11. Cartes sur table
Sa mère semblait remontée à bloc. Médéric souleva ses lunettes afin de se frotter les yeux et poussa un nouveau soupir à travers le combiné. Il savait que tôt ou tard, Leïla se plaindrait à elle. Ce n'avait été qu'une question de temps.
— Ex-femme, souffla-t-il. Et je vous en avais déjà parlé, maman.
— Et ton père et moi t'avons dit que c'était n'importe quoi ! Qu'est-ce qui te passe par la tête, mon fils ? On ne t'a pas éduqué comme ça... La pauvre Leïla a fondu en larmes quand je lui ai demandé pourquoi elle te traitait aussi vachement ces derniers temps. Tu as pensé à ton petit garçon ? Et puis aux gens, qui aiment toujours colporter les ragots.
— Les gens diront ce qu'ils veulent, m'man. Je n'ai rien à me reprocher et c'est justement pour Ludéric que j'ai avoué la vérité à Leïla. J'avais peur qu'elle le découvre et qu'elle s'en serve contre moi durant la procédure de divorce. Alors j'en ai parlé à mon avocate. Même si mon orientation sexuelle n'entrait pas en compte dans le dossier, elle a dit que j'avais bien fait de ne pas la garder secrète. La preuve, tout s'est bien passé. Le divorce a été prononcé à l'amiable et on est resté sur une garde partagée.
— Mais Lulu a déjà fugué une première fois ! Tu imagines ce qui se passera s'il apprend que tu veux aimer d'autres hommes ?
— Maman... Tu sais pourquoi il s'était échappé de la maison.
L'incident était survenu le jour où Leïla lui avait annoncé sa grossesse. Ayant certainement l'impression d'être remplacé comme son père, le petit avait très mal reçu la nouvelle. Il avait éclaté en sanglots et s'était enfermé dans sa chambre avant de quitter le domicile familial pendant que sa mère avait le dos tourné.
— Leï et moi, on a géré ça ensemble. Il s'est habitué à l'idée d'avoir une petite sœur. Il se fera à mon homosexualité. Ma psy est d'accord pour nous accompagner dans cette démarche le moment venu.
Celle qui posait son veto, c'était Leïla. Elle refusait catégoriquement d'en entendre parler. Pour l'instant, Médéric ne cherchait pas à insister. Ce n'était pas le bon moment pour une autre annonce importante.
— Mais qu'est-ce que c'est que ces histoires ? Elle avait pourtant l'air de faire du bon travail avec toi, cette psy. Pourquoi veux-tu soudain être de ce bord ? C'est parce ta femme t'as quitté malproprement ?
— M'man... Ce n'est pas parce que je n'en parle que maintenant que c'est ''soudain''. J'ai toujours éprouvé beaucoup d'affection pour Leï, c'est la mère de mon fils et on a tout partagé pendant des années, mais je n'ai jamais été amoureux d'elle. Et, encore une fois, je n'ai jamais été attiré par une autre femme.
— Alors quoi ? Elle t'a quitté parce que tu as péché... avec un homme ? hésita-t-elle.
Médéric s'agaça.
— J'aurais eu du mal à la tromper en plein coma. Elle était déjà avec Ronnie quand je suis sorti de l'hôpital.
— Je sais, fils, et Dieu ne leur pardonnera jamais cet affront. Ce que je voulais dire, c'est est-ce que tu as été infidèle avant ça ? Tu t'es compromis avec un autre homme ?
— Non, je ne me suis pas ''compromis'' avec qui que soit avant notre séparation. En début d'année, par contre, j'ai rencontré un homme qui me plaisait. Alors, même si ça n'a rien donné-
— Jésus, Marie, Joseph... Cette vie là n'est pas pour toi ! Je sais que tu es perdu, chéri à manman, mais tu ne peux pas remettre en cause le fondement de la création. Tu ne peux pas non plus embrouiller l'esprit de mon petit fils plus qu'il ne l'est déjà. Ça, non ! Dieu est grand, prie-le. Il t'éloignera de tes démons et te ramènera sur la voie de la lumière.
— Je le prie, maman. Tu ne te dis pas que c'est lui qui me donne la force de traverser toutes ces épreuves ? Je devrais aussi prier pour qu'il t'aide à accepter qui je suis, tiens.
— Voilà, on va prier ensemble ! Viens à la messe avec nous ce dimanche. Et demande à ta femme pour que Ludéric nous accompagne encore. Ce petit aussi a besoin de ressentir l'amour du Christ.
