœnix de loin ne serait plus jamais assez maintenant que Médéric connaissait Yadiel. Un homme impétueux, mais aussi doué de sensibilité. Yadiel n'était pas un personnage fictif. Il luttait contre ses propres démons, il en souffrait aussi. Et s'il souhaitait déchiqueter le gendarme en milles morceaux avec son regard tranchant afin de prendre sa revanche, ainsi soit-il. Tout ce que voulait Médéric, c'était que Yadiel voit aussi en lui. Qu'il ne voit que lui, ne serait-ce que le temps d'une danse.
Il réserva donc une séance privée, plus longue que la précédente, et s'installa au bar le temps que son danseur soit libre. Comme le voulait la tradition antillaise, les clubs et boîtes de nuits fermaient durant le Carême religieux. La pause exceptionnelle dans cette période d'abstinence rendait donc les usagers du Fantasmique effervescents, cela allongea l'attente.
Un hôte vint bien assez tôt conduire Médéric à l'espace privatisé. Phœnix y attendait déjà son client. Cheveux tressés pailletés, débardeur en résille blanc et bretelles arc-en-ciel retenant son jean destroy... Il avait visiblement fait de son mieux pour coller au thème de la soirée. À sa manière, car sa tenue semblait la moins excentrique de toutes.
Quand il comprit qui s'avançait dans la pièce, Yadiel inclina la tête sur le côté.
- Ka ou vin chèché ?
[Que viens-tu chercher ?]
Ce coup-ci, son ton glacial ne déstabilisa pas Médéric.
- Une danse.
Sa réponse se voulue assurée. Il soutint d'ailleurs le regard affûté de Yadiel qui reprit, narquois :
- Juste une danse, hein ?
- Oui.
N'était-ce pas tout ce qu'il pouvait obtenir de lui ? L'évocation d'un extra l'avait contrarié. Médéric serait donc contraint de se contenter du minimum, en sachant pertinemment que cela ne suffirait pas.
Yadiel le dévisagea, scannant son regard pour y trouver la vérité. Il l'aperçue rapidement, mais n'ajouta rien. Après avoir toisé le client, il se tourna vers l'enceinte. La porte était déjà close, Médéric interpréta à juste titre son geste comme une invitation à prendre place. Comme la fois d'avant, il se cala alors dans le fauteuil matelassé. Dès que la musique débuta, le danseur se retourna et commença à se trémousser.
Captivé par ses gestes, Médéric renoua avec la chaleur enivrante de l'excitation. Yadiel maintenait une certaine distance de sécurité, mais leurs regards s'enlançaient dans l'ambiance feutrée de la pièce. Si celui du client était limpide, le désir du danseur s'avéra impossible à déceler derrière son faciès impassible. Son exaltation ne fit pourtant que grandir, à mesure que la fièvre montait chez celui qui le dévorait des yeux.
La première chanson se termina, une autre lui succéda. Puis encore une... Et encore une autre. L'espace séparant les deux hommes parut se réduire de lui-même.
Tu aurais pu être l'élu...
Tu aurais pu être le seul qui compte pour moi.
Tu aurais pu être libre. Le survivant d'une vie vide.
Mais tu ne viens que quand tu me trouves sans foi.
Tu ne viens que lorsque tu me trouves sans visage.
Les doigts de Médéric se crispèrent sur son propre pantalon. Ses mains étaient moites, son souffle court, mais il ne se soustrairait à cette fébrilité pour rien au monde.
Yadiel se mordit la lèvre. Avec les autres, il savait parfaitement tracer la ligne et se distancer émotionnellement. Cette profondeur dans le regard démuni du gendarme l'aspirait pourtant tout entier. Il y lisait aussi bien le désir, que le tourment de son âme abîmée. Fut-ce ce qui le poussa subitement à s'asseoir au-dessus de lui ?
Tel un aimant, sa peau nue attira les mains de Médéric. Ce dernier saisit machinalement ses hanches. Yadiel accrocha tout de suite ses poignets d'une poigne solide. Le regard toujours ancré au sien, il remonta ses mains baladeuses contre le dossier du fauteuil et les y bloqua.
- Quand t'es ici, c'est pas toi qui contrôles.
Baise-moi comme tu me hais !
Creuse et change-moi en putain.
