Un an après l'accident

Un sac en bandoulière reposant négligemment sur son épaule droite, Namjoon essayait de se frayer un chemin parmi la foule grouillante. Il maudissait son professeur de littérature étrangère qui, passionné par une explication bancale et ennuyante, avait relâché les élèves impatients avec plusieurs longues minutes de retard. Cela n'arrangeait pas le jeune homme, car il ne pourrait jamais atteindre à temps le café dans lequel il travaillait. Son patron n'allait avoir aucun scrupule pour le tuer. Il en était certain.

Ce fut le souffle court et les joues rougies par un effort physique trop intense que Namjoon parvint au café dans lequel il travaillait depuis plusieurs mois. Il avait facilement dix minutes de retard et ne fut pas surpris de découvrir le visage agacé de son patron. Ses sourcils grisonnants étaient froncés dans une expression stricte et ses mains étaient posées sur ses hanches. Cela n'annonçait rien de rassurant. Les colères du vieil homme pouvaient se montrer réellement terrifiante et il ne souhaitait pas vraiment connaître sa rage.

« Excusez-moi, prononça-t-il en passant une main dans ses cheveux en bataille. Mon prof de littérature a totalement oublié de nous laisser partir.

-Je ne veux pas d'excuses, gronda son supérieur. Fonce mettre ton tablier et va immédiatement travailler ! »

Le jeune adulte n'attendit pas la moindre remarque supplémentaire de son patron et se précipita dans le vestiaire. La pièce était vraiment ridicule : des casiers minuscules s'alignaient contre un mur et un banc en bois siégeait au centre de la pièce. Namjoon enfila rapidement son uniforme et trottina vers la salle principale. Les quelques clients y discutaient joyeusement autour d'une tasse de café fumant. C'était ce que le jeune homme préférait avec son travail. Il aimait l'ambiance chaleureuse et entendre les quelques anecdotes que les habitués lui accordaient.

« Arrête de rêvasser ! prononça durement le vieil homme en apparaissant comme par magie à sa droite. Bouge-toi immédiatement et va prendre la commande de la table quinze. »

L'étudiant accorda un salut militaire légèrement moqueur à son employeur et le sourire ennuyé de ce dernier le mit de bonne humeur. D'une démarche étrangement sautillante, Namjoon marcha, souriant à pleines dents, vers la table désignée par le vieil homme. Ses sourcils se froncèrent et son sourire se fana lorsqu'il remarqua les occupants de la table.

Deux garçons discutaient calmement autour de celle-ci. Il n'entendait absolument pas leur conversation et ne souhaitait absolument pas l'entendre. Ses yeux ne pouvaient pas quitter la silhouette du plus grand. Il aurait pu reconnaître entre mille son visage harmonieux, ses épaules larges, son rire communicatif et sa peau légèrement caramélisée. Kim Seokjin. Cela faisait presque une année qu'ils ne s'étaient pas revus et Namjoon ne se sentait toujours pas capable de lui adresser la parole. Il se sentait coupable de l'accident et n'oubliait pas sa fuite de l'hôpital.

Prenant une grande inspiration et son courage à deux mains, Namjoon amorça quelques pas en direction de la petite table. Il ne parvenait pas à lâcher du regard son ancien copain et se sentait étrangement nauséeux. Son cœur battait la chamade et lui hurlait de s'éloigner à toute vitesse de la table, mais il n'avait pas le courage de faire demi-tour. D'une démarche devenue hésitante, le serveur se dirigea lentement vers la table quinze. Il ne parvenait toujours pas à quitter son ancien copain du regard.

« Vous avez fait votre choix ? demanda-t-il d'une voix incertaine. »

Deux regards sombres convergèrent rapidement vers sa silhouette. Namjoon avait l'impression que leurs yeux sombres le déshabillaient et cela le rendait particulièrement mal à l'aise. Incapable de tenir en place, il se balançait sur ses pieds. Il fit tournoyer son crayon à bille noire entre ses longs doigts alors que les garçons replongeaient ses pupilles sur la carte pour prendre connaissance de noms.

« Je vais prendre un americano glacé, prononça son ancien petit-ami.