Véronique Gauthier était une femme attentionnée et généreuse, mais aussi une croyante bornée. Elle pensait sincèrement savoir ce qui était le mieux pour tout le monde. Notamment pour son unique fils, à qui elle avait toujours imposé ses opinions avec ferveur.
Médéric n'appréciait pas cette facette de sa mère. Mais il l'aimait. Ainsi, il composait avec au mieux.
— Écoute, on a déjà été à la messe ce dimanche. On y retournera ensemble dans deux semaines, si tu veux. Mais prier pour que ton fils continue à mentir à tout le monde dans l'unique but de sauver les apparences, ça ne me paraît pas très catholique.
— Médéric, ba ki moun ou konprann ou ka palé la ?
[Médéric, à qui crois-tu t'adresser, là ?]
Ignorant son ton indigné, il poursuivit :
— Pour ce qui est de Ludéric, l'amour qu'il a surtout besoin de ressentir en ce moment est celui de sa famille. Il a beaucoup apprécié ce week-end de Pâques avec nous et, franchement, après les années merdiques qu'on vient de vivre, avoir la chance de voir mon petit garçon heureux, de partager ce bonheur avec lui, c'est tout ce qui compte pour moi. L'avis des autres, je crois qu'il importe de moins en moins... J'ai juste envie d'avancer dans ma vie, sans plus porter de fardeaux. Alors je te laisse, maintenant, je suis en train de me faire à manger.
Mécontente de la tournure de cette conversation, sa mère ronchonna quelques mots supplémentaires avant de le saluer.
Médéric soupira en glissant une main sur sa tête et abandonna son portable. Il retourna au four électrique, où il marmonna pour lui-même tandis qu'il vérifiait la cuisson de son plat. Sa chatte, Perle, vint alors se frotter contre sa jambe.
Le dos rond, elle leva sa frimousse quémandeuse vers son humain en miaulant.
— Ah, toi aussi tu trouves ma mère excessive ? Je pensais être le seul... Tiens, bibiche, tu peux lécher le reste de la boîte de thon.
Le félin se réjouit de son offrande ! Médéric poussa un énième soupir et retourna regarder la télévision. Il ne se leva que pour aller se servir une part de quiche quand le four s'arrêta et revint s'installer sur son fauteuil, assiette à la main. Il avait presque englouti son dîner en totalité lorsque les coups inopinés frappés à sa porte le firent sursauter. Médéric tourna alors la tête vers l'entrée, intrigué. Il posa ensuite son assiette sur la table basse avant de gentiment déplacer Perle, qui roupillait sur sa cuisse, afin de se lever.
— Bon sang, j'espère qu'elle n'a pas envoyé papa me faire la leçon. Ce serait d'un ridicule.
Lorsqu'il regarda par le judas, il cru rêver ! Sa main nerveuse se resserra autour de la poignée de la porte. Après une brève hésitation et une grande inspiration, Médéric se décida enfin à ouvrir.
Le sourire en coin et les yeux railleurs qui l'avisèrent suffirent presque à lui faire perdre tout repère. Conscient de sa surprise, le visiteur n'attendit pas d'invitation. Il leva ses cadeaux et pris les devants.
— J'ai ramené des bières et du chocolat, je me suis dit que tu m'offrirais la bouffe.
— Yadiel ?
La gorge de Médéric se serra. Sur le coup, il avait beaucoup de mal à savoir s'il était au bon milieu d'un de ses fantasmes ou si Yadiel se trouvait bel et bien sur le pas de sa porte.
— Ravi que tu te souviennes de mon prénom, ricana d'ailleurs ce dernier. Alors, je peux entrer ou tu vas me tenir rigueur de ne pas avoir crié ''Surprise !'' ?
— Non. Désolé. Bien sûr, entre.
Le visiteur impromptu s'exécuta et fit comme s'il était chez lui. Il ôta habilement ses chaussures et se dirigea vers le coin cuisine. Après avoir posé la boîte de chocolat, il sorti deux bières du pack, rangea les autres au frigo et revint vers Médéric. Ce dernier le fixait toujours d'un air ahuri.
— Que... Comment as-tu trouvé mon numéro d'appartement ?
— Boîtes à lettres.
Yadiel se rapprocha de la table basse pour poser les bières. Il enleva ensuite sa veste, qu'il installa tranquillement sur l'accoudoir du fauteuil.
Médéric n'en croyait pas ses yeux ! Il saisit d'un geste machinal la bouteille que lui tendit son invité surprise en observant celui-ci s'asseoir à son aise. Leurs doigts se frôlèrent durant cet échange. Un long frisson parcouru alors la colonne vertébrale du gendarme et mourut au creux de ses reins.