Pendu à ses lèvres, Médéric hocha la tête comme le pantin qu'il était. Au club Fantasmique ou dans sa vie, il ne contrôlait absolument plus rien. Mais au moins, être avec Yadiel était un moment euphorisant.
Baise-moi comme tu me hais.
Sans lâcher ses poignets, Yadiel se redressa et commença à bouger contre lui. Il aurait été incapable de s'expliquer à lui-même pourquoi il enfreignait ses propres règles.
Creuse et détruit tout...
Médéric était gendarme. Yadiel, la personnification même du trouble à l'ordre publique. Dans son esprit, ils étaient censés être ennemis naturels. Yadiel détestait avec passion les forces de l'ordre, qui n'avaient jamais rendu justice à sa mère ou sa sœur quand son beau-père les rouaient de coups. Il avait pourtant eu l'impression que Médéric se souciait de son sort, que leurs mélancolies se faisaient écho.
J'aime le bruit que tu fais quand tu es dévasté.
Dieu le sait, tu aurais pu être celui qui me comprend.
Tu aurais pu être l'unique complice de mes mensonges.
Yadiel ne lâcha Médéric d'une main que pour déboucler sa ceinture. Il déboutonna ensuite son pantalon, dans lequel il aventura aisément ses doigts. Médéric hoqueta et écarquilla les yeux, mais ne chercha pas à l'arrêter. Après tout, n'était-ce pas ce pourquoi il lui tournait inlassablement autour ? C'était en tout cas la raison pour laquelle Yadiel ne se berçait pas d'illusions. Il passerait encore pour un prostitué. Qu'importait. Au moins, juste cette fois, ils auraient tous les deux ce que réclamaient leurs corps.
Ne fais aucun bruit jusqu'à ce que je sois dévasté.
Sa main conquérante s'enfonça dans le sous-vêtement et empoigna une verge déjà bien tendue. Médéric ferma les yeux d'allégresse quand Yadiel commença à le branler. Sa poigne était aussi énergique que le rythme du morceau de métal en arrière-plan.
Le souffle court, perdu entre l'intensité du moment et son amertume, Yadiel laissa retomber son front contre celui de Médéric. Dans un élan d'euphorie, ce dernier se redressa autant qu'il pu et scella leurs lèvres.
La lenteur de leur baiser inattendu contrasta avec les mouvements frénétiques autour de son pénis. Le cœur de Médéric battait à s'en faire exploser la poitrine. Flottant sur un nuage d'adrénaline et d'endorphines, il assura sa prise de sa main libre et réitéra sa folie. Il happa, caressa ces lèvres afin de faire comprendre à leur propriétaire que cet échange avait du sens. Qu'il importait. Cela fut d'autant plus perturbant pour Yadiel, dont le rythme cardiaque s'emballa aussi. Trop pour un simple baiser. Dans un effort pour garder ses idées claires, il se recula brusquement.
Lâchant le deuxième poignet de Médéric, Yadiel se dégagea et repoussa sans ménagement sa tête en arrière. Se sachant coupable, Médéric ne broncha pas. Il préféra poser ses mains à plat sur le fauteuil. Le performeur déplaça alors la sienne contre sa gorge, qu'il pressa consciencieusement. Il infligea le même traitement à son sexe avant de se concentrer sur son gland humide, qu'il cajola. Le visage de Médéric s'échauffa au possible, ses bourses se contractèrent presque aussi fort que ses muscles... Les yeux révulsés, il expérimenta un orgasme foudroyant.
Son corps n'était plus le sien. Ses hanches se soulevèvent d'elles-mêmes. Il éjacula à grandes giclées, entre les doigts de Yadiel aussi bien que sur son propre torse. Son t-shirt kaki se retrouva maculé de sperme et lui, plus haletant que jamais.
- Respire, Officier Sexy. Je compte pas te refaire du bouche à bouche.
Même l'esprit embrumé, Médéric ne pu s'empêcher de rire. Yadiel lui tapota la joue, se décala sur le côté et attrapa la boîte de mouchoirs posée sur une petite commode. S'essuyant les doigts, il la laissa ensuite tomber sur son client et se leva du fauteuil. Le silence, revenu dans la petite pièce dès qu'il éteignit l'enceinte, fut seulement coupé par le bruit de la musique brésilienne jouée dans la salle principale.
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