-Et je prendrai un café latté chaud, fit l'inconnu. »

Avec un rapide mouvement de tête pour montrer sa compréhension, le jeune homme rejoignit le comptoir où ses collègues discutaient calmement. Namjoon n'avait pas encore le droit de toucher à la machine à café – on lui avait vaguement expliqué son fonctionnement, mais il n'était pas encore assez ancien pour s'en occuper – et se contentait de courir dans tous les sens pour récupérer les commandes. Affichant un sourire penaud qui dévoilait seulement une de ses fossettes, il tendit son calepin noirci de son écriture illisible à son collègue. Celui-ci lui offrit un sourire rayonnant avant de préparer les boissons.

Namjoon profita de ce court instant de répit pour détailler le garçon qui accompagnait son ancien copain. Il n'était absolument pas désagréable à regarder : ses cheveux décolorés tombaient devant ses yeux sombres et rieurs, son sourire se faisait charmeur et dévoilait de petites dents blanches alignées, sa peau pâle lui donnait un aspect presque surnaturel et sa voix lui avait semblé très agréable à l'oreille. S'il ne s'était pas trouvé en compagnie de l'amour de sa vie, Namjoon aurait certainement envié sa beauté.

Il ne pouvait cependant plus prétendre à l'amour réciproque de Seokjin depuis plusieurs années. Lors de leurs nombreuses disputes, il avait toujours la prétention d'être son petit-ami, mais il n'était plus rien. Il avait abandonné le droit d'espérer un retour de ses sentiments lorsqu'il avait quitté l'hôpital, apeuré de la perte de mémoire de son amant. Il n'avait pas le droit de se montrer jaloux de cet illustre inconnu. Il le savait parfaitement, mais ne pouvait pas s'en empêcher. Les battements de son cœur frappaient douloureusement contre sa cage thoracique et résonnaient dans ses oreilles. Il avait envie de disparaître.

« Namjoon ? il sursauta lorsque la main de Dongyul, son collègue et presque ami, se posa contre son épaule. Tu vas bien ?

-Oui, fit-il en lui offrant un léger sourire. La commande est prête ?

-C'est pour ça que j'essayais de te faire quitter ta torpeur. »

Namjoon le remercia d'une voix si faiblarde qu'il ignorait s'il était fait entendre et il s'empressa de récupérer le plateau que lui tendait son collègue. D'une démarche qu'il espérait assurée, il se précipita vers la table quinze. Les deux garçons semblaient trop proches pour que cela soit complètement anodin. Cela lui brisait le cœur. Il ne pouvait cependant rien montrer et garda un visage totalement neutre alors qu'il déposait les deux boissons devant ses clients.

« Yoongi, souffla le plus grand. Tu ne peux pas m'avouer tremper des frites dans un milk-shake et espérer que je réagisse comme si c'était quelque chose de parfaitement normal.

-Tu dis ça alors qu'il t'arrive de tremper des chips dans du nutella, se renfrogna le décoloré en croisant les bras. C'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité. »

Namjoon maudissait ses oreilles indiscrètes. Rares étaient les personnes qui avaient connaissance de l'affection qu'éprouvait Seokjin pour cette horreur culinaire. Il ne s'en cachait pas réellement, mais ne s'amusait pas à le crier sur tous les toits. L'étudiant avait bêtement cru qu'il ne partagerait jamais son amour pour cette étrangeté avec une autre personne. Il était trop naïf. Sans se faire remarquer, il s'éloigna de la table. Il avait besoin de prendre l'air.

*

Namjoon avait passé presque cinq interminables heures à slalomer entre les tables et à afficher un sourire factice. Il aurait préféré retourner dans son lit confortable et rassurant pour évacuer toutes les larmes qu'il avait contenu dans ses yeux noirs. Il n'en avait cependant pas eu la possibilité. Il aurait été incapable d'aller voir son employeur pour lui dire qu'il ne pouvait plus travailler, car son ex amnésique se trouvait dans l'établissement. Le vieil homme lui aurait certainement ri au nez et hurlé de retourner travailler.

Attendre la fin de son service avait été un réel supplice. Alors, lorsqu'il avait enfin pu retourner dans le vestiaire, Namjoon avait senti ses sentiments le submerger. Un sanglot déchira sa gorge alors qu'il s'effondrait sur le banc. Il se sentait pathétique d'éprouver autant d'émotion contradictoire. Il était heureux d'avoir revu son ancien amant et de le savoir en bonne santé. Il ne supportait cependant pas l'image de cet autre garçon, trop familier et proche de lui.