— Elle est tiède, mais c'est pas la mort. Chin.
Faisant trinquer leurs bières, Yadiel porta ensuite le goulot à sa bouche. Médéric se focalisa inconsciemment sur ces lèvres, qu'il avait si souvent imaginées longer les courbes de son corps tremblant... Il se reprit toutefois assez vite et fronça ses sourcils.
— Pourquoi es-tu ici ?
— Dire bonsoir, prendre des nouvelles... C'est au choix.
Yadiel longea nonchalamment son bras sur le dossier du canapé turquoise. Perle vint l'accueillir avec des ronrons enjoués. Elle se vit chasser par le brusque claquement de doigts du nouveau venu.
— D'accord. Mais pourquoi ? insista Médéric.
Aux dernières nouvelles sa présence était indésirable.
Yadiel haussa simplement les épaules.
— Pourquoi pas ? T'avais pas envie de me revoir ?
Voilà qu'il prenait encore Médéric au dépourvu. Celui-ci ouvrit la bouche, se ravisa, mais finit par avouer :
— Si. Mais pourquoi revenir maintenant ? Après que...
— Oh, arrête cet interrogatoire. Ça m'agace. Si tu veux que je m'en aille...
— Non. Reste !
Une réponse aussi hâtée que désespérée. Médéric craignait que Yadiel disparaisse subitement, comme il était arrivé, pour ne plus jamais réapparaître.
Satisfait de sa décision, l'intéressé lui adressa un petit sourire et bu une autre gorgée. Médéric se pinça brièvement les lèvres et lança, incertain :
— Hum... J'ai fait une quiche thon/surimi. Y'a aussi des crudités. Tu veux que je te serve une assiette ?
— Volontiers.
L'hôte opina et se dirigea vers la cuisine. Le temps qu'il termine le dressage du plat, Yadiel se vit encore obligé de faire fuir le mignon félin au pelage tigré.
— Merci. Je déteste les chats, râla-t-il en abandonnant sa boisson quand Médéric revint au séjour.
Médéric esquissa un léger sourire et attrapa Perle, qu'il réconforta par quelques caresses et des papouilles.
— Je préfère les chiens, avoua-t-il. Mais avec le boulot, je n'aurais pas eu le temps de m'en occuper correctement. En plus, vu la taille de mon appart', un chat y est plus à l'aise. Je n'ai adopté Perle qu'il y a quelques mois. Elle est adorable la plupart du temps.
— Elle te fait te sentir moins seul ? devina Yadiel.
L'intéressé acquiesça, reposa le félin au sol et observa distraitement Yadiel manger. Il avait l'air si calme, comme si toute cette situation était des plus normales. Comme s'il n'était pas le visage hantant tous ses songes depuis leur rencontre.
Médéric ne voulait pas le faire fuir avec ses questions incessantes, mais il avait besoin de comprendre.
— Est-ce que... Tu as à nouveau des ennuis ?
Yadiel secoua la tête.
— Ni plus, ni moins que d'habitude.
— Ok.
Peut-être avait-il simplement voulu qu'ils se revoient, lui aussi. Mais alors...
— Pourquoi m'avoir fais éjecter du club ?
Un regard franc plongea dans le sien.
— Parce que je ne fraternise pas avec les clients. Encore moins quand ils commencent à me coller. T'étais devenu un problème et, d'où je viens, les problèmes on s'en débarrasse comme on peut.
Effectivement, Yadiel assurait ne pas accorder ses faveurs contre rémunération. Médéric n'avait jamais payé ses caresses. Elles furent spontanées et, dans le cadre particulier du Fantasmique, il comprenait que cela ait pu lui poser un problème de conscience.
— Mais maintenant, tu es là, insista-t-il pourtant. Ne suis-je plus une problématique ?
— Tu l'es toujours, monsieur le gendarme. Mais t'es bien content que je sois là. Non ?
— Eh bien, je dirais que toi aussi.
Yadiel esquissa un léger sourire. Il ne répondit rien et se contenta de retourner à son assiette.
En joie, Médéric se pinça les lèvres pour retenir son contentement. Il se cala dans le fauteuil avec la boîte de chocolats haut de gamme qu'on venait de lui offrir. Yadiel n'avait pas nié son allégation, ni pris à cœur de le tacler férocement. Une petite victoire, mais pas des moindres !
Même si celui qu'il convoitait s'avérait difficile à cerner, sa simple présence égayait déjà cette soirée.
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