Le jeune homme eut énormément de difficulté à faire taire ses larmes. Il mit plusieurs longues minutes à se ressaisir et se relever. Il était parfaitement ridicule. Comment pouvait-il encore éprouver autant de chose pour quelqu'un après presque un an ?

« T'es vraiment pathétique, se dit-il à lui-même. »

Au-dessus de sa tête, le néon grésilla. Cela ne le surprenait plus vraiment, mais il se demandait toujours quand son supérieur trouverait le courage de changer l'éclairage de la minuscule pièce. Le confort de ses employés n'était pas sa priorité. Ils en avaient tous consciences, mais espéraient toujours que ce vieil homme dépense son précieux argent pour assurer leur bien-être. C'était trop demandé.

« T'es vraiment long, prononça la voix de Dongyul dans son dos. Ca fait facilement vingt minutes que je t'attends.

-Désolé, murmura-t-il. Tu pouvais partir sans moi.

-N'essaie pas de te soustraire à ton obligation de me nourrir, gronda l'autre garçon. Tu avais parié que tu ne serais pas en retard cette semaine et tu as perdu. Tu dois nourrir mon estomac gourmand. »

*

« Qui est la personne qui t'as mis dans cet état ? »

La question de son ami le surprit légèrement. Celui-ci n'était pas un garçon particulièrement perspicace et Namjoon devait vraiment être dans un sale état pour qu'il remarque sa détresse. Une légère grimace déforma ses traits. Il ne savait pas si parler de son ancienne histoire était quelque chose de pertinent. Il ne voulait pas se mettre dans une position de faiblesse. Ce fut le regard insistant de son collègue – qui s'enfilait son bibimbap à une vitesse remarquable – qui le fit céder.

« Tu te souviens de notre première rencontre ? demanda-t-il.

-Comment pourrais-je l'oublier ! répondit Dongyul. Tu boitais et lançais des regards mauvais à toutes les personnes qui osaient poser des questions sur ta jambe. »

Il avait raison. Namjoon avait postulé au café quelques temps après sa rééducation et sa démarche claudicante lui avait attiré de nombreuses questions. Les gens se montraient trop curieux et il ne supportait pas cela à l'époque. Il avait mis énormément de temps à accepter les remarques et à s'ouvrir aux autres.

« Donc tu sais que j'ai eu un accident de voiture, commença-t-il, et que mon copain était avec moi.

-Celui qui a perdu la mémoire ? il acquiesça. Pourquoi tu me racontes ça ?

-Il est venu au café aujourd'hui, avoua-t-il, avec une autre personne. »

Une moue compréhensive se dessina sur le visage empathique de Dongyul. Le jeune adulte savait que son collègue n'ajouterait rien tant qu'il ne prononcerait pas d'autres mots. Il avait toujours admiré la patience dont il faisait toujours preuve. Namjoon l'enviait légèrement.

« C'est le premier client que je suis allé servir aujourd'hui. Ca m'a fait bizarre de le revoir.

-Tu veux parler du gars qui t'a observé presque toute la journée ? demanda-t-il. Oublie ce que j'ai dit, ajouta-t-il en captant son regard curieux. Vous vous êtes rencontrés comment ? »

Namjoon était persuadé de lui avoir déjà raconté son histoire. Il se souvenait parfaitement des commentaires de son ami et du sourire presque attendri qu'il affichait lorsque l'étudiant se perdait dans ses explications. Il ne lui fit cependant pas la remarque et s'appliqua à lui raconter toute l'histoire, n'omettant aucun détail. Il ponctua ses phrases de gentils et amusants commentaires. L'ambiance se détendit rapidement et Namjoon se sentit rapidement mieux.

« T'étais un élève sérieux au lycée ? l'interrogea alors son ami, curieux.

-Ça allait, répondit-il. Pourquoi ?

-Je t'imagine parfaitement en élève modèle, avoua Dongyul.

-T'étais quel genre d'élèves toi ? renchérit-il.

-Je construisais des sarbacanes pour ne jamais les utiliser. J'avais une collection incroyable. »

je ne suis pas entièrement satisfaite de la fin. mais bon. j'aime quand même énormément ce chapitre et trouve que l'ambiance reflète parfaitement ce que j'imaginais. j'espère que vous avez apprécié ce premier chapitre. n'hésitez pas à me donner votre avis.

tchüss